Maroc Confidentiel

Élections françaises : L’extrême droite devra faire preuve de « pragmatisme » avec l’Algérie, le Maroc et la Tunisie

Etiquettes : Algérie, Maroc, Tunisie, élections anticipées, extrême droite, Emmanuel Macron,

Par Adlène Meddi

Un gouvernement du Rassemblement National en France pourrait provoquer des tensions avec l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, mais cela ne devrait pas fondamentalement impacter les relations entre États.

La perspective d’un gouvernement d’extrême droite en France après les prochaines élections législatives a suscité de nombreuses questions en Afrique du Nord, une région historiquement liée au pays par son passé colonial.

Le parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen a remporté une victoire écrasante le 9 juin, obtenant 30 sièges au Parlement européen à Strasbourg.

Cela a poussé le président Emmanuel Macron à organiser des élections législatives anticipées à la fin du mois, qui pourraient voir le parti populiste, anti-immigration et anti-islam former un gouvernement dirigé par le leader de 28 ans, Jordan Bardella.

Vu du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, la tourmente politique en France est une source de préoccupation.

Qu’adviendra-t-il des efforts menés par Macron pour améliorer les relations avec l’Algérie, y compris une visite du président Abdelmadjid Tebboune en France prévue pour fin septembre ? Qu’en est-il du travail laborieux de « réconciliation des mémoires » réalisé par les historiens des deux pays ?

La position de Paris sur le Sahara occidental, source de tensions entre le Maroc et l’Algérie, pourrait-elle évoluer en faveur de Rabat ?

Et qu’en est-il du commerce, de la coopération sécuritaire, ou des relations avec le régime de plus en plus autoritaire du président tunisien Kaïs Saïed ?

En tête de leur liste d’incertitudes figure la question de la migration, car la France accueille le plus grand nombre de migrants du Maghreb.

En 2022, 48,2 % des immigrés vivant en France étaient nés en Afrique, et les pays de naissance les plus courants des immigrés dans le pays sont l’Algérie (12,5 %), le Maroc (11,9 %), le Portugal (8,2 %) et la Tunisie (4,7 %).

Le lendemain de sa victoire aux élections européennes, le porte-parole du RN, Sébastien Chenu, a réitéré la détermination de son parti à abroger l’accord franco-algérien sur l’immigration de décembre 1968, qu’il présente comme « avantageux » pour les Algériens.

Conçu pour faciliter l’immigration économique et répondre aux pénuries de main-d’œuvre en France dans les années 1960, l’accord prévoyait la libre circulation des ressortissants algériens entre les deux pays. Mais au fil du temps, ce droit a progressivement été remis en question.

La mise en œuvre d’une politique de visas a privé les Algériens, comme les autres ressortissants non européens, de la possibilité de se rendre en France en présentant simplement leur carte d’identité, comme stipulé dans l’accord de 1968.

En fait, le certificat de résidence renouvelable de dix ans, accordé aux Algériens en vertu du traité, est un privilège qui n’est pas toujours facile à obtenir.

Un ancien diplomate algérien, qui a parlé à Middle East Eye sous couvert d’anonymat en raison de son devoir de confidentialité, a déclaré : « C’est une mesure populiste destinée à l’opinion publique nationale française ».

« Alger se vexera par principe, mais en réalité, cet accord n’est plus compatible avec la réalité migratoire algérienne en France », a ajouté l’ancien diplomate.

Par exemple, le regroupement familial, rendu nécessaire par l’émigration des travailleurs dans les années 1960, n’est plus un problème de nos jours.

L’ancien diplomate estime également qu’un certain « pragmatisme » pourrait prévaloir entre la France et l’Algérie en cas de victoire du parti de Le Pen.

Selon lui, les autorités algériennes n’ont aucun intérêt à aliéner le RN si elles veulent des visas pour leurs ressortissants, tandis que le RN n’a aucun intérêt à aliéner les Algériens s’il veut expulser des migrants illégaux ayant reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF).

Cependant, le journaliste algérien Nordine Azzouz exprime davantage d’inquiétude.

« Les politiques migratoires sont le sujet numéro un sur lequel l’extrême droite construit son discours depuis des années, voire des décennies », a-t-il déclaré à MEE. « Le scénario d’une fermeture des frontières est plus que plausible. »

Le RN a annoncé une politique de visa plus stricte avec les pays qui ne coopèrent pas dans le domaine de la migration, et cela pourrait se traduire par un nombre réduit de visas accordés aux Algériens.

« Il faut s’attendre à un accès restreint aux visas de résidence en France, en plus des restrictions actuelles auxquelles de nombreux demandeurs sont déjà confrontés », a ajouté Azzouz.

« Le RN aurait intérêt à faire des compromis »

Au Maroc, le politologue Aziz Chahir estime que l’extrême droite « n’a aucun intérêt à antagoniser [le roi] Mohammed VI, notamment par un durcissement de la politique migratoire ou des restrictions de visa ».

« Le Maroc se présente comme un partenaire crucial pour l’Europe dans la lutte contre l’immigration illégale et le terrorisme », a-t-il déclaré à MEE. « Il serait donc risqué pour l’extrême droite française de s’aventurer à reconsidérer la coopération sécuritaire avec le royaume. »

Le même statu quo pourrait s’appliquer à la Tunisie, un partenaire important de la France et de l’Union européenne dans la lutte contre l’immigration illégale. L’année dernière, Paris a accordé 26 millions d’euros à Tunis « pour contenir le flux irrégulier de migrants afin d’encourager leur retour dans de bonnes conditions ».

Cette politique visant à « externaliser les contrôles migratoires », qui a été accusée par les groupes de défense des droits des migrants d’inciter les pays européens à fermer les yeux sur les excès autoritaires du président Saïed, signifie que « le statu quo » pourrait prévaloir en cas de victoire du RN.

L’analyste politique tunisien Hatem Nafti établit un parallèle avec le gouvernement d’extrême droite italien.

« Marine Le Pen parle presque le même langage que [la première ministre italienne] Giorgia Meloni », a-t-il déclaré à MEE.

Depuis quelques années, la stratégie migratoire employée par Meloni, qui a été élue en 2022 sur une plateforme visant à réduire drastiquement l’immigration illégale, « a été parfaitement acceptée par le gouvernement [tunisien] », a expliqué Nafti.

Concernant la question sensible des visas, « nous verrons ce que fera la Tunisie, mais nous savons déjà que le gouvernement tunisien n’a pas réagi aux scandales des Tunisiens dans les centres de détention en France », a-t-il ajouté, faisant référence aux conditions de vie « honteuses » dans les centres d’immigration français, comme documenté par une autorité administrative indépendante.

« Je pense que nous nous dirigeons vers [la même absence de réaction] », a déclaré Nafti.

L’analyste estime que pour le président Kaïs Saïed, la montée en puissance de l’extrême droite en France serait en fait « une bonne nouvelle » et en ligne avec sa propre politique anti-immigration.

Le chef de l’État tunisien a accusé les immigrants illégaux d’Afrique subsaharienne de tenter de « changer la structure démographique de la Tunisie », et les autorités du pays ont été impliquées dans de graves violations contre les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile africains noirs, selon les organisations de défense des droits.

De plus, comme le parti de Le Pen, Saïed a fait de l’islam politique sa bête noire.

Depuis qu’il a suspendu unilatéralement le parlement et dissous le gouvernement dans ce que beaucoup ont appelé un « coup d’État constitutionnel » en 2021, Saïed a mené une répression contre les critiques que Amnesty International a qualifiée de « chasse aux sorcières politiquement motivée ».

Ennahda, le principal parti d’opposition en Tunisie, compte trois dirigeants seniors en prison, dont l’ancien président du parlement Rached Ghannouchi, arrêté le 17 avril 2023.

« Lorsque le Parlement européen a adopté une résolution en mars 2023 condamnant la situation des droits humains en Tunisie, les députés d’extrême droite français étaient plutôt favorables au régime tunisien, approuvant ses arrestations de dirigeants islamistes », a déclaré Nafti.

De même, les intérêts économiques de la France pèseraient sur l’attitude d’un gouvernement du RN envers ses voisins de l’autre côté de la Méditerranée.

Si l’extrême droite est aux commandes, le commerce avec la France pourrait ralentir dans les trois pays du Maghreb.

« L’Algérie, comme d’autres pays d’Afrique du Nord, [est un] marché important pour les entreprises et exportateurs français. Ces pays pourraient très bien se tourner vers d’autres fournisseurs dans une tendance déjà bien établie qui a vu la France ne plus être en tête des exportations vers ces pays », a expliqué Azzouz.

« Au niveau de l’Union européenne, qui est liée au Maghreb par des accords d’association, d’autres pays profiteront de la situation pour offrir leurs produits », a ajouté le journaliste.

Cette concurrence entre Européens, mais aussi avec la Russie, l’Amérique, la Turquie et la Chine, pourrait, selon le politologue Chahir, pousser un gouvernement d’extrême droite « à réfléchir à deux fois avant d’entreprendre toute action susceptible de menacer les intérêts économiques français et ceux du régime alaouite [marocain] ».

En fin de compte, « le RN aurait intérêt à faire des compromis avec les régimes politiques établis dans la région du Maghreb, en commençant par le Maroc », estime Chahir.

En Tunisie aussi, « les accords resteront en ligne avec les intérêts des Français et plus généralement des Européens, le tout enveloppé dans un discours de ‘respect’ de la souveraineté tunisienne », selon Nafti.

« Évidemment, c’est une grande blague quand on connaît l’attachement du Rassemblement National à la nostalgie de l’Algérie française et à sa glorification de la période coloniale. »

Le risque de nouvelles tensions avec l’Algérie

Le Front National, ancien nom du RN, a été fondé par le père de Le Pen, Jean-Marie, un ancien officier de l’armée accusé de torturer des Algériens pendant la guerre d’indépendance.

Selon Azzouz, cet « ADN » du parti d’extrême droite français pourrait faire dérailler le processus de réconciliation initié par Macron et Tebboune pour améliorer les relations bilatérales.

Le RN a condamné cette approche et s’est opposé à tout geste de « réconciliation des mémoires » entre les deux pays, a expliqué le journaliste.

« Nous risquons d’assister à une interruption brutale du processus mis en place des deux côtés pour résoudre le différend mémoriel entre Alger et Paris », a déclaré Azzouz.

Une autre question qui pourrait encore compromettre la relation bilatérale fragile entre Paris et Alger est le Sahara occidental et le soutien exprimé par le RN à la position du Maroc sur la question de la région disputée.

Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est contrôlé à environ 80 % par le Maroc mais revendiqué par le mouvement indépendantiste sahraoui du Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Alger a rompu les relations diplomatiques avec Rabat en 2021, principalement en raison de la question.

Chahir explique que le RN a des liens historiques avec le royaume alaouite. En 1990, Jean-Marie Le Pen a été reçu en audience par le roi Hassan II avec une délégation d’autres eurodéputés d’extrême droite.

« Comme son père, le roi Mohammed VI a entretenu des relations ‘secrètes’ avec des figures de l’extrême droite », a ajouté Chahir, donnant l’exemple du politologue Aymeric Chauprade, ancien conseiller de Marine Le Pen et fervent défenseur de la position marocaine sur le Sahara occidental.

« Dévoué à l’idée d’une Algérie française, Le Pen n’a pas hésité à exprimer son soutien en 2007 à la proposition d’autonomie pour le Sahara occidental dans le cadre de la souveraineté marocaine », a rappelé Chahir.

Selon Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), un think tank basé à Paris, si Marine Le Pen accède au pouvoir, la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental sera « immédiate ».

En Algérie, où une telle annonce provoquerait probablement une rupture diplomatique, les observateurs estiment que la France, même dirigée par l’extrême droite, n’est pas prête à prendre un tel risque.

Middle East Eye, 24 juin 2024

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