L’illustratif reportage de The Economist sur le roi du Maroc

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On le savait dissolu, le voilà dissous – Le mystère de la déliquescence du roi du Maroc

Nicolas Pelham

En 2018, un kick-boxeur allemand s’est lié d’amitié avec Mohammed VI. Le monarque a rarement été vu depuis

Il y a cinq ans, une image inhabituelle est apparue sur Instagram. On y voyait Mohammed VI, le roi du Maroc âgé de 54 ans, assis sur un canapé à côté d’un homme musclé en tenue de sport. Les deux hommes étaient serrés l’un contre l’autre avec des sourires assortis, comme deux enfants en colonie de vacances. Les Marocains étaient plus habitués à voir leur roi seul sur un trône doré.

L’histoire qui se cache derrière la photo est encore plus étrange. Abou Azaitar, l’homme de 32 ans assis à côté du roi, est un vétéran du système pénitentiaire allemand ainsi qu’un champion d’arts martiaux mixtes (MMA). Depuis qu’il s’est installé au Maroc en 2018, son fil Instagram rempli de blingbling a fait frémir l’élite conservatrice du pays. Il ne s’agit pas seulement des voitures clinquantes, mais aussi du ton étonnamment informel avec lequel il s’adresse au monarque : « Notre cher roi », écrit-il à côté d’une photo d’eux deux. « Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu’il a fait pour nous ».

Une crise se prépare au Maroc, et le kick-boxeur rayonnant en est le cœur. Le pays est considéré comme l’une des réussites du monde arabe. Son industrie automobile est florissante, ses souks médiévaux et ses riads tranquilles séduisent les touristes occidentaux. Le Maroc semble avoir tout le charme du Moyen-Orient [sic], sans son agitation.

Un ancien responsable estime que le roi a été absent du pays pendant 200 jours l’année dernière

Mais les 37 millions d’habitants du Maroc sont confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui ont secoué une grande partie du monde arabe au cours de la dernière décennie : manque d’emplois, inflation galopante et services de sécurité oppressifs. Jusqu’à présent, ces problèmes n’ont pas entraîné de graves bouleversements, en partie grâce à l’introduction rapide de réformes constitutionnelles par le roi au plus fort du printemps arabe en 2011. Mais aujourd’hui, l’agitation se profile à l’horizon et le roi, selon les initiés, ne se montre guère.

Depuis quatre ans, Azaitar et ses deux frères monopolisent l’attention du monarque. Selon un initié de la Cour, les conseillers ont tenté de réduire l’influence des Azaitar, mais en vain. Certains responsables semblent même s’être entendus pour publier des articles exposant le passé criminel et les extravagances présumées d’Azaitar. Le roi semble imperméable.

Mohammed n’est pas seulement distrait, il est souvent totalement absent. Il aimait voyager et prendre des vacances avant de rencontrer les Azaitar, mais cette tendance semble s’être nettement accentuée. Parfois, il se cloître avec les frères dans un ranch privé de la campagne marocaine. Parfois, le groupe s’échappe dans un refuge en Afrique de l’Ouest. Lorsque le Gabon s’étiole –“ »tellement ennuyeux, il y a une plage mais rien d’autre à faire”, se lamente un membre de l’entourage – ils descendent à Paris. Un ancien responsable estime que le roi a passé 200 jours hors du pays l’année dernière.

“Nous sommes un avion sans pilote”, s’inquiète un responsable

M6 est apparu pour la première fois en public avec les Azaitar le 20 avril 2018, lors d’un événement célébrant leurs prouesses en MMA. Sur les photos communiquées à la presse, le roi et les trois frères se pressent ensemble en tenant une ceinture de championnat de MMA.

Au fur et à mesure que leur amitié se renforçait, Azaitar a commencé à poster des photos de lui avec le roi. Lui et ses frères ont rejoint la maison itinérante du roi – en tant qu’“entraîneurs personnels”, aurait-on dit aux responsables – et ont amené leur famille et leurs amis avec eux. À certains égards, cette amitié a été salutaire. Le roi, qui avait un peu d’embonpoint lorsqu’il a rencontré les frères, a souffert d’asthme et de problèmes pulmonaires. Les combattants en cage ont installé une salle de sport dans le palais et il a commencé à s’entraîner. Son visage a commencé à perdre ses bouffissures et il est apparu de plus en plus détendu, presque en forme.

Le roi, quant à lui, a comblé les frères de largesses. À la mort de leur mère, il leur a permis de l’enterrer dans l’enceinte de son palais à Tanger. Les frères ont acquis de précieux biens immobiliers en bord de mer et ont fait étalage de leur mode de vie sur les réseaux sociaux. « Ils utilisent des jets militaires, ils ont carte blanche pour fonctionner dans le palais comme ils l’entendent, ils peuvent aller au garage et prendre les voitures qu’ils veulent », explique un initié de la famille royale. « C’est vraiment bizarre ». (Le magazine 1843 a transmis les allégations de cet article aux Azaitar et au gouvernement marocain, mais n’a reçu aucune réponse).

On le savait dissolu, le voilà dissous : le mystère de la déliquescence du roi du Maroc

Nicolas (“Nick”) Pelham écrit sur le monde arabe pour The Economist et la New York Review of Books. Depuis son premier poste de rédacteur en chef du Middle East Times, basé au Caire, il a passé 20 ans à étudier et à travailler dans la région. Il a été correspondant pour la BBC, le Financial Times et The Economist à Rabat, Amman, Jérusalem et en Irak, emmenant souvent avec lui son infatigable famille. Il est l’auteur de A New Muslim Order : The Shia and the Middle East Sectarian Crisis (2008), co-auteur de A History of the Middle East (2010) et auteur de Holy Lands : Reviving Pluralism in the Middle East (2016). S’éloignant parfois du journalisme, il a été analyste principal pour l’International Crisis Group et a travaillé pour les Nations unies et le Royal Institute of International Affairs, réalisant des reportages sur l’économie des tunnels de Gaza et la montée des Bédouins dans la péninsule du Sinaï.

En 2018, un kick-boxeur allemand s’est lié d’amitié avec Mohammed VI. Le monarque a rarement été vu depuis

Il y a cinq ans, une image inhabituelle est apparue sur Instagram. On y voyait Mohammed VI, le roi du Maroc âgé de 54 ans, assis sur un canapé à côté d’un homme musclé en tenue de sport. Les deux hommes étaient serrés l’un contre l’autre avec des sourires assortis, comme deux enfants en colonie de vacances. Les Marocains étaient plus habitués à voir leur roi seul sur un trône doré.

L’histoire qui se cache derrière la photo est encore plus étrange. Abou Azaitar, l’homme de 32 ans assis à côté du roi, est un vétéran du système pénitentiaire allemand ainsi qu’un champion d’arts martiaux mixtes (MMA). Depuis qu’il s’est installé au Maroc en 2018, son fil Instagram rempli de blingbling a fait frémir l’élite conservatrice du pays. Il ne s’agit pas seulement des voitures clinquantes, mais aussi du ton étonnamment informel avec lequel il s’adresse au monarque : « Notre cher roi », écrit-il à côté d’une photo d’eux deux. « Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu’il a fait pour nous ».

Une crise se prépare au Maroc, et le kick-boxeur rayonnant en est le coeur. Le pays est considéré comme l’une des réussites du monde arabe. Son industrie automobile est florissante, ses souks médiévaux et ses riads tranquilles séduisent les touristes occidentaux. Le Maroc semble avoir tout le charme du Moyen-Orient [sic], sans son agitation.

Un ancien responsable estime que le roi a été absent du pays pendant 200 jours l’année dernière

Mais les 37 millions d’habitants du Maroc sont confrontés aux mêmes problèmes que ceux qui ont secoué une grande partie du monde arabe au cours de la dernière décennie : manque d’emplois, inflation galopante et services de sécurité oppressifs. Jusqu’à présent, ces problèmes n’ont pas entraîné de graves bouleversements, en partie grâce à l’introduction rapide de réformes constitutionnelles par le roi au plus fort du printemps arabe en 2011. Mais aujourd’hui, l’agitation se profile à l’horizon et le roi, selon les initiés, ne se montre guère.

Depuis quatre ans, Azaitar et ses deux frères monopolisent l’attention du monarque. Selon un initié de la Cour, les conseillers ont tenté de réduire l’influence des Azaitar, mais en vain. Certains responsables semblent même s’être entendus pour publier des articles exposant le passé criminel et les extravagances présumées d’Azaitar. Le roi semble imperméable.

Mohammed n’est pas seulement distrait, il est souvent totalement absent. Il aimait voyager et prendre des vacances avant de rencontrer les Azaitar, mais cette tendance semble s’être nettement accentuée. Parfois, il se cloître avec les frères dans un ranch privé de la campagne marocaine. Parfois, le groupe s’échappe dans un refuge en Afrique de l’Ouest. Lorsque le Gabon s’étiole –“ »tellement ennuyeux, il y a une plage mais rien d’autre à faire”, se lamente un membre de l’entourage – ils descendent à Paris. Un ancien responsable estime que le roi a passé 200 jours hors du pays l’année dernière.

Nous sommes un avion sans pilote”, s’inquiète un responsable

M6 est apparu pour la première fois en public avec les Azaitar le 20 avril 2018, lors d’un événement célébrant leurs prouesses en MMA. Sur les photos communiquées à la presse, le roi et les trois frères se pressent ensemble en tenant une ceinture de championnat de MMA.

Au fur et à mesure que leur amitié se renforçait, Azaitar a commencé à poster des photos de lui avec le roi. Lui et ses frères ont rejoint la maison itinérante du roi – en tant qu’“entraîneurs personnels”, aurait-on dit aux responsables – et ont amené leur famille et leurs amis avec eux. À certains égards, cette amitié a été salutaire. Le roi, qui avait un peu d’embonpoint lorsqu’il a rencontré les frères, a souffert d’asthme et de problèmes pulmonaires. Les combattants en cage ont installé une salle de sport dans le palais et il a commencé à s’entraîner. Son visage a commencé à perdre ses bouffissures et il est apparu de plus en plus détendu, presque en forme.

Le roi, quant à lui, a comblé les frères de largesses. À la mort de leur mère, il leur a permis de l’enterrer dans l’enceinte de son palais à Tanger. Les frères ont acquis de précieux biens immobiliers en bord de mer et ont fait étalage de leur mode de vie sur les réseaux sociaux. « Ils utilisent des jets militaires, ils ont carte blanche pour fonctionner dans le palais comme ils l’entendent, ils peuvent aller au garage et prendre les voitures qu’ils veulent », explique un initié de la famille royale. « C’est vraiment bizarre ». (Le magazine 1843 a transmis les allégations de cet article aux Azaitar et au gouvernement marocain, mais n’a reçu aucune réponse).

Tandis que les frères prospèrent, les responsables de la cour sont blêmes de colère. En théorie, le Maroc est une monarchie constitutionnelle. En réalité, Mohammed est bien plus qu’une figure de proue. Il a le dernier mot sur toutes les questions importantes et, sans lui, les factions politiques du pays ont tendance à sombrer dans des querelles impuissantes. Le Moyen-Orient [resic] est jonché d’épaves de régimes qui n’ont pas su agir de manière décisive dans les moments de crise. « Nous sommes un avion sans pilote », s’inquiète un ancien fonctionnaire.

Mohammed est le plus timide des dirigeants du Moyen-Orient [re-resic]. Depuis qu’il est devenu roi en 1999, il n’a jamais organisé de conférence de presse ni donné d’interview télévisée. Il évite les sommets internationaux. Lorsqu’il doit prononcer un discours public à l’occasion de la fête du trône, un événement annuel commémorant sa succession, ses mots sont maladroits. Son comportement, jusqu’aux t-shirts et aux baskets qu’il porte, suggère un désir d’être autre chose qu’un dirigeant (même s’il semble assez heureux de profiter des privilèges financiers qui en découlent). « Le pouvoir ne l’intéresse pas. Tout ce qu’il veut, c’est mener sa vie », déclare un courtisan.

Certains universitaires estiment que l’institution de la monarchie a permis au Maroc d’éviter les révolutions qui ont balayé le monde arabe en 2011. Contrairement aux présidents des républiques voisines, le roi pouvait introduire rapidement des réformes tout en représentant la stabilité et la continuité. Le sentiment que la monarchie marocaine est quelque chose d’intemporel et d’ancien est inculqué dès le plus jeune âge. Les écoliers apprennent que leur maison royale remonte au huitième siècle.

Les combattants en cage ont installé une salle de sport dans le palais et le roi a commencé à s’entraîner

La mystique de la monarchie est renforcée par des symboles et des rituels tels que la bay’ah, ou serment d’allégeance, annuelle lorsque le roi franchit les portes de son palais pour être accueilli par des responsables, vêtus de djellabas blanches à capuchon pointu, qui lui baisent la main. Le pupitre d’où il prononce son discours annuel télévisé est drapé d’une étoffe brodée à ses armoiries.

En fait, ces armoiries ne datent que de 1957. Historiquement, la dynastie alaouite dont Mohammed est issu était composée de sultans dont l’autorité pouvait être inégale. Lorsque les Français ont colonisé le Maroc à la fin du XIXe siècle [ils ne sont parvenus à le “pacifier” définitivement qu’en 1935, NdT], ils ont centralisé l’État et formalisé ses frontières. Ils ont également renforcé l’autorité du sultan (qui deviendra plus tard le roi), en introduisant les rituels de la fête du Trône dans les années 1930. Ils ont transformé les adjoints du sultan, ou makhzen, en une bureaucratie moderne.

Aujourd’hui, le makhzen est un appareil d’État tentaculaire qui englobe des responsables élus et nommés. Mettant l’accent sur des protocoles élaborés, il est devenu une institution à part entière ainsi qu’une extension de la monarchie (les Marocains utilisent également le terme makhzen pour désigner une sorte d’“État profond”, décrivant l’influence des puissantes élites politiques et économiques).

M6 a organisé une grande fête pour son 38e anniversaire et a fait venir Lou Bega, la pop star allemande, dans son jet privé. À 2 heures du matin, le roi lui a fait jouer “Just a Gigolo”

Le roi est au sommet de ce système. Après le printemps arabe, certains changements constitutionnels ont été introduits pour donner plus de pouvoir aux élus, mais le monarque peut toujours gouverner en autocrate s’il le souhaite. Il est le chef des forces armées, l’autorité judiciaire suprême et peut révoquer le parlement par décret royal.

Le père de Mohammed, Hassan II, exerçait pleinement le pouvoir royal et était craint pour cela. « Il était ininterrompu, dominateur, présent dans tout et extrêmement travailleur », se souvient un ami de la famille. Personnage imposant, entretenant un harem secret de 50 concubines, il n’était jamais aussi heureux que lors des sommets arabes, une cigarette à la main. Hassan a fait appel au makhzen pour punir ses ennemis. Il pendait ses sujets par le chevilles dans des prisons secrètes. « Quiconque me désobéit, désobéit à Dieu », a déclaré le roi en 1994, citant une parole du Prophète.

Mohammed a grandi dans l’ombre de son père exigeant. Son programme scolaire commençait à 6 heures du matin par une heure de récitation du Coran. Puis les cours commençaient. Il est éduqué dans un collège construit spécialement pour lui à l’intérieur des murs crénelés du palais. Son père voulait que Mohammed ressente la pression de la compétition, et il a donc rempli l’école de son fils avec 12 camarades de classe triés sur le volet pour leur brillance [avec l’éminent sémiologue Ignacio Ramonet comme précepteur, NdT]. Selon Le Roi prédateur, une biographie de Mohammed publiée en 2012 par deux journalistes français, Hassan aurait ordonné à ses hommes de main de donner 20 coups de fouet à son fils lorsque celui-ci semblait prendre du retard dans ses études. (Les auteurs ont récemment été condamnés en France pour avoir tenté de faire chanter le gouvernement marocain, bien que le livre lui-même reste très apprécié. Ils auraient interjeté appel).

Enfant, Mohammed s’intéressait à tout ce qui pouvait évoquer le monde d’ailleurs. « Il ne sortait jamais des murs du palais et fantasmait sur ce qui se trouvait au-delà », raconte un ami d’enfance. L’une de ses chansons préférées était “Breakfast in America”, du groupe de rock anglais Supertramp, un hymne à l’évasion en jet. Il excellait en langues et est parti à l’étranger peu après avoir obtenu sa maîtrise en droit public à Rabat.

Officiellement, il effectuait un stage à la Commission européenne. Mais la vie nocturne de l’Europe semble l’avoir davantage séduit que ses salles de commissions. Selon une autre biographie de Mohammed écrite par Ferran Sales Aige, un journaliste d’El Pais, les espions d’Hassan l’ont informé que le jeune prince fréquentait les bars. Le mécontentement du roi à l’égard de son fils grandit. « Une erreur chromosomique », aurait-il lancé, désespéré. Il envoie Mohammed étudier le droit à Nice et charge son ministre de l’Intérieur de le surveiller.

Au fil des ans, le père et le fils se sont éloignés l’un de l’autre. Mohammed évitait Hassan, même lorsqu’il était de retour au Maroc. Lorsqu’il rentrait chez lui, il passait le plus clair de son temps à l’Amnesia, un club clandestin et sordide de la capitale. Comme le raconte Le Roi prédateur, le meilleur ami de Mohammed à l’école, Fouad Ali El Himma, a installé un ascenseur depuis son appartement du dessus qui descendait jusqu’aux entrailles de l’Amnesia.

En 2004, Abou a été condamné à deux ans de prison pour avoir aspergé un homme d’affaires d’essence à briquet et lui avoir volé sa Ferrari.

Lorsque Hassan est mort en juillet 1999, Mohammed a consciencieusement pleuré pendant le cortège funèbre. Mais ses amis ont senti qu’un poids lui avait été enlevé. Pendant un certain temps, il a semblé qu’il était destiné à devenir un roi énergique et modernisateur. Il n’hésitait pas à s’en prendre à l’élite marocaine et à ses moeurs. Il ne pouvait pas non plus ignorer que certains des courtisans qui lui baisaient la main étaient les mêmes qui avaient aidé son père à l’intimider et à l’humilier.

Quelques mois après son accession au trône, il a commencé à limoger de hauts responsables, à commencer par le ministre de l’Intérieur qui, selon la rumeur, l’aurait espionné à Nice. Il a nommé une Instance équité et réconciliation chargée d’examiner les cas de violation des droits humains sous son père. Il a réformé la moudawana, le code juridique islamique, en permettant aux femmes de divorcer plus facilement de leur mari. Il a construit un réseau d’autoroutes et de chemins de fer à travers le pays. Bien que le processus de libéralisation ait commencé sous Hassan, la presse marocaine a présenté Mohammed comme le sauveur qui allait enfin faire entrer le royaume féodal dans l’ère moderne.

Pour gérer la contestation de ces réformes, Mohammed a nommé ses anciens camarades d’école, qui aiment s’amuser, à des postes au sein du makhzen. Mais ils ne semblaient pas partager son désir de faire bouger les choses. Selon un ancien initié royal, les amis du roi souhaitaient qu’il fasse ce qui est conventionnel et prenne une femme. À leur grand soulagement, il a épousé Salma, une ingénieure en informatique qui travaillait pour l’entreprise royale, ONA Group [Ancien Omnium Nord-Africain, NdT], en 2002. « Il devait produire un héritier, un prince héritier », déclare un ancien ambassadeur occidental. « Il a fait le boulot ».

Selon un ancien initié, l’enthousiasme de Mohammed pour le pouvoir s’est estompé au cours de ses premières années au pouvoir. Le makhzen semble l’avoir étouffé et le vieux désir de faire un pied de nez à l’autorité est revenu. « Plus il vieillit, plus il se comporte en jeune homme », dit un ami d’enfance. Il passe de plus en plus de temps à l’étranger avec des artistes, des acteurs, des comédiens et des rappeurs. Il organise une grande fête pour son 38e anniversaire et fait venir Lou Bega, la pop star allemande, dans son jet privé. À 2 heures du matin, le roi, qui a notamment le titre de “Commandeur des croyants”, lui fait jouer “Just a Gigolo”.

Mohammed a commencé à consacrer de plus en plus de temps à sa passion pour la musique, en particulier le rap nord-africain. Il s’insurge contre la hogra, ce sentiment d’humiliation et d’impuissance qui affecte de nombreux jeunes Nord-africains. En 2013, il a remis une médaille royale à Don Bigg, un rappeur gangsta marocain. Il a fait du royaume une plaque tournante pour des artistes comme Maître Gims, le rappeur congolais, et RedOne, le producteur d’origine marocaine de Lady Gaga. De nombreux Marocains sont ravis de leur roi qui a le sens de la rue.

Le makhzen et l’élite sont horrifiés, surtout par ses compagnons du demi-monde. Ces années d’errance ne sont pas bonnes pour la santé de Mohammed. Il commence à s’empâter et porte d’épaisses lunettes pour cacher une excroissance à l’oeil gauche. Il s’essouffle en montant de petites marches. Puis les Azaitar sont arrivés.

Les Azaitar sont originaires d’une petite ville appelée Frechen, dans la banlieue de Cologne. L’histoire de Frechen remonte à l’âge des ténèbres. Les attitudes à l’égard des migrants et des minorités remontent également à une époque plus ancienne. Jusqu’en 2018, le nom du carnaval local évoquait une insulte raciste [“Negerköpp”, “tête de Nègre”, devenu « “Wilde Frechener”, Frechenois sauvages, NdT].

Les initiés et les courtisans du Makhzen ont commencé à se plaindre qu’Abou et ses frères se comportaient comme s’ils étaient eux-mêmes des membres de la famille royale. « Ils traitent les gouverneurs de province comme leurs chauffeurs ».

Les musulmans de la ville font profil bas. La mosquée locale est une maison discrète dont rien n’indique qu’elle est un lieu de culte. Les parents des frères Azaitar sont originaires du Rif, les montagnes berbères du nord du Maroc. Ils ont émigré dans le cadre du programme allemand de Gastarbeiter, un système de visas à durée déterminée mis en place après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le gouvernement ouest-allemand recherchait une main-d’oeuvre étrangère temporaire et bon marché. La limite des visas a ensuite été supprimée et nombre de ces travailleurs ont choisi de rester de manière permanente, mais ils ont souvent eu du mal à s’intégrer. Certains en sont venus à embrasser leur identité islamique plus qu’ils ne l’avaient fait auparavant. Azaitar père dirigeait la mosquée locale. Il a nommé ses fils d’après les trois premiers califes sunnites, Abou Bakr, Omar et Othmân, et les a envoyés à l’Académie du roi Fahd à Bonn, une école arabophone financée par l’Arabie saoudite.

Le crime et le sport sont deux des moyens les plus rapides d’échapper à la classe inférieure des Gastarbeiter. Les Azaitar ont poursuivi ces deux vocations. Adolescents, Abou et son jumeau identique, Omar, ont été impliqués dans les franges violentes de la scène des boîtes de nuit de Cologne : Abou a admis plus tard à un journal allemand qu’il battait les gens et les volait “presque tous les jours”. En 2004, Abou a été condamné à deux ans de prison pour avoir participé à l’agression d’un homme d’affaires qui avait été aspergé d’essence pour briquet puis dépossédé de sa Ferrari. Il est revenu devant le tribunal peu après sa libération pour avoir frappé sa petite amie sur un marché de Noël et lui avoir percé le tympan. Interrogé sur les articles de presse faisant état de son casier judiciaire des années plus tard, le combattant de l’Ultimate Fighting Championship (UFC) a répondu dans un anglais approximatif : « Quand on est jeune, tout le monde fait quelque chose de mal. »

Le makhzen chérit l’artisanat orné, les frères préfèrent le blingbling. En mars 2022, les frères Azaitar ont ouvert un autre fast-food sur le front de mer de Rabat et ont placé une Lamborghini rose vif devant la porte.

Ensuite, il s’est jeté dans le sport, d’abord le kickboxing, puis les MMA. Il est devenu si bon qu’il a été sélectionné pour l’UFC à Hambourg en 2018 (il a gagné son match). Son jeune frère Othman était également un combattant de MMA compétitif ; le jumeau d’Abou, Omar, les gérait tous les deux. Les frères étaient des héros pour de nombreux immigrés maghrébins de Cologne. Les journaux provinciaux ont surnommé Abou et Omar les “Jumeaux Brutaux”. Ils se sont mêlés à certaines des personnes les plus célèbres d’Allemagne : footballeurs et champions de course automobile, acteurs et stars du porno. Parmi leurs nouveaux amis célèbres, RedOne, le producteur de Lady Gaga, aurait été l’ambassadeur officieux du roi Mohammed auprès de l’industrie musicale. Selon l’un des amis d’enfance de Mohammed, c’est RedOne qui a amené Abou au Maroc et l’a présenté à l’entourage royal.

À partir de ce moment, les matchs d’Abou se font plus rares. Il semble préférer le palais au ring. Mohammed aurait emmené Abou et ses frères en croisière sur le Lusail, le yacht de l’émir qatari, et aurait fait la fête avec eux aux Seychelles. Selon un article paru dans les médias espagnols, il leur aurait prêté ses propres jets privés. Les Azaitar ont ouvert un fast-food dans le nouveau quartier luxueux du roi, la Marina Bay de Tanger. Mohammed a même envoyé son fils et héritier, Hassan, manger leurs hamburgers lors de l’ouverture. Abou a fait coudre les armoiries royales sur ses vêtements. Selon un article paru dans les médias marocains, si quelqu’un l’arrêtait, il se disait “nass dial malik” (personnel royal).

Abou se voit confier quelques fonctions officielles : Mohammed le charge d’une association sportive qui invite des footballeurs célèbres à un événement célébrant l’annexion du Sahara occidental par le Maroc en 1976 [p.ex. Maradona en 2015, Ronaldinho en 2021, NdT]. Les initiés et les courtisans du Makhzen ont commencé à se plaindre qu’Abou et ses frères se comportaient comme s’ils étaient eux-mêmes des membres de la famille royale. Ils “dirigent les ministres”, se plaint un courtisan. « Ils traitent les gouverneurs de province comme leurs chauffeurs », ajoute un homme d’affaires. Le roi « a clairement fait comprendre à tous ses ministres que les frères pouvaient parler en son nom », déclare un ancien ami. « Ils peuvent demander aux ministères des autorisations pour tout ce qu’ils veulent, un accès direct et sans entrave ».

À la grande horreur des anciens confidents, les Azaitar les ont remplacés en tant que gardiens du roi. Désormais, ce sont les garçons de Frechen qui décident qui reçoit une audience et qui est renvoyé. De hauts responsables auraient été mis à la porte. « Ils demandaient même à ses soeurs et à ses cousins de dégager », raconte un ancien membre du cercle royal.

Un média fidèle au gouvernement, Hespress, a déclaré que les frères exerçaient une “influence de type Raspoutine”

Le comportement des Azaitar irrite le makhzen, tout comme les privilèges qu’ils accumulent. Il s’agit en partie de pur snobisme. Le makhzen chérit l’artisanat orné, les frères préfèrent le blingbling. En mars 2022, ils ont ouvert un autre fast-food sur le front de mer de Rabat et ont placé une Lamborghini rose vif devant la porte. Pour renforcer l’effet, ils ont ajouté une énorme licorne rose, une girafe rose et deux étalons bleus cabrés à l’entrée. À côté, ils ont installé une boutique de beignets avec une couronne sur son logo et un trône géant fait de beignets à l’extérieur.

Pour certains Marocains, ce fut une bouffée d’air frais. L’élite marocaine les avait englués depuis assez longtemps dans une culture étouffante qui vénère l’autorité et la tradition. Les jumeaux brutaux de Frechen semblaient dire que tout cela n’était qu’une plaisanterie.

Si le makhzen pouvait être représenté par une seule personne, ce pourrait être Abdellatif Hammouchi, le tsar saturnien de la sécurité au Maroc. Hammouchi est un bureaucrate dans l’âme. D’origine modeste, il a gravi les échelons de la police à force de travail. Contrairement au roi, il prend rarement des vacances. En 2007, il a pris la tête de l’agence de renseignement intérieur du pays. En 2015, il a pris la responsabilité de la sécurité nationale et de la police.

Depuis lors, Hammouchi a fait reculer de nombreuses réformes libérales des premières années du règne de M6. Il a fait passer en jugement des universitaires, des journalistes et des hommes d’affaires indépendants, ainsi que les avocats qui les défendaient. Des militants des droits humains ont été condamnés à des dizaines d’années de prison. L’humiliation de Hammouchi a donné naissance à un nouveau corps de presse fidèle, par-dessus tout, à l’establishment sécuritaire. « La presse est devenue plus déférente envers Hammouchi qu’envers le roi », dit un homme d’affaires marocain.

Les services de sécurité marocains utilisent depuis longtemps des méthodes coercitives pour faire taire les critiques, mais le règne de Hammouchi est associé à une pratique en particulier : le chantage sexuel. Des journalistes et des dissidents affirment que des agents de sécurité ont enregistré secrètement leurs moments les plus intimes et les ont ensuite confrontés aux preuves. Ceux qui continuent à défier le régime découvrent que des vidéos compromettantes sont envoyées à leurs proches ou apparaissent dans des organes de presse fidèles à Hammouchi. Certaines cibles sont traînées devant les tribunaux et poursuivies pour viol ou pour avoir eu des relations sexuelles hors mariage, un crime au Maroc.

De nombreux Marocains ont supposé que Hammouchi avait recueilli des preuves sur les Azaitar. (Un site ouèbe d’investigation français a publié en 2021 un article selon lequel Hammouchi aurait ordonné l’installation d’un logiciel espion sur les téléphones portables de dizaines d’hommes politiques, de journalistes et d’autres personnalités publiques. Omar, le frère d’Abou Azaitar, figurait sur la liste des cibles supposées. Il nie avoir été victime d’une surveillance). La question n’était pas de savoir si Hammouchi avait des informations sur les frères, pensaient certains Marocains, mais de savoir comment il les utiliserait.

La distraction du roi pose des problèmes. Les responsables, qui devaient effectuer trois tests de détection du COVID-19 avant de rencontrer le monarque, étaient frustrés par toutes les annulations de dernière minute (“19 fois !”, a fulminé un ambassadeur étranger qui s’efforçait de présenter ses lettres de créance).

Chaque fois que le roi réapparaissait à la cour, un tourbillon d’activités s’ensuivait. Une fois, il a accrédité 36 ambassadeurs en un après-midi et semblait pressé de repartir. Les confinements covidiens en 2020 et 2021 ont masqué ses absences, mais ne les ont pas complètement cachées.

Les supporters du Raja Casablanca, l’équipe de football la plus populaire du royaume, ont commencé à chanter dans les gradins : « Vous êtes des voleurs. Vous volez les richesses du pays »

Pendant ce temps, le Maroc commençait à s’agiter. La richesse croissante des élites, y compris celle de Mohammed lui-même – Tatler estimait qu’il était le cinquième monarque le plus riche du monde en 2019 – avait commencé à attirer l’attention avant même la pandémie. Les holdings royales contrôlent des pans entiers de l’économie marocaine. Une chanson de rap dénonçant l’inégalité des richesses, intitulée “A’âch cha’âb” (Vive le peuple), a enregistré plus de 16 millions de vues sur YouTube quelques semaines après sa sortie en octobre 2019. Beaucoup ont vu dans les paroles de la chanson une attaque directe contre le roi. « Ne me posez pas de questions sur les trésors du pays », peut-on entendre. « Qui a pillé ses richesses ? Qui profite de ses deux mers et de ses mines ? »

Le Covid-19 a paralysé l’industrie touristique du pays et dévasté de nombreuses petites entreprises. Le roi a pris quelques mesures d’aide, mais cela n’a pas suffi à empêcher le ressentiment de se transformer en rage. Les supporters du Raja Casablanca, l’équipe de football la plus populaire du royaume, ont commencé à chanter sur les gradins : « Vous êtes des voleurs. Vous volez les richesses du pays » [Fi bladi dalmouni : “Dans mon pays frappé d’injusticeˮ, NdT]

Le premier signe de riposte du makhzen contre les responsables du détournement de l’attention du roi est apparu en décembre 2020, avec la publication d’un article sur les frères dans la presse marocaine. « La mauvaise réputation du trio Azaitar », titre Barlamane, un site pro-makhzen, qui les qualifie d’ »escrocs notoires » aux « penchants immoraux ». Un autre site fidèle à l’establishment, Hespress, affirme que les frères exercent une « influence à la Raspoutine ». Peu de gens doutent de l’implication des agents de Hammouchi.

Les quelques courtisans encore présents à ses côtés remplacent fréquemment leur carte SIM de peur que le makhzen ne les écoute

D’autres éléments accablants concernant les Azaïtar sont apparus dans les mois qui ont suivi. La chaîne de télévision Chouf TV a diffusé des images des frères se poussant au début d’une file d’attente dans un hôpital public. En mars dernier, Hespress a publié le casier judiciaire allemand d’Abou Azaitar : « Vol, extorsion, fraude, violence physique, association de malfaiteurs, vols et récidive, fraude informatique, conduite sans permis, lésions corporelles entraînant une incapacité permanente, coups et blessures, trafic de stupéfiants, contrefaçon et résistance aux forces de l’ordre. Un pedigree incroyable ». Un autre article de Hespress détaille les extravagances présumées d’Abou Azaitar, dont la conduite d’une Bugatti Veyron d’une valeur de 3 millions d’euros.

Il s’agissait d’une attaque sans précédent contre le cercle intime de la famille royale. Certains Marocains ont éprouvé une certaine schadenfreude [joie maligne, jubilation vengeresse, NdT] à voir une partie de l’élite s’en prendre à l’autre. « Puisque le makhzen utilise le sexe comme méthode de délégitimation, pourquoi épargnerait-il les frères ? », s’interroge Hicham Mansouri, un journaliste dissident qui a été emprisonné pour adultère.

Si les histoires sur les Azaitar étaient destinées à faire honte au roi pour qu’il reprenne un rôle traditionnel, elles se sont retournées contre lui : le scandale a semblé l’en éloigner davantage. L’été dernier, il s’est installé à Paris pour un séjour de cinq mois. Il s’agissait apparemment de se rapprocher de sa mère vieillissante, qui vit dans la banlieue chic de Neuilly, mais cette explication n’a pas convaincu grand monde. En privé, certains membres de l’entourage du roi disent qu’il boude et qu’il ne bougera pas tant que le makhzen n’aura pas cessé de lui donner des leçons de savoir-vivre. « Il considère le makhzen comme un ennemi », explique un confident. « Il était contre lui depuis le début ».

L’exil du roi en France n’a pas été de tout repos. Pendant une grande partie de l’année 2022, il partage son temps entre un hôtel particulier situé près de la Tour Eiffel et un château aux hauts murs situé dans les collines de Betz, dans le nord-est du pays. Mais même là, il semble avoir du mal à s’échapper. Les quelques courtisans encore présents à ses côtés remplaçaient fréquemment leurs cartes SIM de peur que le makhzen ne les écoute. Ils changeaient les adresses des lieux de rendez-vous à la dernière minute et regardaient autour d’eux avant de parler. En octobre, Mohammed est rentré au Maroc pour l’ouverture du parlement. Mais il repart rapidement au Gabon.

On dit que Mohammed devient de plus en plus irascible au fur et à mesure qu’il s’isole, giflant les rares visiteurs qui viennent le voir. Il était trop indisposé pour assister aux funérailles de la reine Élisabeth II à Londres, au sommet de la Ligue arabe en Algérie ou à la série de succès du Maroc à la Coupe du monde (bien qu’il ait traversé les rues de Rabat en voiture pour fêter l’événement avec les supporters). Lorsque le premier ministre espagnol est arrivé à Rabat au début de l’année 2023 pour améliorer les relations entre les deux pays après une crise diplomatique sur le Sahara occidental, le roi n’était pas là.

Si le makhzen veut récupérer son roi, dit un confident, il doit accepter ses conditions et ouvrir ses bras aux Azaitar. D’ici là, l’impasse se poursuivra

La situation au Maroc reste volatile. Bien que le tourisme ait rebondi, les difficultés d’approvisionnement en énergie et en denrées alimentaires consécutives à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont fait grimper l’inflation en flèche. En janvier, le coût des denrées alimentaires était supérieur de près de 17 % à ce qu’il était au début de l’année précédente. Le gouvernement a mis en place un programme de soutien qui comprend des subventions pour les produits de base. Mais les Marocains pauvres continuent de souffrir. Il est peu probable que le fait de savoir combien d’argent l’élite marocaine a accumulé (une fuite de documents financiers offshore, les “Pandora Papers”, a fait la lumière sur ce sujet à la fin de l’année 2021) les aide à retrouver le moral.

Peu de Marocains osent prononcer le mot “abdication”, mais ils commencent à y faire référence par des euphémismes. On parle du “modèle espagnol”, en référence à Juan Carlos de Borbón, qui a été persuadé de céder la couronne à son fils après une série de scandales. Certains voient dans le fils de Mohammed, Hassan, âgé de 19 ans, un successeur, tandis que d’autres se tournent vers le jeune frère du roi, Rachid, dont la détermination est à toute épreuve.

Mais M6 a un avantage sur Juan Carlos. Au Maroc, c’est le roi, et non le parlement, qui est souverain, et Mohammed ne montre aucun signe de vouloir se retirer avec élégance. Bien qu’il n’aime pas son travail, le roi semble apprécier de plus en plus les avantages liés à sa fonction.

Si le makhzen veut récupérer son roi, dit un confident, il doit accepter ses conditions et ouvrir les bras aux Azaitar. D’ici là, l’affrontement se poursuivra. Dans les moments difficiles, les conseillers de Mohammed parlent même de limoger les chefs de la sécurité, y compris Hammouchi. Il est peu probable que le makhzen accepte docilement une telle décision. Un coup d’État militaire contre le roi n’est pas impensable. Les chefs de la sécurité d’Hassan ont tenté à deux reprises de le renverser. La variable inconnue dans tous ces calculs est la dynamique de la rue. Des milliers de personnes ont manifesté dans la capitale à la fin de l’année dernière, dénonçant le “despotisme” et la cherté de la vie. Une terrible sécheresse ajoute actuellement au mécontentement. D’autres manifestations se développent. « On a l’impression de vivre sur une poudrière », dit un initié. Dans des moments comme celui-ci, il faut faire preuve de leadership. Mais Mohammed et les frangins sont partis à la plage.

The Economist, 14/04/2023
Traduit par Tafsut Aït Baamrane pour Médiapart

Illustrations Michelle Thompson. Images : Getty