Qui dirige le Maroc ?

VALSE-HÉSITATION ET TÂTONNEMENTS EN SÉRIE : Qui dirige le Maroc ?

par Maâmar Farah

Depuis quelque temps, le Maroc déroute les observateurs par sa politique tâtonnante et parfois franchement aventureuse. Pour une monarchie qui a toujours fonctionné dans l’ordre et la discipline hérités d’une longue pratique makhzenienne, certaines prises de décision étonnent parce que ne correspondant plus à cette ligne de conduite. Que s’est-il passé ?

Certains lieront cette inconstance de la décision politique à la faiblesse d’un roi qui n’a jamais fait preuve de fermeté. Après le règne dur de Hassan II, le Maroc a réellement cru en l’arrivée d’un pouvoir monarchique jeune encourageant la modernité et les réformes. Mohammed VI était le symbole de ce changement attendu. Mais il n’en fut rien.
D’autres pencheront vers la thèse d’une mainmise préoccupante du sionisme qui agit dans la précipitation pour renforcer sa présence et réaliser ses plans, sans tenir compte des équilibres dans le royaume, ni des intérêts du peuple marocain.

Enfin, la troisième explication que nous trouvons la plus plausible est le transfert du centre de décision vers les services de sécurité, jadis fermement contrôlés par le roi défunt et qui, depuis sa mort, semblent grignoter des parts de pouvoir. Le Maroc, qui accuse l’Algérie d’être une république sous la botte des généraux, joue à l’hôpital qui se moque de la charité ! Si les forces patriotiques de l’ANP et des autres services ont une longue tradition d’accompagnement du projet politique historique et si les circonstances font qu’elles interviennent en dernier recours pour empêcher les atteintes à la République, celles du Maroc ont toujours été maintenues sous l’autorité du roi. Le royaume ne s’est pas remis des deux tentatives d’assassinat du roi au début des années 70. Depuis, les forces royales ont été réduites au silence et strictement contrôlées par le Palais.

Au cours des dernières années, le Maroc offrait au monde une fausse image de monarchie parlementaire tranquille où les députés avaient un semblant d’autonomie et de pouvoir. Mais, cette même monarchie, pour sa survie, a laissé faire les services de sécurité qui ont peu à peu réduit cette vie politique à sa plus simple expression, la peur gagnant tous les représentants des partis, les acteurs économiques et les hommes des médias et de la culture.

Sahara : l’héritage empoisonné

L’affaire du Sahara Occidental, qui obsède la monarchie et les services, est devenue l’axe central de la politique intérieure et extérieure et le critère qui sert à mesurer le patriotisme des uns et la trahison des autres. Je lis, çà et là, qu’un homme est en train de contrôler le Maroc à travers les ramifications du contre-espionnage, omniprésent du sommet du pouvoir jusqu’aux plus petits des hameaux. Cet homme est Abdellatif Hammouche et la presse l’accuse d’ailleurs d’être derrière l’affaire rocambolesque Pegasus. Et c’est sans doute l’obsession autour de l’affaire du Sahara Occidental qui semble être encore derrière tout ce projet funeste.

Il faut dire que le roi actuel a hérité d’une véritable bombe à la mort de son père. Je le signalais d’ailleurs lors du décès de Hassan II dans un article où je disais que le défunt voulait régler le problème sahraoui avant sa disparition.

Il voulait organiser le fameux référendum. Il était persuadé que le vote allait tourner en sa faveur puisqu’il avait envoyé des Reguibet du sud du Maroc dans les territoires sahraouis où ils se faisaient passer pour des tribus locales. Mais le Polisario découvrit la combine et présenta les véritables habitants du Sahara tels que reconnus par un conseil des sages et des chefs de tribus.

On en était là lorsque le souverain quitta ce monde. Des amis marocains m’avaient soufflé que Hassan II préférait le prince Rachid qu’il trouvait apte à poursuivre son travail et contrôler la situation. Mais c’est Mohammed VI qui était le prince héritier.

Un pays qui espionne son propre roi est un pays tombé sur la tête !

Le renforcement du pouvoir des services de sécurité et la pression des sionistes qui ont carrément pris la direction des affaires militaires, y compris celles liées à la cyberguerre (un accord israélo-marocain sur la cybersécurité a été signé la semaine dernière), vont faire passer le Maroc par une phase de valse-hésitation qui s’est illustrée par des guerres diplomatiques inutiles : contre l’Allemagne d’abord, puis l’Espagne. Toujours à cause des positions des uns et des autres vis-à-vis de la question du Sahara Occidental.

Le comble fut atteint lors du débarquement juvénile à Ceuta. Aucun pays n’aurait accepté l’humiliation de voir ses enfants jetés à la mer pour un bout de pain ! Cette opération sans queue ni tête mit dans l’embarras la diplomatie marocaine qui recula devant la fermeté de l’Union européenne. Il s’ensuivit une explication fantaisiste qui n’est pas dans la tradition marocaine, une explication qui étonne par sa légèreté : ces gosses n’ont pas été arrêtés par la police des frontières parce que les agents étaient… éreintés après un mois de jeûne !

On n’était plus ni dans la diplomatie, ni dans la politique, ni dans les habitudes d’un Maroc qui mesure chaque mot. Visiblement, la machine s’est détraquée. Il y a plusieurs donneurs d’ordre et quand il fallut livrer une explication à cette foire, cela se fit dans la précipitation et le… ridicule !

L’affaire Pegasus vient encore prouver que la même fièvre obsessionnelle autour du Sahara – que l’on a peur de perdre – continue d’être au centre de toute la politique sécuritaire et des relations avec les autres nations.

Juste avant, la sortie de l’ambassadeur du Maroc aux Nations-Unies fut du même acabit : l’Algérie est le principal «empêcheur de tourner en rond» et il fallait lui boucler la bouche avec «l’indépendance» de la Kabylie ! Autre grossière erreur des multiples forces qui dirigent le Maroc. Il y avait une animosité arabophones-Kabyles alimentée par les réseaux sociaux et surtout par les mouches électroniques du Makhzen. Miracle : l’ambassadeur marocain a effacé cela par ses déclarations. Unité et amour entre arabophones et Kabyles sont aujourd’hui la nouvelle réalité sur YouTube, Facebook, etc.

On ne compte plus les bêtises du Makhzen qui nous a habitués à mieux. Ou alors ce Hammouchi est un nullard ou alors les sionistes ont envoyé des conseillers bidon dans le pays voisin. Pensez qu’avec les Algériens, les Français et tous les autres, ils ont même espionné leur propre roi ! Non, le Makhzen est tombé sur la tête et Mohammed VI a intérêt à reprendre sérieusement les choses en main.

Les compétences et les bonnes volontés ne manquent pas au Maroc. Que le Sahara cesse d’être le centre du monde et que le droit international soit respecté et tout redeviendra normal. À moins que cette affaire ne soit l’arbre qui cache la forêt de la désolation socioéconomique et qui est utilisée pour ne pas réveiller le volcan du mécontentement populaire.

Le Soir d’Algérie, 24/07/2021

Etiquettes : Maroc, Pegasus, NSO Group, espionnage, Sahara Occidental,

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