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Les dessous de “l’affaire Augusta”: De quoi Ould Kaddour est-il accusé ?
L’affaire de la raffinerie d’Augusta, qui a conduit à l’extradition puis à la détention de l’ancien PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, en compagnie de trois autres anciens cadres dirigeants, a ouvert des pistes insoupçonnées qui révèlent les véritables dessous d’un des plus grands scandales judiciaires dans l’histoire du géant pétrolier algérien. Depuis l’achat de cette raffinerie italienne, située en Sicile, le 1er décembre 2018, experts et anciens cadres de l’entreprise ont dénoncé “la reprise d’une vieille ferraille” à des conditions défavorables faisant saigner les caisses de l’Etat en devises fortes. D’autres évoquent un achat de complaisance au profit d’une entreprise américaine aux influences inégalées sur le marché pétrolier, suscitant, au demeurant, une vive polémique dans les milieux spécialisés. L’équipe dirigée par Ould Kaddour essuyait ainsi des tirs à boulets rouges suite à cette acquisition, perçue comme un véritable gouffre financier aux gains incertains.
Or, ce n’est pas sur le chapitre de l’achat de cette raffinerie, vieille de 72 ans, que Ould Kaddour et ses adjoints sont pointés du doigt.
Sur ce volet, rien ne peut leur être reproché vu que la transaction s’est faite de la manière la plus légale et sans la moindre entorse aux lois algériennes, selon une source responsable au sein du groupe pétrolier contactée par le Jeune Indépendant.
“Plusieurs intervenants ont pris part à la décision de l’achat dans toutes les strates concernées de l’Etat, notamment le Premier ministère, le ministère de l’Energie, voire les deux Chambres du Parlement”, a souligné la même source, qui précise que la responsabilité de l’achat controversé de la raffinerie d’Exxon Mobile ne peut être mise sur le dos de Ould Kaddour et de ses proches collaborateurs”.
Outre Ould Kaddour et les trois cadres mis en cause sont en détention provisoire suite à l’enquête déclenchée par la justice en juillet 2020, à la demande de l’ex-Premier ministre, Abdelaziz Djerad. Il s’agit d’Ahmed Mazighi, ancien vice-président des activités de la commercialisation, d’Abdelhamid Rais-Ali, ancien vice-président du raffinage et de la pétrochimie et enfin de Brahim Boumaout, conseiller vice-président de la stratégie, la planification et l’économie (SPE) et ancien directeur de la stratégie, nommé, depuis, à la tête du projet gazier de Sonatrach à Lima, au Pérou. Un investissement à l’international qui a vu le jour du temps de l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil.
L’acquisition de la raffinerie Augusta a d’abord été soumise au conseil d’administration de la Sonatrach, lequel a approuvé la transaction. Ensuite, elle a été approuvée par l’assemblée générale dont le président est le ministre de l’Energie de l’époque, rappelle ce responsable à la direction générale à Alger.
Une fois l’accord de l’assemblée générale des actionnaires obtenue, cette acquisition a été soumise puis approuvée par le Conseil national d’investissement (CNI).
Forts de toutes ces approbations, le dossier d’acquisition ainsi que le projet de la nouvelle stratégie de développement de Sonatrach, baptisée “SH 2030”, ont été présentés à l’Assemblée populaire nationale (APN), au Conseil de la nation et enfin, en grande pompe, à la presse et aux représentations diplomatiques.
Suite à ce processus, il ne restait plus à la Banque d’Algérie qu’à payer les 920 millions de dollars pour l’achat d’Augusta en un seul versement, concrétisé officiellement le 1er décembre 2018.
“Ainsi, toute la transaction a été légale, ce qui absout Ould Kaddour et ses adjoints de ce chapitre”, fait observer le même responsable.
Stupéfiants contrats
Toutefois, “les magouilles” ont eu lieu sur un autre chapitre auquel la justice s’intéresse aujourd’hui. Il s’agit d’un nombre impressionnant de contrats de service (plus de 300) conclus par la société de raffinerie italienne de Sonatrach Raffineria Italiana Srl (SRI), dont le siège est à Milan.
“Cette société a été créée en avril 2018 alors que la raffinerie Augusta a été achetée officiellement huit mois plus tard, soit le 1er décembre 2018”, fait remarquer la même source.
Les contrats qui ont été conclus entre avril et décembre 2018 avaient pour objectif d’assurer la continuité de service entre Exxon et la SRI, parmi lesquels les prestations de comptabilité, de système d’information, de distribution control system (DCS), de maintenance spécifique, d’inspection.
Ould Kaddour et son équipe n’ont jamais révélé au grand public l’existence de ces contrats qui ont été exclusivement réservés à des clients au sein de l’Union européenne, c’est-à-dire les anciens partenaires de la compagnie Exxon Mobile, sans qu’aucune clause ne le mentionne.
D’autres contrats de vente de produits pétroliers ont été signés avec Exxon. Des contrats aux conditions très avantageuses pour cette dernière, notamment la vente, dix ans durant, des huiles de base mais avec une clause qui a stupéfait le milieu des hydrocarbures.
En effet, dans cette clause, il est stipulé qu’en cas de force majeure, lorsque la raffinerie est incapable de produire ses huiles, elle est contrainte de les acheter et de les fournir à Exxon. “Aucun amateur ne peut commettre un pareil impair, qui ne tient pas compte, dans un contrat, du cas de force majeure”, estime le même responsable.
Exemple de cas de force majeur, en cas d’irruption du volcan l’Etna en Sicile qui force la raffinerie à l’arrêt, Sonatrach a l’obligation de se procurer la quantité exigée ( 530 milles tonnes) des huiles de bases pour les fournir à Exxon.
Ce qui intéresse justement la justice, selon le même responsable, c’est le contrat d’”offtake” (accord d’enlèvement) de 10 ans, l’un des points les plus importants du cahier des charges exigé par Exxon Mobil.
A ces contrats de prestation et de vente de produits s’ajoute le contrat d’achat du pétrole brut saoudien, où la SRI a été soumise à un paiement d’avance de 15 jours pour toute commande alors qu’elle accepte de n’être payée qu’un mois après l’établissement de la facture de vente des produits pétroliers.
Ces contrats ont été conclus alors que la SRI était censée préparer la reprise (Takeover) de la raffinerie sicilienne pendant que le processus d’acquisition de celle-ci était en cours en Algérie, notamment l’accord final. Comme si les décideurs de Sonatrach avaient la certitude que tous les intervenants en Algérie donneraient leur quitus pour cet achat.
Et pour financer l’exploitation de sa raffinerie, Sonatrach a accordé à la SRI un prêt de un milliard d’euros, justifiant ainsi le qualificatif de “gouffre financier”.
En même temps, la SRI a contracté un prêt auprès la société Arab Petroleum Investments Corp (APICORP) à un taux d’intérêt bas, et ce en contrepartie de l’achat du pétrole saoudien et de travaux de maintenance nécessaires à son exploitation. Basée à Dammam dans la province orientale de l’Arabie Saoudite, APICORP est une institution financière multilatérale de développement créée en 1975 en vertu d’un traité international entre les dix pays arabes exportateurs de pétrole.
En fin d’exercice, la SRI a fini sa première année avec, en plus des différents prêts, un résultat déficitaire et une dette financière de plusieurs centaines de millions d’euros, 700 plus exactement. Entre le 1er décembre 2018 et le 31 décembre 2019, la raffinerie Augusta s’est endettée de deux milliards d’euros, ce qui signifie qu’elle a coûté, au total, trois milliards d’euros au Trésor public.
Les deux responsables qui se sont succédé à la tête de la SRI et qui ont géré tous ces contrats ne sont autres qu’Ahmed Mazighi, en qualité de premier directeur de la SRI, et Abdelhamid Rais-Ali, en qualité de président du conseil d’administration.
Il convient de rappeler que Ould Kaddour et les trois anciens vice-présidents mis en cause ont comparu le 11 septembre devant le juge d’instruction de la 4e chambre du pôle pénal économique et financier près le tribunal de Sidi M’hamed (Alger) dans l’affaire de l’achat de la raffinerie d’Augusta alors qu’en juillet 2020, le tribunal de Bir Mourad Rais s’était autosaisi de l’affaire le premier. A ce jour, la justice n’a pas fourni de détails sur les chefs d’inculpation en raison, estime-t-on, de la complexité du dossier et des dessous qui sont en train d’être déterrés par les enquêteurs.
Plusieurs dirigeants et responsables du groupe Sonatrach ont également été entendus par la justice, notamment les membres de l’ex-conseil d’administration du groupe Sonatrach, dont Omar Maaliou, ancien vice-président chargé de la commercialisation, qui a été en désaccord avec Ould Kaddour, Salah Mekmouche, ancien vice-président chargé de l’exploration et de la production, et Slimane Arbi-Bey, vice-président chargé de l’activité transport des hydrocarbures par canalisation.
Par Slimane Ould Brahim
Le Jeune Indépendant, 27/09/2021
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