Pour la première fois, l’Allemagne reconnaît avoir commis “un génocide” en Namibie au début du 20ème siècle. Le pays promet l’attribution d’une aide au développement exceptionnelle d’un milliard d’euros. Alors que l’Allemagne tente de se réimplanter en Afrique, cette reconnaissance témoigne d’une volonté de normalisation des relations avec les pays africains. Entretien avec Jean-Louis Georget, chercheur au Centre d’études interdisciplinaires sur l’Allemagne à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle.
TV5MONDE : Le génocide des Herero et des Nama est considéré comme le premier génocide de l’histoire du XXe siècle. Comment s’est-il déroulé ?
Jean-Louis Georget, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle : En résumé, les massacres des Herero et des Nama se déroulent entre le début de la colonisation allemande et 1908, avec une accélération des évènements à partir de 1904 qui conduit à un génocide.
Durant la conférence de Berlin en 1884, les dirigeants européens divisent l’Afrique. L’Allemagne obtient le Togo, le Cameroun, le Rwanda, la Tanzanie et le Burundi ainsi que la Namibie, qui est leur colonie phare. Dans les territoires allemands se met en place une ‘colonisation économique.’ Un grand nombre de marchands va donc arriver en Namibie, soutenus par l’État allemand. Ils vont d’abord acquérirle bétail des Herero et des Nama comme réglement des dettes puis se saisir de leurs terres suite à une sécheresse catastrophique. Cela va susciter une grande frustration chez les Hereros et les Namas qui se révoltent en 1904. L’Allemagne va alors envoyer 15 000 hommes pour réprimer les contestataires sous la direction du général Lothar von Trotha.
Le général Lothar von Trotha gagne un certain nombre de batailles mais va surtout pousser les peuples herero vers le désert du Kalahari, à l’est du pays. Sans eau, beaucoup d’entre eux vont mourir de soif et de faim. De plus, il va encourager les soldats allemands à abattre tout Herero ou Nama, avec ou sans armes, y compris les femmes et les enfants. Le général von Trotha agit sous la direction des autorités de Berlin, dont Alfred von Schlieffen, chef d’état-major des armées allemandes, qui déclare qu’il s’agit d’un “combat racial” qui doit se terminer par l’extermination des Herero et des Nama. Les Allemands vont jusqu’à pratiquer des expériences médicales sur des prisonniersqu’ils ont réussi à isoler sur Shark Island, péninsule au sud-ouest du pays.
Il n’y a pas de lien direct entre le génocide des Herero et des Nama et la Shoah (Jean-Louis Georget, germaniste et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle)
Même s’il y a des similarités entre le génocide des Herero et des Nama et la Shoah, notamment parce qu’on retrouve parfois les mêmes scientifiques, cela ne signifie pas qu’il y a un lien direct entre les deux massacres. On peut avoir une lecture rétrospective de l’histoire et analyser le génocide ayant eu lieu en Namibie comme les prémices de l’Holocauste. D’après moi, cette lecture est erronée tant les deux évènements sont différents.
De la colonisation à la reconnaissance du génocide
1884 : le territoire de la Namibie actuelle devient une colonie allemande appelée le ‘Sud-Ouest africain allemand’
1904 : le peuple Herero se soulève contre le colonisateur allemand après 20 ans d’exploitation et de spoliation et tue une centaine de colons, épargnant femmes et enfants. Lothar von Trotha, commandant des forces coloniales du Sud-Ouest africain signe l’ordre de destruction des Herero en octobre, ordonnant que “chaque Herero, sans ou avec arme [soit] fusillé” y compris femmes et enfants.
1905 : les Nama, ethnie du sud du pays, se soulève à son tour contre les Allemands. Ils connaîtront le même sort que les Hereros.
1908 : fin du génocide et fermeture des derniers camps de concentration. Entre 65 000 et 90 000 Herero auront perdu la vie ainsi que plus de 10 000 Nama, soit 80% et 50% de leur population respective.
2008 : l’ambassadeur de Namibie en Allemagne demande à Berlin la restitution de crânes de guerriers herero et nama. Ving crânes feront leur retour en Namibie en 2011.
2017 : les représentants des peuples Nama et Herero portent plainte contre l’Allemagne aux États-Unis.
2018 : Des ossements de guerriers nama et herero sont remis à la Namibie par l’Allemagne.
2021 : L’Allemagne reconnaît pour la première fois avoir commis un “génocide” et promet de verser au pays une aide au développement d’un milliard d’euros sur les trente prochaines années.
TV5MONDE : Comment qualifier les relations entre la Namibie et l’Allemagne historiquement ?
Jean-Louis Georget : Les relations entre la Namibie et l’Allemagne ont été tendues pendant longtemps mais elles le sont moins maintenant. A vrai dire, elles ne sont plus si mauvaises. Il y a 20 000 descendants d’Allemands en Namibie. Nous en sommes à la cinquième génération de descendants de colons allemands. L’anglais est langue officielle mais 7 000 écoliers apprennent l’allemand et 1500 sont dans des écoles germanophones dans le pays.
A partir de 2014, l’Allemagne tente de redéfinir sa politique africaine (Jean-Louis Georget, germaniste et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle)
Avec le Traité de Versailles de 1919, l’Allemagne perd toutes ses colonies. Par conséquent, les Allemands vont pendant longtemps refouler, voire oublier ce passé colonial. En 2014, suite à la vague de migrants africains arrivant en Europe, l’Allemagne tente de redéfinir sa politique africaine en promouvant comme toujours la piste des aides au développement. Le pays va redécouvrir son passé colonial et prendre conscience de ce génocide dont peu de personnes avaient parlé, à part les Nama et les Herero qui crient à l’injustice depuis longtemps. Les Herero ont même déposé plainte contre l’Allemagne en 2017 aux États-Unis, mais ont été déboutés en 2018 car l’Allemagne est un État souverain.
L’Allemagne souhaite reprendre pied en Afrique. Pour ce faire, il faut apurer un passé qui devient de plus en plus bruyant. Le pays a déjà rendu des ossements humains à la Namibie mais possède encore parmi les plus grandes collections d’art africain au monde. Beaucoup de questions se sont posées outre-Rhin suite à l’ouverture du Forum Humboldt en décembre dernier, le pendant du musée du Quai Branly allemand. On assistera sûrement à des restitutions d’œuvres d’art aux pays africains. L’aide au développement s’inscrit dans un cadre de réflexion plus important de la part de toute la société allemande. Ce n’est pas une action unique.
TV5ONDE : Quelle est la portée diplomatique et juridique de la reconnaissance du génocide ?
Jean-Louis Georget : En reconnaissant le génocide et en mettant un milliard d’euros d’aide au développement à la Namibie sur la table, l’Allemagne espère que la question des réparations ne se pérennise pas. L’Allemagne souhaite couper l’herbe sous le pied à toute future demande de réparation afin d’éviter des conséquences juridiques à répétition. Une fois pour toutes, on reconnaît le génocide et on règle les comptes.
L’Allemagne est un exemple en Europe en termes de politique mémorielle (Jean-Louis Georget, germaniste et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle)
Avec le Traité de Versailles de 1919, l’Allemagne perd toutes ses colonies. Par conséquent, les Allemands vont pendant longtemps refouler, voire oublier ce passé colonial. En 2014, suite à la vague de migrants africains arrivant en Europe, l’Allemagne tente de redéfinir sa politique africaine en promouvant comme toujours la piste des aides au développement. Le pays va redécouvrir son passé colonial et prendre conscience de ce génocide dont peu de personnes avaient parlé, à part les Nama et les Herero qui crient à l’injustice depuis longtemps. Les Herero ont même déposé plainte contre l’Allemagne en 2017 aux États-Unis, mais ont été déboutés en 2018 car l’Allemagne est un État souverain.
L’Allemagne souhaite reprendre pied en Afrique. Pour ce faire, il faut apurer un passé qui devient de plus en plus bruyant. Le pays a déjà rendu des ossements humains à la Namibie mais possède encore parmi les plus grandes collections d’art africain au monde. Beaucoup de questions se sont posées outre-Rhin suite à l’ouverture du Forum Humboldten décembre dernier, le pendant du musée du Quai Branly allemand. On assistera sûrement à des restitutions d’œuvres d’art aux pays africains. L’aide au développement s’inscrit dans un cadre de réflexion plus important de la part de toute la société allemande. Ce n’est pas une action unique.
TV5ONDE : Quelle est la portée diplomatique et juridique de la reconnaissance du génocide ?
Jean-Louis Georget : En reconnaissant le génocide et en mettant un milliard d’euros d’aide au développement à la Namibie sur la table, l’Allemagne espère que la question des réparations ne se pérennise pas. L’Allemagne souhaite couper l’herbe sous le pied à toute future demande de réparation afin d’éviter des conséquences juridiques à répétition. Une fois pour toutes, on reconnaît le génocide et on règle les comptes.
L’Allemagne est un exemple en Europe en termes de politique mémorielle (Jean-Louis Georget, germaniste et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle)
L’Allemagne est un modèle en Europe en termes de politique mémorielle. Ce génocide avait été oublié parce que d’autres faits marquants de l’histoire allemande, comme la Shoah ou la Guerre froide avec la séparation des deux Allemagnes, avaient pris le pas sur tout le reste. En redéfinissant sa politique africaine en 2014 et en accentuant sa politique d’aide au développement, l’Allemagne a redécouvert l’entrave que constituait ce génocide dans la normalisation des relations. L’Allemagne, par contre, ne parle pas de ‘réparations’ : ce terme rappelle le Traité de Versailles aux Allemands, un très mauvais souvenir. Même si cette somme est énorme et sans précédent, on parlera d’aide au développement et non de réparation. Au moins, les comptes seront soldés. Plus tard nous assisterons sans doute à plus de collaborations culturelles et universitaires entre les deux pays.
L’ensemble des partis démocratiques est prêt à reconnaître la responsabilité de l’Allemagne dans le génocide. C’est l’acte ultime d’un mouvement de reconnaissance mené depuis une quinzaine d’années. L’Allemagne ne pouvait plus faire autrement. Cela risquait de se transformer en querelles juridiques qui auraient induits des dédommagements à l’infini. Sans se débarrasser du problème d’un point de vue mémoriel, on s’en débarrasse le plus possible d’un point de vue financier.
TV5MONDE : Quelles sont les prochaines étapes ?
Jean-Louis Georget : Des restitutions, certainement. Le discours de Ouagadougou d’Emmanuel Macron en novembre 2017 a eu un impact immense en Allemagne. Le président français y dit que les Européens ont rempli leurs musées de biens culturels africains et que d’une certaine manière il convient de restituer un certain nombre de ces biens aux pays africains. C’est ce qu’a fait le musée du Quai Branly avec des statuettes du Bénin qui vont repartir à Dahomey, au Bénin. L’Allemagne a été très impressionnée par ce discours et cherche à s’aligner sur la position de la France.
On peut imaginer que la coopération culturelle va en sortir renforcée et que la reconnaissance du génocide peut permettre de normaliser les relations de l’Europe avec l’Afrique. La présence allemande en Namibie pourrait être confortée, la restitution des biens des musées allemands pourrait également s’accélérer et cette coopération semble prendre la forme d’un partenariat plus équilibré entre le continent africain et l’Europe.
Les Européens ont peur face à l’arrivée des Chinois et des Russes en Afrique (Jean-Louis Georget, germaniste et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle)
Ces actions ont lieu alors que les Européens tentent de contrer les nouveaux venus en Afrique. Ils redoutent l’arrivée des Chinois en Namibie, et en Afrique en général, et le soutien russe au Congo. Pour garder une place légitime en Afrique il faut que les relations se normalisent avec les pays africains. Allemands et Français l’ont bien compris.
TV5 Monde, 28 mai 2021
Etiquettes : Afrique, Allemagne, France, génocide, génocide des Herero et des Nama,
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