A la frontière Maroc/Algérie, recrudescence des tensions

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À l’est du Maroc, les frontières avec l’Algérie sont fermées depuis 1994 et les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues depuis 2021. En trois ans, les tensions sont allées crescendo, le Maroc et l’Algérie se concurrencent sur la question du Sahara occidental, mais aussi pour l’influence régionale. Dans l’esprit des populations, la guerre devient de plus en plus une possibilité.

De notre correspondant au Maroc

Le 29 août 2023, au large de la plage paradisiaque de Saïdia, au nord-est du Maroc, deux jeunes hommes partis en jet-ski ont été abattus par les garde-côtes algériens. Dans la station balnéaire, les souvenirs des touristes sont encore frais. Un vacancier se confie : « Ce truc-là, j’y pense tout le temps. C’est le premier truc auquel j’ai pensé quand je suis arrivé ici. »

Ce drame n’a pas empêché les touristes, majoritairement d’origine marocaine, de revenir sur les lieux. Sofiane, qui vit entre la France et Saïdia, est venu avec ses enfants : « Ils sont encore petits mais quand ils grandiront, c’est vrai qu’il faut qu’ils connaissent un peu l’histoire. Ils peuvent s’amuser et faire ce qu’ils veulent, mais ils ne doivent jamais aller de l’autre côté. »

Le père poursuit : « Les jet-skis étaient de l’autre côté, par là… Mais il n’y a pas de frontière, il n’y a rien. Nous, on se délimite avec les rochers, alors qu’il y a encore un territoire neutre. »

Des tensions de plus en plus fortes entre le Maroc et l’Algérie

Le drame de Saïdia n’est pas le premier incident frontalier dans la zone, et les tensions entre Rabat et Alger sont de plus en plus fortes. À quelques mois du début de la saison haute, un commerçant du front de mer souhaite la désescalade : « Pour l’instant, il n’y a aucun problème pour le tourisme. Mais si la situation se développe et qu’il se passe plus de choses, on sera les premiers à être touchés vu que Saïdia est la ville plus proche des frontières algériennes. »

Le commerçant dénonce les réseaux sociaux : « Pour l’instant, tout va bien, mais tous les problèmes sont sur YouTube et TikTok. Franchement, je préfère ne pas assister à ces insultes entre Marocains et Algériens.»

Des habitants de la région en viennent à envisager une guerre avec l’Algérie

De plus en plus, sur les réseaux sociaux comme dans les rues d’Oujda, à quelques kilomètres au sud de Saïdia, le long de la frontière, les discours bellicistes sont présents. C’est le cas avec Mohamed, qui commerce le bois : « Moi, en tant que Marocain, je signe la guerre avec l’Algérie. » Selon lui, il faut arrêter de parler des dénominateurs communs entre les deux pays : « Tous nos rois ont essayé d’être bien avec eux. Malheureusement, la presse marocaine ne dit pas ce qui est vrai sur l’Algérie. Ils ont créé le problème du Sahara occidental pour qu’on ne revendique pas le Sahara oriental. »

Avant la colonisation française, cette région ne connaissait pas les frontières, ce qui pousse certains nationalistes marocains à revendiquer ce qu’ils appellent le Sahara oriental, soit l’ouest de l’Algérie. Des revendications qui font ressurgir du passé le spectre de la guerre. En 1963, le Maroc et l’Algérie, tous deux fraichement indépendants, s’étaient affrontés dans cette région, dans ce qui reste encore le seul conflit militaire direct entre les deux pays.

Des habitants souffrent de la relation tendue entre les deux pays

La région de l’Orientale, à l’est du royaume du Maroc, est frontalière de l’Algérie, un pays avec lequel les relations sont historiquement tendues. Depuis 1994, les frontières sont fermées et les relations diplomatiques rompues depuis 2021. Pour les populations qui vivent de part et d’autres de la frontière, cette situation est souvent un déchirement.

Avant la colonisation française, la région de l’Orientale ne connaissait pas les frontières. Mais depuis 30 ans, commercer ou voyager entre le Maroc et l’Algérie est devenu impossible légalement. Dans les rues d’Oujda, ville marocaine frontalière de l’Algérie, les jeunes comme Mounir regrettent de ne pas avoir connu cette époque : « On est des frères. Nous, notre cœur est pur. Après, chacun pense ce qu’il veut, mais on est des frères. Quand les frontières étaient ouvertes, Oujda et Alger… on travaillait ensemble, ils venaient ici et on allait là-bas. »

Pour les plus anciennes générations, représentées par Daoudi, un ancien comptable aujourd’hui retraité, les échanges n’ont pourtant pas complètement cessé, il existe des chemins détournés pour aller en Algérie : « On passe par des portes comme Ahfir, Bni Drar, ou même à Oujda. Les braconniers rentrent et sortent facilement, on ne leur fait rien. Leur essence rentre ici et nous, on peut envoyer nos légumes. Le problème, c’est la politique. »

Des familles déchirées par la fermeture des frontières

Pour beaucoup, la création, puis la fermeture des frontières, a surtout été un déchirement. D’Oujda au Maroc à Oran en Algérie, les familles, la langue et la culture sont souvent les mêmes. Brahim Karkharch est barista à Saïdia : « Mes parents viennent des montagnes de Bin Znassen et ces montagnes vont jusqu’en Algérie… »

Il regrette les conséquences sur sa famille :« On parle amazigh et aujourd’hui, j’ai encore mes cousins à Tlemcen et à Bejaia, ça fait dix ans qu’ils ne sont pas venus, ça fait dix ans qu’on ne s’est pas parlés. Les anciens sont morts, ceux qui nous rassemblaient sont morts, et la politique a tout gâché. »

Se voir sans se parler, ce paradoxe prend toute sa forme à Bin Lajraf, cette attraction touristique se situe au bord d’une route à flanc de montagne. Au creux de la vallée, l’Oued Aghbal a délimité le tracé de la frontière. Derrière les barbelés, de l’autre côté de la route, à quelques dizaines de mètres, c’est l’Algérie : « Ici, on voit nos frères algériens, on échange des coucous, on papote, mais de loin. »

Driss est venu de Taza, en famille, pour voir cette frontière : « Regardez, on est si proches, c’est juste à côté. Mais pour aller en Algérie, je dois aller à Casablanca, prendre un vol pour Tunis et ensuite aller en Algérie. Les Algériens et les Marocains sont des frères. On partage tellement de choses avec eux… Le combat est politique et les peuples n’ont rien à voir là-dedans. »

Source : RFI, 10 juin 2024

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