Maroc Confidentiel

« Pas de relations amicales avec la France sans libération de notre histoire emprisonnée ».

Etiquettes : France, Algérie, mémoire, colonisation, archives, biens, restitution,

Dans une interview accordée à « El Khabar », Dr Mohamed Lahcen Zeghidi, président de la Commission algérienne de l’histoire et de la mémoire, a annoncé que son comité a obtenu l’accord de son homologue français pour restituer tous les archives de l’État algérien d’avant l’occupation française, ainsi que tous les documents réclamés par l’Algérie symbolisant l’existence de la nation algérienne et ses relations diplomatiques avec le monde.

Le coordinateur de la commission présidentielle souligne que « la nouvelle Algérie a clairement indiqué dès ses premières heures qu’il ne pourrait y avoir de relations amicales et de coopération équitable avec la France avant la résolution du dossier de la mémoire ». Il met en avant « la fermeté de la position algérienne dans la demande de libération de notre histoire retenue en France avant de parler de construire des relations amicales et de coopération future ». Zeghidi appelle également « l’autre partie à dépasser les lois égoïstes nourries par l’esprit colonial ».

Zeghidi a mentionné que la commission progresse dans la correction des erreurs historiques mises en place par l’école coloniale et leur correction dans les programmes éducatifs et universitaires nationaux.

Lors de la réunion de la commission mixte du 20 au 24 mai à Alger, il a été conclu que l’intervention des autorités politiques françaises était nécessaire pour récupérer des biens ayant une valeur symbolique pour les Algériens, actuellement exposés dans des musées français. En dehors des objets appartenant à l’émir Abdelkader, la rencontre a permis de progresser dans la restitution d’autres biens.

Zeghidi a précisé qu’il est impossible de traiter un dossier concernant une période d’occupation de plus de 132 ans en quelques sessions. Ce qui est négocié inclut tout ce qui a été pillé en Algérie, portant des symboles de souveraineté dans divers domaines, allant de la technologie militaire de l’époque aux symboles de l’État algérien des 16e, 17e, et 18e siècles, et du début du 19e siècle dans divers domaines industriels, culturels, architecturaux, commerciaux, ainsi que tout ce qui documente les relations internationales et les relations de paix et de coopération.

Avez-vous un inventaire de ces Biens ?

La commission a travaillé intensément sur cet aspect et dispose de nombreux documents grâce aux chercheurs. Lors de l’invasion, l’armée coloniale a pillé tout ce qui se trouvait dans le palais du Dey, symbole du commandement de l’État, conférant une signification symbolique de souveraineté à tout ce qui a été volé.

Selon vous, il existe des preuves de l’existence d’une nation et d’un Etat algérien avant l’occupation française ?

Nous avons confronté les sceptiques avec des preuves scientifiques de biens pillés d’un État existant. Tout ce qui a été emporté par les dirigeants de l’invasion française a une signification symbolique et ne peut être négligé.

Nous insistons également à récupérer les archives diplomatiques et les documents relatifs aux relations internationales de l’État algérien avant 1830. Les relations avec la France et les autres nations européennes étaient bien établies et documentées par des traités et des correspondances.

Les relations entre l’Algérie et la France ont duré plusieurs siècles et les deux pays ont conclu des accords dans les domaines de la paix, de la sécurité, du commerce et de la diplomatie. De plus, il existait des relations militaires et culturelles entre les deux pays.

Vos homologues français ont-ils répondu favorablement à vos demandes?

Il y a eu une réponse positive de la part des autorités françaises pour restituer ces archives, avec un engagement documenté pour la restitution complète des archives algériennes d’avant 1830.

Quand commencera l’opération de restitution ?

Actuellement, la commission travaille sur les dernières étapes de l’inventaire et de l’organisation de la restitution, laissant à la partie française le soin de définir les modalités et le calendrier de cette restitution dans une réunion ultérieure. La commission algérienne a réussi à obtenir cet accord en tant qu’organisme présidentiel.

Qu’en est-il de la valeur de la dette algérienne envers la France avant l’occupation et de l’argent et des objets de valeur pillés par l’armée d’occupation française au Palais du Jour et dans d’autres lieux au cours des premiers mois de l’invasion ?

La commission discute, également, des documents relatifs aux dettes algériennes avant l’occupation et des biens précieux pillés par l’armée française du palais du Dey et d’autres lieux durant les premiers mois de l’invasion. Le dialogue se poursuit sur ces aspects en parallèle avec les négociations sur les archives.

Après une série de rencontres entre les membres de la Commission mixte ici en Algérie et en France, pourquoi les discussions se sont-elles concentrées sur la chronologie du 19ème siècle ?

La commission met l’accent sur la période du 19e siècle, considérée comme une phase cruciale de l’histoire algérienne, marquée par des événements significatifs et des résistances à l’occupation française. Les discussions se concentrent sur la documentation et la restitution des archives concernant cette période.

Quels sont les dossiers prioritaires par rapport à cette période particulière ?

Tout ce qui a trait à cette période dans ses aspects militaires, économiques, culturels, politiques et sociaux relève de la responsabilité de la commission qui doit l’étudier et décider de sa récupération et de sa restauration.

Nous avons l’occasion d’étudier et de récupérer tout ce qui concerne les débuts de l’invasion et des crimes, car un tel travail exige de s’arrêter au début et d’adhérer à des contrôles scientifiques, logiques, procéduraux et factuels qui exigent de commencer par le début, puis d’arriver à l’ensemble du XIXe siècle.

Il s’agit d’une période très longue qui risque d’épuiser les efforts et de prolonger les travaux de la commission et de les disperser parmi les événements de cette époque, et de se heurter au refus de la partie française de dissimuler les faits historiques ?

Notre méthodologie est claire, nous travaillons sur tous les massacres qui ont accompagné les 104 ans d’occupation militaire de l’Algérie, plus précisément de Sidi Fredj de juin 1830 à 1934 jusqu’à Tindouf en mars 1934. Nous avons progressé dans ce domaine en deux étapes ; tout d’abord, la partie française s’est engagée à nous fournir des statistiques, à savoir 5 mètres linéaires et plus de 13 paquets d’archives concernant l’Algérie avant 1830, mais nous considérons toujours que c’est insuffisant car, pour le 19e siècle, nous continuons à négocier et à exiger davantage.

En ce qui concerne la période de l’invasion, votre travail se limite-t-il à la demande de récupération et qu’en est-il des autres aspects académiques et historiques ?

Notre travail en tant que chercheurs est multiforme, surtout en ce qui concerne une période qui a connu plusieurs résistances, et il faut préciser ici que nous adoptons l’examen et la vérification afin de modifier certains concepts et de corriger la terminologie associée aux grandes résistances populaires du XIXe siècle, que nous avons appelées « guerre de résistance », parce qu’elle ne s’est pas terminée, ni dans une certaine période, une guerre de résistances multiples.

Nous sommes face à une étape importante dans la définition de la terminologie historique ?

Le colonialisme brutal a tenté de compartimenter la résistance historique afin de la dépouiller de l’esprit national et d’ôter l’idée d’unité nationale de la nation algérienne. En tant que chercheurs, nous considérons que ceux qui limitent la résistance à ses dirigeants et à un cadre géographique étroit portent atteinte à l’unité de la résistance et fragmentent le concept de continuité.

Il s’agit donc d’inexactitudes délibérées ?

Oui… Il y a des erreurs systématiques sur l’histoire de la résistance populaire pendant les 100 premières années de l’invasion militaire, développées par les dirigeants de l’occupation au cours du dix-neuvième siècle et ensuite promues par les historiens de l’école historique coloniale française, qui ont voulu compartimenter l’histoire et la limiter à des individus spécifiques et à des régions isolées les unes des autres dans le but de la vider de sa dimension nationale.

Mais ces « inexactitudes » sont inscrites dans les programmes nationaux et ont été enseignées à plusieurs générations ?

Le comité fera des recommandations pour ajuster les termes et les concepts, réécrire certains événements et corriger les erreurs historiques dans les programmes de tous les niveaux, même dans les universités, pour toute la période de la colonisation française, puisque nous, chercheurs algériens, avons convenu de décrire la période entre 1830-1934 comme la « Guerre de résistance », puis le Mouvement national, et enfin la guerre de libération.

Après avoir accepté de recevoir les archives pré coloniales, où en est le dossier de récupération des documents du XIXe siècle ?

Lors de la deuxième réunion à Paris, il a été convenu de remettre 1,8 million de documents numérisés, puis lors de la troisième réunion à Constantine, nous avons également convenu de remettre 2 millions de documents numérisés.

Pourquoi avez-vous accepté les archives numérisées et non les archives physiques originales ?


Nous avons accepté le document numérisé pour qu’il soit une porte d’entrée à la recherche académique, parce qu’il se rapporte à une période où l’information était rare et qu’il est utile du point de vue de la recherche, et nous n’avons pas fait et ne ferons pas de compromis sur le document original.

Quelle est la différence entre les deux versions ?

La version numérique contient dans son contenu l’aspect scientifique et historique dont le chercheur a besoin, tandis que l’original porte dans sa forme le symbole de la souveraineté nationale, raison pour laquelle nous ne renoncerons pas à le revendiquer.

Avez-vous constaté un assouplissement de la réponse à la remise de l’original de ces documents ?

Nous avons constaté un assouplissement dans la remise de la partie numérisée, mais en ce qui concerne l’original, le dialogue tourne toujours autour de l’obstacle juridique invoqué par les Français, et c’est ce qui a entraîné le report de la discussion trois fois en un an.

Qu’en est-il des objets pillés documentés par la commission et exposés dans des musées appartenant à des familles, à des généraux et même à des municipalités ?

Quant à tous les symboles nationaux volés par les officiers d’occupation et exposés dans des lieux non publics, nous travaillons avec nos homologues pour trouver une formule permettant de les récupérer, cela dépend d’une forte volonté politique française.

Malgré la complexité du dossier de la mémoire entre l’Algérie et la France et les positions contradictoires entre chercheurs et politiques, le président de la commission française, BenJamin Stora, estime qu’il faut « regarder vers l’avenir dans le cadre du partenariat… » Quels sont vos commentaires ?

La discussion sur l’intérêt des deux pays et des deux peuples nous amène à la nécessité de passer en revue les obstacles qui entravent toute avancée dans ce domaine, et là je dis aux Français : Si la loi fait obstacle à l’intérêt national, à qui donnons-nous la priorité ? Tous les pays du monde prétendent être un Etat de droit, mais il y a des lois qui sont écoutées et considérées comme similaires et compatibles avec les lois et les textes internationaux. Il y a aussi des lois égoïstes et encore nourries de l’esprit colonial et qui sont contraires à l’intérêt de l’état et des peuples.

Quels étaient les souhaits de la partie française lors des entretiens et des visites de certains sites ?

La délégation française souhaitait savoir où se trouvaient les archives contenant certains dossiers qui l’intéressaient, et nous lui avons donné la possibilité d’accéder à certains de ces dossiers. Lors de leur visite, ils ont été impressionnés de constater que toutes les normes internationales sont disponibles au niveau de la direction générale des archives nationales, de la bibliothèque nationale, des musées nationaux et des centres de recherche, qu’ils ont trouvés avancés et sécurisés.

Ont-ils demandé des documents ou des dossiers spécifiques ?

Oui, ils se sont concentrés sur certains dossiers appartenant à des personnes spécifiques et ont recherché des documents judiciaires dans le tribunal d’Abane Ramadane et les ont trouvés très bien conservés et sûrs. Le tribunal d’Abane Ramadane est le premier tribunal qui a existé en septembre 1830, puis 1880 et est devenu la Cour suprême d’Afrique du Nord. Ils ont, également, demandé à voir des informations sur les procès et certains dossiers sur l’état civil, et les ont trouvés bien conservés.

Quelles étaient les personnes visées par la délégation française ?

Ce dossier n’est pas communicable pour l’instant.

Source : El Khabar, 07/06/2024

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