Maroc Confidentiel

Gaza : L’effet papillon de l’attaque du Hamas

Etiquettes : Gaza, Hamas, Israël, attaque du 7 octobre, effet papillon, Hezbollah, Iran, Etats-Unis,

Par Taieb Cherif(*)

En lançant sa mémorable attaque du 7 octobre, le Hamas ne savait pas qu’il venait d’enclencher un phénomène apocalyptique, l’effet papillon, qui dépasserait de loin les frontières de Ghaza, de la Palestine, du Moyen-Orient et qui irait englober le monde entier. Déjà, le lendemain de cette attaque, le Hezbollah libanais se joignit à cette guerre, ensuite, devant le blocage de Ghaza, les Houthis lancèrent des attaques en mer Rouge, ne ciblant au début que les bateaux israéliens et toute embarcation en direction ou en provenance d’Israël. Ensuite, devant les attaques américaines suivies par celles des Britanniques, ils ciblèrent tous les bateaux, civils ou militaires de ces derniers. Le Hezbollah irakien de son côté se lança à des attaques contre les bases américaines en Irak et en Syrie, ce qui amena les USA à réagir en attaquant des intérêts iraniens, qui, à leur tour, répondirent à ces attaques. Ces belligérants se trouvèrent dans une situation d’attaques et contre-attaques de plus en plus importantes.

En même temps, les Ghazaouis continuaient de mener un combat asymétrique infligeant de grandes pertes en hommes et matériels aux Israéliens mais où la population civile subissait de grandes pertes humaines, en majorité des femmes et des enfants, constituant ainsi un génocide que la Cour internationale de justice a examiné le 26 janvier passé sur plainte de l’Afrique du Sud et d’autres pays de plus en plus nombreux.

Étant donné la nature fanatique des dirigeants d’extrême droite israéliens, la menace d’une catastrophique invasion terrestre de Rafah pourrait bien se produire et ce, malgré les avertissements des alliés mêmes des sionistes, à leur tête les USA, les Européens, les Australiens, les Japonais, la Corée du Sud. Une telle action détruirait des dizaines, sinon des centaines de milliers de vies ghazaouies et pousserait vraisemblablement les Hezbollah du Liban et d’Irak à attaquer l’entité sioniste, ce qui ferait probablement réagir les USA en attaquant ces derniers et qui amènerait très probablement l’entrée en guerre de l’Iran. Serait-on à la veille d’une guerre mondiale ?

Pour y répondre, il faudrait rappeler que la guerre Ukraine-Russie continue toujours, ce que les médias occidentaux ont littéralement mis en sourdine, puisqu’ils ne peuvent plus mentir à leurs citoyens devant la défaite évidente de l’armée ukrainienne après la perte de lignes de défense, et surtout la perte d’Avdiïvka, cette très importante ligne de défense consolidée depuis 2014 et qui a été évacuée à la hâte avec de grosses pertes, abandonnant tous les blessés. Avec cet aveuglement de Zelensky qui refuse toute idée de dialogue, il y a tout lieu de penser que le combat ne cessera que faute de combattants.

La défaite de l’Ukraine est en fait la défaite de l’Occident et à sa tête les USA, même si, actuellement, ils se dégagent du conflit en laissant les Européens s’en charger. Il n’empêche, qu’ils en ressentent l’humiliation, et c’est là la similitude avec la situation de Ghaza comme on va l’expliquer. Ces deux cas ont fait sauter les beaux principes du «monde libre», liberté d’expression, droits de l’Homme, démocratie, qu’on agitait doctement à la face des pays du Sud Global qui ne sont pas des alliés de l’Occident, Syrie, Irak de Saddam, Libye de Kadhafi, Iran, Algérie, même si ces critiques ne sont pas toujours fausses, mais qu’ils évitent littéralement d’en parler s’agissant de l’Arabie saoudite où sévit une sévère dictature, exécutions capitales publiques, ablation de la main au voleur, spectacle de chaque vendredi, lapidation de femmes, et prison ferme pour toute velléité de critique des autorités, même si ceci s’est atténué avec Ben Salmane, si l’on excepte l’horrible assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

En fait, le beau principe de liberté de parole, fierté des Occidentaux, a volé en éclats dès le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, puisque toutes les chaînes de RT, Russia Today, ont été fermées en Europe. Un embargo honteux et incompréhensible a été imposé à tout ce qui était russe : Sport, art, littérature, cinéma. Cependant, l’autre grand principe qui symbolisait la tolérance et la grandeur de l’Occident, et tout particulièrement la France dont elle se targuait d’en être le pays, les droits de l’Homme, a volé en éclats lui aussi, depuis la dévastation criminelle de Ghaza par l’entité sioniste après le 7 octobre, pour ne parler que de la dernière invasion où le monde voit quotidiennement en direct des enfants et des femmes ensanglantés sortis miraculeusement de dessous les décombres par des secouristes du Croissant-Rouge palestinien ou souvent par de simples volontaires. Israël fait fi des avertissements aussi bien de ses alliés que ceux des Nations unies et de ses organisations, ou même de la Cour internationale de justice qui lui a demandé, le 26 janvier dernier, de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter un génocide et lui a donné un mois pour lui présenter un rapport décrivant toutes les actions prises à cet effet. Non seulement Israël n’a pris aucune mesure en ce sens, mais, au contraire, a intensifié ses bombardements criminels et son Premier ministre se permet même de narguer la communauté internationale en déclarant qu’aucune autorité ne pourrait l’empêcher de bombarder Ghaza avant qu’il n’ait assuré sa victoire totale sur le Hamas.

Ainsi, en plus des valeurs humanistes de l’Occident citées précédemment, liberté d’expression, droits de l’Homme, démocratie qui ont volé en éclats, constituant ainsi une similitude entre le cas de Ghaza et celui de la guerre Ukraine-Russie, l’entêtement des sionistes, d’une part, et celui des Occidentaux, d’autre part, à continuer leurs guerres perdues sur le terrain, quitte à menacer l’humanité d’une guerre mondiale comme indiqué précédemment, constituent aussi une autre similitude.

Enfin, une dernière, est le double standard des médias occidentaux et particulièrement des médias européens, dans le traitement des informations concernant les deux cas. En effet, le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays occidentaux ont condamné unanimement cette violation du droit international, alors que l’invasion et la destruction de l’Irak, l’invasion de la Syrie, la destruction de l’État de Libye, et d’autres invasions en Amérique latine, en violation flagrante du droit international, n’avaient nullement ému les Occidentaux.

L’autre exemple de double standard est la grande émotion des Occidentaux devant le nombre de morts et blessés parmi les enfants ukrainiens, d’environ 1200, après deux ans de bombardements russes sur un territoire de plus de 603 000 km2 et l’indifférence totale et complice de ces mêmes Occidentaux devant la mort de plus de 9 000 enfants palestiniens et de 30 000 blessés en moins de quatre mois sur une superficie d’à peine 360 km2 !

Les conséquences de ces deux situations aboutissent au même résultat. Dans les deux cas, l’Occident, et à sa tête les USA, se retrouve dans un dilemme cornélien d’être ou ne pas être. Accepteraient-ils l’humiliation de la défaite en Ukraine après avoir fourni toutes sortes d’armes à Zelensky, lui avoir donné 100 milliards de dollars et informé quotidiennement leurs communautés respectives de l’imminence de la victoire ou décideraient-ils de continuer l’affrontement au risque d’une guerre mondiale ?

De même en ce qui concerne le cas de Ghaza, les Américains accepteraient- ils une défaite israélienne devant l’extraordinaire résistance des Palestiniens infligeant des pertes humiliantes à l’armée d’occupation qui, en retour, se venge en tuant des enfants et des femmes et en imposant aux populations de Ghaza un embargo en alimentation, électricité et carburant, et en déplaçant plus d’un million d’individus vers Rafah qu’elle menace d’envahir, menant probablement à une extension du conflit avec les Hezbollah du Liban et d’Irak, de l’Iran et possiblement avec d’autres intervenants, menaçant, ainsi, le monde d’une guerre totale.

Aussi, l’effet papillon enclenché par le Hamas est-il encore plus dévastateur que dans le cas ukrainien, parce qu’il a ébranlé le sionisme mondial et mis à nu Israël dont le monde entier a découvert la vraie nature, c’est-à-dire une entité artificielle criminelle, raciste, méprisante, haineuse vis-à-vis des Palestiniens qu’elle a toujours déshumanisés et comparés par ses chefs de gouvernements successifs à des serpents, des cafards, ou des animaux bipèdes?Les manifestations populaires hebdomadaires de centaines de milliers d’individus dans plusieurs villes européennes et de nombreuses autres dans différents États américains en faveur de la Palestine illustrent bien le dicton selon lequel on peut tromper tout le monde quelque temps, comme l’a fait Israël depuis 1948, mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps, comme le démontre ce réveil populaire mondial, même chez les alliés inconditionnels des sionistes que sont les USA, puisqu’une majorité des jeunes du Parti démocrate sont pour la disparition de l’État sioniste et son remplacement pur et simple par la Palestine !

En ce sens, le rêve sioniste se fissure. On sait maintenant le plan de ce rêve même si l’on ne croit pas à l’authenticité du «protocole des sages de Sion», attribué à la propagande russe. Ce plan est défini dans le discours véritablement prophétique du rabbin Reichhorn prononçant une oraison sur la tombe du grand-rabbin Siméon-Ben-Ihuda en 1869, à Prague, et dont ci-après quelques éléments : «Déjà les principales banques, les Bourses du monde entier, les créances sur tous les gouvernements sont entre nos mains… Partout la presse et le théâtre obéissent à nos directions… Nous diviserons les chrétiens en partis politiques… Nous pousserons les chrétiens aux guerres en exploitant leur orgueil et leur stupidité. Ils se massacreront et déblaieront la place où nous pousserons les nôtres… nous morcellerons les grandes propriétés… la possession de la terre nous assurera le pouvoir… remplacer l’or par le papier monnaie : nos caisses absorberont l’or, et nous réglerons la valeur du papier, ce qui nous rendra maîtres de toutes les existences… Par l’or et par la flatterie nous gagnerons le prolétariat, qui se chargera d’anéantir le capitalisme chrétien… Nous préparerons les révolutions que les chrétiens feront eux-mêmes et dont nous cueillerons le fruit.

Le rêve sioniste se fissure, disais-je, en ce sens que le monde a pris conscience de la nature criminelle de l’entité sioniste dominatrice dont le boycott des produits qu’elle importe ou exporte serait de plus en plus suivi, et le remplacement du dollar par les monnaies des pays du BRICS affaiblirait progressivement l’allié fondamental d’Israël que sont les USA, et l’effet papillon accélérerait le changement de l’ordre mondial qu’on connaît, par le passage du monde unipolaire actuel à un monde multipolaire où les USA, et donc le sionisme, n’auraient plu cette position hégémonique dominante. Les grands vainqueurs seraient la Chine, la Russie, l’Inde, l’Iran et d’une manière générale le Sud Global qui aurait enfin sa place dans le monde.

Similitude avec l’Algérie

De tous les peuples arabes, les Algériens sont ceux qui ressentent le mieux les souffrances endurées par les Palestiniens et ce, parce qu’ils ont vécu cette colonisation pendant 132 ans. La nakba palestinienne correspond à l’invasion française de l’Algérie en 1830 et les différentes tentatives génocidaires subies par les Palestiniens correspondent aux différents massacres en masse d’Algériens qui ont suivi cette invasion.

La mémorable offensive du 7 octobre du Hamas correspond au lancement de la révolution algérienne du 1er Novembre 1954. La situation actuelle à Ghaza, caractérisée par les massacres sionistes, correspond à la période des attentats de l’OAS de 1962, dernier sursaut de la colonisation. Tout comme l’armée israélienne a armé des colons en Cisjordanie pour attaquer les civils palestiniens, les officiers de l’OAS en Algérie ont distribué des armes aux jeunes pieds-noirs pour assassiner les Algériens. Tout comme Israël a déplacé des centaines de milliers de Ghazaouis de plusieurs régions de Ghaza vers le sud pour aboutir à plus d’un million à Rafah, la France, durant la guerre de libération, avait déplacé en 1959 plus d’un million et demi de paysans pour les parquer dans ce qu’elle appelait pudiquement «centre de regroupement», en réalité un centre d’internement puisqu’il était entouré de fils barbelés et gardé par l’armée française, les paysans n’ayant la permission d’en sortir que pendant 4 heures de temps par jour pour aller travailler leurs champs lointains et revenir.

Les Algériens ont gardé en mémoire toutes ces persécutions et ces humiliations et voient en les Palestiniens leur propre image passée. C’est pourquoi, de tout en temps, ils ressentent pour eux une réelle compassion.

Et tout comme dans le cas de l’Algérie, après que de Gaulle eut déclaré en 1960 qu’il ne négocierait jamais avec le GPRA et a fini par le faire à Évian en 1962, Israël, qui a toujours déclaré ne jamais négocier avec Hamas, a fini aujourd’hui par le faire par l’intermédiaire du Qatar et l’Égypte.

T. C. 

(*) Ex-SG de l’Organisation de l’aviation civile internationale.

Source : Le Soir d’Algérie, 25/03/2024

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