Etiquettes : Occident, Sud Global, libéralisme, enjeux sociaux, enjeux écologiques,
par Derguini Arezki
C’est la crise de la civilisation occidentale, thermo-industrielle et naturaliste, avec l’émergence du Sud Global, qui sont à l’origine de l’échec du progressisme et du tournant autoritaire des sociétés libérales. Le fossé se creuse entre les enjeux sociaux et les enjeux écologiques, entre les croyances et la réalité. République et démocratie se dissocient, l’impuissance politique conduit le pouvoir exécutif à s’annexer les pouvoirs législatif et judiciaire.
«… oui, le déclin (de l’Occident) est réel, et il prend parfois les allures d’une véritable faillite politique et morale ; mais tous ceux qui combattent l’Occident et contestent sa suprématie, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, connaissent une faillite encore plus grave que la sienne. Ma conviction, en la matière, c’est que ni les Occidentaux ni leurs nombreux adversaires ne sont aujourd’hui capables de conduire l’humanité hors du labyrinthe où elle s’est fourvoyée.
… l’on fait fausse route si l’on croit que l’humanité doit obligatoirement avoir à sa tête une puissance hégémonique, et qu’il faut seulement espérer que ce sera la moins mauvaise, celle qui nous bafouera le moins, celle dont le joug sera le moins pesant. Aucune ne mérite d’occuper une position aussi écrasante ni la Chine, ni l’Amérique, ni la Russie, ni l’Inde, ni l’Angleterre, ni l’Allemagne, ni la France, ni même l’Europe unie. Toutes, sans exception, deviendraient arrogantes, prédatrices, tyranniques, haïssables, si elles se retrouvaient omnipotentes, fussent-elles porteuses des plus nobles principes.»[1]
«Le terme de «Sud » n’est pas à l’abri de certaines (…) critiques, bien au contraire. Il relève pourtant d’une double intuition positive. D’une part, il distingue utilement les vieilles puissances issues de l’histoire westphalienne de celles qui ont dû prendre le train en marche, peu à peu s’agréger à cet ordre qui n’était pas le leur ni même de leur cru… D’autre part, ce vocable rompt heureusement avec l’image du reliquat[2] et traduit une unité (l’entrée commune dans un système relevant d’une autre histoire) et une dynamique (la volonté partagée, mais diversifiée de réappropriation).»[3]
Maalouf récuse l’hypothèse d’un nécessaire leadership mondial, après s’être appuyé sur l’inexistence d’une alternative chez les opposants à l’Occident. No alternative, cela ne peut étonner d’un tenant de l’universalisme naturaliste aveugle aux propositions des conceptions du monde qui ne sépare pas nature et culture à la manière occidentale, qui n’établissent pas les mêmes rapports que l’Occident entre les humains et les non-humains. Il ne peut voir que Nature et Culture se mettent à diverger par le fait des crises sociale et climatique causées par la civilisation thermo-industrielle et le rapport naturaliste qui la sous-tend et qui sépare la nature de la société.
Badie justifie l’existence d’un Sud, qu’il n’a pas besoin de dire global, par le désir d’un ordre mondial plus inclusif, plus représentatif et plus délibératif. Encore laisse-t-il de côté le problème de l’hégémonie culturelle naturaliste, l’incapacité de cette conception à répondre simultanément aux défis sociaux et aux défis écologiques. Le Sud de ce point de vue ne réclame que plus de justice, une meilleure répartition des fruits de la croissance, une plus grande participation politique, il laisse de côté le défi écologique pour ne retenir que le défi social, auxquels on ne peut pourtant répondre que simultanément. Les enjeux écologiques et sociaux divisent les sociétés occidentales en opposant les classes moyennes supérieures aux classes populaires. De ce point de vue Maalouf a bien raison, sans modèle alternatif dans le Sud Global, c’est la confrontation mondiale des nationalismes xénophobes qui risquent de s’enflammer. Encore faut-il vouloir et pouvoir voir de tels modèles alternatifs avant de les dire inexistants.
Le tournant autoritaire du libéralisme des gouvernements occidentaux, la séparation de la République et de la démocratie, se nourrissent de cette double pression des classes populaires du Nord et du Sud. Ces gouvernements sont coincés entre défi climatique et défis sociaux. L’issue dépendra de la façon dont ils répondront à l’état d’urgence auquel ils sont soumis. On peut dire qu’elle dépendra de la disposition des classes possédantes, des rapports qu’elles envisageront avec le reste de leur société et du monde, partage ou divorce, divorce à l’amiable exclu. Accepteront-elles de partager la planète dont elles sont devenues les principales héritières, avec leur société d’abord, puis au-delà avec toute l’humanité ? On aperçoit la montagne de difficultés qui attend l’humanité. Le tournant autoritaire vise donc à discipliner les classes populaires, mais à quel prix, que cela soit d’abord pour le seul bien des possédants ou pour celui de toute la société, de toute l’humanité. Les sociétés ne pourront pas se mentir, ni être trompées indéfiniment.
On ne peut pas opposer Sud Global et Nord Global comme deux réalités distinctes, mais comme deux parties d’un même système dont les frontières ne sont pas étanches, tant les interdépendances sont nombreuses et tant l’un est dans l’autre, tant la croissance de l’un est dans celle de l’autre. Et c’est bien là le problème. Avec le ralentissement de la croissance au Nord et l’émergence de puissances industrielles au Sud, le Nord est de moins en moins dans la croissance du Sud, et donc dans la croissance tout court. La compétition mondiale d’un jeu à somme positive, se resserre pour le Nord en jeu à somme nulle. Amin MAALOUF laisse entendre que cette compétition ne devrait pas être une lutte pour l’hégémonie. Mais qu’est-ce qui pourrait empêcher une telle tendance, comme naturelle et historique à l’Occident, de prévaloir ? Qu’est-ce qui pourrait protéger la compétition dans un ordre multipolaire d’une telle tendance ? Dans le texte qui a précédé celui-ci[4], j’ai soutenu qu’une puissance hégémonique a été nécessaire pour faire respecter les règles de la compétition et l’équilibre entre les puissances adverses. Les règles ne s’appliquent pas d’elles-mêmes et la compétition a besoin d’un arbitre ; cela est plus simple quand il est au singulier plutôt qu’au pluriel. Plusieurs ne font pas un automatiquement. Qu’une telle hégémonie ne soit plus possible, plutôt que souhaitable ou non souhaitable, voilà qui serait différent. Il y a une énorme différence entre un droit qui s’applique de haut en bas où ceux qui édictent doivent encore le faire appliquer, et un autre qui s’établit de bas en haut où ceux qui appliquent sont ceux qui édictent. Une puissante civilisation a jusqu’ici imposé ses règles. Une civilisation composée de sociétés guerrières a conquis le monde, portée par une révolution industrielle. C’est à la guerre et à leur armement matériel qu’elles ont dû la confiance dans leur supériorité, à la guerre qu’elles ont progressivement cessé de se faire en Europe pour se la faire en dehors d’elle, en renonçant à l’empire chrétien pour des empires coloniaux. Les traités de Westphalie (1648) entre nations européennes ont eu pour résultat que les États européens se sont reconnus mutuellement comme légitimes sur leur territoire propre. Ils reconnaissaient[5] :
– une souveraineté extérieure : aucune autorité n’est supérieure aux autres et chacun reconnaît l’autre comme souverain sur son territoire;
– une souveraineté intérieure : l’autorité est exclusive sur son territoire et aucun État ne peut s’immiscer dans les affaires d’un autre État ;
– un équilibre des puissances : les États ont le droit de s’allier pour éviter la montée d’une superpuissance. Aucune puissance n’a le droit de devenir une superpuissance.
Le principe de l’équilibre des puissances n’a pas empêché deux guerres mondiales, la lutte pour l’hégémonie et l’existence d’une superpuissance. Les principes de souveraineté extérieure et intérieure n’ont pas été respectés dans le processus de décolonisation.
Quelle régionalisation ?
Dans le chapitre trois de son livre The India Way: Strategies for an uncertain world[6], intitulé «Krishna’s Choice : Strategic Culture of a Rising Power» (Le choix de Krishna : la culture stratégique d’une puissance montante), Subrahmanyam Jaishankar soutient que l’Inde possède une culture stratégique propre. Contrairement à George K. Tanham dans son livre India’s Strategic Thought : An interpretive essay (Tanham 1992) qui réfute toute preuve de l’existence d’une tradition de la culture stratégique en Inde, l’ancien ministre indien des Affaires étrangères et conseiller à la sécurité nationale, Shivshankar, s’est efforcé de montrer que l’Inde possède une riche culture stratégique décrite dans des épopées comme Arthashashtra, Mahabharata et Bhagavadgita. Il affirme que le Mahabharata rend compte de situations réelles et de leurs choix inhérents, représentant l’ordre mondial multipolaire actuel. Par conséquent, l’Inde devrait s’appuyer sur ses propres traditions pour faire face à un monde tumultueux et lui apporter des contributions significatives[7]. Le thème de la régionalisation dans la globalisation n’est abordé du point de vue occidental que d’un point de vue économique. Dans cet esprit, la rivalité dans la lutte pour l’hégémonie mondiale semble inévitable. Ce qui commence à être contredit non seulement par des pays du Sud Global, mais aussi par le cours des choses et pourrait l’être par la logique économique de la différenciation des produits.
Dans la rhétorique qui oppose un monde multipolaire et un monde soumis à des règles, le point de vue indien d’un monde multipolaire soumis à des règles, bien qu’ayant l’air de vouloir englober les deux points de vue, doit être pris au sérieux. Le monde est déjà multipolaire, mais asymétrique, il est soumis à des règles, mais de manière discriminatoire. Le problème est de se demander comment il va évoluer.
Selon le point de vue indien, le monde doit avoir des règles communes, mais basées sur des traditions différentes. Les règles communes n’excluent pas la compétition des traditions. La compétition entre les sociétés et leurs traditions ne peut pas s’interrompre. Pour le meilleur ou pour le pire. Les règles communes ont pour but de rendre les compétitions acceptables et non pas d’y mettre fin.
On se rappellera que l’Inde fut colonisée par les Britanniques et a subi l’influence de la Common Law où le droit est le fait d’une jurisprudence au contraire du droit continental. La Common Law, qui prévaut donc dans les pays anglo-saxons, est largement fondée sur les précédents, les juges élaborant les lois par le biais de leurs décisions. En revanche, le droit continental, ou droit civil, qui prévaut dans les pays européens, est principalement codifié et s’appuie sur des lois détaillées. Dans un cas, la construction du droit se fait par le bas, la philosophie est plutôt empiriste ou pragmatiste, dans un autre la construction du droit se fait par le haut et la philosophie est plutôt rationaliste.
La vague autoritaire et la régression des droits
Comment donc le monde peut-il évoluer ? La compétition entre les nations et les civilisations ne prendra pas fin, comme ne prendra pas fin la compétition entre les «races», les classes et les sexes. Bref, les différenciations, en progression ou en régression, ne prendront pas fin.
Certaines riches sociétés risquent de voir, du fait du vieillissement de leurs populations, les droits des femmes régresser au moment où les luttes des femmes pour l’égalité des sexes semblent avoir atteint leur plus haut point, les incitations en faveur des politiques natalistes n’ayant pas d’effets et les luttes des femmes n’étant plus portées par les conditions économiques. Dans ces sociétés, une intensification des luttes entre les «races» semble précéder et l’emporter sur une intensification des luttes entre les hommes et les femmes et entre les classes sociales, les classes dominantes réussissant dans un premier temps à détourner les autres luttes pour introduire de manière graduelle des doses de plus en plus grandes d’autoritarisme dans les démocraties, d’abord contre les étrangers, ensuite contre les femmes, puis contre les travailleurs. On relèvera la thèse soutenue par l’historien spécialiste du nazisme Johann Chapoutot, mais pas seulement, selon laquelle ce sont les libéraux qui ont mis les fascistes au pouvoir en Italie en 1922 et en Allemagne en 1932 pour permettre le libre épanouissement du capitalisme le plus brutal[8].
Le monde va donc subir une vague d’autoritarisme qui sera d’autant plus marquée que les rapports de classes et le rapport entre les expectations sociales et les possibilités économique seront le plus distendus. On peut oser supposer que toutes les sociétés riches victimes de déclassement subiront la vague autoritaire, la question est plutôt comment elles choisiront de la gérer. Tout dépend de l’évolution des rapports entre les classes et les sexes, du temps que leur alignement exigera. On distinguera les sociétés selon qu’elles sauront ordonner les rapports de ces catégories sociales et celles qui ne le sauront pas. Il y a peu de chance qu’elles sachent et puissent se «concilier» les races, le monde, avant qu’elles n’aient pu réaliser leurs conciliations internes. Tout du moins peut-on se représenter et analyser les choses ainsi, car dans la réalité tout se tient et des configurations multiples peuvent s’effectuer. Le dedans et le dehors se codéfinissent de manière variée. De la division sexuelle du travail peut procéder la division de classes, puis la division de «races» comme sur un plan horizontal, et de la division de «races» peut procéder celle des sexes et des classes comme sur un plan vertical. Chaque société devra faire une place au monde, elles ne pourront lui faire une place apaisée que si elles réussissent à apaiser leurs propres relations et à les communiquer au reste du monde.
Le tournant autoritaire du libéralisme ne conduira pas à la dictature partout et la dictature ne pourra pas s’achever dans la dictature. La frayeur que cause à gauche la montée de l’extrême droite en Occident ne prend pas suffisamment en compte l’épreuve du pouvoir que celle-ci aura à subir. Elle sous-estime aussi l’épreuve commune que la société devra subir, gouvernement de droite ou de gauche indifféremment. Avec le rationalisme, fille aînée du naturalisme, on ne fait pas toujours ce que l’on dit, à droite et à gauche.
Le pouvoir change son «titulaire». Dans le même temps, les sociétés mettent à l’épreuve leurs croyances.
Le Sud Global ne s’oppose pas au Nord Global, ou plutôt, ils s’opposent et se complètent dans l’harmonie et la disharmonie. L’autoritarisme va gagner le centre après avoir été imposé à la périphérie en lui refusant les capacités de définir ses propres besoins et celles de les satisfaire, en excitant ses expectations et invalidant ses capacités. Le Nord a concédé au Sud la République avec les décolonisations, mais pas la démocratie. Voilà que le mal l’infecte. Le monde va ainsi se reconfigurer au Nord et au Sud en sociétés efficientes et en sociétés déficientes.
Aussi la diplomatie du multi-alignement apparait-elle la mieux adaptée à un cours des choses instable et peu prévisible.
Les expectations sociales des nations et des puissances vont «tanguer» dans ce cours, tant il apparait indomptable ; la flexibilité sera alors décisive pour stabiliser les rapports de pouvoir, encore faudra-t-il tenir le cap.
L’échec des gauches et des droites occidentales ne signifiera pas la réussite des extrêmes droite et de gauche. Car l’échec met en cause des croyances communes au-delà des clivages politiques. À moins que la rigueur de l’autoritarisme ne rétablisse le rapport congruent du possible et du souhaitable et que l’expérience autoritaire achève de dissiper les fausses croyances sociales[9].
Pour ce faire, il faudrait que les fausses croyances ne se prennent pas pour les vraies, qu’elles acceptent d’être réellement éprouvées et souffrent de faire place à la vérification, à des croyances vérifiées. Les croyances ne sont pas des idées, une idéologie, mais des partis-pris de la conduite en général, des hypothèses sur le monde et la vie qui sont plus implicites qu’explicites et que l’expérience en crise dénude et conteste (on pense à l’archéologie).
Les croyances en cause à gauche et à droite sont celles dans le progrès sans fin, dans l’Homme fait Dieu devenant maître de la nature, la production humaine se substituant à toute la production, le réel se faisant tout entier rationnel. La congruence du possible et du souhaitable exige un rapport non pas de transcendance de la société à la nature, d’une espèce à une autre, d’une race à une autre, d’une classe sur une autre, mais un rapport d’immanence. Transcendance qui est à l’origine de toutes les dichotomies substantielles et les apories du raisonnement. J’aime répété le propos suivant à titre d’exemple : les Chinois pensent l’Occident, mais l’Occident s’obstine à ne pas penser chinois. Sa suffisance le perdra.
La lutte pour l’hégémonie persistera tant que le monde occidental se refusera d’apprendre des autres civilisations, il ne verra pas d’autre moyen de gérer la compétition mondiale. Se croyant toujours le maître, l’éducateur du monde, il se fera droit de faire les règles et d’exiger leur respect. Quant au Sud Global, la question n’est pas encore celle de fournir un modèle alternatif, même s’il existe et n’est pas ignoré, mais celle de réussir dans la compétition donnée. Ce n’est qu’une fois que les rapports de puissance seront stabilisés, que le monde pourra faire respecter un tel modèle. Le droit ne peut aller sans la puissance dans un monde hobbesien. Pour le Sud Global qui met en cause l’hégémonie occidentale, des rapports de pouvoir mondiaux stabilisés ne signifient pas l’établissement d’une nouvelle hégémonie. Il s’agit pour le Sud de rendre effectif le principe qu’un État ne peut échapper à la discipline collective et ne peut recourir à la force pour régler ses différends avec les autres États. Bref, il s’agit d’achever le processus de décolonisation. Pour l’heure, il doit donc faire face à un monde occidental qui veut non seulement préserver son rapport au monde, mais le durcir avec le tournant autoritaire, néocolonial et raciste, que prend son libéralisme. Il s’agira pour lui de réduire ses conflits internes en même temps que de réduire le rapport asymétrique entre les dépossédés et les possédants aux diverses échelles. Autrement dit, c’est ce rapport de forces entre possédants et dépossédés (car l’humanité a reçu la terre entière en héritage et non pas ce que les puissants se sont attribués) qui est derrière les rapports de forces entre lesdites races (qui mêlent ou distinguent races historiques et confessions religieuses) et entre les sexes. Et c’est de ce rapport qu’émergera un modèle social alternatif au modèle de classes colonialiste et raciste de l’Occident.
Mais il faut le rappeler, la réussite dans la compétition mondiale qui ne peut être le fait que d’une société efficiente ne peut tirer sa force que de croyances sociales constamment vérifiées et renforcées par l’expérience. Et non de croyances propres à une couche superficielle de la société incapable de les partager avec la société. Aussi comme l’affirme l’Inde avec sa culture stratégique spécifique, la Chine avec son socialisme aux caractéristiques chinoises, la compétition a besoin de croyances fermes bien enracinées dans la «société traditionnelle», dans une longue et profonde expérience collective. J’ai envie de dire pour faire image, comme le marxisme ou le libéralisme revu par l’Islam, ou les Chinois, le marxisme-léninisme et le libéralisme revu par le confucianisme, le légalisme et le taoïsme. La civilisation chinoise, hindoue ou islamique héritant en quelque sorte des bienfaits de la civilisation occidentale.
La philosophie du rationalisme qui sépare le réel du rationnel, fille aînée de la conception naturaliste qui sépare nature et société, est à la base de la séparation de classes, de la séparation des élites et de la société au Nord, des dictatures au Sud ; elle sépare la théorie et la pratique, la conception et l’exécution. Le rationalisme a permis un développement disproportionné de la production, il a assuré la suprématie de la machine de guerre occidentale pour quelques siècles, mais au prix d’une séparation du réel et du rationnel. Mais plus pour longtemps, maintenant que les autres civilisations se sont familiarisées avec son rationalisme.
Du fait du fossé entre les expectations sociales et les possibilités du monde réel, résultant du fossé entre l’inertie de la dynamique sociale et la dynamique du monde réel ; du fait du fossé entre les enjeux écologiques et les enjeux sociaux, entre les croyances et la réalité, une vague d’autoritarisme va gagner le monde sur laquelle les fonctionnaires[10] devront surfer. On continue de se comporter comme si demain sera comme hier, on s’aveugle devant ce qui dissone avec nos croyances. La République va laisser moins de place à la démocratie, l’exécutif au législatif et au judiciaire; elle fera avec l’urgence. Dans le monde instable qui vient, tout le problème sera de savoir comment en sortir, pour aller où, à quoi tenir ? Jusqu’où va-t-on s’enfoncer dans l’autoritarisme et dans les guerres pour sortir de la tourmente, vers quelle paix ou harmonie mondiale s’achemine-t-on ? L’Histoire, Occidentale du moins, nous enseigne que les possédants ne renoncent à leurs privilèges qu’après avoir livré combat et avoir été défaits. Sur quelle terre ferme, dans quelles ruines, pourra-t-on finir par se reconstruire ?
Notes :
[1] AMIN MAALOUF, le labyrinthe des égarés, l’Occident et ses adversaires.
[2] L’auteur vise ici la notion de Tiers-monde.
[3] Bertrand BADIE, quand le Sud réinvente le monde, introduction. La Découverte, Cahiers libres, octobre 2018.
[4] De la rivalité à l’émulation QO du 29/05/2024
[5] https://www.glossaire-international. com/pages/tous-les-termes/systeme-westphalien.html
[6] New Delhi: Harper Collins, 2020. L’auteur a été ministre des Affaires étrangères de l’Inde et ancien ambassadeur en Chine et aux USA.
[7] Gupta 2021. The Indian way : strategies for an uncertain world by Subrahmanyam Jaishankar. https://glocalismjournal.org/wp-content/uploads/2021/11/Gupta_gjcpi_2021_2.pdf
[8] Johann Chapoutot, Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe, Paris, PUF, 2013. Et «Facho-Capitalisme». 01/04/24. Coopérative des idées, Les Limbeshttps://www.youtube.com/watch?v=RD20jcdUTU8
9. Il en est une particulièrement active chez les idéologues et particulièrement nocive : la croyance qu’ils peuvent soumettre les humains et les non-humains à leurs volontés.
10. La thèse de l’historien français auteur du livre «l’extrême centre ou le poison français 1789-2019 » (Champ Vallon, 2019), pourrait être autrement recadrée.
Le Quotidien d’Oran, 16/06/2024
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