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Le lundi 13 octobre 2008 constitue un tournant dans l’histoire des relations entre le Maroc et l’Union européenne dans la mesure où il marque la fin d’une ère dans les relations européennes du Maroc et le début d’un nouveau processus.
A cette date, le Maroc et l’Union européenne ont décidé à Luxembourg d’élever leur relation bilatérale à un statut plus que de partenariat et moins que d’adhésion. Ce statut a été appelé « le statut avancé ». Cet événement revêt une dimension stratégique dans l’histoire des relations entre les rives de la Méditerranée en général et dans les relations européennes du Maroc en particulier.
En effet, il s’inscrit dans le contexte d’une évolution du concept de « partenariat » mis en avant par la convention de Barcelone qui a une portée limitée. Il s’agit plutôt de consolider les relations multidimensionnelles entre les deux parties, que ce soit sur le plan politique, sécuritaire, économique ou social. Si cela implique que le Maroc poursuive son processus de réforme à plusieurs niveaux, cela souligne, d’autre part, un engagement de l’Union européenne à rattraper le mouvement d’ouverture et de progrès et l’interaction positive avec le monde que le Maroc s’est choisi.
Un mérite marocain ?
Si le « statut avancé » vise officiellement la consolidation des relations euro-marocaines, le choix du Maroc seul revêt diverses connotations. En effet, l’établissement d’un partenariat ambitieux et pionnier avec l’Union européenne constitue une option stratégique pour le Royaume du Maroc. Cela remonte à 1987, lorsque feu le Roi Hassan II – Que son âme repose en paix – a exprimé le souhait du Maroc d’adhérer à la Communauté européenne en s’appuyant sur un certain nombre de motifs et de préoccupations géopolitiques, historiques et économiques. Vient ensuite la suggestion faite par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2000, appelant à élever le niveau de la relation entre les deux parties pour la porter à un statut qui soit plus qu’un partenariat et moins qu’une adhésion.
Le Maroc est l’État africain et arabe le plus proche du continent européen. Il a une forte interaction non seulement avec l’océan Atlantique et la mer Méditerranée mais aussi avec son appartenance africaine. Ces éléments géopolitiques lui ont fait poursuivre une stratégie de diversification des partenaires partout, tant sur le plan politique qu’économique.
Le Maroc jouit d’une stabilité politique qui lui a permis de surmonter avec succès les nombreux bouleversements qu’ont connus plusieurs pays de la région. Ceci découle, en grande partie, de l’importance des réformes inaugurées, au coup par coup, par le Royaume depuis la fin des années 90 du siècle dernier. Celles-ci ont connu un rythme accéléré avec l’intronisation du Roi Mohamed VI. Au premier rang de ces réformes figure la création de l' »Instance équité et réconciliation », reconnue comme une expérience pionnière en matière de justice transitionnelle ; l’amélioration des lois et règlements électoraux, y compris la loi sur le contrôle indépendant ; le lancement d’un nouveau code de la famille (2004), qui met surtout l’accent sur l’égalité des sexes et la protection des droits de l’enfant ; le lancement de l’Initiative nationale pour le développement humain (2005), qui a une dimension sociale ; l’hommage rendu à la culture amazighe en tant que composante essentielle de la culture marocaine ; la promulgation de nouvelles lois régissant les libertés publiques : la loi sur les partis politiques, la loi sur les ONG.
De cette manière, le Maroc a été un modèle pour un changement tranquille et une transition démocratique harmonieuse, contrairement à un certain nombre de pays de la région.
Il est clair que l’Union européenne a plus d’une fois réservé un accueil chaleureux à cette évolution, ce qui a permis au Maroc d’obtenir, avec mérite, le « statut avancé » auprès de l’Union européenne.
Ce « statut avancé » reposait sur trois éléments principaux :
-L’édification d’un espace de » valeurs partagées » de démocratie, d’état de droit, de bonne gouvernance, de respect des droits de l’homme….
-L’édification d’un « espace économique commun » qui est susceptible de permettre au Maroc d’adhérer progressivement aux politiques et mécanismes de l’Union européenne et qui peut l’aider à mettre en place une économie ouverte et compétitive.
-L’édification d’un espace commun de connaissance et de culture, d’échanges universitaires et de recherche scientifique.
C’est ainsi que le « statut avancé » a permis aux deux parties de mettre en place un cadre bilatéral ambitieux englobant toutes les politiques publiques et tous les secteurs. Il est significatif que la réactivation de l’aspiration du Maroc vers son partenaire européen soit restée en harmonie avec ses engagements pour la construction de l’Union du Maghreb, avec la consolidation de son appartenance aux nations arabes et islamiques, ainsi qu’avec son interaction naturelle africaine, notamment avec l’espace sahélo-saharien et ouest-africain. Ceci a été couplé à son ouverture aux Etats-Unis à travers la conclusion de l’ALE Maroc-Etats-Unis en 2004 et de l’ALE Maroc-Turquie en 2006.
Besoin mutuel
On peut éventuellement dire que ces développements ne suffisent pas à expliquer tout ce qui s’est passé jusqu’à présent entre le Maroc et l’Union européenne, car il y a beaucoup d’intérêts entremêlés entre eux qui rendent le processus possible ou plutôt nécessaire.
La partie européenne a besoin d’un partenaire efficace et crédible, bien positionné sur la scène maghrébine, arabe et africaine, face aux épineux problèmes communs qui menacent la stabilité régionale, tels que l’immigration clandestine, la contrebande, le terrorisme intercontinental et le trafic de drogue. Le Maroc, grâce à sa position stratégique, a interagi positivement avec ses partenaires européens à partir de ses responsabilités géopolitiques, ce qui a permis aux deux parties de prendre des initiatives communes face à de tels défis, en particulier sur les questions liées au contrôle des frontières, à l’établissement de la sécurité régionale et à la lutte contre la traite des êtres humains, le trafic de drogue et le terrorisme dans le monde.
D’autre part, la rive sud de la Méditerranée est généralement considérée comme une pierre fondatrice, non seulement pour la sécurité et la stabilité de l’Europe, mais aussi pour l’évolution de ses économies. En effet, l’Union européenne et le Maroc partagent des préoccupations communes telles que la sécurisation des ressources énergétiques, la stimulation de l’intégration économique, la protection de l’environnement méditerranéen…..
Les développements économiques, en particulier ceux qui ont suivi la crise financière des zones euro, impliquent que l’Europe recherche des partenaires pour consolider sa présence économique et sa compétitivité dans le contexte de l’accroissement de la concurrence entre elle et d’autres économies puissantes ou montantes comme les États-Unis, le Japon, la Chine, le Brésil et les pays d’Asie de l’Est.
Le Maroc, quant à lui, s’est efforcé, à travers le renforcement de sa relation avec l’Europe se terminant par le statut avancé, de renforcer ses institutions administratives et managériales et ses secteurs économiques de manière à permettre au Royaume de s’engager dans la bataille de la compétitivité mondiale et de tirer profit des potentialités de la modernisation et de l’expertise européenne dans ce domaine. Le Maroc s’est également efforcé de tirer profit du partenariat économique qui attire les investissements et offre une place à ses exportations sur le marché européen qui compte quelque 500 millions de consommateurs.
Compte tenu de ce qui précède, l’aspect économique du statut avancé s’est appuyé sur une conviction fondamentale selon laquelle le développement durable ne peut être atteint en dehors de l’ouverture commerciale et de la conclusion d’accords de libre-échange. Partant de là, le Maroc n’a rien négligé pour : exploiter tous les mécanismes et moyens fournis par l’UE pour améliorer ses indicateurs socio-économiques (éducation, santé, équipements publics, transport, projets d’infrastructure et de logement), procéder à l’activation d’une nouvelle série de réformes dans le domaine de la gouvernance économique (propriété intellectuelle, sécurité sanitaire, loi sur la compétitivité, protection du consommateur, gouvernance d’entreprise, politiques d’assistance publique et normes bancaires).
Le Maroc a choisi cette vision pour initier une approche basée sur la convergence graduelle, le jumelage technique au moyen d’un arsenal de réglementations européennes, au même titre que les candidats à l’adhésion à l’UE.
L’ambition stratégique du Maroc est de lui permettre de bénéficier du même environnement économique et du même climat des affaires, des mêmes règles et normes de compétitivité que les autres Etats membres de l’UE.
Cette aspiration se traduit par de grands projets d’infrastructures. En fait, le Maroc a été le premier pays à conclure le traité Open Sky avec l’UE en 2005. Dans le secteur de l’énergie, le Maroc a conclu un partenariat avec l’Europe en 2007 qui prévoit la conception de projets ambitieux dans le domaine des énergies renouvelables.
Il a également développé son réseau électrique avec l’Espagne, ce qui lui facilite l’accès au marché européen de l’électricité. Par ailleurs, il a participé aux activités de l’UE dans le cadre du « programme-cadre pour la recherche et le développement ».
De même, le Maroc a souscrit activement à la réalisation d’opérations de jumelage institutionnel permettant aux administrations marocaines d’œuvrer pour développer et coordonner les mécanismes de régulation au Maroc et les normes et réglementations suivies dans l’UE.
Ainsi, les opérations de jumelage qui ont été mises en œuvre au Maroc ont pu avoir les résultats suivants :
Mise en place de normes de bonne gouvernance (lutte contre le blanchiment d’argent, gestion du parlement, modernisation des tribunaux, lutte contre le crime organisé, lutte contre l’immigration clandestine…).
Gestion de l’ouverture économique (gestion des institutions publiques, mécanisme de règlement des différends, propriété intellectuelle et industrielle, ciel ouvert, service public de l’énergie, conseil supérieur de la responsabilité, audiovisuel…)
Améliorer les indicateurs sociaux (Initiative nationale de développement humain, lutte contre l’analphabétisme, pensions de santé, etc.)
Le jumelage institutionnel couvrira à l’avenir de nouveaux domaines (marchés publics, services financiers, assurances, compétitivité, protection des consommateurs, réglementation du travail, normalisation industrielle, contrôle des marchés et sécurité maritime…).
L’objectif étant de faire du Maroc le premier pays arabe non européen à avoir pu comprendre et s’adapter aux règles de l’Union européenne connues sous le nom d' »Acquis communautaire ».
Quel avenir ?
Avec le temps, la dimension stratégique de la relation entre l’UE et les pays du sud de la Méditerranée se confirme de plus en plus, avec une sensibilité pour les deux parties. Il faut juste plus d’efforts pour en faire une relation renouvelable et ambitieuse dans le sens où elle devrait réaliser un espace stratégique commun qui s’élève à l’évidence de l’ère similaire à l’ALENA ou l’ASEAN.
Le partenariat évolutif entre le Maroc et l’UE peut prendre une dimension de premier plan dans ce domaine et peut servir de modèle au reste des États du sud de la Méditerranée.
Ceci étant dit, la prochaine étape dans l’approfondissement des relations Maroc-UE est une étape cruciale vers l’établissement d’un « partenariat privilégié » qui consolide les acquis du statut avancé et ouvre de nouvelles perspectives. En avril 2013, les négociations sur la « zone de libre-échange complète et approfondie » Maroc-UE seront lancées parmi une série de conventions diverses relatives à l’agriculture, la pêche maritime, la mobilité des personnes et le commerce des services.
Si le Royaume du Maroc est consciemment tenu de poursuivre le processus de réformes politiques et socio-économiques, l’UE est tenue, quant à elle, d’adopter un concept de partenariat et de sécurité plus ouvert, plus équilibré et plus solidaire. Dès lors, la sécurité de l’UE ne peut se limiter au contrôle des frontières et à l’imposition de conditions et de visas, mais plutôt à un traitement culturel fondé sur les droits et le développement, tout en tenant compte des questions d’identité et de diversité culturelle et civilisationnelle. En cela, elle doit s’appuyer sur une approche communicationnelle prônant la solidarité et l’humanité dans le traitement global des questions.
En conclusion, les évolutions démocratiques observées dans le sud du bassin méditerranéen et les événements récents sur la carte post-crise financière de l’économie mondiale, couplés à l’émergence de contraintes internationales liées à l’énergie et au climat, aux défis sécuritaires transfrontaliers, et aux interrogations liées à l’identité, au débat actuel sur l’avenir de l’UE… tous sont susceptibles de transformer les traits géostratégiques de la région méditerranéenne.
Les métamorphoses démocratiques observées dans les Etats arabes, en particulier, impliquent la mise en place d’une nouvelle charte pour la région méditerranéenne couvrant, sur un pied d’égalité, les questions de sécurité régionale, de démocratie, de développement commun et de solidarité.
Cette charte peut être établie en s’appuyant sur les acquis des années 60 du siècle dernier (conventions commerciales), des années 70 (accords de coopération), des années 90 (accords de partenariat) et du début de ce siècle (politique de voisinage).
Une telle charte peut permettre de consolider l’intégration économique entre les deux rives édifiées grâce à ces conventions. Elle permet également de jumeler les priorités stratégiques de tous les membres de la région vers l’édification d’un corps culturel euro-méditerranéen alliant universalité et spécificité d’une part ; ouverture et enracinement d’autre part.
Au niveau économique, cette charte visera la création d’un espace économique compétitif commun face aux blocs américain et asiatique, ce qui permettrait de faire prospérer les accords commerciaux (dans l’agriculture, les services et la pêche maritime…) par la reprise des exportations commerciales du sud vers le nord. Il s’agit d’un objectif plus ambitieux et évolutif qui dépasse la logique limitée du libre-échange et qui tient compte du fait que l’excédent commercial de l’UE dans la région méditerranéenne est le plus important au niveau international.
Sur le plan culturel, le Maroc, qui a toujours été à l’avant-garde des pays concernés par le partenariat euro-méditerranéen, considère que cette nouvelle charte est destinée à renforcer les valeurs d’ouverture, de pluralisme, de diversité et de respect des spécificités de chacun.
La prévalence du discours populiste dans certaines régions d’Europe pose l’équivoque sur le sens de l’organisation européenne et menace la coexistence et la cohésion positive qui ont longtemps distingué l’espace euro-méditerranéen. Alors que l’isolement et la crispation identitaire contre celle des autres vont à l’encontre de la tendance portée par la mondialisation dans ses aspects universels (libre échange, libre circulation, compétitivité économique, nouvel équilibre démographique et développement technologique…) tous ces aspects constituent une opportunité et une source de richesse commune et un facteur d’ouverture dont les sociétés euro-méditerranéennes doivent idéalement bénéficier.
Dans le même contexte, une approche équilibrée de la question de l’immigration sous tous ses aspects permettrait de combler les écarts démographiques entre les pays de la Méditerranée, en plus d’encourager une immigration temporaire entre ces pays, garantissant l’intégration sociale et économique des migrants dans les pays d’accueil.
Le Maroc est confiant que l’utilisation de la conjoncture actuelle porterait le partenariat euro-méditerranéen à un niveau nouveau et plus ambitieux qui interagit avec les opportunités et les défis de notre ère moderne.
C’est pourquoi l’ambition du Maroc de conclure « un partenariat privilégié » avec l’UE est susceptible de constituer une pierre fondatrice de ce nouveau cadre régional en Méditerranée.
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