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SINEM CENGIZ
L’Algérie occupe une position clé dans le pivot africain de la Turquie, n’étant ni distante ni un allié, tout en présentant à la fois des opportunités et des défis dans ses relations avec Ankara. Le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf était à Ankara la semaine dernière, pour une réunion à huis clos avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Bien qu’aucun détail n’ait été divulgué à propos de la réunion au complexe présidentiel, un examen plus attentif des relations turco-algériennes fournira des perspectives sur leur trajectoire.
La visite d’État du président algérien Abdelmadjid Tebboune en Turquie en 2022 et la visite réciproque d’Erdogan l’année dernière ont renforcé les liens croissants entre leurs deux pays. Lors de la visite d’Erdogan en Algérie, Ankara et Alger ont élevé leurs relations à un niveau stratégique, marquant une avancée significative dans les liens depuis l’arrivée au pouvoir de Tebboune en 2019.
Il y avait plusieurs raisons aux revers dans les relations turco-algériennes, mais il y a maintenant des raisons convaincantes de progresser. En 1955, la Turquie s’est rangée du côté du monde occidental et s’est abstenue de voter sur l’autodétermination de l’Algérie à l’Assemblée générale de l’ONU en raison de son orientation politique étrangère pro-occidentale. Le mouvement d’indépendance en temps de guerre a perçu l’abstention de la Turquie comme un alignement avec la France, mais la position turque était enracinée dans son engagement à soutenir ses alliés de l’OTAN. En 1960, après un changement de gouvernement, la Turquie a voté en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
Malgré un héritage historique commun, la Turquie et l’Algérie, en raison de leurs tendances politiques et idéologiques divergentes, ont entretenu une relation distante tout au long de la guerre froide. En 1985, le Premier ministre de l’époque, Turgut Ozal, a présenté des excuses pour la partialité de la Turquie envers la France dans les années 1950. Malgré ces démarches et l’effondrement du Rideau de fer, les deux pays n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente pour établir des relations plus étroites.
Le dénommé Printemps arabe de 2010 a introduit une autre dimension dans leurs relations, bien que pas de manière positive. Il est particulièrement important d’ajouter la dimension iranienne à l’équilibre de l’ère post-2010. L’Iran a tenté d’exploiter la performance médiocre des liens entre la Turquie et l’Algérie. La crise syrienne a été un terrain important pour cette stratégie iranienne.
L’alignement croissant des politiques de l’Algérie et de l’Iran a pris de l’ampleur depuis la crise syrienne, tandis que la Turquie se tenait dans le camp opposé à l’axe algéro-iranien. L’Iran et l’Algérie ont fermement opposé toute ingérence étrangère dans les affaires internes de la Syrie. Ils ont adopté une position similaire lors de la réunion de 2012 de l’Organisation de la coopération islamique à La Mecque, où la suspension de la Syrie a été approuvée par une majorité absolue, les seules objections provenant de l’Iran et de l’Algérie.
Les dirigeants iraniens ont souligné à plusieurs reprises que l’Iran et l’Algérie ont la capacité de créer un nouvel ordre mondial, ajoutant qu’ils pourraient être un exemple de relations fraternelles via l’expansion et la diversification des relations dans tous les domaines. Le Guide suprême Ali Khamenei a déclaré à plusieurs reprises que l’État nord-africain avait été un bon partenaire et un front de résistance anti-israélienne depuis la révolution iranienne de 1979.
L’autre point qui rapproche l’Algérie et l’Iran est leur position anti-impérialiste. L’Algérie s’est rapprochée de l’Iran dans une tentative de défier la préférence de l’Occident pour le Maroc comme partenaire dans la région. Dans ce contexte, l’Iran apparaît comme un rival régional pour la Turquie dans son pivot algérien, car Téhéran et Alger ont plus en commun en ce qui concerne plusieurs dossiers régionaux.
Cependant, l’influence française déclinante en Algérie joue en faveur de la Turquie. La France voit un déclin sérieux de son influence coloniale traditionnelle à travers le Maghreb, en particulier parmi les nouvelles élites, qui sont moins enclines à une idéologie pro-française. Par exemple, la décision du gouvernement algérien en 2021 d’interdire aux avions militaires français d’utiliser son espace aérien a des implications significatives au-delà du symbolisme. L’Algérie vise à montrer à la France que son rôle historique dans la région, façonné par son passé colonial, n’est plus aussi fort qu’avant.
Cela reflète un changement de mentalité parmi les dirigeants algériens et ouvre la voie à la Turquie pour combler le vide laissé par la France, qui est alarmée par la relation turco-algérienne croissante. L’inquiétude française ne se limite pas aux pertes économiques ou politiques, mais aussi à son influence militaire à travers le Maghreb.
La Turquie essaie de consolider sa présence politique et militaire en Libye, elle a déjà réparé ses liens avec l’Égypte et elle maintient soigneusement une relation équilibrée avec la Tunisie et le Maroc. Dans ce contexte, Ankara accorde une grande importance à ses relations avec l’Algérie, qui partage une frontière avec la Libye, où la Turquie a accru son activité militaire. L’Algérie est également une porte stratégique pour la politique maghrébine de la Turquie, dans laquelle elle a des objectifs économiques, énergétiques et militaires.
L’Algérie est la quatrième économie d’Afrique et une source importante d’énergie en raison de ses grandes réserves de ressources naturelles. Les investissements turcs en Algérie ont déjà dépassé ceux de la Chine et sont significatifs dans une multitude de secteurs. En termes de coopération économique, l’adhésion prospective de la Turquie et de l’Algérie au groupe des BRICS devrait ajouter une autre dimension à ces relations.
Bien que la coopération économique et politique récente en fasse un partenaire important pour la Turquie, l’Algérie est encore une nouvelle arène de politique étrangère pour les décideurs turcs qui cherchent à établir une relation permanente basée sur des intérêts mutuellement bénéfiques. La coopération matérielle doit être soutenue par une coopération non matérielle. À cet égard, la coopération sur la cause palestinienne offre une voie significative pour les relations turco-algériennes car, pendant de nombreuses années, leurs relations bilatérales ont été compliquées par les relations étroites d’Ankara avec Israël.
De plus, la Turquie doit marcher sur une ligne fine dans ses relations avec l’Algérie et le Maroc, qui sont en désaccord. Ainsi, bien que l’Algérie offre des opportunités pour la Turquie, elle présente également des défis liés à l’influence concurrentielle d’autres pays.
• Sinem Cengiz est une analyste politique turque spécialisée dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient. X : @SinemCngz
The Arab News, 21 juin 2024
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