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Avec l’absence prolongée du roi de la sphère publique, les rênes du pouvoir au Maroc sont entre les mains d’une « alliance sécuritaire » aux implications troublantes pour les réformes démocratiques et la liberté d’expression. Dans une récente interview au Times, Hicham Alaoui —cousin germain du roi Mohammed VI du Maroc et chercheur associé à l’Université de Harvard — s’est dit profondément préoccupé par la scène politique actuelle dans le royaume. Soulignant le rôle croissant de l’appareil de sécurité dans le système politique officiel, Alaoui a souligné l’importance d’une intervention royale rapide pour éviter une « crise nationale » imminente.
Alaoui est bien connu pour son soutien à la démocratie et aux révolutions du printemps arabe, et son interview intervient dans le contexte de la quasi-absence du roi de la scène politique marocaine, en raison de son long séjour hors du royaume.
Selon The Economist, rien que l’année dernière, le roi a passé près de 200 jours hors du Maroc. Il parle rarement au peuple marocain ou donne des interviews à la presse, et il ne répond presque jamais directement aux événements politiques et sociaux. Depuis son accession au trône en 1999, Mohammed VI a accordé environ six interviews à la presse, pour la plupart à des journaux internationaux, dont la dernière en 2016. Le président du Syndicat national de la presse marocaine, très proche du Palais, justifie la relation difficile du roi avec la presse du pays en affirmant que « les médias nationaux ne sont pas qualifiés pour interviewer le roi ».
Cette absence prolongée a contribué à une baisse de la popularité du régime. Peut-être pour la première fois dans l’histoire marocaine contemporaine, les gens se prononcent publiquement contre le Palais et l’absence du roi. Ils ont critiqué l’incapacité du roi à atténuer la crise économique du pays, en particulier la hausse sans précédent des prix des denrées alimentaires et du pétrole.
Ainsi le récit officiel selon lequel « le roi est bon, et la classe politique est mauvaise » a commencé à s’éroder, ne pouvant plus blanchir l’image ternie du Palais. Selon Monia Bennani-Chraïbi, professeure de sciences politiques à l’Université de Lausanne, les Marocains ont affirmé ces dernières années haut et fort que «le roi tient entre ses mains les rênes du gouvernement»; en d’autres termes, que le gouvernement n’est qu’un outil exécutif – et parfois une simple façade – des décisions du Palais. Abdelilah Benkirane, ancien Premier ministre du Maroc, a longtemps réitéré cette affirmation, arguant que « celui qui gouverne le Maroc est Sa Majesté le Roi. Le chef du gouvernement n’est que son adjoint ».
L’absence du roi a entraîné l’émergence d’un nouvel acteur sur la scène politique marocaine, celui que l’on pourrait appeler « l’Alliance de la sécurité ». Cette alliance comprend des agences de sécurité et de renseignement, des hommes d’affaires bénéficiant de l’économie de rente et d’autres parties prenantes, notamment des politiciens et des hauts fonctionnaires des institutions de l’État.
Mohammed Ziane, ancien patron de l’Ordre des avocats du Maroc et ancien ministre des droits de l’homme, a été l’un des premiers à tenter de sensibiliser l’opinion marocaine à l’existence de cette alliance. Dans une interview sur ce qu’il a surnommé « le réseau de prise de contrôle de l’État », Ziane a affirmé que le groupe était dirigé par un conseiller royal proche du roi Mohammed VI. Immédiatement après l’entretien, il a été arrêté et condamné à la prison.
Quelques mois après l’arrestation de Ziane, le journaliste marocain Ali Lmrabet a publié plus d’informations sur le réseau, ou ce qu’il a appelé une « structure secrète ». C’est un terme qui a été inventé pour la première fois par Maati Monjib, historienne à l’Université Mohammed V de Rabat, en novembre 2020. Le terme vise à capturer « le cercle étroit au sommet de la hiérarchie du pouvoir au Maroc qui gère la politique, la sécurité et les affaires économiques du pays, équivalent en sens et en fonction au concept d’État profond », explique le journaliste Ali Anouzla.
Le problème de cette « structure » n’est pas seulement qu’elle opère en dehors du cadre de la loi et de la constitution, dépourvue de toute légitimité populaire, mais aussi qu’elle a les moyens d’anéantir efficacement quiconque tenterait de révéler ses membres. Outre Ziane, Monjib a également été arrêté fin décembre 2020, des semaines après avoir écrit un article analytique sur ce sujet. À sa libération en mars 2021, le ministère marocain de l’Intérieur a publié une déclaration dans laquelle il démentait les allégations de Monjib qui « visent à induire en erreur l’opinion publique nationale et internationale et à porter atteinte à l’image du Royaume en matière de droits de l’homme ».
Malgré l’appréhension manifeste des autorités marocaines, le débat dans les milieux politiques et des droits de l’homme sur la crise de gouvernance au Maroc et le concept de « structure secrète » se poursuit. Les autorités, quant à elles, continuent de nier l’existence de cette « structure » et s’en prend sans relâche à quiconque tente de l’étudier ou même de l’évoquer.Cette
situation peut éventuellement conduire à une confrontation directe entre le peuple et le Palais, d’autant plus que ce dernier semble perdre sa légitimité séculaire avec le déclin du rôle du roi dans la sphère publique.
ABDELLATIF EL HAMAMOUCHI
Abdellatif El Hamamouchi est un journaliste d’investigation et chercheur en sciences politiques marocain. Son travail a été publié dans The Intercept, Open Democracy, The New Arab et Smex, et il est co-auteur du livre Moncef Marzouki : His Life and Thought with Maati Monjib. Il est également récipiendaire du prix 2023 du Programme de la liberté d’expression et des médias en Afrique du Nord, décerné par Article 19. Suivez-le sur Twitter @AHamamouchi
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