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De notre correspondante à Paris, Maya Zerrouki
Au lendemain d’un scrutin qui aura tenu en haleine des millions de Français et suscité l’intérêt des plus gros médias du monde, les analystes et spécialistes de la question politique et sociologique donnent ici et là des éclairages sur un phénomène politique sans précédent dans l’histoire de la 5ème République. L’écrasante victoire du Rassemblement national porté par Jordan Bardella et plébiscité par près de 10 millions d’électeurs ouvre donc la voie à une France ultranationaliste affichant sa préférence sociale comme ligne principale de son programme électoral. Décryptage avec le sociologue Saïd Belguidoum, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, chef du département carrières sociales – villes et territoires durables. Il est spécialisé dans la sociologie urbaine et sociologie de l’Algérie.
Le Soir d’Algérie : Quelle lecture faites-vous des résultats de ce premier tour des élections législatives ?
Saïd Belguidoum : Le point de départ de ma première réaction est d’abord de questionner le contexte : pourquoi avoir provoqué de telles élections alors que rien n’obligeait Macron à une dissolution précipitée de l’Assemblée nationale ? Les élections européennes avaient bien indiqué la tendance : l’extrême droite et son principal parti, le Rassemblement national, étaient en plein essor. On ne voyait pas comment le parti présidentiel, Renaissance, qui n’avait aucune base sociale solide, pourrait en bénéficier. La droite classique, qui d’ailleurs a implosé après cette annonce de dissolution, était déjà un mouvement en voie de disparition.
Donc, en dissolvant l’Assemblée nationale, le parti macroniste n’offrait aucune alternative avantageuse. Au contraire, il ouvrait la voie au Front national. Ces élections, qu’elles soient européennes ou législatives, ont des conséquences importantes. La dissolution de l’Assemblée nationale ne semblait avoir aucune logique, si ce n’est de permettre au Front national, désormais Rassemblement national, de devenir un arbitre incontournable de la scène politique.
Quels sont, selon vous, les éléments qui ont fait avancer et gagner le Rassemblement national ?
Le macronisme, après sept années d’exercice du pouvoir, est en crise profonde. Cette crise reflète celle de la société française dans son ensemble. Il faut replacer cette situation dans un contexte plus large, international et mondial. Cette crise est favorisée par une politique méprisante à l’égard des couches populaires et moyennes. Depuis l’arrivée de Macron au pouvoir, elles subissent les effets de sa politique ultralibérale au service des plus riches. Cette politique remet en cause ce qui a longtemps constitué la force de la société française : son pacte social et son État-providence, garantissant une protection sociale forte, des retraites solides et un progrès social continu.
Selon vous, est-ce un vote sanction contre le gouvernement actuel ou bien une vraie adhésion aux idées du RN ?
Le vote pour le Rassemblement national est un vote de ras-le-bol, alimenté par les peurs. En réalité, le Rassemblement national n’a aucun véritable programme de gouvernement, à part des mesures et des annonces contradictoires sur des sujets tels que le rétablissement de l’âge de la retraite, puis finalement sur la baisse de la TVA, et ainsi de suite. On est dans le bricolage programmatique, ce qui fait que les différentes mesures qu’il pourrait prendre ne fonctionneraient pas.
En revanche, il continue à fonctionner sur la peur, avec une recherche permanente du bouc émissaire, la peur de l’autre, le responsable de tous les maux qui frappent une société, c’est-à-dire l’étranger, le migrant, et aujourd’hui surtout le musulman. C’est le point fort de ce parti d’extrême droite, qui peut être rapidement fragilisé par l’inertie du pouvoir, mais qui a suffisamment de ressources pour trouver des solutions alternatives et toujours rejeter sur l’autre l’impossibilité de réaliser son programme. Il continue tout en remettant en cause un certain nombre de libertés, approfondissant ainsi leurs assises pour se maintenir au pouvoir.
Donc attention, si le Front national accède au pouvoir en juillet, cela ne veut pas dire qu’il sera rapidement mis à la porte. Le Front national peut s’installer durablement. Hitler a gagné en 1933 avec exactement le même pourcentage, 32%, et le nazisme a duré jusqu’en 1945.
Le Nouveau Front populaire arrivé en 2ème place de ce scrutin avec 28% des suffrages. Peut-il contre-balancer les résultats du second tour ?
Heureusement, le Nouveau Front populaire montre qu’il existe encore en France des gens qui croient en une France héritière des combats républicains et révolutionnaires qui ont jalonné son histoire. Une France qui s’est toujours opposée à la réaction, dont les exemples les plus récents, bien que souvent oubliés par l’opinion publique, sont la résistance à l’occupation nazie et à la collaboration pétainiste, ainsi que le soutien aux luttes anticoloniales. Ces luttes ont trouvé leur apogée dans le soulèvement de la population française contre les dangers de l’OAS, lors de la tentative de coup d’État contre de Gaulle, qui avait finalement été contraint d’opter pour l’indépendance de l’Algérie. Cette France de la résistance, cette France républicaine, cette France de la générosité et des droits de l’Homme existe encore. Elle s’oppose et constitue un rempart solide contre la montée de l’extrême droite. Heureusement qu’elle est là.
Dans ce contexte de montée des idées racistes et xénophobes, quel futur pour la diaspora algérienne binationale de France ?
Cette campagne politique de haine dépasse largement le traditionnel slogan de préférence nationale. Elle remet en question la binationalité, bien que cette idée soit juridiquement difficile à réaliser sans une réforme constitutionnelle française. Cette remise en cause de la binationalité interpelle, car elle cible une fraction de la population, opposant ainsi différents groupes sans prendre en compte la diversité des binationaux américains, allemands, européens et d’autres nationalités. La diaspora algérienne, particulièrement visée, ne peut ignorer ces propos. D’une part, cela va à l’encontre d’une tendance mondiale vers la binationalité et la transnationalité, qui répondent à la mondialisation. D’autre part, chaque individu devrait pouvoir bénéficier des droits de citoyenneté dans le pays où il vit, que ce soit avec ou sans une double nationalité. Ce ciblage spécifique sur la binationalité est avant tout un outil de campagne qui alimente les peurs et renforce la stigmatisation de l’autre. En marquant cet «étrange étranger» comme menaçant, cela nourrit le racisme en maintenant une distance entre les groupes. Malheureusement, cette stratégie reste un élément de campagne qui remet en question les politiques inclusives nécessaires au vivre-ensemble et au bien-être des sociétés.
Comment cette communauté pourrait-elle s’organiser pour agir ?
Aujourd’hui, la communauté algérienne est sans doute la plus importante, bien que difficile à quantifier précisément, car elle s’étend désormais sur plusieurs générations. D’autres communautés, aussi nombreuses ou moins, ont disparu de la société française, comme les Espagnols et les Italiens. Cela est illustré par le fait que le leader de l’extrême droite française Jordan Bardella a des ancêtres algériens éloignés (arrière-grand-père, ndlr). De même, le ministre de l’Intérieur français, Darmanin, dont la mère est d’origine algérienne.
Cette communauté algérienne est très nombreuse, mais elle est également caractérisée par son hétérogénéité et sa fragmentation. Elle est souvent utilisée comme enjeu politique, devenant un bouc émissaire. Cependant, elle ne peut pas rester prise en otage par les campagnes électorales ; elle doit s’engager activement et pleinement dans la vie de la société française. Pour cela, il est crucial d’éviter deux écueils : d’une part, le repli communautaire qui ne ferait que renforcer l’extrême droite et la droite ; d’autre part, la disparition progressive de cette communauté algérienne dans la société française, par assimilation ou oubli de ses racines.
Il est essentiel de pouvoir être un acteur positif dans la société française, en contribuant à sa diversité et en enrichissant le cadre social sans renier ses origines ni se replier sur soi-même. Cela signifie éviter de devenir un simple objet plutôt qu’un sujet de la société. En résumé, l’enjeu est de participer pleinement à la vie citoyenne tout en préservant et en valorisant notre diversité culturelle et historique, qui constitue la force et la vitalité d’une société.
M. Z.
Le Soir d’Algérie, 02/07/2024
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