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Pour l’Algérie, le Sahel est un espace vital à surveiller comme le lait sur le feu. Il s’agit de son continuum naturel et son prolongement vers l’Afrique. L’Express, qui a toujours gardé un œil sur cette région aux contorsions diverses et insaisissables, a suivi l’annonce du livre de la journaliste Leslie Varenne avec intérêt. Elle vient de sortir un nouveau livre : « Emmanuel au Sahel. Itinéraire d’une défaite ».
Journaliste, essayiste, directrice de l’Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques, Varenne soulève les discussions les plus passionnées dans les cercles érudits. Dans ce livre, elle retrace l’itinéraire d’Emmanuel Macron en Afrique depuis 2017.
Pour elle, il s’agit d’une longue suite de manque de stratégie, de vision, de méconnaissance des réalités africaines, d’approches technocratiques, d’erreurs, de contretemps qui ont conduit à cette défaite ». « A cet inventaire, dit-elle, il faut ajouter le problème posé par la personnalité d’Emmanuel Macron et ses relations avec ses pairs.
De même, « les principaux motifs qui ont concouru pour préparer cette défaite sont également à chercher du côté de l’Elysée ». Entretien avec une journaliste rigoureuse dans son travail, grande connaisseuse des dessous de cartes en Afrique.
L’Express : Tout d’abord, ce livre vous a pris combien de temps et quels en furent les matériaux nécessaires pour le construire ?
Leslie Varenne : Il y a plusieurs temps dans la conception d’un livre : celui de la compréhension du dossier, l’apprentissage de toutes les problématiques sahéliennes qui sont complexes et diverses selon les pays. L’ouvrage est le résultat de sept années de veille, d’analyse, de décryptage de la région et de présence sur le terrain surtout. Avant j’avais suivi les guerres de Côte d’Ivoire et de Libye donc je ne partais pas de zéro.
Ensuite, il y a le temps de maturation, l’envie d’écrire, de restituer ces sept années, en se demandant qu’elle forme ce travail peut prendre, sous quel angle le traiter, disons que j’ai cogité au moins une bonne année. Enfin, il y a le temps de l’écriture, c’est le plus douloureux pour moi, mais finalement le moins long : six mois. Quant au matériel, j’ai collecté les informations au fil du temps.
Décortiquer un processus de défaite qui s’est décliné en plusieurs années a dû être une sacrée affaire pour vous, d’autant que vous vous attaquez à ce que Macron souhaitait en faire (s’il avait réussi) son cheval de bataille pour le second mandat.
J’ai suivi toutes les étapes qui ont conduit à la défaite, j’ai écrit beaucoup d’articles pendant cette période. Avec d’autres nous avons pointé les erreurs et les défaillances, nous avons alerté, donc cette défaite, ces défaites, ne nous ont pas surpris, nous les avions vues venir.
Je ne pense pas que Macron souhaitait faire du Sahel un argument de campagne pour son second mandat. D’une part, parce que la politique étrangère de la France compte, malheureusement, assez peu lors d’une élection nationale ; d’autre part, à partir de mai 2021 et ce qu’on a appelé « le coup dans le coup » au Mali, les tensions deviennent très fortes entre Paris et Bamako.
Au contraire, il avait très peur que ce dossier s’invite dans la campagne présidentielle. Nombre de décisions qu’il a prises à partir de cette époque‐là, comme la fermeture de trois bases en juin 2021 et la décision de retrait de Barkhane en février 2022, étaient en partie, à destination du public français.
Barkhane avait remplacé Serval au pied levé, sans jamais apporter la solution décisive sur le terrain. Quelques coups d’éclat certes, mais le fond n’y était pas, puisque les populations du Nord-Mali lui étaient carrément hostiles. Quel regard portez-vous sur ce constat ? Car plus qu’une défaite militaire, la défaite aura été surtout politique, avec une méconnaissance des réalités africaines. Le président Macron a-t-il été mal conseillé ? Ou était-ce là les limites de ses aptitudes politiques sur ce dossier très délicat ?
Dans le livre, j’explique quelles sont les raisons pour lesquelles Barkhane a été créée en 2014. Sa création s’est avérée une fausse bonne idée. Cette force n’a pas été réalisée sur la base des menaces existantes de l’époque, mais sur un regroupement opportuniste.
C’était une structure stratégiquement saugrenue, complexe et éclatée. Sur les 5 000 hommes, seuls 2 500 étaient basés au Mali, pas assez pour occuper l’immensité du terrain, trop lourd et trop coûteux s’il s’agissait seulement de traquer les chefs djihadistes. Donc ça ne pouvait pas fonctionner.
Emmanuel Macron arrive après la création de Barkhane, mais il ne change rien dans le dispositif. A‐t‐il été mal conseillé ? C’est un Président qui prend très souvent ses décisions seuls et ne tient pas compte de toutes les complexités, les diversités des cultures, les spécificités, donc ce sont toujours des décisions arbitraires et non en partenariat avec les pays concernés.
Barkhane a été révoqué du Sahel avec les contours que l’on connait, alors qu’Africom (commandement US pour l’Afrique) est toujours sur place ; les Américains, qui ont pourtant fait équipe avec Barkhane au Nord-Mali, ont-ils été plus intelligents, moins impliqués ou plus réalistes que les Français au Sahel ? Il est certain que si l’intervention militaire française avait réussi à pacifier les pays du Sahel dans lesquelles elle est intervenue, le rejet de la politique française n’aurait pas atteint ces sommets‐là. C’est bien la dégradation sécuritaire qui a fait monter la colère.
Ce qui a été déterminant aussi, c’est que les dirigeants français ont continué à s’exprimer comme s’ils étaient en train de gagner cette guerre et qu’à aucun moment, ils n’ont fait preuve d’humilité.
Les Américains ont aussi échoué, puisqu’ils étaient, eux très présents au Niger et qu’ils apportaient leur aide logistique et en renseignement à Barkhane. Cependant, l’administration Biden a bien compris les dangers de la désoccidentalisation du monde en cours. Elle ne veut surtout pas laisser la place à ses concurrents : Chine, Russie, Iran, et par conséquent, elle essaye d’être pragmatique et compose, parfois contre son gré comme au Niger. Qui aurait pu croire qu’un jour, les Américains seraient moins simplistes et moins manichéens que les Français ?»
L’Express, 30/05/2024
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