LE ROI DU MAROC CONTRE CATHERINE GRACIET ET ÉRIC LAURENT : CHANTAGE OU TENTATIVE DE CORRUPTION ?
L’affaire des journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet contre le roi du Maroc semble tourner à l’avantage du palais chérifien, mais rien n’est encore joué.
Le journal du Dimanche (JDD) vient de révéler le contenu d’enregistrements clandestins réalisés à l’insu des journalistes français par l’un des avocats du royaume marocain. Le premier rendez-vous se serait déroulé dans le bar d’un palace parisien, entre l’avocat du roi et Éric Laurent et l’échange aurait été le suivant : « Je veux trois. – Trois quoi, Trois mille ? – Non, trois millions. – Trois millions de dirhams ? – Non, trois millions d’euros ».
Une avance de 40 000 euros
À l’issue de cette première rencontre, Rabat porte plainte ; ce qui permet à son représentant d’obtenir la surveillance de la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), pour le deuxième rendez-vous et la possibilité de poursuivre les enregistrements à l’insu de ses interlocuteurs. Mais encore une fois, le conseil du palais se retrouve en tête à tête avec Éric Laurent. Enregistrement à l’appui, le magistrat s’assure que Catherine Graciet était aux courant de l’exigence de « trois millions » et poursuit « vous et madame Graciet [êtes] disposés à renoncer à la publication de cet ouvrage et, de façon plus générale, [que] les informations sensibles que vous avez, vous étiez disposés à prendre l’engagement de les oublier».
La troisième rencontre se déroule également sous surveillance discrète. Elle a eu lieu jeudi dernier, Méfiante, Catherine Graciet aurait fait changer le lieu de rendez-vous. Pour des raisons pas encore très claires, la demande est réduite à deux millions d’euros contre l’engagement de « ne plus rien écrire sur le roi du Maroc ». Manuscrit, le protocole est rédigé, séance tenante, par Catherine Graciet. Les deux journalistes auraient réclamé une avance 40 000 euros chacun que leur interlocuteur leur a remise en petites coupures de 100 euros.
À leur sortie du palace où s’était déroulée la rencontre, les deux journalistes sont interpelés et placé sous contrôle judiciaire assorti de l’interdiction d’entrer en contact. Dans la nuit de vendredi à samedi ils sont mis en examen pour chantage et extorsion de fonds et maintenus sous contrôle judiciaire.
« Un traquenard » pour « régler des comptes »
Selon le quotidien Le monde citant une source proche du dossier, lors de sa garde à vue Éric Laurent aurait reconnu avoir formulé la demande de 3 puis 2 millions d’euros en contrepartie de la non publication du livre écrit avec sa collègue. À un journaliste de l’AFP, son avocat, Me William Bourdon, a confirmé l’existence d’un « accord financier » en balayant d’un revers de main les accusations de chantage ou d’extorsion de fonds. Et le conseil du journaliste de pointer « un traquenard » et « une manipulation » du palais royal s’entend.
De son côté, Me Éric Moutet, avocat de Catherine Graciet a confirmé, vendredi dernier, l’existence d’un « deal financier », mais évoque un « contexte très troublant ». « Le royaume marocain a des comptes évidents à solder avec Catherine Graciet, et un nouveau livre sur l’entourage du roi est en préparation au moment où le deal financier se met en place », a-t-il confié à l’AFP. Et Me Moutet de poursuivre « c’est précisément l’avocat mandaté par le roi qui piège les journalistes par des enregistrements sauvages (…) Il y a dans cette affaire une logique de stratagème qui s’est mise en place »
Un dossier à double tranchant
« Chantage », « extorsion de fonds », « pressions », les choux gras de la presse semblent avoir déjà jugé et condamné les deux journalistes et coauteurs de l’ouvrage en gestation. Cette issue de la procédure est probable, mais rien n’est moins sûr. À bien observer les stratégies des conseils des deux journalistes, à ce stade, elle consiste à ne pas nier les évidences, donnant ainsi plus de poids à la parole de leurs clients devant la justice.
Sur le fond, dans l’état actuel de la connaissance du dossier, il y a deux éléments qui peuvent peser lourd sur la décision des juges : la partie qui a pris l’initiative du deal financier (1) et le fait que l’avocat du palais royal semble confirmer l’existence, dans le projet d’ouvrage, « d’informations sensibles », donc de nature à conduire le royaume à prendre des initiatives. Il est indéniable que la démarche des deux journalistes pose de sérieux problèmes d’éthique et de déontologie –ils peuvent, peut-être dire adieux à leurs cartes de presse-, mais sur le plan pénal, ils peuvent opposer à l’accusation de chantage et d’extorsion de fonds, une tentative institutionnelle de corruption –à laquelle ils ont cédé, bien évidemment-. L’enregistrement clandestin pourrait s’avérer une arme à double tranchant.
Reste toute de même la question classique : À qui profite le crime ?
S’agissant du destin de l’ouvrage. A priori, rien ne peut interdire sa publication. Si tel était le cas, les conseils du palais royal auraient endossé la tenue de véritables agents publicitaires.
En tout cas, c’est un dossier qui promet d’être riche en rebondissements.
Dahmane Soudani
MaghNord, 30 août 2015
Etiquettes : Maroc, Mohammed VI, Catherine Graciet, Eric Laurent, Le roi prédateur,
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