Maroc Confidentiel

Macron et les garçons

Etiquettes : Emmanuel Macron, Jordan, Éric, Raphaël, Gabriel, Marine, Marion Maréchal, Jean-Luc Mélenchon, élections législatives anticipées, Rassemblement national, RN, élections européennes,

Naoufel Brahimi El Mili

Ils se prénomment, Jordan, Éric, Raphaël et Gabriel. Les filles ne sont pas en reste : Marine, Marion Maréchal. Sans oublier les seconds rôles et les figurants. Jean-Luc Mélenchon en à peine deux ans est passé du statut de «guest star» à au mieux «supporting actor». Voilà pour le casting. Le décor, la France. Et pas seulement. Le scénario est haletant, trahisons, passions, ambitions, ruptures brutales, tribunaux et cynismes. Un feuilleton inédit se déroule en direct sous les yeux des Français. La production n’est pas de Netflix mais de l’Élysée. Tout a commencé un dimanche d’élections presque banal. Des batteries de sondages avaient prédit une victoire écrasante du Rassemblement national (RN) avec Jordan Bardella comme tête de liste.

« A voté », prononcée des millions de fois toute la journée de ce dimanche 9 juin, cette expression ponctue l’activité civique des électeurs. À 20 heures, sont annoncés les premiers résultats. Sans surprise ni suspense, l’extrême droite est vainqueur incontestée. Sur les plateaux de télévision défilent les éléments de langage. Les règlements de comptes au sein des états-majors des partis défaits se préparent pour le lendemain y compris dans le camp présidentiel. Jusqu’à 21 heures, rien de palpitant sur les chaînes d’information. Le Président Emmanuel Macron prend la parole en direct. Coup de tonnerre, il annonce la dissolution du Parlement. En une brève allocution, 577 députés sont au chômage. Commence le feuilleton inattendu : «Plus moche la politique.» Fusent les réactions. Avec 7,7 millions d’électeurs (soit plus de deux millions et demi de voix qu’en 2019), le Rassemblement national a indéniablement un pouvoir d’attraction pour de nombreux députés qui ne peuvent renouveler leurs mandats sans le soutien de Jordan et Marine, côté droite. Appels à l’union, côté gauche.

«Il est né le divin enfant, chantons tous son avènement…», cantique catholique qui célèbre la (re)naissance du Front populaire. Seulement, l’enfant n’est pas si divin que ça. S’impose un passage en couveuse, le temps qu’éclatent la guerre des égos, les tractations et les compromis. Se mettent en scène Raphaël Glucksmann et François Ruffin. Le premier, tête de liste du parti socialiste, a obtenu un score très honorable, à peine inférieur de celui de la majorité présidentielle, il pose ses conditions : l’Europe et l’Ukraine essentiellement. Quant au second, dès dimanche soir, il avait appelé au Front populaire, il est donc le parrain de cet enfant. Peu de jours plus tard, il déclare qu’il se sent capable d’être Premier ministre. Poste où Jean-Luc Mélenchon s’était auto-désigné en 2022 et continue d’en rêver. Son parti, la France insoumise (LFI) est, depuis le 7 octobre dernier, accusé d’antisémitisme entre autres. En France et ailleurs, l’accusation d’antisémitisme fait l’effet d’un gaz paralysant : efficace, non dénoncé par les conventions internationales, sans frais financiers et disponible en stock illimité. Alors pourquoi s’en priver?

Dans sa conférence de presse du mercredi 12 juin, le Président Macron renvoie dos à dos LFI et le Rassemblement national. Pour lui, ils sont extrémistes, il faut leur faire barrage car dangereux pour la démocratie, la France et l’économie. La réalisation des promesses du RN se chiffre à 100 milliards d’euros par an soit 5000 par contribuable.

La Bourse continue de plonger, les investisseurs n’aiment pas l’incertitude. Emmanuel Macron fait appel au vote-portefeuille pour sauver le pays de tous les radicaux. Après tout, n’a-t-il pas dissous une Assemblée nationale où le drapeau palestinien avait été brandi à deux reprises. Brandir le drapeau d’un État non reconnu. Sacrilège ! Toutefois, il n’a fait aucune déclaration fracassante pour galvaniser ses troupes pourtant sonnées par une défaite humiliante. Le Président mise sur l’union des centres avec la gauche «raisonnable». Justement, celle-ci a fait le choix de raison celui du Front populaire. Dans la dramaturgie présidentielle, moi ou le chaos, se glisse une séquence surréaliste : le Président promet l’interdiction des écrans aux enfants de moins de 11 ans. Rideau, épisode suivant.

Le feuilleton est riche en rebondissements. Éric Ciotti, président du parti de droite Les Républicains (LR), se rallie, armes et bagages, à Jordan Bardella, pressenti Premier ministre. Et ce, sans consulter son bureau politique qui ne tarde pas à l’exclure du parti. Seulement, Éric se croit protégé par les statuts et le règlement intérieur des LR. Belle bataille juridique en perspective. Devant le tribunal, les avocats des deux parties opposées déclarent au juge que chacun représente les LR. Cocasse mais humour involontaire alors qu’est lancée la course contre la montre pour les prochaines législatives. Pour le parti de droite, c’est une question de vie ou de mort. Les deux semaines de campagne électorale seront riches en coups de théâtre. Dérapages assurés en si peu de temps. Comment sauver la mise ? Du jamais vu. Seul le scénario de la série 24 heures est plus palpitant. N’est pas Jack Bauer qui veut. Cependant, Emmanuel Macron s’était désigné pour ce rôle, il veut sauver la France alors qu’il vient de la miser «tapis» dans un coup de poker. Selon ses biographes, le Président français n’a connu que deux échecs dans sa vie : le permis de conduire et le concours d’entrée à l’École normale supérieure.

Emmanuel se met aussi dans la peau de Forrest Gump : tout doit lui réussir même involontairement. Toutefois, la vie politique n’est pas une boîte de chocolat, il y a surtout les boules puantes lancées contre LFI (antisémitisme, communautarisme) et le RN (populisme écervelé).

Le premier soutien au président de la République vient de l’économie. Dès lundi matin la Bourse de Paris est secouée. Ensuite la Banque de France revoit les perspectives de croissance en 2025 à la baisse et les taux d’intérêts sont attendus à la hausse. C’est trop pour un pays surendetté. Le patronat ne peut rester inactif. Dans ce débat survolté, une organisation patronale annonce qu’en France travaillent plus d’un demi-million d’immigrés sans papiers mais qui sont indispensables aux entreprises. Est-ce suffisant pour lui faire gagner son pari ? Sans doute pas, l’heure est au ressenti et aux passions. Les 7,7 millions d’électeurs du RN ne peuvent pas changer radicalement d’avis en trois semaines et encore moins disparaître par une baguette magique. Macron fait appel aux abstentionnistes, ne seront-ils pas nombreux en vacances le 7 juillet ? Les dernières élections ont été un référendum anti-Macron alors comment transformer la prochaine échéance en référendum anti-RN et anti-LFI en même temps ? Au moment où sous son règne de plus de sept ans, il n’a cessé de dynamiter la gauche et de diviser la droite par une longue série de débauchages individuels. Sa dernière prise de guerre, Rachida Dati, avait qualifié le parti présidentiel de regroupement de traîtres de gauche et de traîtres de droite. Mais elle a changé d’avis depuis qu’elle avait été nommée ministre. Il est vrai que la trahison est devenue consubstantielle à la vie politique et c’est connu, nombreux sont les politiques qui ont des convictions successives.

Aucune analyse sérieuse, aucun sondage ne peuvent prédire l’issue exacte des prochaines législatives où tout le monde est pris de vitesse. Un député de la majorité sortante confie à un journaliste qu’il ne peut obtenir un prêt bancaire en moins d’une semaine pour financer sa prochaine campagne. Justement, en politique l’argent est le nerf de la guerre à défaut d’idées innovantes. Le milliardaire Vincent Bolloré, propriétaire de CNEWS, Europe 1 et d’autres organes de presse, s’est fixé comme objectif de réaliser l’union des droites. Ce dernier avait reçu Éric Ciotti au siège de sa holding avant que le président des LR n’annonce son ralliement au RN. Tous les deux se disent préoccupés par la préservation de l’identité française et mènent un combat civilisationnel, suivez mon regard. Les médias lourds de Bolloré sont en marche, un de ses éditorialistes connu est candidat sous la bannière RN pourtant, dans un passé pas si lointain, il avait soutenu Jean-Pierre Chevènement. La porosité entre les partis même radicalement opposés a été institutionnalisée sous l’ère Macron. Même l’économie en général mais sur des positions opposées met l’immigration au centre du débat. Sujet explosif certes mais qui peut mettre le cerveau de l’électeur lambda à l’abri de toute réflexion. Le parti présidentiel tourmenté, affiche une sérénité de façade. Sous le slogan «Ensemble pour la République», quasiment le même pour la présidentielle de 2022, s’impriment les affiches des candidats mais cette fois-ci sans la photo du président. Elle est remplacée par celle de Gabriel, plus photogénique. Le nom de Macron n’est plus une «marque» valorisante car il ne peut incarner l’avenir. Son mandat s’achève en 2027.

L’équation algérienne n’est pas du tout absente de ces débats mouvementés. Déjà le maire de Perpignan, Louis Aliot (RN et ex-compagnon de Marine Le Pen) fils de rapatriée d’Algérie, avait baptisé place Pierre Sergent dans un des quartiers de sa ville en 2022. Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et officier de la légion étrangère, Pierre Sergent a créé la branche métropolitaine de l’OAS.
Pas moins. Aussi, un projet de loi porté par la députée franco-algérienne Sabrina Sebaihi (EEVL, parti écologiste) était prévu pour la prochaine session automnale du Parlement. L’objectif est de faire voter une loi permettant la restitution des biens spoliés par la colonisation française, le parti présidentiel était disposé à voter pour. Aujourd’hui, quelle que soit la composition de la prochaine Assemblée, ce projet restera au mieux dans les cartons sinon la broyeuse. Sans oublier la vraisemblable réduction drastique des visas pour les Algériens avec un RN majoritaire. Ambiance anti-algérienne assurée.

Personne avant le 7 juillet ne peut imaginer la fin de ce feuilleton mais le comportement des principaux acteurs et figurants est globalement prévisible. Comme celui d’un grand nombre d’électeurs. Le scénario catastrophe est celui d’un RN avec une majorité absolue. Le sursaut balbutiant de la gauche et l’instinct de survie de la majorité sortante peuvent l’écarter. Toutefois, le nombre des députés de l’extrême droite sera revu à la hausse au point que le nouveau Parlement sera paralysé sauf une large coalition avec le LR. Quelques chiffres, en 2022 la majorité présidentielle avait obtenu 246 sièges, le RN et alliés peuvent dépasser ce cap. Le niveau de présence de LFI, selon son score, rendra problématique une alliance avec le centre. Si Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée pour s’éviter le rôle peu enviable de président-spectateur puisque la menace d’une motion de censure implique la chute du gouvernement, la Constitution française lui octroie celui de président-arbitre. Cependant, l’engagement moult fois répété par le Président aux côtés des Ukrainiens dépendra du vote budgétaire des nouveaux élus.

Levier de pression non négligeable. Supposons, dans ce scénario catastrophe, la désignation de Xavier Driencourt au poste de ministre des Affaires étrangères, il était ambassadeur et directeur de l’inspection générale de cette administration.

Le Président peut s’y opposer mais pas vraiment aux idées et positions anti-algériennes du prénommé Xavier et celles d’autres. Pour le moment, la France est très divisée et de nombreux Français sont pliés en quatre devant ce feuilleton. Fin de la saison une. La seconde, bientôt sur vos écrans.

N. B. E.-M.

Le Soir d’Algérie, 15-06-2024

#France #Macron

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