Revoilà les candidates « sans visages » ! Des dizaines de femmes, qui ont l’intention de se présenter aux élections législatives du 12 juin prochain, dont les photos sont traitées au Photoshop, qui ne laisse apparaitre qu’un profil sombre et « hidjabisé », on en voit partout sur les affiches collées sur les panneaux destinés au grand public et sur les réseaux sociaux. Le « phénomène » n’est pas récent. Et il doit inciter autant les responsables au sommet de l’Etat que les intellectuels à le prendre au sérieux, car il est symptomatique d’une société déréglée, qui a perdu tous ses repères.
En 2017 déjà, de nombreuses candidates, inscrites dans les listes de partis ou indépendantes, avaient insisté pour que leurs visages n’apparaissent pas sur les affiches, préférant se présenter sous des profils « fantômes » pour des raisons, qui restent à étudier sérieusement. Les candidates qui ont fait le choix de ne pas montrer leurs visages au grand public, sont-elles à blâmer ? Evidemment non, lorsqu’on sait qu’on est une société complètement déstructurée, où les femmes peinent encore à s’imposer comme des adultes responsables et majeurs.
Si certaines ont agi sûrement par pure conservatisme, d’autres, et elles sont nombreuses, ont été contraintes à appliquer ce procédé « négatif » parce qu’elles ont tout simplement peur de ce qui pourrait leur arriver dans un milieu, où le féminicide a déjà pris une ampleur inquiétante. Les idées rétrogrades véhiculées par un islamisme primaire, sans aucun rapport avec l’islam authentique, pourraient être considérées comme des causes plus ou moins directes à cette « phobie » d’assumer leur féminité au grand jour, mais il n’y a pas que ça. La peur de représailles, la crainte du harcèlement sont aussi à prendre en considération dans une société où le machisme de mauvais aloi, hypocrite et sournois, est en train de se généraliser, notamment au sein des couches populaires conditionnées par des discours religieux hors normes, copiés et collés conformément à un fondamentalisme, qui a dévasté de nombreux pays, y compris l’Algérie, qui a réussi néanmoins à préserver certains aspects modernistes, sans pouvoir toutefois neutraliser les séquelles, qui restent présentes en force.
Dans un pays comme le nôtre, où les femmes sont considérées comme d’éternelles mineures, le « phénomène » des candidates sans visage n’est ni surprenant, ni étonnant. Car il exprime des tendances lourdes dans une société, où l’exploitation des sentiments religieux à des fins autres que spirituelles, par des formations politiques, qui s’apprêtent aujourd’hui à se lancer dans la course au parlement. Est-ce un hasard, si l’actrice Adila Bendimerad, comme l’a signalé un article publié hier par TSA, n’hésite pas à faire le parallèle entre ces profils sombres et ce qui vient de se passer à Bordj Badji Mokhtar où dix enseignantes ont été la proie à une agression sans nom. Elle a peut-être raison de faire le lien entre ce qui s’est passé à Bordj Badji Mokhtar, mais aussi à Biskra, et ce genre d’affiches » qui « répondent à la même logique », selon elle. « Comment utiliser des femmes pour se satisfaire (ici pour se présenter aux élections tout en respectant les quotas exigés). Comment ensuite les effacer et renier leur existence une fois qu’on a eu ce qu’on voulait. Et on se donne ce droit car la femme n’est pas tout à fait un être humain comme un homme. La preuve, elle n’a pas besoin de visage », écrit-elle sur sa page Facebook.
« Ce genre d’affiches découle de la même origine et du même processus de penser que les féminicides qui explosent tous les records cette année, les violences physiques et morales que subissent les femmes ici tous les jours, les viols, la chape de plomb mise sur ces sujets au niveau institutionnel comme au niveau de la société. Le féminicide, le viol, c’est le résultat direct de tout cela », conclut-elle.
Mohamed M.
L’Est Républicain, 23 mai 2021
Etiquettes : Algérie, candidates sans visage, élections législatives, femmes,
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