Maroc Confidentiel

Les raisons des fluctuations monétaires du cours du dinar sur le marché parallèle et celui du cours officiel

Etiquettes : monnaie, Dinar, euro, dollar, marché parallèle, cours officiel, devise, change, Algérie,

Par Abderrahmane Mebtoul, Docteur d’Etat en sciences économiques, Professeur des universités, ancien directeur des études au ministère de l’Energie et à la Sonatrach, président de la commission transition énergétique de la société civile des 5+5 + Allemagne 2019/2020 et expert indépendant auprès des institutions internationales depuis 2021.

La richesse d’une Nation repose sur la bonne gouvernance et la valorisation du savoir et l’appréciation d’une monnaie, autant que le pouvoir d’achat des citoyens est fonction de l’accroissement de la production et de la productivité , des versements de salaires sans contreparties productives conduisant forcément à terme à une dérive sociale

1-Evolution du cours officiel du dinar algérien et sur marché parallèle

Le cours officiel du dinar algérien est passé (cours à achat) de 4,94 dinars pour 1 dollar en 1970, à 5,03 dinars pour 1 dollar en 1980 et selon la Banque d’Algérie le cours le 24 mai 2024 est de 134, 5025 dinars pour un dollar et 145,5990 dinars un euro avec un écart par rapport au marché parallèle de plus de 65%. Concernant la cotation au niveau de la sphère informelle qui est amplifiée souvent par l’instabilité juridique et monétaire et non par la maîtrise du processus inflationniste qui favorise les rentes spéculatives, durant l’année 2011, le dinar algérien était coté en moyenne annuelle à 135 dinars pour 1 euro , le 8 octobre 2022, à 209 dinars 1 euro, plus précisément le 22 septembre 2022, à 227 dinars à l’achat et 229 dinars à la vente, le dollar américain à 210 dinars à l’achat et 212 dinars à la vente , le 23 mai 2024, l’euro à la vente est de 242 dinars et pour le dollar qui connaît une petite appréciation, à la vente est de 225 dinars contre 222 dinars courant mars 2024.

La Banque d‘Algérie dans sa note de conjoncture de février 2024 indique que la circulation fiduciaire hors banques représente 33,35% de la masse monétaire globale en Algérie, soit quelque 7395 milliards de dinars à fin septembre 2022, contre 6712 milliards de dinars à fin décembre 2021, au cours de 137 dinars un dollar 53,98 milliards de dollars, reflétant un état de sous-bancarisation alors que dans les pays développés les plus bancarisés, la part de la circulation fiduciaire ne dépasse guère les seuils de 4 à 5% de la masse monétaire globale ( voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations internationales IFRI Paris « ,les enjeux stratégiques de la sphère informelle -2013-reproduite en synthèse réactualisée dans la revue Stratégie IMDEP du ministère de la défense nationale octobre 2019).

La sphère informelle est amplifiée par la fraude fiscale et la corruption à travers les surfacturations, les trafics aux frontières des marchandises subventionnées, qui se répercutent sur le prix final des biens et accroît le processus inflationniste. La directrice générale des Impôts a fait état, le 04 avril 2023 , de 6000 milliards de dinars d’impôts non recouvrés soit au cours de 137 dinars un dollar 43,79 milliards de dollars. Pour lutter contre la sphère informelle, le gouvernement a décidé d’accélérer la numérisation. Cela suppose aussi un système d’information fiable en temps réel, de favoriser les bureaux de change alimenté en grande partie par la Banque d’Algérie, dont l’écart de vente entre l’’officiel et le parallèle doit être inférieur à 10/15% et d’introduire la monnaie numérique, ne devant pas la confondre avec les crypto-monnaies qui circulent sur Internet hors de toute institution bancaire.

2.- Les cinq raisons de la faiblesse de la cotation officielle du dinar et de l’écart avec le marché parallèle

Premièrement, le niveau de la croissance économique et donc le niveau de production et de productivité . Un rapport officiel du premier ministère algérien repris par l’APS en 2020, montre que durant les trente dernières années l’assainissement des entreprises publiques a coûté au trésor plus de 250 milliards de dollars alors que de 80% sont revenues à la case de départ. Pour la Banque mondiale dans son rapport du 22 mai 2024, le PIB de l’Algérie a atteint 239,9 milliards de dollars avec un PIB par habitant de 5.260 dollars, avec une prévision de 256,7 milliards de dollars en 2024 à 265,8 milliards en 2025 et à 275,4 milliards de dollars en 2026 alors que pour le FMI, données légèrement différentes, le PIB de l’Algérie devrait s’élever à 270 milliards de dollars contre 243 en 2023 propulsant l’Algérie au troisième rang des économies africaines derrière l’Afrique du Sud et l’Egypte et devant le Nigeria. Un point d’accord de ces deux institutions le niveau du PIB algérien est largement irrigué directement et indirectement par le financement des autres secteurs par la rente des hydrocarbures, 92% des recettes en devises et en incluant les dérivées inclus dans la rubrique hors hydrocarbures pour 67% , donnant entre 97/98% et que toute baisse ou hausse de recettes des hydrocarbures qui tiennent la cotation du dinar à environ, 70% influe tant sur le niveau du PIB que sur la cotation du dinar.

Deuxièmement, les surcoûts des projets influent sur le niveau de productivité et donc indirectement sur la cotation du dinar, sans compter les surfacturations des projets en dinars algériens, qui expliquent les surcoûts des projets avec des malfaçons surtout dans le BTPH, les transferts légaux de capitaux profitant de la distorsion du taux de change de plus de 65% entre l’officiel et celui du marché parallèle, transitent par les banques souvent publiques qui accaparent plus de 85/90% des crédits octroyés, les banques privées malgré leur nombre étant marginales, au cours officiel du dinar à travers les importations par des surfacturations, favorisant également le trafic aux frontières des produits subventionnés, (farine, huile et ). Ces montants sont souvent convertis en investissement vers l’achat d’une valeur sûre, l’immobilier.

Troisièmement, le niveau du déficit budgétaire. La dépréciation officielle du dinar outre son impact inflationniste, 85% des matières premières et équipements des entreprises publiques et privées étant importés, le taux d’intégration ne dépassant pas 15% en 2023, permet d’atténuer le déficit budgétaire qui en référence à la loi de finances 2024 , le budget de l’Etat prévoit des dépenses à 15.275,28 milliards DA et des recettes de 9.105,3 milliards de DA, soit un déficit budgétaire d’environ 46 milliards de dollars. En effet, du fait de la baisse des recettes de Sonatrach par rapport à 2022, qui ont été de 60 milliards de dollars pour un cours moyen de 106 dollars le baril et 16 dollars le MBTU pour le gaz, avec une moyenne de 80 dollars pour l’année 2023 et 11/12 dollars le MBTU la recette a été de 50 milliards de dollars pour une moyenne de 80 dollars et 55 milliards de dollars en 2023 en incluant les recettes hors hydrocarbures (sources statistiques douanières et ONS ) et avec la même tendance les recettes de Sonatrach devraient se situer toujours à environ 50 milliards de dollars en 2024. Cette dépréciation du dinar officiel permet d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d’hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu’en euros convertis en dinar dévalué). Cette dernière accentue l’inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens, montant accentué par la taxe douanière s’appliquant à la valeur du dinar, supportée, en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l’entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.

Quatrièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire d’environ 100 euros. Cela est accentué par les pénuries amplifiant le commerce dit du « cabas » que l’on ne combat pas par des mesures administratives. Par ailleurs, ce sont les agences de voyages qui, à défaut de bénéficier du droit au change, recourent, aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement, elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique et certaines grosses fortunes utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque Algérien et étranger a droit par voyage à 1000 euros non déclarés, certains utilisant leurs employés pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux.

Cinquièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien accentue la déthésaurisation des ménages qui mettent face à la détérioration de leur pouvoir d’achat, des montants importants sur le marché, alimentant l’inflation, plaçant leur capital-argent dans l’immobilier, achètent des biens durables à forte demande comme les pièces détachées, facilement stockables ,l’achat d’or ou de devises fortes L’anticipation d’une dévaluation rampante du dinar, a un effet négatif sur toutes les sphères économiques et sociales, dont le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever de plusieurs points, s’ils veulent éviter comme par le passé, l’assainissement via la rente des hydrocarbures, s’ajustant aux taux d’inflation réel et toute baisse du taux d’intérêt inférieur au taux d’inflation afin de relancer l’investissement à valeur ajoutée devra être supporté par le trésor public.

En conclusion, tout retour à la confiance tant des citoyens que des investisseurs sans laquelle aucun développement n’est possible, suppose la stabilité juridique et monétaire devant éviter l’illusion monétaire car la monnaie autant que le stock d’or, est un signe permettant les échanges ne créant pas de richesses. Le cadre macro-financier en Algérie est relativement stabilisé en ce mois de mai 2024 ce qui lui donne une marge de manœuvre dans ses choix stratégiques. La dette publique a été en 2023 de 49,5% du PIB et la dette extérieure d’environ 1,6% du PIB, avec des réserves de change de 68,9 milliards de dollars, soit 14,1 mois d’importations, grâce à un prix moyen du baril de 84 dollars, un taux de change de 142 dinars pour 1 dollars US, encore que le déficit budgétaire selon le FMI s’est creusé entre 2022/2024.

Le PIB par habitant a été de 4982 dollars, données globales voilant les disparités sociales, l’inflation de 9,3% en 2022 et 2023, prévoyant une baisse pour 2024 d’environ 5% et le chômage avoisine 14% de la population active, touchant paradoxalement les diplômés. Pour les perspectives à court terme, le FMI estime qu’elles sont globalement positives, avec une croissance réelle prévue en 2024, de 3,8 % et de 3,1% en 2025 , soutenue en partie par d’importantes dépenses budgétaires via la rente des hydrocarbures. L’Économie étant avant tout politique comme nous l’ont enseigné les classiques de l’Économie et de la Sociologie, notamment Ibn Khaldoun Adam Smith David Ricardo, Karl Marx, Joseph Schumpeter et plus près de nous les institutionnalistes prix Nobel, la structure des sociétés modernes s’est bâtie d’abord sur des valeurs et une morale qui a permis la création de richesses permanentes d’où l ’importances de profondes réformes institutionnelles et micro économiques supposant une nette volonté politique de changement et une large cohésion sociale .Tout cela renvoie au mode de gouvernance.

Sbderrahman Mebtoul, ademmebtou@gmail.com

Source : La Sentinelle, 26/05/2024

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