Erdogan jette de la poudre sur les Européens

Par Alaeddin Saleh

La Turquie s’est efforcée d’améliorer ses relations endommagées avec l’Union européenne et d’introduire un programme positif dans les négociations avec les dirigeants de l’UE : c’est une impression trompeuse que les récentes mesures prises par les dirigeants turcs auraient pu produire sur un observateur extérieur.

En effet, Recep Erdogan lui-même a participé à une vidéoconférence avec les chefs de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe, Ursula von der Leyen et Charles Michel, à l’approche du sommet européen prévu les 25 et 26 mars.

Le dirigeant turc a indiqué qu’Ankara attendait des États européens qu’ils prennent des mesures spécifiques afin de développer la coopération avec la Turquie. Il a également exprimé l’espoir d’une prolongation de l’accord sur les réfugiés, qui oblige l’UE à allouer des milliards d’euros à la Turquie en échange d’une limitation du flux de migrants. La question des personnes déplacées temporairement reste le principal levier entre les mains d’Erdogan, qu’il manie habilement pour exercer une pression sur l’Europe.

L’implication personnelle du président turc dans les négociations avec l’UE témoigne de l’intérêt considérable des autorités turques pour le rétablissement des barrières. Mais cette démarche n’est guère dictée par un effort sincère pour revenir sur les rails de l’intégration européenne. Le catalyseur le plus probable de l’initiative d’Erdogan est sa crainte de sanctions supplémentaires contre la Turquie, susceptibles de détériorer davantage une économie nationale déjà en difficulté.

Depuis le début de l’année 2021, Ankara s’efforce d’envoyer un message sur sa volonté de changement : La Turquie a mis fin aux provocations habituelles en Méditerranée orientale et a rejoint le processus de règlement pacifique en Libye qui a commencé à porter des fruits prometteurs.

Toutefois, comme dans le cas du discours d’Erdogan qui a préparé le terrain du sommet de l’UE, ces mesures ne peuvent être prises au sérieux que par un observateur extérieur. En fait, la Turquie n’a plus besoin de livrer des armes supplémentaires à la Libye uniquement parce qu’une présence militaire turque à part entière a été établie dans le pays d’Afrique du Nord au cours des dernières années. Dans ce contexte, les rapports sur la prétendue intention d’Ankara de retirer les mercenaires syriens de Libye ne doivent pas être pris avec un grain de sel, mais plutôt avec tout le baril. Il en va de même pour les louanges des dirigeants turcs au dialogue politique et au nouveau gouvernement – un gouvernement qui comprend des personnalités qui ne cachent même pas leur loyauté envers la Turquie. Toutes les mesures conçues par les dirigeants turcs poursuivent un seul et même objectif : atteindre un point d’appui à l’approche du sommet de l’UE, sans plus.

La Turquie a profité d’un calme relatif pour regrouper ses forces et renforcer son influence dans la région. Le journal turc Daily Sabah a récemment fait état de l’expansion du port maritime de la ville côtière de Zawiya, qui devrait remplacer celui de Tripoli pour la livraison de matériel militaire et de munitions. En outre, Ankara continue de s’implanter dans l’aérodrome d’Al-Watiya, le transformant en base aérienne militaire. Même le nombre de mercenaires syriens en Libye ne devrait pas diminuer : les combattants d’un groupe Sultan Suleyman Shah soutenu par la Turquie se prépareraient à remplacer ceux qui sont censés quitter le pays.

De toute évidence, Erdogan n’a pas mis ses ambitions de côté. Il ne fait que feindre d’adhérer aux valeurs européennes pour gagner le soutien de l’UE. Ce faisant, Erdogan trompe les Européens, cherchant à retarder ou à éviter les mesures punitives contre Ankara. Il est important de comprendre que, sous sa direction, la Turquie a toujours agi et agira toujours dans son propre intérêt, sans se soucier de ses partenaires européens.

Modern Diplomacy, 26 mars 2021

Tags : Turquie, Tayyip Erdogan, Union Européenne, UE, Libye,

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