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Point sur l’actualité du Maghreb : les élections législatives au Maroc, les tensions diplomatiques accrues entre le Maroc et l’Algérie, et la Tunisie où l’on parle de tournant autoritaire. Émilie Aubry rencontre Khadija Mohsen-Finan, chercheure et professeure de sciences politiques à l’université Paris 1, spécialiste du Maghreb et des questions méditerranéennes.
Le 8 septembre 2021, lors des élections législatives marocaines, le parti islamiste de la justice et du développement (PJD) a connu une véritable déroute alors qu’il était à la tête de l’exécutif depuis 2011.
Pendant ce temps, en Tunisie, le parti islamiste Ennahda est également en difficulté. En effet, par son coup de force du 25 juillet, le président Kaïs Saïed a marginalisé ce parti qui avait pourtant dominé la vie politique tunisienne pendant les années 2010.
En Algérie, les graves tensions diplomatiques avec le Maroc posent question, dans la foulée du rapprochement Rabat-Tel Aviv de fin 2020 auquel certains observateurs opposent un axe Alger-Téhéran.
Dès lors, faut-il parler d’un Maghreb en pleine recomposition, dix ans après les printemps arabes ?
La Tunisie
Le 25 janvier, Kaïs Saïed s’est octroyé l’essentiel des pouvoirs. Il a eu recours à l’article 80 de la Constitution, qui correspond en France à ce qu’on appelle le « pouvoir exceptionnel ». C’est un coup d’Etat au regard de la loi sans de suites juridiques parce qu’il est arrivé à sortir le pays de l’immobilisme politique.
Il affirme qu’il annoncera prochainement un nouveau gouvernement, une réforme de la Constitution.
La loi lui donne 20 jours renouvelables. Or, sans s’adresser à la population et par un simple communiqué il a annoncé qu’il reconduisait cette période, mais pour une période indéterminée. Sur les question de la révision de la Constitution, les choses restent très opaques. On a le sentiment qu’il a envie de réformer la Constitution en profondeur, mais probablement des pressions faites par les Etats-Unis, la France, tentent de le dissuader en lui demandant de revenir aux institutions.
Il y a eu en 2011 une vraie révolution, c’est à dire un soulèvement populaire spontané qui a consacré la victoire aux termes d’élections des islamistes d’Ennahdha. Depuis 10 ans, le pays a été extrêmement mal gouverné. Cette mauvaise gouvernance n’est pas dû uniquement aux islamistes d’Ennahdha alors qu’ils sont vraiment stigmatisés aujourd’hui. Elle est dû à tous les acteurs et aux 9 ou 10 gouvernement qui se sont succédé. On est dans l’apprentissage de la démocratie, devant des acteurs qui ne savent pas exactement comment passer de l’opposition à un parti de gouvernement.
D’un autre côté, le citoyen s’est affirmé de manière protestataire en 2011, mais il n’a pas de culture politique lui permettant d’aller plus loin dans son exigence, dans sa négociation avec le pouvoir. Or, c’est cela qui n’a pas fonctionné. Ce n’est pas la démocratie qui n’a pas fonctionné. Donc, par une espèce de raccourci, on jette le bébé avec l’eau du bas et on dit que tout ce qui a dysfonctionné est la faute de la révolution et de la démocratie.
Un président très populaire
Kaïs Saïed est très populaire et les sondages l’ont encore confirmé. Quand il s’est présenté aux élections, il l’a fait d’une manière très populiste comme un anti-système. Or, aujourd’hui, les gens sont dans le rejet du politique, du système. Cela montre pour beaucoup de tunisiens que les questions économiques et sociales sont au-dessus de la démocratie. Les tunisiens préfèrent garder l’espoir d’un homme qui va transformer leur vie, qui va mettre en place un modèle politique alternatif même si aujourd’hui les signaux donnés ne correspondent pas du tout à cela.
Le Maroc
En 2011, face à cette contestation, le Maroc a répondu à sa manière en révisant la Constitution et à la faveur de cette réforme les islamistes du PJD sont passés d’un parti présent dans la vie politique au Parlement au gouvernement. Ils étaient à la tête du gouvernement mais ils avaient une marge de manœuvre extrêmement limitée et ils ne sont pas du tout appréciés par le roi qui, malgré la réforme constitutionnelle, détient l’essentiel des pouvoirs et jouit d’une double légitimité à la fois religieuse et politique.
Ils ont beaucoup perdu parce qu’ils se sont alliés à un pouvoir qui ne leur a pas laissé de marge de manœuvre et, par cette alliance, ils ont perdu une partie de leur identité. C’est vrai qu’ils ont avalé des couleuvres quand le palais royal a décidé, par exemple, une normalisation de ses relations avec Israël.
Ils ont perdu de leur identité sans pouvoir répondre aux gens qui attendait d’eux un changement. Donc, il y a un phénomène auquel ça participe et qui est la perte d’influence des Frères Musulmans puisque c’est leur matrice et de l’Islam politique de manière plus globale.
Les tensions entre l’Algérie et le Maroc
ces tentions ont toujours été présentes. Elles sont récurrentes entre le Maroc et l’Algérie et elles datent du lendemain de l’indépendance de l’Algérie en 1962. Tensions territoriales d’abord mais qui cachent qui, elle va demeurer et qui est une rivalité entre les deux pouvoirs que tout oppose. Au Maroc, un régime monarchique tourné vers l’Occident et un régime socialiste qui a été aidé par l’Union Soviétique, d’abord, et par la Russie par la suite, qui est celui de Boumediène. Et puis, vont suivre des tensions vraiment très grandes qui vont se cristalliser sur la question du Sahara Occidental qui est une ancienne colonie espagnole et où les marocains se sont installés au terme d’une marche verte et qui ont considéré qu’au nom du droit historique il leur revenait de se réapproprier le Sahara Occidental.
Ce qui va changer fondamentalement la donne, c’est la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Au terme de ces accords, on apprend que le Maroc reconnaît Israël et qu’en contrepartie les Etats-Unis reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental. L’Algérie se sent véritablement déstabilisée. Elle ne pensait pas que le conflit du Sahara Occidental dont l’issue était confiée aux Nations Unies, prendrait cette tournure. Elle ne pensant aussi que son rival et son ennemi marocain bénéficierait de l’aide stratégique à la fois des Etats-Unis et d’Israël et qu’un axe Washington-Tel Aviv-Rabat se mettrait en place à ses portes.
Du côté algérien, la recherche d’alliance se pourrait se faire parce que la Russie et la Chine veulent être présentes en Méditerranée Occidentale. La Russie veut être présente en Afrique, ce qui est nouveau. La Chine l’est déjà. Donc, il pourrait y avoir une rencontre d’intérêts et il n’est pas exclu que cet axe se forme (axe Alger-Moscou-Pékin-Téheran, ndlr) mais ce n’est pas encore d’actualité.
Chercheur, enseignante à l’Université de Paris, spécialiste du Maghreb
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