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Le moindre incident armé entre le Maroc et l’Algérie pourrait avoir des conséquences incalculables pour l’Afrique du Nord.
Il va sans dire que rien ne va plus entre le Maroc et l’Algérie. Chacun est convaincu que les relations entre les deux grands pays maghrébins ont atteint un point de non-retour, et les observateurs sont à l’affût du moindre incident sur le terrain qui pourrait déclencher une accélération dramatique des tensions et donner lieu à un exode dramatique vers l’Europe d’autant plus plus cohérent que l’actuel.
Dans un passé très récent, les experts ont prédit que la possibilité d’un conflit armé était improbable, car les deux chefs d’État risquaient de perdre plus qu’une simple guerre, mais plutôt le contrôle de leurs institutions respectives. Maintenant, personne ne parierait un seul centime sur ce qui pourrait arriver dans un avenir proche ou lointain.
Les faits sont là. L’Algérie, le pays le plus surarmé d’Afrique du Nord, continue d’acheter ses armes à l’étranger ; des Russes, bien sûr, mais depuis quelque temps elle prend soin de diversifier ses équipements. Et le Maroc compte toujours sur son allié de longue date, les États-Unis, pour équiper et moderniser son armée – et avec un bonus : suite à sa normalisation avec Israël, le royaume a signé plusieurs accords avec ce dernier pour fabriquer des armes sur le sol marocain.
Dans cette course aux armements effrénée, tout peut arriver, sinon à quoi bon priver les populations marocaines et algériennes de ces ressources financières vitales qui pourraient être mises à profit pour préparer la guerre ?
Si l’on veut différencier les deux pays, on peut dire grosso modo que le Maroc est une monarchie à économie libérale, et l’Algérie est une république longtemps considérée comme « socialiste ». Sinon, il n’y a pas beaucoup de différences majeures entre les deux voisins. Les habitants parlent le même vernaculaire (darija) et utilisent des langues berbères très proches et de même matrice. De même, l’arabe classique est la langue officielle dans les deux pays et le français est l’idiome de l’élite.
Trahison?
Sur le plan économique, si les ressources de l’Algérie sont infiniment supérieures à celles du Maroc, le royaume dispose d’un savoir-faire dans plusieurs secteurs clés qu’il a toujours puisé pour entretenir ses relations étroites avec l’Occident.
Le point noir est dans les relations tumultueuses maroco-algériennes. Il y a plusieurs facteurs, un énorme abcès, un gâchis de reproches mutuels, des envies de vengeance, et une bonne dose de haine devenue structurelle.
Sans trop regarder en arrière, on peut dire que la tension que connaît le Maghreb aujourd’hui n’est pas nouvelle et n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Les relations entre les deux pays portent un lourd fardeau historique. Certains historiens algériens remontent jusqu’au XIXe siècle pour chercher la source de cette inimitié légendaire entre les deux frères ennemis que proximité géographique et semblant d’histoire commune auraient pu concilier.
Selon eux, tout a commencé par une « trahison » qui a eu lieu après la bataille d’Isly le 14 août 1844, qui a opposé l’armée du sultan alaouite Abderrahmane Ben Hicham à celle du général français Thomas Robert Bugeaud. La défaite de la mehalla (armée) du sultan scelle la fin de la protection marocaine dont jouissait l’émir Abdelkader, chef de la résistance algérienne, et surtout le met hors la loi sur tout le territoire de l’empire chérifien qui lui avait servi de refuge.
Bien que la « trahison », selon certains Algériens studieux, soit le terme utilisé pour décrire cet événement peu glorieux, les homologues marocains le décrivent comme la conséquence inévitable de la défaite catastrophique de la mehalla (armée) du sultan à Isly. Sans cette douloureuse mise hors la loi, le Maroc risquait une répétition des bombardements navals français qui détruisirent une partie des ports de Mogador (Essaouira) et de Tanger.
Une histoire de méfiance
Mais cet épisode n’est pas le seul exemple qui explique la méfiance des algériens envers le régime marocain. Des universitaires algériens ont élaboré une théorie sur le détournement d’un avion Air-Atlas-Air Maroc par l’armée de l’air française le 22 octobre 1956, au plus fort de la guerre d’Algérie pour l’indépendance. A bord de cet avion, affrété par le sultan Muhammad V et assurant la liaison Rabat-Tunis, se trouvaient la crème de l’état-major du Front de libération nationale (FLN).
Le prince Hassan (et futur roi Hassan II) a-t-il informé les Français de la présence d’officiels algériens sur ce vol, comme certains l’ont accusé ? Il n’y a pas de consensus historique sur cette question et les archives françaises restent, pour le moment du moins, muettes sur le sujet. Il faut garder à l’esprit qu’en 1956, le Maroc avait à peine retrouvé son indépendance depuis quelques mois, que l’administration était sous le contrôle de l’ancienne puissance protectrice, et que les forces armées françaises, y compris l’aviation, n’avaient pas encore quitté territoire marocain. La France avait-elle vraiment besoin du prince Hassan pour savoir sur quel vol se trouvaient les chefs de la rébellion algérienne ?
L’autre grand grief algérien, peut-être le plus lancinant, concerne la guerre des Sables de 1963-1964, un conflit territorial qui a opposé les deux armées nord-africaines. Les Algériens n’ont pas oublié leur humiliante défaite face à une armée marocaine bien mieux préparée. Ils attribuent leurs pertes en hommes et en matériel à l’impréparation de leur armée, un an seulement après leur indépendance. D’où l’utilisation, une fois de plus, du mot « trahison » et de l’expression « coup de poignard dans le dos » par la partie algérienne en évoquant cette guerre fratricide.
Les Marocains, pour leur part, reprochent souvent aux Algériens leur éternelle ingratitude. Ils les accusent d’avoir volontairement oublié que le royaume était résolument à leurs côtés lors de la guerre de libération contre les Français et que le président Houari Boumediene a expulsé par la force 45 000 familles marocaines en 1975. C’est une vieille communauté qui vit en Algérie depuis l’ère française. , certains de ses membres depuis le XIXe siècle, et qui dans de nombreux cas n’avaient plus aucun lien avec le pays de leurs ancêtres.
Le soutien de l’Algérie au Polisario
L’autre critique majeure formulée par le Maroc vise le soutien politique, diplomatique et même militaire massif de l’Algérie aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario dès le début de la guerre au Sahara occidental au milieu des années 1970. En fait, c’est au cours de cette guerre que nous avons frôlé de très près un conflit de grande ampleur entre les deux puissances maghrébines. Il y avait deux dates précises. La première fut la première bataille d’Amgala, en janvier 1976, qui vit un engagement militaire direct de l’Algérie à l’intérieur du territoire du Sahara Occidental.
Cet affrontement militaire, le premier depuis la Guerre des Sables, s’est soldé par une victoire marocaine. Mais quelques semaines plus tard, en février de la même année, un autre affrontement armé oppose les Marocains aux combattants du Front Polisario, soutenus militairement par l’armée algérienne. Elle s’est soldée par la victoire des indépendantistes sahraouis. On pense que sans la retenue de Hassan II et Houari Boumediene, les conséquences de ces deux batailles acharnées et cruelles auraient donné lieu à un conflit majeur dans la région.
La dernière fois que le Maroc a reproché à l’Algérie remonte à 1994. Cette année-là, des terroristes français d’origine algérienne et marocaine ont pris pour cible des lieux qu’ils considéraient comme symboliques de l’image du royaume. Il s’agit notamment d’un cimetière juif et, surtout, de l’hôtel Atlas Asni à Marrakech, où ils ont assassiné deux touristes espagnols. Le Maroc a accusé les services de renseignement algériens d’être à l’origine de cet attentat et a fermé la très longue frontière terrestre entre les deux pays. Depuis lors, à part un bref intermède, la frontière est restée fermée.
Cette inimitié amère et cette méfiance mutuelle auraient pu tranquillement durer plusieurs décennies si les choses ne s’étaient pas aggravées récemment.
L’Iran et le Sahara occidental
Il y a quelques années, sans doute sous l’influence de l’Arabie saoudite et des pays du golfe Persique, le Maroc a commencé à accuser l’Iran d’être impliqué dans le conflit du Sahara occidental. Rabat estime que la République d’Iran a demandé à sa branche armée libanaise, le Hezbollah, d’apporter un soutien militaire actif au Front Polisario dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf. Et Tindouf, c’est forcément l’Algérie. Avec tout le respect que je dois aux Marocains, cette accusation n’a jamais été prouvée. Ni par Rabat ni par ses alliés américains, même s’ils sont vigilants face à l’Iran et au Hezbollah.
Mais cela n’a pas empêché le Maroc de rompre à plusieurs reprises les relations diplomatiques avec Téhéran. A cela, il faut ajouter l’initiative diplomatique maladroite du Maroc à l’ONU pour soutenir l’hypothétique indépendance de la Kabylie, région berbérophone de l’Algérie. C’est une hérésie pour Alger qui a violemment rétorqué à cette initiative en soulignant qu’il n’y a pas de processus onusien ouvert pour traiter de cette question, alors que c’est bien le cas pour le conflit du Sahara Occidental.
La normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, notamment les accords militaires, a également bouleversé la région et réveillé la diplomatie algérienne, qui dormait depuis des lustres en raison de la stagnation au sommet de l’État, dirigée à l’époque par le vieillissement Président Abdelaziz Bouteflika. Dès le début, Alger a considéré la présence de l’État juif au Maghreb comme une menace majeure pour sa sécurité nationale, surtout lorsque le ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, a profité de sa visite à Rabat pour le réprimander.
C’est là où nous en sommes aujourd’hui. Une amélioration des relations maroco-algériennes n’est nullement à l’ordre du jour. En revanche, le moindre incident armé entre les deux États pourrait avoir des conséquences incalculables pour la région.
Ali Lmrabet (Politics Today)
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