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Yazid Ben Hounet
La victoire du Maroc face à l’Espagne dans les huitièmes de final de la coupe du monde de football, le 6 décembre dernier, a été longuement saluée et discutée dans les médias français, par les journalistes et ‘experts’ think thanks qui y ont leurs entrées.
Tous ont profité de l’occasion pour réitérer le même discours lénifiant à propos de la fraternité algéromarocaine et du « conflit » du Sahara Occidental. À en croire par exemple l’émission de TV5 Monde, sobrement intitulée « Algérie – Maroc : pourquoi ce bras de fer entre les deux voisins ? » (7 décembre 2022), la question du Sahara Occidental se résumerait à un simple conflit politique opposant les autorités algériennes et marocaines, elles-mêmes en quêtes d’hégémonie régionale, au détriment des intérêts de leurs sociétés. Les Sahraouis, grands oubliés des médias, apprécieront !
Comme nous l’expliquions dans une précédente contribution : « Vu de France, la question du Sahara Occidental, lorsqu’elle est abordée dans les médias (c’est-à-dire rarement), se résume bien souvent à un conflit de territoire, disputé entre d’une part le Maroc et de l’autre un « mouvement indépendantiste », le Front Polisaro, « soutenu par l’Algérie ».
Vu de l’international, et des spécialistes en la matière, la situation du Sahara Occidental est avant tout celle d’une décolonisation entravée par le Maroc, qui occupe près de 80% du territoire, avec le soutien (en coulisse) de la France. Elle génère des violations des droits humains et des crimes de colonisation dans les territoires sous occupation marocaine » (Ben Hounet et Boulay, 2022)1
La déclaration de l’association espagnole des professeurs de droit international et des relations internationales, signée par des centaines de spécialistes en la matière, ne dit pas autre chose.
Les deux arrêts de la cour de justice européenne (29 septembre 2021) concernant les accords commerciaux illégaux sur le Sahara Occidental – CURIA – Documents (europa.eu) ; CURIA – Documents (europa.eu) – corroborent la déclaration.
Mais de toute façon que valent, en matière de droit international, la déclaration solennelle signée par des centaines de professeurs de droit international et les documents de la cour de justice européenne face à la « science » de quelques journalistes et ‘experts’ think thanks (toujours les mêmes d’ailleurs) officiant dans ces médias ?
Le 6 décembre, avant même la victoire des Lions de l’Atlas, une autre information était publiée. Elle est, bien entendu, passée sous les radars et n’a pas été reprise par nos bons journalistes et ‘experts’ Think Thank. Pourtant, elle aurait dû ! Du moins, dans un monde où les questions de droit international, et de sa violation, sont placées avant le divertissement (football).
La Western Sahara Ressource Watch, une ONG internationale domiciliée en Belgique,
publiait en effet un article fort intéressant, intitulé : « Une compagnie israélienne va chercher du gaz au Sahara Occidental occupé » (Western Sahara Resource Watch (wsrw.org). On y découvrait la matérialité de cet « accord entre colons », de la collaboration du Maroc et d’Israël dans le processus de colonisation du Sahara Occidental.
« Il y a aujourd’hui deux compagnies impliquées dans l’exploration d’hydrocarbures au Sahara Occidental – les deux sont israéliennes », rapporte l’ONG, qui nous explique au préalable l’historique de cette entreprise d’exploitation et les désinvestissements d’actionnaires étrangers (américains et norvégiens notamment) en raison justement de son illégalité au regard du droit international. « L’intention de s’engager dans l’exploration gazière dans le territoire occupé sape les principes les plus fondamentaux du droit international », rappelait Erik Hagen de Western Sahara Resource Watch.
L’information d’un accord israélo-marocain s’agissant, cette fois-ci, de la prospection de pétrole au large du Sahara Occidental avait déjà été publiée à l’automne dernier (2021). L’article du 6 décembre vient corroborer la grande implication des compagnies israéliennes dans l’exploitation illégale des ressources en hydrocarbures du Sahara Occidental. Mais on y lit autre chose encore quant aux contours de l’accord : le ministère marocain ne détient que 25% de la participation dans la licence d’exploitation et de production du gaz naturel.
La licence ayant été accordée pour huit ans.
En somme, on y apprend que la prétendue « sacralité » du Sahara « marocain » n’est qu’une belle supercherie qui cache bien mal la vassalité économique des autorités marocaines visà-vis des entreprises étrangères, israéliennes en l’occurrence. A 25%, le ministère marocain fait presque figure de Khammas2 dans cette piteuse piraterie économique, au point qu’on se demande s’il n’est pas préférable de parler de Sahara « israélien » à la place du soit disant « Sahara marocain ».
Bien sûr, cette collaboration économique « très fructueuse » pour le Maroc n’est pas sans conséquence. On rappellera aux valeureux Lions de l’Atlas et à nos amis Marocains que les deux compagnies israéliennes – NewMed Energy et Ratio Petroleum – qui exploitent illégalement le Sahara Occidental, contribuent, par leurs impositions mêmes, au budget de l’Etat israélien et donc à celui de Tsahal et des forces de police israéliennes. Les Palestiniens, qui enterrent tous les jours leurs morts, et notamment leurs jeunes abattus de sang-froid, apprécieront la solidarité des autorités marocaines !
Brandir le drapeau palestinien en pleine coupe du monde n’est pas suffisant. C’est certes divertissant… mais cela fait aussi diversion.
Yazid Ben Hounet
Chargé de recherche CNRS
Laboratoire d’Anthropologie Sociale, Paris.
Notes
1. 1 Sahara Occidental : Esprit de censure ? – OUISO (parisdescartes.fr).
Cf. également le Soir d’Algérie du 01.12.2022.
2 Le Khammas faisant référence à cette coutume féodale voulant que le métayer bénéficie du cinquième des récoltes.
Source : Presse-toi à gauche !, 13 décembre 2022
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