Analyse d’un spécialiste de la scène libyenne : Le lynchage de Mouammar

La mort de Mouammar el-Kadhafi a été saluée par une explosion de joie dans les palais gouvernementaux occidentaux, à défaut de l’être par le peuple libyen. Pour Thierry Meyssan, cet assassinat militairement inutile n’a pas été perpétré [[…] uniquement pour l’exemple, mais aussi ppour déstructurer la ssociété tribale libyenne.
Par Thierry Meyssan, animateur du réseau Voltaire 
En août 2005, un des chefs d’enquête écossais déclara que la pièce à conviction principale, le retardateur, avait été déposée sur les lieux par un agent de la CIA. Puis l’expert qui avait analysé le retardateur pour le tribunal admit l’avoir lui-même fabriqué avant que la CIA ne le dépose sur les lieux. 
Enfin, le commerçant maltais reconnut avoir été payé 2 millions de dollars pour porter un faux témoignage. Les autorités écossaises décidèrent de réviser le procès, mais l’état de santé d’Abdelbaset Ali Mohmed Al Megrahi ne le permit pas. 
L’actuelle campagne de désinformation comprend aussi un volet sur le train de vie décrit comme somptueux du défunt et sur le montant pharaonique de sa fortune cachée. 
Or, tous ceux qui ont approché Mouammar el-Kadhafi, ou simplement ceux qui ont visité sa maison familiale et sa résidence après leur bombardement, peuvent attester qu’il vivait dans un environnement comparable à celui de la bourgeoisie de son pays, bien loin du bling bling de son ministre du Plan, Mahmoud Jibril. 
De même, aucun des Etats qui traquent la fortune cachée des Kadhafi depuis des mois n’a été en mesure de la trouver. Toutes les sommes significatives saisies appartenaient à l’Etat libyen et non à son «guide». 
A l’inverse, les médias atlantistes n’évoquent pas le seul mandat d’arrêt international émis par Interpol contre Mouammar el-Kadhafi avant l’offensive de l’OTAN. Il était accusé par la justice libanaise d’avoir fait disparaître l’imam Moussa Sadr et ses accompagnateurs (1978). Cet oubli s’explique par le fait que l’enlèvement aurait été commandité par les Etats-Unis qui voulaient éliminer l’imam chiite avant de laisser l’ayatollah Rouhollah Khomeiny rentrer en Iran, de peur que Sadr n’étende au Liban l’influence du révolutionnaire iranien. 
Les médias atlantistes n’évoquent pas non plus les critiques que des organisations de la résistance anti-impérialiste et nous-mêmes avions formulées contre Mouammar el-Kadhafi : ses compromis récurrents avec Israël. 
Pour ma part, je peux attester que, jusqu’à la bataille de Tripoli, le «guide» a négocié avec des émissaires israéliens, espérant parvenir à acheter la protection de Tel-Aviv. Je dois aussi attester que, malgré mes critiques sur sa politique internationale, et le dossier complet à ce sujet que la DCRI française lui a aimablement communiqué à mon sujet en juillet dans l’espoir de me faire arrêter, Mouammar el-Kadhafi m’a accordé sa confiance et m’a demandé d’aider son pays à faire valoir ses droits aux Nations unies ; un comportement bien éloigné de celui d’un tyran. 
L’aide libyenne dépassait celle du G20 Les médias atlantistes n’ont pas non plus cité les ingérences que j’ai condamnées de la Libye dans la vie politique française, notamment le financement illégal des campagnes électorales présidentielles de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal. 
Le «guide» avait en effet autorisé son beau-frère Abdallah Senoussi à corrompre les deux principaux candidats en échange de la promesse de l’amnistier ou de faire pression sur la justice française pour clore son dossier pénal. 
Surtout, les médias atlantistes n’évoquent pas l’œuvre principale du «guide» : le renversement de la monarchie fantoche imposée par les Anglo-Saxons, le renvoi des troupes étrangères, la nationalisation des hydrocarbures, la construction de la Man Made River (les plus importants travaux d’irrigation au monde), la redistribution de la rente pétrolière (il fit d’une des populations les plus pauvres du monde la plus riche d’Afrique), l’asile généreux aux réfugiés palestiniens et l’aide sans équivalent au développement du tiers-monde (l’aide libyenne au développement était plus importante que celle de tous les Etats du G20 réunis). 
La mort de Mouammar el-Kadhafi ne changera rien au plan international. L’événement important était la chute de Tripoli, bombardée et conquise par l’OTAN — certainement le pire crime de guerre de ce siècle —, suivie de l’entrée de la tribu des Misratais pour contrôler la capitale. Dans les semaines précédant la bataille de Tripoli, l’écrasante majorité des Libyens ont participé, vendredi après vendredi, à des manifestations anti-OTAN, anti-CNT et pro-Kadhafi. Désormais, leur pays est détruit et ils sont gouvernés par l’OTAN et ses fantoches du CNT. 
La mort du guide aura par contre un effet traumatique durable sur la société tribale libyenne. En faisant tuer le leader, l’OTAN a détruit l’incarnation du principe d’autorité. Il faudra des années et beaucoup de violences avant qu’un nouveau leader soit reconnu par l’ensemble des tribus, ou que le système tribal soit remplacé par un autre mode d’organisation sociale. 
En ce sens, la mort de Mouammar el-Kadhafi ouvre une période d’irakisation ou de somalisation de la Libye.

Le Jeune Indépendant, 23/10/2011
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