Quand le Maroc attaquait un sosie de Ben Barka : Barbouzeries du Makhzen à Alger

Les barbouzes du Maroc ont tué un sosie de Ben Barka, Boutmedjett Tahar, haut fonctionnaire à la présidence algérienne, natif de Ain Beida, était ce qu’on peut désigner comme un homme sans problèmes, menant une vie tout à faire paisible, sinon ordinaire.

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Par Mahdi Boukhalfa

Il y a presque 60 ans jour pour jour, Ben Barka a fait l’objet d’un attentat en plein centre d’Alger, plus exactement dans une des rues parallèles de la rue Didouche Mourad, l’ex-rue Michelet. Un fait rarissime dans cet Alger alors capitale des révolutionnaires et des militants anticolonialistes.

Mais, Ben Barka, le leader de l’opposition de gauche au Maroc contre la monarchie alaouite, et plus spécifiquement contre la politique de Hassan II et ses généraux sanguinaires dont Mohamed Oufkir, était un sérieux client des barbouzeries marocaines. Le moment était particulier : au mois de juin selon la veuve de la victime, qui a été blessée ; au mois de janvier selon un média officieux algérien.

Quelques temps après les faits, qui n’ont pas été ébruités ni médiatisés à Alger, nous sommes à l’époque d’Ahmed Ben Bella, deux années après la ‘’guerre des sables’’, la presse internationale, au courant de l’affaire par les services spéciaux occidentaux qui opéraient alors dans la capitale algérienne, écrit qu’à ‘’Alger, Mehdi Ben Barka, leader de l’opposition au roi du Maroc Hassan II, échappe à un attentat. Un militant proche de lui est tué à sa place. Au Maroc, le général Oufkir, ministre de l’Intérieur, réprimande son chef de la Sureté pour avoir raté l’assassinat.

Cette affaire se serait déroulée entre janvier et juin 1965, en plein centre de la capitale algérienne où s’était réfugié, à l’automne 1963 Ben Barka, condamné par contumace pour complot contre le roi du Maroc.

Le dossier de cette affaire est resté jusqu’à présent assez ambigu, et, surtout, mis sous une énorme chape de plomb. Autant à Alger qu’à Rabat ou Paris, hormis quelques fuites indiscrètes. La raison est que l’attentat avait fait un flop ! Car il s’agissait non de Ben Barka, mais de son sosie parfait de nationalité algérienne. Selon la version d’El Moudjahid (édition du 22 janvier 1966), c’est vers le mois de janvier 1965, qu’un étrange attentat contre un Algérien est commis en plein centre d’Alger, dans une des rues parallèles de Didouche Mourad (Ex-Michelet), une artère très fréquentée, dans sa partie supérieure, proche du Sacré Cœur, en haut de la rue Didouche Mourad.

Un homme d’âge moyen est visé par un attentat par deux individus, dont l’un lui tire une balle à bout portant au niveau du 10, rue Altairac (actuelle Mouloud Zadi), alors que le crépuscule approchait et donc la fin du jeûne, car on était au mois de ramadhan. A Alger des années 1965, ce type d’actes criminels ou de barbouzes ne courait pas les rues. Les voisins de la victime, que nous avons retrouvés et contactés, en gardent jusqu’à aujourd’hui le souvenir.

‘’L’attentat s’est déroulé dans la rue Mouloud Zadi, ex-rue Altairac, et Aami Taher a été blessé à l’avant-bras droit’’, raconte Youssef Brahmi, riverain et voisin de M. Boutmedjett, objet de cet étrange attentat politique. En 1965, cela paraissait tout à fait impossible étant donné la surveillance étroite qui entourait les leaders politiques et militants des grands mouvements.

Un attentat politique dans la rue la plus surveillée et la plus fréquentée de la capitale algérienne, cela ne court pas les rues ni les chroniques des gazettes des magazines spécialisés dans les ‘’polars’’. Car l’acte criminel s’est déroulé à quelques dizaines de mètres de l’ancien siège du ministère algérien de l’Information, et donc des bureaux des premiers responsables de la presse algérienne.

De plus, le quartier, où habitaient certaines personnalités politiques et historiques algériennes, était réputé pour ses cafés, ses boites de nuit et ses boutiques de prêt à porter et d’habillement de luxe, tout droit venus de Paris, Londres et New-York. C’était Alger des années 1960, la capitale par ailleurs des révolutionnaires, de Nelson Mandela à Ernesto Che Guevara, en passant par l’un des opposants politiques les plus recherchés par la monarchie alaouite, Mehdi Ben Barka, le leader de la gauche marocaine et l’un des plus panafricaniste et Tiers-mondistes les plus actifs du moment.

Alger à cette époque, était un carrefour des partis révolutionnaires et des militants africains, européens et sud-américains qui luttaient pour leurs indépendances : on y trouvait notamment les militants du Frelimo, de l’ANC, de la SWAPO, du Sinn Fein, des Blacks panthers, des gauchistes espagnols et portugais…tout un monde en ébullition qui avait trouvé à Alger le terreau idéologique idoine pour des révolutions qui avaient changé le cours de l’Histoire en Afrique notamment. L’incident sera pourtant traité avec une extrême prudence par les autorités algériennes. Question : qui était cet homme que les deux individus avaient voulu assassiner, en plein Alger, à quelques heures de la rupture du jeûne, dans une ruelle discrète ? Et, qui étaient ces deux individus ? Pourquoi avaient-ils tiré sur leur victime ? Autant de questions restées jusque-là sans réponses. A cette époque, l’un des plus farouches opposants de la monarchie marocaine, un régime politique réactionnaire et inféodé à l’impérialisme qu’il voulait abattre, Mehdi Ben Barka, avait fui le Maroc pour se réfugier à Alger, après avoir échappé à plusieurs attentats, et en même temps condamné à mort par contumace par la justice marocaine.

En fait, Hassan II avait lancé à ses trousses les tueurs du colonel Mohamed Oufkir, alors ministre de l’Intérieur et le commandant Ahmed Dlimi, tous deux zélés serviteurs du monarque alaouite, exécuteurs de ses basses œuvres. Car au Maroc, la situation était très tendue, les manifestations populaires contre la gestion économique du pays et la montée en puissance des syndicats ouvriers ouvraient une brèche pour l’opposition, qui s’y est engouffrée en profitant du mécontentement social dans le pays.

Le détonateur de cette explosion politique au Maroc, et la répression des militants de l’Unfp, le parti de Ben Barka, ont été les premières élections législatives de mai 1963 au Maroc, remportées sur le fil par un parti nouvellement créé et proche du palais royal : le Front pour la défense des institutions Constitutionnelles (FDIC), mais à une majorité relative de sièges (soit 69 sur 144, avec 47,9 % des voix des électeurs).

Derrière, il y a les socialistes de l’Unfp et de Ben Barka, qui ont montré, malgré l’ingérence et la partialité de l’administration royale, qu’ils sont capables de remporter les élections municipales, qui devaient alors être organisées quelques mois après les législatives. Un danger réel pour le roi Hassan II de voir ses pires ennemis politiques être à la tête du pays, via les mairies. Il va alors orchestrer et inventer, c’est en fait la marque de fabrique du Makhzen, un complot contre la monarchie.

Ce sera ce que les historiens avaient appelé ‘’le complot de juillet 1963’’, quelques mois avant l’agression militaire caractérisée du Maroc contre l’Algérie. Pour détruire l’Unfp et son charismatique leader, Oufkir fait assiéger le lieu d’une réunion cruciale à Rabat des dirigeants du parti, dont Bouabid, Diouri, El Youssoufi qui sont alors arrêtés. Beaucoup de militants du parti de Ben Barka seront sauvagement torturés comme Abbass el Kabbaj. La gauche marocaine est alors l’objet de poursuites et d’arrestations tous azimuts.

Le 18 juillet 1963, la Direction de la sécurité marocaine publie un communiqué annonçant la découverte d’un complot préparé depuis plusieurs années et parle d’atteinte aux « valeurs sacrées » (moukaddassat) du pays. Le ministre de la Justice Ahmed Bahnini déclare dans une conférence de presse le 15 août suivant que « le complot visait à l’assassinat de Sa Majesté Hassan II ibn Mohammed V dans l’enceinte de son palais par des Marocains afin de prendre le pouvoir. » L’acte d’accusation explicitera les déclarations du ministre de la Justice en affirmant que Ben Barka, Youssoufi et Fqih Basri ont aidé un officier de liaison étranger pour assassiner le roi Hassan II.

La messe est dite et Ben Barka, tout comme les dirigeants du parti, sont accusés de complot et donc condamnés à mort. Après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinat au Maroc même, comme celle de novembre 1962 lorsque sa voiture, une Volkswagen est poussée dans un fossé par une voiture de police qui le doublait à droite, Ben Barka est condamné à mort par contumace à la suite de ce complot de juillet 1963.

Son départ précipité du Maroc est acté lorsque Hassan II annonce l’Etat de siège dans le pays à la suite du complot de juillet 1963, et l’arrestation des principaux dirigeants de l’Unfp, qui deviendra plus tard l’Usfp. Après les événements de juillet 1963, Ben Barka, alias Dynamo va donc se réfugier à Alger.

Il va en outre, à partir de la capitale algérienne où il séjournera presque six mois sans interruption, provoquer la colère du palais royal lorsqu’il condamnera dans les termes les plus virulents, l’agression militaire du Maroc contre l’Algérie en octobre 1963. Depuis Alger, il dénonce vivement à l’automne de cette année-là ‘’la guerre d’agression’’ du Makhzen contre l’Algérie et, surtout, ‘’la trahison du Maroc’’ contre un pays frère, ami et voisin.

Barbouzeries marocaines à Alger

Et c’est moins d’un mois après l’agression du Makhzen contre l’Algérie que Hassan II, via ses services de sécurité, le Cab1 en particulier, et le tristement célèbre colonel Mohamed Oufkir, va lancer ses barbouzes sur les traces de Dynamo pour l’assassiner. A Alger même s’il le faut.

Et c’est là qu’un scénario fou, digne des films hollywoodiens, va être mis en scène par les Marocains pour assassiner Dynamo, à Alger même. Très peu d’informations ont circulé sur cette autre barbouzerie marocaine en terre algérienne, et en plein Alger même. Les services de sécurité marocains, au courant de la présence de Ben Barka à Alger, vont le pister et préparer son assassinat.

Là au moins, des pays ‘’amis’’ comme la France ou l’Espagne n’en seront pas politiquement éclaboussés ou politiquement incommodés. Au contraire de l’Algérie, alors parmi les Nations les plus impliquées dans la chute des régimes coloniaux dans le monde et la lutte contre l’impérialisme et ses potentats en Afrique et Amérique latine. A Alger, en janvier 1965, très peu savaient au lendemain de l’attentat contre un Algérien, en haut de la rue Didouche Mourad, sur l’ex-rue Altairac, mené par deux barbouzes étrangers, qu’il avait été confondu en réalité avec le chef de l’Unfp, l’opposant marocain Mehdi Ben Barka. L’affaire a été longtemps cachée, et peu connue du grand public.

Jusqu’à l’écriture de ces lignes : Mehdi Ben Barka, qui s’était réfugié à Alger à l’automne 1963, échappe à un attentat commandité par le jeune monarque marocain via son âme damnée Mohamed Oufkir, alors ministre de l’Intérieur. La cible a été blessée, et Ben Barka échappe pour la seconde fois à un attentat mené par les barbouzes marocains, après celui de 1962 au Maroc maquillé en accident de voiture.

A Alger pourtant, ce n’était pas le leader de la gauche marocaine et ennemi juré de la monarchie alaouite, qui a été visé et fait l’objet d’un attentat politique manqué, après une longue filature, mais un sosie algérien parfait de Ben Barka, un nommé Boutmedjett Tahar, conseiller de son état dans une grande institution de la jeune république algérienne.

Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, le leader socialiste marocain avait un sosie parfait qui habitait dans l’un des quartiers les plus réputés et les plus fréquentés de la capitale algérienne, la rue Didouche Mourad. Un, deux coups de feu avaient claqué quelques instants avant la rupture du jeûne en ce 20 ou 21 janvier 1965. Les assaillants s’enfuient, la victime est à terre. Mais, le lendemain, rien sur les journaux algérois.

Ni le lendemain. Ce n’est qu’une année après qu’elle sera tirée du fond des tiroirs par El Moudjahid, au moment même du début du procès des supposés auteurs de l’enlèvement le 29 octobre 1965 au quartier latin à Paris et l’assassinat du leader de la gauche marocaine.

El Moudjahid écrit alors à la fin d’un article ambigu : ‘’ Il y a un an, presque jour pour jour, au terme du Ramadhan, un de nos compatriotes, sosie de Ben Barka au point d’être confondu avec lui, était victime d’un attentat mystérieux. Une balle tirée à bout portant, dans le centre d’Alger, l’atteignit à la tête. Il survécut par miracle. Il ne sera pas inintéressant de reprendre une enquête vite close, et d’essayer de savoir à qui profitait le crime’’.

La date de parution de l’information relative à cet attentat était le 22 janvier 1966, soit presque trois mois après la disparition, le 29 octobre 1965 à Paris, du leader de la gauche marocaine. Dans cet article relatif à la tentative d’attentat à Alger d’un sosie algérien de Ben Barka, qui avait un parfum d’éditorial, intitulé ‘’Affaire à suivre’’, El-Moudjahid écrit en page Une puis en page 5 : ‘’ La vérité pullule sur ses fils assassinés.’’ A chacun sa vérité : si on considère la tragique disparition de Ben Barka, personne n’est responsable, ou s’il l’est, assurément il s’agit du voisin.

Tout le monde donne sa parole, celle qui a le plus de chance de frapper l’opinion : parole d’honorable parlementaire ; parole d’officiers ou d’ex-officier, parole de haute personnalité (la qualité ou le titre importent peu), parole de policier, parole de truand …Tout le monde détient sa vérité, celle qui retarde le jaillissement de la lumière et l’avènement de la Justice. Ce qui s’est passé n’est pas sans rappeler aux Algériens de tristes souvenirs. Ni sans éveiller leur méfiance devant les protestations toutes empreintes de la belle indignation chère aux très hauts personnages, les très dignes mises au point des subordonnés, les cris d’orfraies des complices.

Loin cependant de ces événements politiques et le début du procès à Paris de l’affaire Ben Barka, la veuve du sosie parfait de l’opposant marocain que nous avons retrouvée, et qui habite le même logement de l’ex-rue Altairac donne de son côté quelques précisions et des faits nouveaux. Tahar Boutmedjett, un haut fonctionnaire algérien, conseiller à la présidence de la république, était le sosie parfait du leader de la gauche marocaine.

Sa veuve, que nous avons pu contacter nous apprend que la tentative d’attentat a eu lieu par contre au mois de juin, juste avant le coucher du soleil. La victime, qui avait sous le bras gauche ses journaux, s’apprêtait à rentrer chez lui quand deux individus se sont pointés face à lui et ont tiré à bout portant, avant de s’enfuir. Les deux barbouzes marocains, auxquels la mission de liquider Ben Barka a été confiée, ont raté leur cible, et le sosie parfait a été blessé à l’avant-bras droit, mais ses jours n‘étaient pas en danger.

C’était au début de l’été 1965, au mois de juin. C’était presque le crépuscule lorsque deux hommes avaient barré le chemin de Tahar et tiré sur lui. Avant de s’enfuir’’, raconte sa veuve. C’est probablement pour protéger Boutmedjett Tahar que les services de sécurité algériens ont laissé planer le doute sur l’identité de la victime, et laisser croire aux commanditaires de cette forfaiture politique que la cible a été touchée. Tout en protégeant la vie du parfait sosie de Ben Barka d’une seconde tentative d’assassinat.

Boutmedjett Tahar, haut fonctionnaire à la présidence algérienne, natif de Ain Beida, était ce qu’on peut désigner comme un homme sans problèmes, menant une vie tout à faire paisible, sinon ordinaire. Alors, de là à être confondu à l’homme le plus recherché par les services de sécurité marocains et victime ensuite d’une tentative d’assassinat ? Certains barbouzes en ont fait le pas.

Tout comme leurs commanditaires, à commencer par Hassan II. Après, le temps aura, comme le suggérait El Moudjahid dans son compte-rendu ( Tout le monde détient sa vérité, celle qui retarde le jaillissement de la lumière et l’avènement de la Justice) sur cette affaire, fait son œuvre pour détruire la vérité sur un ignoble attentat terroriste à Alger même, par le Makhzen. Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka avait cependant rendez-vous avec la mort, sous la forme d’un journaliste français, Philippe Bernier, un ami venu l’interviewer. Devant la brasserie Lip, dans le quartier latin à Paris, le piège de plusieurs services de sécurité (marocains, français et sionistes) s’est irrémédiablement fermé sur lui. On ne le reverra plus jamais.

NB : Cet article est tiré d’un prochain ouvrage sur cette affaire écrit par M. Boukhalfa Mahdi.

Le Jeune Indépendant, 10 juin. 2024

#Maroc #Algérie #BenBarka

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