Le Parlement européen a longtemps été l’une des principales arènes institutionnelles internationales où le conflit du Sahara occidental s’est déroulé. À Bruxelles, il s’est donc distingué comme une exception au rôle en retrait et à l’engagement limité de l’UE dès les années 1980. L’attention s’est accrue avec l’adhésion de l’Espagne à l’UE en 1986, l’ancienne puissance coloniale du territoire disputé. Un intergroupe sur le Sahara occidental a été formé la même année au Parlement européen. Cependant, c’est plus de deux décennies plus tard qu’un seuil dans la « parlementarisation » du triangle UE-Maroc-Sahara occidental a été franchi, résultant de trois développements simultanés. Lorsque le Maroc s’est vu attribuer le « Statut Avancé » dans le cadre de la Politique européenne de voisinage en 2008, un JPC UE-Maroc a suivi en 2010. Parallèlement, le Parlement européen est devenu une cible cruciale dans la nouvelle stratégie internationale à double volet de la Front Polisario en « basse politique », mettant l’accent sur les violations des droits humains rapportées au Maroc et l’exploitation des ressources naturelles dans le territoire du Sahara occidental sous son contrôle. En particulier, les nationalistes sahraouis ont priorisé des actions contre l’inclusion de facto du Sahara occidental dans les multiples accords de coopération bilatérale de l’UE avec le Maroc, combinant des voies judiciaires (CJUE) et parlementaires. Enfin, le traité de Lisbonne de 2009 a renforcé le rôle du Parlement en introduisant un consentement parlementaire obligatoire pour une grande partie des accords internationaux de l’UE (celles négociées en vertu de l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’UE).
Le mécanisme le plus ancien pertinent pour notre discussion est l’Intergroupe du Parlement européen sur le Sahara occidental. Les intergroupes ne sont pas considérés comme des organes parlementaires officiels, mais plutôt comme des forums pour des échanges informels entre différents groupes politiques et la société civile. Ils sont censés être de nature thématique (plutôt que géographique). En ce sens, l’intergroupe sur le Sahara occidental a toujours été une exception (avec celui sur le Tibet). En fait, la raison d’être de ces deux intergroupes était de contrebalancer la non-reconnaissance par l’UE et les États membres de la souveraineté dans les deux cas, ce qui empêche toute forme de relations diplomatiques formelles, y compris par le biais de canaux diplomatiques parlementaires officiels. Malgré son statut hiérarchique inférieur, l’intergroupe offre des avantages significatifs aux acteurs nationalistes sahraouis et à leurs partisans. Il permet des réunions et des événements dans les locaux du Parlement européen, où les députés européens sont généralement rejoints par des représentants du Front Polisario et des organisations de la société civile alliées comme Western Sahara Resource Watch (WSRW), des déclarations ou des communiqués de presse au nom de l’intergroupe, utilisant ainsi le cadre institutionnel du Parlement européen pour sensibiliser. Entre les mandats 2014-2019 et 2019-2024 du Parlement européen, il y a eu une diminution substantielle de l’adhésion de l’intergroupe (de 105 à 63 députés européens) ainsi qu’une diversification géographique où le poids des députés européens allemands, italiens et espagnols est devenu moins prédominant. Politiquement, il est resté dominé par les groupes des Socialistes et Démocrates (S&D), de la Gauche et des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE).
D’autre part, le premier mécanisme spécifique EP-Maroc a été le JPC UE-Maroc. Il s’agit d’un forum interparlementaire officiel visant à réunir une gamme transpartisane de députés européens et de parlementaires marocains. Il opère sous l’égide de la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et l’Union du Maghreb arabe (DMAG), qui combine les responsabilités de surveillance parlementaire sur les relations de l’UE avec cette région et la coordination de l’engagement avec les homologues parlementaires maghrébins – malgré les tensions potentielles entre ces deux rôles. Le JPC UE-Maroc, qui se réunit annuellement à Bruxelles ou Rabat, est actuellement composé de 26 membres avec coprésidence et parité de représentation. Sa méthode de travail en binômes unique – où « un parlementaire marocain et un député européen travaillent ensemble et produisent une contribution commune sur un aspect du partenariat UE-Maroc » – informe les recommandations du JPC au Conseil d’association UE-Maroc, c’est-à-dire l’organe chargé du dialogue politique bilatéral au niveau exécutif en vertu de l’Accord d’association de 1996. Outre la production de nombreux rapports de ce type, le site web de la DMAG souligne que les binômes ont « contribué à forger des relations interpersonnelles solides entre les membres ». Dans le contexte de « Moroccogate », il est notable que les deux coprésidents du JPC UE-Maroc pour la plupart des périodes 2010-2014 et 2014-2019, à savoir le président de la DMAG, Panzeri, et le député marocain Abderrahim Atmoun, sont les deux figures clés au centre du scandale. Ce qui a été conçu comme un instrument typique de la diplomatie parlementaire s’est finalement transformé en canal pour ce qui semble maintenant être des connexions et pratiques moins légales.
Un an après la création du JPC et au milieu des campagnes de lobbying précédant le vote de décembre 2011 sur le protocole de pêche UE-Maroc, Rabat a renforcé davantage sa présence avec la création d’un Groupe d’amitié UE-Maroc. Dirigé par le député européen français Gilles Pargneaux, ce groupe est apparu comme le produit d’une initiative marocaine distincte visant à influencer informellement le législateur, c’est-à-dire comme un instrument de lobbying parlementaire. Un peu comme les intergroupes, les groupes d’amitié, « parfois parrainés par des lobbyistes ou des gouvernements étrangers, ne sont pas des organisations officielles du Parlement européen ». Selon le Parlement, « si ces groupes voyagent à l’étranger, ils n’ont aucun statut officiel […]. Ces groupes ne coordonnent pas avec les commissions et ne peuvent pas parler au nom du Parlement ». Cependant, bien qu’il existe toujours une frontière théorique entre la diplomatie parlementaire régulière (c’est-à-dire Délégation Maghreb, JPC UE-Maroc) et le lobbying (c’est-à-dire Groupe d’amitié UE-Maroc), ces structures formelles et informelles ont souvent eu tendance à se chevaucher en pratique. Un document interne fuité de 2014 du ministère marocain des Affaires étrangères indique que le Groupe d’amitié UE-Maroc s’était fixé pour objectif de « travailler dans le cadre de la complémentarité » et que ses membres du PE « développent des initiatives et des approches communes » avec le JPC. Aux yeux des acteurs pro-sahraouis, le problème était que le Groupe d’amitié UE-Maroc « prenait le contrôle de la Délégation Maghreb » (entretien de l’auteur à Bruxelles, août 2016).
La composition du Groupe d’amitié UE-Maroc combinait deux caractéristiques particulières : le rôle dominant de Pargneaux, décrit par un collègue député européen S&D sur Twitter comme « le lobbyiste le plus effronté du Maroc », et l’absence de clarté quant à son adhésion plus large, dont aucun enregistrement complet n’est publiquement disponible. Une liste non officielle (pour le mandat 2009-2014) a circulé en ligne fin 2022, comprenant 57 députés européens, dont une majorité (34) provenaient du groupe du Parti populaire européen (PPE), suivis de 14 du S&D, 7 de l’Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe (ALDE) et 2 des Verts/ALE. En ce qui concerne les pays d’origine, les députés européens français représentaient près de la moitié (26) du groupe, tandis que les autres provenaient d’Espagne (9), de Belgique (8), d’Italie (4), d’Allemagne (3) et d’autres pays (7). Le mémo marocain fuité révèle les préoccupations de Rabat concernant l’équilibre de l’adhésion au groupe d’amitié : il souhaitait qu’il soit plus représentatif de la gamme des États membres de l’UE et inclut des députés européens des groupes politiques « les plus hostiles au Maroc ». Les activités principales du groupe comprenaient des visites régulières au Maroc et ce que certains de ses membres appelaient le « Sahara marocain », en accord avec les dates clés de l’agenda de Rabat, par exemple, les votes du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara occidental et les arrêts de la CJUE sur les accords UE-Maroc. Les voyages, l’hébergement et les cadeaux étaient souvent pris en charge par le Maroc, comme le révèlent des enquêtes journalistiques récentes. Le groupe organisait également des réunions et des événements dans les quartiers généraux du PE à Bruxelles – notamment une réunion à laquelle un agent présumé des services de renseignement marocains a assisté avant d’être expulsé de Belgique en 2018 – et publiait des déclarations, soit collectivement soit par Pargneaux lui-même, sur des questions relatives aux relations UE-Maroc et au conflit du Sahara occidental. Des exemples de ce dernier incluent plusieurs lettres à la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité Federica Mogherini et au Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, comme publié sur le site web du groupe d’amitié.
Etiquettes : Maroc, Marocgate, Qatargate, corruption, Parlement Européen, Sahara Occidental,
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