Russie-Afrique (subsaharienne) : entre nostalgie et realpolitik

Etiquettes : Russie, Afrique, Afrique subsaharienne, Sahel, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Sénégal, Wagner, France,

Par Mostefa Zeghlache, ancien diplomate
zeghodmus@yahoo.fr

Le XXIe siècle s’affirme désormais et depuis plus de 20 ans comme le siècle de grandes incertitudes sur la paix et la sécurité internationales. La fin de la guerre froide pouvait faire croire qu’un monde apaisé ou moins tendu allait naître. La réalité aujourd’hui est bien différente.

Sur le continent africain, le redéploiement de la Russie auquel nous assistons depuis plus de 20 ans est un processus qui dérange et inquiète autant les ex-puissances coloniales, comme la France, que d’autres pays occidentaux, notamment les États-Unis d’Amérique, et tend à entraîner l’Afrique dans une confrontation aux relents de guerre froide.

Dans notre contribution intitulée «Russie-Afrique : une coopération sans ingérence et civilisée?», publiée dans Le Soir d’Algérie en janvier 2021, nous écrivions en conclusion : «Les puissances occidentales et néocoloniales et les nouveaux venus sur le continent voient en la Russie plus qu’un simple concurrent, un adversaire qui risque de perturber les règles du jeu par eux établies…»

Cette constatation est toujours d’actualité et la présence russe en Afrique se fait de plus en plus imposante. La stratégie russe tire sa substance à la fois du passé (nostalgie) du temps de l’ex-URSS et d’un présent et d’un avenir en construction sur la base d’une realpolitik en marche.

La stratégie de redéploiement africain de la Russie repose aujourd’hui sur le legs de l’ex-URSS entamé depuis les années 1960 et plus particulièrement durant la guerre froide. Natalia Telepneva, spécialiste de l’histoire des services de renseignement soviétiques en Afrique à l’université de Strathclyde, à Glasgow, considère la crise du Congo en 1960, lorsque l’URSS avait tenté de venir, en vain, au secours de Patrice Lumumba (1er Premier ministre du Congo indépendant assassiné en janvier 1961 par des militaires congolais à la solde de la CIA), comme «le premier cas avéré d’intervention du KGB dans les affaires d’un pays d’Afrique subsaharienne», et aussi son 1er échec en Afrique face à la CIA.

À partir de cette période, l’Afrique subsaharienne prit de plus en plus d’importance dans la stratégie de déploiement soviétique dans le monde. C’est ainsi que le Kremlin avait multiplié les ouvertures d’ambassades dans les pays africains au moment où l’URSS se présentait comme l’allié objectif des pays africains dans leur lutte contre le colonialisme.

Il faut rappeler que c’est à l’initiative de l’Union soviétique que l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux (Res.15.14 du 14.12.1960) qui a accéléré le processus de décolonisation du continent africain.

Durant la guerre froide, le soutien soviétique ne s’était pas limité à la livraison d’armes. L’URSS avait aussi formé des milliers de «combattants de la liberté». Selon l’historienne russe Natalia Krylova, qui a publié une étude consacrée au Centre d’enseignement-165 à Perevalnoe, en Crimée, aujourd’hui annexée par la Russie, «jusqu’à la chute de l’URSS en 1991, plus de 15 000 combattants de mouvements de libération nationale africains ont été formés dans ce centre qui pouvait accueillir jusqu’à 500 élèves simultanément».

Aux plans culturel et éducatif, pas moins de 25 000 Africains ont été formés dans les universités, collèges techniques et académies militaires soviétiques. Ces étudiants civils et militaires africains ont occupé ou occupent parfois jusqu’à aujourd’hui d’importants postes décisionnels politiques et autres dans leurs pays et constituent ainsi des «membres influents» du pouvoir, estime le jeune chercheur Marcel Plichta, expert en renseignement auprès du Secrétariat d’État à la Défense.

Après la disparition de l’URSS et les difficultés internes des années 1990, la Russie a été poussée à rétrécir sa présence diplomatique en Afrique par la fermeture de 9 ambassades. Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’elle a entamé un retour sur le continent, par une tournée en 2006 du président Poutine en Algérie, au Maroc et en Afrique du Sud suivie par celle de Dmitri Medvedev en Égypte, au Nigeria, en Angola et en Namibie en 2009.

Le soutien soviétique à l’Afrique combattante est un symbole qui profite concrètement à la Russie d’aujourd’hui, estime l’analyste nigérian Eguegu. «Si l’Afrique éprouve tant d’affection pour la Russie, c’est grâce à la réputation de l’URSS qui a soutenu l’Afrique et tenu ses promesses», déclarait-il en décembre 2023 au site russe Sputnik.

Quelles sont aujourd’hui les ambitions et les attentes de la Russie de son partenariat avec l’Afrique ? Elles sont diverses. Les unes relevant de l’ordre purement économique, commercial et militaire, les autres impliquent une volonté politique de se positionner en force dans le continent à l’heure où celui-ci enregistre un fort sentiment de rejet de la domination néocoloniale et de la tutelle occidentale et à une période où la Russie, engagée depuis 2022 en Ukraine dans un conflit armé jamais connu depuis la fin de la guerre froide impliquant les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, a besoin de battre en brèche son isolement sur la scène internationale en s’appuyant notamment sur l’Afrique.

À travers le réchauffement des relations avec l’Afrique, Moscou tente de donner une impression de normalité malgré les retombées sur sa sécurité et sur son économie du conflit ukrainien.

C’est dans ce contexte international que s’inscrit l’offensive tous azimuts que mène la Russie en direction de l’Afrique (subsaharienne) depuis la chute de l’ex- URSS. La manifestation politique de cette offensive est illustrée par le sommet Russie-Afrique qui a vu le jour en 2019 et a été réédité en 2023.

Le premier sommet russo-africain avait eu lieu à Sotchi, la célèbre station balnéaire estivale russe sur la mer Noire, les 23 et 24 octobre 2019, avec la participation de 45 chefs d’État africains réunis autour du chef de l’État russe, Vladimir Poutine, et la participation totale, à différents niveaux, de 54 pays africains. Le second sommet eut lieu les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, la ville impériale fondée en 1703 par Pierre le Grand, tsar de Russie et empereur de toutes les Russies. Les délégations de 49 pays africains (dont 17 dirigées par les chefs d’État) et de Russie y ont participé.

L’Algérie était représentée à St-Pétersbourg par une délégation conduite par le Premier ministre. Le chef de l’État algérien ayant effectué une visite d’État en Russie du 13 au 15 juin 2023, visite qui a abouti à la signature de nombreux accords et une déclaration de partenariat stratégique approfondi.

Le sommet de Saint-Pétersbourg s’est tenu alors que la Russie est engagée dans un conflit intense en Ukraine depuis le 24 février 2022. C’est dans ce contexte que certains États africains auraient été l’objet de pressions occidentales, notamment américaines et françaises, pour ne pas participer à ce sommet qui s’est achevé par l’adoption d’un certain nombre d’engagements devant promouvoir la coopération entre la Russie et l’Afrique, notamment subsaharienne.

C’est sur ce dernier volet que la présente contribution met l’accent dans la mesure où les relations russo-nord-africaines (Maghreb plus Égypte) se taillent la part du lion de la coopération de la Russie avec l’Afrique et que leur examen nécessiterait une contribution à part. Cependant, le sommet, comme cela ressort du communiqué final, parle évidemment de l’Afrique dans son ensemble.

Le communiqué annonce l’engagement des deux parties à établir le Forum du partenariat Russie-Afrique afin de coordonner le développement de (leurs) relations et établir le sommet des chefs d’État et de gouvernement comme son organe suprême qui «sera convoqué tous les trois ans».

Le communiqué précise également que l’objectif du sommet est de «soutenir la mise en œuvre des engagements des États africains tracés dans le programme social et économique «Agenda 2063» de l’Union africaine adopté en janvier 2015 par la 24e Assemblée de l’Union.

Au terme des deux jours de travaux, le sommet de St-Pétersbourg a adopté un Plan d’action du Forum de partenariat Russie-Afrique pour 2023-2026 qui définit les grands axes de coopération russo-africaine dans divers domaines : politique, sécuritaire, économique, culturel et humanitaire.

La tenue du Forum économique et humanitaire Russie-Afrique a abouti à la signature de 92 accords de coopération économique et militaro-technique, et des mémorandums d’entente entre la Russie et l’Union africaine (UA) et entre l’Union économique eurasiatique et la Commission de l’UA.

De même, les deux parties se sont entendues sur un cadre de coopération entre la Russie et les principales organisations régionales africaines comme l’Union du Maghreb arabe, la Communauté d’Afrique de l’Est, la Communauté de développement de l’Afrique australe et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.

Actualité oblige, la crise ukrainienne et son corollaire la question céréalière ont figuré en tête des débats et de la résolution finale. Ce qui n’a nullement altéré l’importance d’autres questions comme celles relatives à l’armement et à la sécurité.

S’agissant de la crise ukrainienne, la Russie a apprécié la neutralité affichée par les pays africains envers ce «conflit lointain» quand bien même ses retombées en matière de sécurité internationale et d’approvisionnement céréalier les préoccupent.

Quant à la question céréalière, l’Afrique, qui est un continent essentiellement producteur et exportateur de matières premières minières et agricoles, souffre pourtant d’un grand déficit en produits céréaliers. Les parties en conflit, la Russie et l’Ukraine, figurent parmi les pays les plus importants pourvoyeurs de ces produits.

C’est pour tenter de conjurer les effets de la guerre, contribuer aux efforts de paix et assurer au commerce international des céréales une liberté des contraintes induites par le conflit ukrainien, que l’Afrique a proposé sa médiation en juin 2023.

Mais les deux parties en conflit n’ont pas retenu l’offre de médiation qui reposait sur l’engagement pour une désescalade des deux côtés (trêve?), le respect de la souveraineté nationale conformément à la Charte des Nations unies, ainsi que des garanties de sécurité de part et d’autre.

Le Kremlin avait indiqué que le plan africain était «très difficile à mettre en œuvre». Le président Poutine avait poliment déclaré : «Nous considérons avec respect vos initiatives et les étudions attentivement.» Tandis que les autorités ukrainiennes ont estimé que la proposition, si elle était appliquée, gèlerait le conflit sans assurer un départ des troupes russes du territoire ukrainien.

L’essentiel pour les délégations africaines réside dans la solution de la crise céréalière née du conflit et qui concerne leurs pays en tant que gros importateurs de produits céréaliers de Russie comme de l’Ukraine.
Il faut rappeler que le sommet de St-Pétersbourg s’est tenu près d’une semaine après l’expiration de l’accord céréalier de juillet 2022 signé à Istanbul et reconduit à 2 reprises qui permettait l’exportation de grains ukrainiens par la mer Noire, malgré le conflit.

Si, en apparence, la décision russe de ne plus permettre l’exportation de produits céréaliers ukrainiens par mer était de nature sécuritaire avec l’extension des affrontements, la Russie était surtout opposée à ce que les revenus de la vente de céréales financent l’effort de guerre de l’Ukraine.

Par ailleurs, le Président russe avait écrit dans un article publié sur le site du Kremlin et intitulé «La Russie et l’Afrique : unir les efforts pour la paix, le progrès et un avenir prospère» que la décision de mettre fin à l’accord céréalier se justifiait par le fait que «la Russie est capable de remplacer les céréales ukrainiennes sur une base commerciale et sans frais». Ce qui, selon le Kremlin, devrait alléger les tensions sur le commerce international de céréales, notamment pour les pays africains.

Dans ce contexte, le Président russe a annoncé dans son discours d’ouverture du sommet que la Russie s’engageait à livrer gratuitement et «dans les mois qui viennent», jusqu’à 50 000 tonnes de céréales au Zimbabwe, à la Somalie, à l’Érythrée, au Mali, à la Centrafrique et au Burkina Faso.

Les dirigeants africains et l’Union africaine qui ne pouvaient ignorer ce geste symbolique, même si le don en question représente moins de 0,5% des exportations russes vers l’Afrique, ne se sont pas retenus pour dire à leur hôte russe leur conviction que la résolution du problème céréalier résidait plutôt dans la fin du conflit qui a généré la crise céréalière, ou, à défaut, dans un cessez-le-feu ou bien encore dans la reconduite de l’accord de juillet 2022.

Les préoccupations des dirigeants africains sont fondées dans la mesure où l’Afrique dépend de la Russie pour 30% de ses approvisionnements en céréales. La proportion est beaucoup plus élevée concernant le blé atteignant 63% des besoins, un pourcentage appelé à augmenter dans le proche avenir avec la forte croissance démographique que connaît le continent.

Pour sa part, conscient que «les céréales font partie de ses leviers de puissance et d’influence», le Kremlin est vite passé à la phase de mise en œuvre de l’engagement du Président russe de fournir gracieusement des céréales à un certain nombre de pays africains subsahariens sévèrement touchés par la crise céréalière et disposant de modestes capacités financières pour y faire face.

Ce geste, comme bien d’autres de la part de Moscou à l’intention de certains pays subsahariens, est bien apprécié par les dirigeants africains qui ne se privent pas de l’exprimer publiquement. Tel est le cas du ministre d’État, ministre du Travail et de la Protection sociale du Burkina Faso, Bassolma Bazié qui a, en marge du 8e Forum international du travail tenu à Saint-Pétersbourg du 19 au 24 février 2024, déclaré : «Nous disons merci au peuple de la Russie et ses dirigeants pour sa coopération pleine de franchise, de transparence, d’ouverture et de respect mutuel.»

À Moscou, on préfère parler de coopération multidimensionnelle et stratégique, comme l’a affirmé, le 1er mars 2024, l’ambassadeur itinérant du ministère russe des Affaires étrangères et chef du secrétariat du Forum du partenariat Russie-Afrique Oleg Ozerov : «Nous sommes passés à un travail systématique visant à construire une coopération stratégique à long terme avec le continent africain.» La coopération stratégique en question repose toujours sur le secteur militaire et sécuritaire qui a longtemps dominé les relations soviéto-africaines. La coopération militaire à travers la vente de matériels militaires et la formation de cadres supérieurs des armées africaines a de tout temps constitué le fer de lance de la présence russe en terre africaine.

Lors de la session plénière du sommet, Poutine avait révélé que Moscou avait conclu des accords de coopération militaro-technique «avec plus de 40 États africains». Un peu plus tard et en marge du Forum «Armées 2023» tenu près de Moscou durant une semaine en août 2023, le directeur général de Rosoboronexport, principal exportateur d’armements russe, Alexandre Mikheïev, avait indiqué sur le site Sputnik que «les délégations africaines ont manifesté le plus grand intérêt pour les armes à feu, les drones, les tenues de protection pare-balles, les armes non létales, les systèmes de détection de matières dangereuses, les éléments du système Ville sûre, les systèmes de cybersécurité et des produits civils».

En effet, la Russie est le premier vendeur d’armes à l’Afrique. Les armes russes sont vendues à 14 pays africains, notamment aux pays partenaires traditionnels que sont l’Algérie, l’Égypte et l’Angola qui représentent 90% de la valeur des ventes d’armes russes au continent. Depuis 2017, la Russie a signé des accords de coopération militaire avec 20 pays d’Afrique subsaharienne, contre seulement sept de 2010 à 2017. De ces accords, 10 ont été conclus avec des pays avec lesquels la Russie n’avait pas signé d’accord de coopération militaire auparavant.

Récemment, la coopération sécuritaire, notamment en ce qui concerne les moyens modernes de surveillance et d’écoute, prend de plus en plus d’importance dans la demande croissante des gouvernements africains d’équipements sécuritaires destinés autant à l’activité civile que militaire.

En ce qui concerne la lutte antiterroriste, les participants ont convenu, entre autres, d’«échanger des informations sur les groupes terroristes, sur les attaques et menaces potentielles, y compris les actes impliquant l’utilisation d’armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires».

Par ailleurs et quoique la présence du groupe paramilitaire Wagner en Afrique, limitée d’abord à la Centrafrique puis étendue à d’autres pays africains, notamment sahéliens, ait fait l’objet de discussions informelles entre Poutine et certains des dirigeants africains, le dirigeant russe n’a pas évoqué publiquement cette question.

Cependant, depuis la mort du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, le 23 août 2023, de nombreux dirigeants africains s’interrogeaient sur les perspectives d’action du groupe paramilitaire dans leur pays.

À cet effet, diverses sources sécuritaires occidentales révèlent que tant les activités que le personnel du groupe ont été récupérés par le ministère de la Défense, «pour continuer à se positionner durablement sur l’échiquier africain». La récente réorganisation de Wagner en Africa Corps permet d’intégrer ce groupe de manière ouverte dans la stratégie russe déployée en Afrique.

Dans un autre volet, le sommet de St- Pétersbourg a examiné la coopération énergétique, hors-hydrocarbures en y incluant le nucléaire. Selon la Cnuced, au Sahel, près de 50 % de la population n’a toujours pas accès à l’électricité. En cette circonstance, le Président ougandais a annoncé la signature d’un accord sur la construction d’une centrale nucléaire dans son pays par la Russie et la délégation du Burkina Faso a signé un accord identique avec Moscou.

S’agissant de la coopération financière, l’ambassadeur Ozerov a rappelé que Moscou avait effacé 23 milliards de dollars de dettes des pays africains. Il estime que le problème de la dette des pays africains envers la Russie est réglé à 90%. Dans ce contexte et eu égard aux difficultés financières que connaît la Russie en raison des sanctions occidentales, le Président russe a suggéré la possibilité de recourir aux «monnaies nationales» dont le rouble pour le règlement des transactions commerciales entre son pays et les pays africains. La «croisade» russe contre le dollar menée isolément ou dans le contexte des BRICS se veut de plus en plus concrète. Dans le contexte africain, le Kremlin, par la voix de Dmitri Mazepine, président du Conseil des affaires Russie-Zimbabwe, a révélé récemment que «les entreprises russes sont prêtes à trouver une alternative au dollar dans les accords mutuels avec les pays du continent africain».

Mais globalement, la Russie commerce plus qu’elle n’investit en Afrique. Les investissements russes de ces dernières années ne représentent que 1% de l’Investissement direct étranger (IDE) dans le continent. Les contrats commerciaux déclarés s’élevaient en 2021 à plus de 10 milliards de dollars américains et 14 milliards de dollars en 2022. Ce qui est modeste comparé au commerce africain avec l’UE, la Chine ou les États-Unis qui est respectivement de 295 milliards, 254 milliards et 65 milliards de dollars. L’on se rappelle que, lors du précédent sommet de 2019, Poutine avait promis de doubler les échanges commerciaux avec l’Afrique pour atteindre près de 40 milliards de dollars en cinq ans. Néanmoins, en 2023, le commerce russo-africain a enregistré un bond spectaculaire de +50%, atteignant 22,8 milliards de dollars dont 19,8 milliards de dollars d’exportations russes, soit +54,1% (contre 12,9 en 2022), selon le site russe Sputnik.

L’Afrique importe de Russie, outre les armes, des céréales, des matières premières extractives et de l’énergie, notamment nucléaire. Les échanges russo-africains demeurent déséquilibrés en faveur de la Russie qui exporte sept fois plus qu’elle importe d’Afrique et 70 % de ces échanges concernent quatre pays, dont 3 d’Afrique du Nord, l’Algérie, l’Égypte et le Maroc, et l’Afrique du Sud. Les exportations de l’Afrique vers la Russie ne représentent que 0,4 % du total de ses exportations et se composent principalement de produits frais. L’Afrique est et restera un important réservoir de matières premières à l’origine d’âpres convoitises entre puissances internationales dont la Russie. À une étape ultérieure, Moscou envisage d’ouvrir de nouvelles perspectives à la coopération économique avec l’Afrique (du Nord). Selon l’agence russe Sputnik, c’est avec 4 pays nord-africains ­— Algérie, Maroc, Égypte et Libye —, qu’en août 2023, le Président russe avait annoncé que le Kremlin envisageait des accords sur une zone de libre-échange.

L’importance du continent africain dans la politique étrangère russe se fait de plus en plus ressentir, comme il en ressort des résultats du sommet de St-Pétersbourg et comme le souligne Joseph Siegle, directeur du programme de recherche du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (Washington) qui estime que «si les liens économiques entre la Russie et l’Afrique sont modestes, le continent dote la Russie d’une scène globale depuis laquelle la Russie peut se vanter d’une posture géostratégique plus importante qu’elle n’y paraît». Dans ce contexte, les pays africains, qui, dans leur majorité, se sont abstenus de critiquer publiquement, notamment aux Nations unies, l’annexion russe de la Crimée en 2014 et l’offensive lancée contre l’Ukraine en février 2022, constituent de précieux partenaires.

De nombreux dirigeants africains, notamment au Sahel, apprécient et cultivent auprès de leurs populations le fait que la Russie n’ait pas de passé colonial en Afrique, qu’elle soutient leur politique de «désoccidentalisation» en cours et, contrairement aux pays occidentaux, et qu’elle ne s’immisce nullement dans les questions de gouvernance et de droits de l’Homme en Afrique. Autant d’arguments utilisés par les dirigeants occidentaux, notamment américains, à l’image de Joseph Siegle, directeur de recherche à l’Africa Center for Strategic Studies, Université du Maryland, pour déduire que «la stratégie russe de cooptation des élites creuse le fossé entre les intérêts des dirigeants africains et ceux des citoyens» et favoriserait ainsi le totalitarisme en Afrique.

La présence active du groupe paramilitaire russe de l’Africa Corps (ex-Wagner — une force de près de 5 000 mercenaires déployée dans le continent) est une arme qu’utilise la Russie pour la préservation de ses intérêts géostratégiques et l’extension de sa présence en Afrique. Limitée à la seule action de la lutte antiterroriste, cette présence peut s’avérer utile aux pays africains. Mais, souvent, ce groupe est appelé à assumer un autre rôle qui est de contribuer, aux côtés des services de sécurité locaux, à la répression de la population ou/et à sévir contre toute forme de revendication démocratique. Dès que sa mission déborde du cadre de la lutte antiterroriste, le groupe de mercenaires russes se transforme en facteur de déstabilisation autant pour les pays concernés que pour leurs régions.

Un autre risque pour la sécurité et la stabilité de l’Afrique, en particulier au Sahel, région frontalière de l’Algérie, est l’extension de la rivalité Russie-pays occidentaux à l’une des régions les plus vulnérables au monde, au moins économiquement parlant. La récente décision du gouvernement nigérien de mettre fin à la présence militaire américaine sur son territoire, prise «en prenant en compte les aspirations et les intérêts du peuple nigérien», selon les propos du colonel Amadou Abdramane, porte-parole du régime, est interprétée en Occident comme un nouveau défi du Kremlin aux intérêts occidentaux au Sahel.

Les dirigeants africains (subsahariens notamment) n’ignorent pas que l’assistance militaro-sécuritaire étrangère de quelle ampleur qu’elle soit n’est jamais exempte de risques et ne peut constituer une solution aux défis politiques, économiques, sociaux et sécuritaires de leurs pays. L’imam et homme politique malien Mahmoud Dicko déclare à cet effet : «Ne nous trompons pas d’adversaire. Notre adversaire n’est pas un pays, il n’est pas la communauté internationale», c’est «la corruption endémique, la mauvaise gouvernance, le sous-développement et l’ignorance qui permettent au tout-venant de venir s’installer et de s’accaparer notre pays… La paix ne viendra ni de la Russie, ni de la France, ni des États-Unis».

Ce constat s’impose comme une réalité intangible à tous les dirigeants africains.
M. Z. 

Webographie sommaire
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https://www.temoignages.re/international/monde/confiance-et-determination-succes-du-sommet-russie-afrique,107877
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https://www.frstrategie.org/publications/notes/nouvelle-strategie-russe-afrique-subsaharienne-nouveaux-moyens-nouveaux-acteurs-2019
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https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/24/la-russie-remplacera-les-cereales-ukrainiennes-a-destination-de-l-afrique-assure-vladimir-poutine_6183153_3212.html
https://fr.sputniknews.africa/20231202/cereales-pour-lafrique-moscou-tient-parole-loccident-songerait-a-la-propagande-1063920531.html
https://observalgerie.com/2023/08/03/economie/russie-creation-une-zone-libre-echange/
https://lanouvelletribune.info/2024/03/usa-le-niger-rejette-laccord-militaire-vers-un-depart-des-militaires/#comment-324352

Source : Le Soir d’Algérie

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