Le contraste est saisissant : au moment où le régime s’emploie, la tête dans le guidon, à mener à bon port son entreprise de restauration autoritaire, des jeunes quittent le pays, par vagues successives et au moyen d’embarcations de fortune, en quête de cieux plus cléments sur l’autre rive de la Méditerranée. En l’espace de deux jours, pas moins de trente embarcations de harraga, ces “brûleurs de frontières”, sont arrivées sur les côtes espagnoles, selon la presse locale.
Durant les deux premiers mois de l’année en cours, les deux tiers des migrants arrivés en péninsule ibérique sont des Algériens. En 2020, alors que le pays était en confinement total, dans le sens le plus large du terme, plus de 11 000 Algériens ont quitté le pays. Loin d’être exhaustifs, ces chiffres sont appelés à augmenter dans les prochaines semaines, étant entendu que la période estivale demeure la plus propice et la plus favorable pour les traversées. Et comme le redoutent, d’ailleurs, les autorités espagnoles, leur pays risque de faire face dans les prochains mois à la pire vague migratoire des dix dernières années.
Ni la pandémie, ni la crise économique qui frappe l’Europe, ni les conditions drastiques de séjour, ni la traque des autorités, autant espagnoles qu’algériennes, encore moins la crainte de périr en mer ne semblent dissuader ces jeunes, de plus en plus nombreux, dont des femmes, de tenter l’aventure en quête d’un soupçon de bonheur qu’ils peinent à trouver dans leur pays.
Cette recrudescence d’un phénomène, pourtant en net reflux durant la première année du Hirak populaire, signe, sans aucun doute, la désillusion qui a désormais gagné cette frange de la population précarisée, sans perspectives, dont la situation sociale s’est aggravée par les conséquences de la pandémie. Elle traduit aussi ce confus sentiment d’étouffement, d’absence de lisibilité et de projection sur l’avenir dans un contexte marqué par un statu quo mortifère.
Faute d’offre politique à la mesure des aspirations pour le changement exprimé par les Algériens depuis février 2019 et à la mesure des espoirs suscités par la formidable mobilisation, le régime, par mépris, cécité, manque de clairvoyance ou par hostilité au changement, n’a pas réussi le pari de conforter cette espérance.
Comment parviendra-t-il à rétablir la confiance, clé de voûte de la crise, à remobiliser ces jeunes qu’il n’hésite pas à tenter d’amadouer et à les convaincre que leur devenir est chez eux ? Sans changement de paradigmes de gouvernance, sans une véritable vision de rupture, la mission est quasi impossible. En attendant une hypothétique approche de nature à semer l’espoir, le pays continuera à dévorer ses enfants. Sur terre et en mer.
Liberté, 10 mai 2021
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