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Le premier discours sur l’état de la nation d’Abdelmadjid Tebboune a donné lieu à une véritable moubayaa des parlementaires qui ont redoublé d’applaudissements sur le bilan de ses quatre ans à la tête de l’Algérie.
Ce discours fleuve d’une centaine de minutes, lundi 25 décembre, devant les deux chambres du Parlement réunies en Congrès, à Club-des-Pins, ne change en rien sur les fondamentaux de Tebboune : autosatisfaction et une flopée de chiffres difficiles à vérifier ni à argumenter. Surtout quand ils entendent Tebboune leur lancer : « Je témoigne de votre intégrité et du fait que vous représentez le premier parlement élu loin de l’argent sale. » Du grand art !
Le chef de l’Etat veut être le chevalier blanc et faire oublier son passé. Et pourtant ! ? N’a-t-il pas participé aux jeux du pouvoir de ces gouvernements à l’argent sale pendant 20 ans.
Le président Tebboune a fait du Abdelmadjid Tebboune. Il a évoqué des acquis en matière économique avec un taux de croissance de 4,2%, des réserves de change de plus de 70 milliards de dollars et des exportations hors hydrocarbures estimées à 7 milliards de dollars. Ce dernier chiffre n’a jamais été atteint, selon lui, depuis l’indépendance de l’Algérie. Un exploit que la presse nationale a salué unanimement avec courage ! Le contraire nous aurait étonné.
Pourtant, il n’y a rien de glorieux à vivre de la rente pétrolière, encore moins si elle n’est pas utilisée pour des projets structurants. En réalité, l’Algérie bénéficie depuis l’an 2000 de l’envolée des prix du pétrole, qu’est-ce qui a changé pour les Algériens depuis ?
Hier comme aujourd’hui, ce qu’Abdelmadjid Tebboune oublie de dire aux Algériens c’est que ces résultats sont le fait des exportations du pétrole, rien d’autres. L’économie algérienne (et les capitaines d’industrie le savent) est encalminée depuis plusieurs années. Et le règne de Tebboune n’a arrangé en rien à la situation.
Fier, il a balancé devant les parlementaires les impressionnantes sommes supposément récupérées par les services de l’Etat suite à des enquêtes sur les détournements pendant le règne de Bouteflika.
En matière sociale, Abdelmadjid Tebboune a rappelé sa décision d’attribuer une indemnité pour plus de deux millions de chômeurs et la suppression de l’impôt sur les revenus pour les bas salaires.
« El Hirak el moubarak » a été encore une fois dévoyée de son cours par Tebboune dans ce discours qui clôt 2023. « Notre vaillant peuple est sorti dans la rue en février 2019… avec la volonté de mettre fin à la crise grave qui a mis à l’époque les institutions de l’État à l’épreuve à cause de la dégradation de la gouvernance et de la propagation de la corruption », a soutenu Abdelmadjid Tebboune. Qu’en a-t-il fait depuis ? Il a rempli les prisons d’Algériens qui croyaient au changement et semé l’arbitraire et la terreur. La société est mise sous surveillance et la machine judiciaire actionnée contre les activistes. Plus de 200 détenus d’opinion croupissent actuellement dans les prisons algériennes. Des milliers d’Algériens sont passés par la case prison depuis le printemps 2019 pour leurs opinions.
Faut-il rappeler à Tebboune que la rapporteuse de l’ONU, Mary Lawlor, avait appelé le 5 décembre dernier à Alger les autorités algériennes à libérer tous les défenseurs des droits humains emprisonnés, à l’issue d’une visite dans le pays et cesser le harcèlement des citoyens, des partis et des associations ? Mais là encore, motus.
Comme il fallait s’y attendre, le 2e mandat était dans l’air ! Abdelmadjid Tebboune (78 ans) a été plusieurs fois interrompu par des parlementaires demandant lui demandant de briguer un second mandat. « Que Dieu nous prête la santé nécessaire« , a-t-il répondu à l’un des parlementaires. Des dizaines de députés et de sénateurs ont scandé alors longuement : « Deuxième mandat ! »
On n’est pas sorti du modèle de la cour, avec les courbettes, les louanges, il ne manque que la couronne et le sceptre. Pourtant on est bien en république !
Cela ne vous rappelle rien ? Ne macère-t-on pas là dans l’ère de Bouteflika où les députés, les partis suppliaient à coups de déclarations et d’encarts publicitaires Abdelaziz Bouteflika de briguer un 2e, un 3e, un 4e puis un 5e mandat ? Tebboune en sait quelque chose puisqu’il était de la partie.
Il a beau le nier, la même cour s’est reformée autour du chef de l’Etat après s’être tue pendant le Hirak. Les parlementaires et demain les partis et les organisations de la société civiles ainsi que tous les associations fantoches que compte le pays seront actionnées pour réclamer un 2e mandat.
Relations extérieurs
En politique extérieure, le chef de l’État algérien a estimé qu’Alger continue de soutenir les droits les Palestiniens en refusant tout déplacement des populations de Gaza en dehors de leur territoire. Et après ? Le peuple de Gaza meurt chaque jour un peu plus sous les bombes. Que fait l’Algérie qui est pourtant au Conseil de sécurité, comme l’ont répété les médias officiels pour tromper l’opinion publique.
Le Sahara occidental, selon lui, est une question de décolonisation, telle que mentionné dans les résolutions des Nations unies. Là aussi, rien de nouveau. C’est la position de l’Algérie officielle depuis l’ère de Boumediene.
Malgré la crise diplomatique actuelle entre Alger et Bamako, avec rappel des ambassadeurs, le chef de l’État n’a rien dit sur les relations avec le Mali. Et pourtant, elles sont au bord de la rupture. Comme d’ailleurs avec le Niger voisin. La réunion orchestrée par le Maroc à Marrakech avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger pourrait sonner le début d’un changement des alliances et la mise à l’écart de l’Algérie dans le Sahel.
Avec ce discours, on est baigne l’obstination dans l’erreur, l’adoration de la fuite en avant. Mais tout va bien tant que les mensonges sont notre seul horizon.
Yacine K.
Source : Le Matin d’Algérie, 27/12/2023
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