La France espère que la réouverture de l’affaire Pegasus en Espagne stimulera son enquête judiciaire : « Elles sont interconnectées »

Le Maroc est soupçonné d'avoir hameçonné les téléphones portables du président français Emmanuel Macron et du chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez avec le spyware israélien Pegasus.

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Deux enquêtes judiciaires parallèles qui se renforcent si elles continuent toutes les deux, malgré la course d’obstacles que dessine l’horizon. En France, la réouverture de l’enquête Pegasus par l’Audiencia Nacional, résultant de la transmission de nouvelles données par la justice française, est vue avec optimisme, comme un signe que l’enquête progresse malgré l’absence de résultats concrets.

« C’est une enquête sans précédent. Il n’y a aucune autre affaire ouverte sur un programme d’espionnage comme Pegasus. C’est une enquête très complexe qui peut prendre des années », avertissent des sources bien informées des enquêtes dans le pays voisin à El Independiente. Le plus grand secret a jusqu’à présent marqué la procédure en France depuis qu’en juillet 2021 une enquête a révélé que le président français Emmanuel Macron, son ancien premier ministre Édouard Philippe et 14 de ses 20 ministres avaient été sélectionnés par les services secrets marocains comme cibles potentielles de surveillance avec le logiciel israélien.

La révélation a conduit l’Élysée à ouvrir une série d’enquêtes et à examiner ses relations avec Rabat. En juillet 2022, le parquet de Paris a remis à un juge d’instruction l’enquête sur l’utilisation de Pegasus en territoire français, dans laquelle figurent également des journalistes du pays. L’ONG Reporters Sans Frontières s’est constituée partie civile dans le procès au nom d’une vingtaine de journalistes provenant d’une dizaine de pays. « Le juge a enquêté de manière très technique et discrète », reconnaît à El Independiente Antoine Bernard, représentant légal de Reporters Sans Frontières. Même l’organisation n’a pas pu accéder jusqu’à présent au dossier.

Trois ans d’enquête en France « Ne pas avoir accès au dossier d’enquête peut parfois sembler suspect, mais dans ce cas il y a une raison légitime. Le travail a été fait. L’envoi de matériel à l’Audiencia Nacional, qui a conduit à la réouverture de l’enquête en Espagne, en est une preuve », explique Bernard. Sur la base de ces informations, le juge de l’Audiencia Nacional, José Luis Calama, a rouvert l’affaire sur l’infection par le logiciel Pegasus des téléphones du président du gouvernement, Pedro Sánchez, et des ministres de la Défense, de l’Intérieur et de l’Agriculture, Margarita Robles, Fernando Grande-Marlaska et Luis Planas.

Près de deux ans après sa nomination, le juge français a maintenu le secret autour de l’affaire. Les informations fournies à Madrid constituent l’un de ses rares « écarts ». Un silence qui a nourri la méfiance de certaines victimes du cyberespionnage en territoire français. Jusqu’à trois personnes affectées par le logiciel consultées par ce journal ont exprimé leur frustration face au manque de progrès publics, au milieu de la volonté de Paris de décongeler les relations avec le Maroc, qui se sont tendues après l’éclatement du scandale et une conversation tendue entre Macron et Mohamed VI.

L’anxiété de la France à sortir des crises diplomatiques avec le Maroc n’est pas un argument en faveur d’une procédure judiciaire qui aille jusqu’au bout « Le parquet français a ouvert une enquête judiciaire le 1er juillet 2022, mais tout indique qu’elle est en train d’être enterrée », déclare avec regret à ce journal Rosa Moussaoui, journaliste du quotidien français L’Humanité. « J’ai été interrogée lors de l’enquête préliminaire par des agents de police spécialisés en cybercriminalité, mais depuis, rien ne s’est passé. Je n’ai eu aucun contact avec le juge d’instruction. Il est clair que ce qui manque ici, c’est la volonté politique. L’anxiété de la France à sortir des crises diplomatiques des dernières années avec le Maroc n’est pas un argument en faveur d’une procédure judiciaire qui aille jusqu’au bout », argumente la journaliste, victime de Pegasus pour sa couverture des violations des droits de l’homme au Maroc.

« L’implication d’une entreprise israélienne liée au ministère israélien de la Défense (NSO, qui a développé et commercialisé Pegasus) est également une honte pour les autorités françaises, compte tenu de leur complaisance envers le gouvernement israélien, même dans ses pires abus contre la liberté. Je ne suis pas très optimiste quant au résultat juridique de ces plaintes », ajoute Moussaoui.

Crainte d’un abandon judiciaire Pour Reporters Sans Frontières, cette crainte d’un abandon judiciaire n’est pas déraisonnable compte tenu des pressions exercées par des pays tiers, mais ils estiment qu’il existe des raisons pour un optimisme prudent. « C’est une crainte plausible, provenant non seulement du Maroc mais aussi d’Israël, dont la France a tenté d’obtenir l’engagement de ne pas vendre de produits pouvant être utilisés contre des téléphones avec le préfixe français. Je comprends ceux qui sont pessimistes, mais je dirais que nous restons vigilants. Notre propre appréciation est qu’il y a une volonté du juge d’instruction de progresser. Elle a existé et elle existe. C’est important car c’est la seule enquête judiciaire restante au monde sur Pegasus, en plus de celle de l’Espagne », souligne Bernard.

Pour l’ONG centrée sur la défense de la liberté de la presse, il est reconnu que le contexte, hautement politisé, n’aide pas les victimes à avoir confiance que la violation sera punie. « La France et le Maroc ont des intérêts économiques, diplomatiques et politiques entrelacés. Pour Paris et les entreprises françaises, Rabat est également une porte d’entrée pour défendre les intérêts français en Afrique de l’Ouest, à un moment où la présence française en Afrique est menacée : Paris doit récupérer le soutien dans la région, ce qui explique le désir de tourner la page sur ces crises », argumente la journaliste. « Bien que cela implique de fermer les yeux sur les violations des droits de l’homme au Maroc, les ingérences marocaines en France et dans les institutions européennes, et l’alignement français avec les offensives marocaines pour enterrer le droit international dans le conflit de décolonisation du Sahara Occidental. Dans ce contexte, il semble très probable que l’affaire Pegasus finisse par être enterrée sous le silence », dénonce-t-elle.

Sous pression par le dossier de migration, la Belgique a renoncé au dossier Marocgate. « Dans le cas de Pegasus, comme on l’a vu en Espagne avec l’enquête judiciaire, le problème clé est la responsabilité et à qui attribuer le crime. Cela peut prendre un certain temps », estime Bernard. Face à ce panorama, la représentation légale de Reporters Sans Frontières espère qu’en unissant leurs efforts, les tribunaux espagnol et français pourront avancer avec plus de détermination. « Elles sont interconnectées et cela signifie que la coopération judiciaire peut être productive. L’enquête a été fermée en Espagne parce qu’on a pu prouver l’existence du logiciel espion, mais on n’a pas pu prouver qui l’avait installé. Si l’enquête a maintenant été rouverte en Espagne, c’est peut-être parce que le juge français dispose de preuves à ce sujet », ajoutent-ils depuis Paris.

L’un des points d’interrogation laissés par l’échange de données entre les enquêtes espagnole et française est ce que El Independiente a révélé il y a un an : le même compte de messagerie (linakeller2203@gmail.com) qui a accédé au téléphone du ministre de l’Intérieur et de la Défense a également espionné la militante pro-saharienne Claude Mangin, de nationalité française, un maire français, le diplomate du Front Polisario Oubi Bachir et Hicham Mansouri, journaliste marocain exilé en France. Cette coïncidence renforce l’implication du Maroc dans l’espionnage et également la nécessité de coordonner l’enquête entre les deux pays. « La seule conclusion que l’on peut tirer de ce genre de faits est qu’il est vraiment important que les tribunaux espagnol et français travaillent ensemble. Il faut tirer parti de cette circonstance », soulignent-ils depuis Reporters Sans Frontières.

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