Le secteur touristique est à l’arrêt depuis plus d’un an en Tunisie. Plusieurs avions charters remplis de touristes d’Europe de l’Est ont atterri à Djerba la semaine dernière mais la relance se fait attendre. La situation du milieu hôtelier reflète la crise sanitaire et économique que traverse le pays. État des lieux.
Sur l’île de Djerba, au sud-est de la Tunisie, les hôtels sonnent creux. Comme l’année dernière. L’hôtel Hasdrubal a rouvert en décembre dernier après 9 mois de fermeture mais les clients ne sont pas au rendez-vous. Lania, la réceptionniste de l’hôtel le confirme : “Depuis la réouverture, notre taux de remplissage varie entre 2 et 3%”. Même son de cloche au Rym Beach, établissement quatre étoiles. “Nous accueillons d’habitude entre 700 et 800 clients à la fois dans l’hôtel”, vérifie Rabaa Bouani, responsable réservation de l’hôtel. “Entre 2020 et 2021, nous avons accueilli un maximum de 150 clients en même temps”.
Des vols charters ont amené plusieurs centaines de touristes d’Europe de l’Est sur l’île en fin de semaine dernière. Signe d’une relance du secteur touristique ? C’est tout le contraire d’après Jamil Sayah, professeur de droit public et auteur de plusieurs ouvrages sur la situation politique de son pays. “Ce sont des méthodes de communication de l’ancien régime, à la Ben Ali”, affirme-t-il. “Pour montrer que tout va bien, on va chercher des touristes russes ou tchèques, et on les fait venir en Tunisie quasiment gratuitement”.
Un modèle économique dépassé
Le pays a une longue tradition touristique et l’offre s’est développée à partir d’un modèle simple : de grands complexes hôteliers, du soleil, la mer et des offres “tout inclus » peu chères. Durant des années, les hôtels ont poussé comme des champignons à Djerba, Sousse ou Hammamet. Aude-Annabelle Canesse, experte des politiques de développement en Tunisie, explique : “Les gouvernements précédents donnaient une prime aux promoteurs qui construisaient un hôtel”. Beaucoup en ont profité, d’autres en ont abusé. “Grâce à l’argent de la prime, certains construisaient des hôtels qui restaient vides et empochaient le reste de la prime”.
Ce modèle favorise aussi les acteurs économiques étrangers. “Les retombées économiques locales sont quasiment inexistantes”, poursuit Aude-Annabelle Canesse. Les formules “tout inclus” n’incitent pas les touristes à dépenser. Conséquence, les touristes dépensent en moyenne 150 dollars durant leur séjour en Tunisie contre une moyenne de 600 dollars ailleurs dans le monde. “Ce sont les tours opérateurs étrangers qui y gagnent au final”, d’après Aude-Annabelle Canesse.
Un secteur important de l’économie
Au niveau des retombées économiques nationales, les chiffres diffèrent en fonction des sources. La Fédération tunisienne de l’hôtellerie avance une contribution du secteur touristique à hauteur de 14% du PIB en 2019. Cette contribution se situerait autour des 4% selon l’Institut national de la statistique (INS). Sami Aouadi, professeur d’économie à l’université de Tunis, se fie aux chiffres de l’INS. Pour lui, cette bataille des chiffres n’est pas très importante. « Il y a, surtout, beaucoup d’emplois indirects dans les banques, les assurances ou d’autres secteurs qui dépendent de l’industrie hôtelière”, explique l’économiste. “On estime que pour chaque personne employée directement dans un hôtel, 1,4 personne est employée indirectement”.
Plus de 480 000 personnes dépendent directement ou indirectement du secteur pour vivre. Cela représente 11,5% de la population active tunisienne. Aujourd’hui, 27 000 d’entre elles ont perdu leur emploi. “Le problème est que ce modèle est tributaire de la situation internationale, de la situation économique du pays mais aussi d’aléas qui ne dépendent de personne comme la pandémie ou le terrorisme”, explique Jamil Sayah.
De mal en pis
La Tunisie a enregistré plus de 312 747 cas de coronavirus, dont presque 11 000 décès. La crise sanitaire n’est qu’une crise de plus pour le tourisme tunisien. Depuis le milieu des années 2000, la crise financière de 2008, la révolution de Jasmin de 2011, la série d’attentat de 2015 puis la crise du Covid-19 ont successivement affecté le secteur. A chaque fois, l’industrie repart. Le pays a attiré plus de 9,5 millions de visiteurs en 2019 avec pour objectif de dépasser les 10 millions en 2020. L’année passée le nombre d’arrivées a chuté de 80% et les recettes touristiques de 64%.
Un secteur du tourisme à rebondissements ?
Suite à la série d’attentats dans le pays en 2015, le nombre de touristes étrangers se rendant en Tunisie avait baissé de 15%, pour s’établir atour de 5 millions.. Si des niveaux records ont été atteints en 2019 (9,4 millions de touristes), l’année 2020 a vu leur nombre baisser de 80%. 2021 ne devrait pas être une bonne année. Il faudra attendre 2022 pour savoir si le secteur a tenu bon.
La piètre condition du secteur touristique affecte l’économie du pays toute entière. Le déficit budgétaire de 2021 a triplé par rapport à celui de 2020. Près de deux personnes sur cinq sont au chômage. “Tous les indicateurs sont actuellement au rouge en Tunisie mais nous sommes habitués à rebondir”, s’exclame le professeur d’économie Sami Aouadi. Jamil Sayah, lui, est plus pessimiste. Nous n’en serions qu’au début d’une crise économique qui deviendra sociale dans un futur proche. “C’est une bombe à retardement”, selon le professeur de droit. “De plus en plus de personnes sont livrées à elles-mêmes car l’ État ne peut plus les aider.”
TV5 Monde, 04 mai 2021
Etiquettes : Tunisie, tourisme, ouverture des frontières,
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