Espagne-Algérie-Maroc: un triangle énergétique épineux – Gazoduc, Sahara Occidental, Ceuta, Melilla,
Le gouvernement espagnol se livre à un véritable exercice d’équilibrisme dans ses relations avec le Maroc et l’Algérie afin de ne pas perdre de gaz. L’Algérie a décidé de fermer le gazoduc Maghreb-Europe (GME) le 31 octobre, précisément pour que le Maroc ne reçoive plus son gaz à partir de cette date, ce qui nuit clairement aux intérêts de l’Espagne. Aujourd’hui, le Maroc demande à l’Espagne de réintroduire une partie du gazoduc pour acheminer le gaz acheté auprès de fournisseurs internationaux du Maroc vers le royaume alaouite. Le gouvernement espagnol serait ravi de faire plaisir à Rabat, mais il craint les représailles d’Alger pour avoir aidé son ennemi traditionnel, étant donné la dépendance de l’Espagne vis-à-vis du gaz algérien.
Les mauvaises relations entre ces deux voisins nord-africains, qui s’opposent depuis des décennies, se sont aggravées ces derniers temps. Cette situation a pris l’Espagne au milieu d’une bataille dont le gaz est l’un des facteurs stratégiques.
Mardi 24 août, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc. Cette annonce est intervenue après une escalade de la tension entre les deux pays voisins qui durait depuis plusieurs semaines.
Dès cet instant, le gouvernement espagnol sait qu’il se trouve au cœur d’un grave conflit qui débordera sur lui, quoi qu’il fasse. En fait, le dommage collatéral de l’escalade de la tension au cours des mois précédents ne s’est pas fait attendre, lorsque le leader du Front Polisario, Brahim Gali, a atterri en Espagne en provenance d’Algérie pour être hospitalisé pour une grave maladie.
COMMENT FAIRE PLAISIR A RABAT SANS FAIRE DE LA PEINE A L’AL GERIE ? C’EST LE CŒUR DU PROBLÈME
L’entrée clandestine de Gali en Espagne a été considérée comme une infraction par le Maroc, et sa réaction a été rapide : l’ouverture du passage frontalier vers l’Espagne face à la passivité des autorités et de la police marocaines a permis à des milliers d’immigrants d’entrer à Ceuta. Une véritable crise migratoire internationale, qui a été résolue par le gouvernement espagnol qui a détourné le regard pour éviter de nouvelles tensions.
Suite à la rupture des relations, l’Algérie a annoncé que le 31 octobre, date à laquelle l’accord de 25 ans sur l’utilisation du gaz prendrait fin, le gazoduc Maghreb Europe serait fermé. « Tenant compte des pratiques agressives du Royaume du Maroc à l’égard de l’Algérie, le président de la République (Abdelmayid Tebune) a ordonné à la compagnie nationale Sonatrach de cesser ses relations commerciales avec la société marocaine et de ne pas renouveler le contrat », avait alors indiqué la présidence algérienne dans un communiqué.
Les dommages collatéraux pour l’Espagne étaient évidents, puisqu’elle a perdu la possibilité de continuer à recevoir du gaz par le gazoduc, alors que l’Algérie lui garantissait l’approvisionnement dont elle avait besoin, sous la forme de gaz naturel liquéfié (GNL), qui est beaucoup plus cher.
Le gouvernement a assumé le coût de la décision algérienne, tranquillement, en essayant d’attendre que les choses se calment, mais le Maroc a besoin de gaz et, comme il se sent encore offensé par l’affaire Gali, il a proposé il y a quelques semaines à l’Espagne d’acheter une partie du gaz que nous vend l’Algérie et de l’acheminer par le tronçon du gazoduc du Maghreb qui va de Tarifa au Maroc.
Dès que l’Algérie a eu connaissance de la proposition, elle a mis l’Espagne en alerte et l’a informée qu’elle ne lui permettrait pas de revendre son gaz à un pays ennemi, et lui a imposé une série de conditions pour prolonger le seul gazoduc encore ouvert après la fermeture de celui qui passait par le territoire marocain, le gazoduc Medgaz.
LE MAROC INSISTE SUR LE GAZODUC MAGHRE-EUROPE
Le Maroc insiste maintenant pour utiliser le gazoduc Maghreb Europe pour transporter le gaz qu’il achète sur les marchés internationaux, et pour que l’Espagne l’aide à l’acheminer de Tarifa vers l’Afrique du Nord, car ce gaz servira notamment à alimenter les centrales électriques de Tahadart et d’Ain Beni Mathar, dans lesquelles Endesa détient une participation, pour produire de l’électricité.
Selon les médias, les négociations sont toujours en cours et, pour l’instant, rien n’indique que le scénario de réversion de GME ait été définitivement écarté.
En outre, pour la première fois depuis son lancement, le régulateur espagnol a mis en place un tarif de sortie par le pipeline GME vers le Maroc. Le seul problème est que l’Espagne pèse le coût pour ses intérêts géopolitiques et géo-énergétiques d’aider l’ennemi de l’Algérie.
Le gouvernement craint que, s’il collabore avec le royaume alaouite dans cette affaire, l’Algérie puisse se sentir offensée et que l’arrivée du gaz algérien en Espagne soit compliquée, ce qui serait catastrophique à l’heure où le prix du gaz monte en flèche et où toute l’Union européenne souffre d’une crise énergétique sans précédent. Et ce, non pas en raison d’une pénurie ou d’un manque de gaz, mais en raison d’une crise énergétique mondiale dans laquelle l’offre et la demande sont totalement inadaptées.
Comment faire plaisir à Rabat sans contrarier Alger ? C’est le nœud du problème. Certains membres du gouvernement considèrent que c’est impossible, notamment en raison du manque actuel de pertinence de l’Espagne sur la scène internationale.
Le Premier ministre, Pedro Sánchez, est à la croisée des chemins et tout porte à croire que, quelle que soit sa décision, l’un des deux pays sera offensé par sa décision. S’il aide le Maroc, c’est l’Algérie qui le prendra comme un affront et pourrait mettre en péril la relation énergétique, et s’il décide de ne pas aider le Maroc, nous pourrions assister à une nouvelle pression migratoire à la frontière avec Ceuta.
Le Maroc a déjà annoncé qu’il attendait un geste de l’Espagne pour normaliser les relations bilatérales, dont la bonne santé est en jeu après l’affaire Gali et l’entrée illégale de milliers de Marocains à Ceuta. De cette façon, elle laisse la balle dans le camp de l’Espagne pour qu’elle fasse des gestes politiques qui pourraient adoucir la situation. Un de ces gestes pourrait être la collaboration de l’Espagne pour permettre au Maroc de recevoir du gaz d’autres pays, en inversant le flux du gazoduc GME. L’Algérie y consentira-t-elle ?
Merca2, 13/12/2021
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