Étiquette : 17 octobre 1961
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Macron nie toujours le crime d’Etat
Algérie, France, crimes d’Etat, crimes coloniaux, colonialisme, 17 octobre 1961,/Comment la République française sous la conduite de Macron continue à tourner le dos à son histoire.Hier dans la journée, l’équipe de communicants de l’Elysée ont concocté une activité politique pour leur patron avec pour objectif avoué de tenter de récupérer une base électorale d’origine algérienne qui avait été choquée par la phraséologie utilisée lors de la rencontre du président Macron avec les jeunes d’origine algérienne.Après une cérémonie de recueillement sur le pont de Bezons présentée comme une première pour un président français, le service de presse de l’Elysée «pond» un communiqué attendu par bon nombre d’observateurs, politologues et historiens. A la lecture dudit communiqué, le président Macron, et en évoquant les événements du 17 octobre, parle de «répression sanglante» et de «crimes» au pluriel «commis cette nuit-là» en désignant un seul coupable selon lui. Le préfet de police de l’époque en la personne de Maurice Papon.L’ensemble des termes utilisés seront minutieusement choisis pour éviter de parler d’un seul et unique crime et dont le seul et unique coupable est l’Etat français. Pourtant, dans son rapport sur «Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie» remis en début d’année à Emmanuel Macron, l’historien Benjamin Stora proposait d’inclure cette date dans une liste d’«initiatives de commémorations importantes».Avec comme préalable la reconnaissance de cette date comme «crime d’Etat». Macron, comme à son habitude, va privilégier l’aspect communication de sa démarche politique en donnant l’impression d’avoir pris en compte la question des événements du 17 octobre sur la question mémorielle mais sans faire avancer l’histoire qui lie les deux pays depuis bon nombre d’années.Gisèle Halimi déjà victime collatéraleLe traitement du clan Macron de la question mémorielle est souvent marqué par le poids de l’ultra droite et les harkis. Encore une fois, dans son communiqué d’hier, la président français a trouvé le moyen de rassurer son flanc droit en évoquant le «cortège de crimes commis de tous côtés», remettant dos à dos le colonisateur et un peuple en lutte.En annonçant que «la France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies», le président français aurait pu gagner quelques points en matière de crédibilité sur la question mémorielle mais quand on sait que quelques semaines auparavant, les services de l’Elysée, sous la pression du lobby pied noir et des harkis, ont privé l’ancienne avocate du FLN, Gisèle Halimi d’une place au panthéon…De nombreuses personnalités s’étaient engagées en faveur d’une panthéonisation de Gisèle Halimi, faisant circuler une pétition qui a récolté plus de 35.000 signatures. Mais Macron avait déjà cédé à la pression : elle n’aura finalement droit qu’à un hommage national aux Invalides en 2022. Mais pas au Panthéon.L’élection présidentielle, seule leitmotivLa toile de fond de la communication de Macron est intimement liée à la tenue des prochaines élections présidentielles en France. Et quand dans son communiqué, il évoque le rôle de la France qui «regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies», il estime que la France, «le doit en particulier à sa jeunesse, pour qu’elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoires», il interpelle encore une fois les jeunes français d’origine algérienne pour tenter de les rallier à son camp.C. S.L’Algérie Aujourd’hui, 16/10/2021 -
17 Octobre 1961 : Macron ne reconnaît pas le crime d’État !
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On l’a constaté, le huitième Président de la Vème République française a fait un peu mieux que son prédécesseur socialiste dans la qualification et la reconnaissance des faits inhérents au massacre à grande échelle, sur Seine, à Paris, le 17 octobre 1961. Mais il n’a pas, fait indéniable, reconnu le crime d’État en le cas d’espèce. Le communiqué de l’Élysée, après la cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre d’Algériens pacifiques, est un parfait exercice d’équilibrisme sémantique, mémoriel et, par extension, politique. La gauche en France et les critiques en Algérie y ont trouvé assez de matière pour fustiger un chef de l’État réservé, voire timoré, qui ne va pas assez loin, c’est-à-dire au juste niveau, celui de crime d’État. Tandis que la droite française, elle, trouve dans les termes du communiqué un accès de « repentance », ce qui n’est, du reste, pas le cas.
Une analyse de contenu du communiqué en question, à travers le sens évocateur des mots-clés utilisés avec une précision horlogère, éclaire assez bien les réactions contradictoires, ici et là. Les divergences de points de vue, dans le contexte français et le contexte algérien, partent des différences des mémoires et de leur poids et, in fine, des contextes politiques, notamment en France où la conjoncture est marquée par la prochaine élection présidentielle en point de mire.
De quoi parle donc le communiqué de l’Élysée et pourquoi il pose finalement des questions ?
D’abord, le texte établit un constat des faits. Il note que douze mille Algériens ont été arrêtés et transférés vers différents points de regroupement. Il constate ensuite que la répression fut « brutale, « violente », « sanglante ». Qu’il y a eu de nombreux blessés et que plusieurs dizaines de personnes furent jetées dans la Seine, ainsi que de nombreux disparus. Suit le constat un hommage du Président Emmanuel Macron « à la mémoire de toutes les victimes ».
Après le constat, la minute de silence symbolique et l’hommage, surviennent la qualification des faits, la définition des responsabilités et leur imputation. De ce point de vue, le chef de l’État français s’appuie, pensant se montrer le plus objectif possible, le plus distancié possible, sur les historiens qui « ont établi de longue date ces faits et les ont inscrits dans un engrenage de violence durant plusieurs semaines ».
Dans l’enchaînement, intervient après le fait que la démarche du président soit la seconde du genre dans le domaine de la qualification et de la reconnaissance des faits. Avant lui, François Hollande avait admis en 2012 une « sanglante répression».
En reconnaissant des faits tangibles, le Président Emmanuel Macron se place d’abord à un degré supérieur par rapport à son prédécesseur. Il reprend ensuite à son compte l’inscription par les historiens des faits incriminés « dans un engrenage de violence durant plusieurs semaines ». On en comprend qu’ils seraient le résultat d’un simple « engrenage de la violence ». Qu’ils ne seraient donc pas la conséquence d’ordres donnés par l’autorité préfectorale, appuyée elle-même par l’autorité politique supérieure, ou en tout cas, au vu et au su de cette dernière qui aurait couvert de fait les actes barbares. D’ailleurs, le communiqué souligne que les crimes ont été « commis sous l’autorité de Maurice Papon » (préfet de police de Paris, Ndlr). Sous-entendu, ils seraient le fait d’un haut fonctionnaire qui aurait alors agi seul et à sa seule initiative, sans couverture politique et à l’insu de sa hiérarchie gouvernementale et de la présidence de la République.
Il est donc clair et entendu que le Président Emmanuel Macron a pris soigneusement le soin de ne pas imputer le massacre du 17 Octobre 1961 à l’État français pour ne pas avoir à le qualifier de crime d’État. Le cas échéant, une telle qualification n’aurait pas manqué d’avoir des conséquences politiques, avec des répercussions électorales. C’est-à-dire, du point de vue des pertes et des gains électoraux escomptés, et en termes de points dans les baromètres d’opinion en France où les mémoires de la colonisation sont traduites, politiquement et électoralement, par des lobbys et en intentions de vote.
On voit bien que la reconnaissance d’un crime d’Etat apparaît comme un plafond de verre, un horizon indépassable pour le moment. Autre signe en est, cette autre phrase du communiqué qui souligne que « la France regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités dûment établies », sans pour autant dire qu’elles sont celles de l’État. Sauf à avoir choisi la formule de « crimes commis sous l’autorité de Maurice Papon ». Et à affirmer que ces mêmes crimes sont « inexcusables » pour la République ». Dans les dictionnaires linguistiques, l’adjectif « inexcusable » signifie impardonnable, injustifiable. Dans le sens du droit français, la « faute inexcusable » se définit comme une faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative, et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel. (Chambre sociale 28 février 2002, pourvoi : n°99-17221, Legifrance).
On note donc, que si les crimes commis « sous l’autorité de Maurice Papon » sont « inexcusables pour la République », il n’existerait donc pas un « élément intentionnel » qui aurait amené le Président Emmanuel Macron à les imputer à l’État, mais plutôt à un individu agissant seul et de son fait. Par « définition », un acte isolé malgré son amplitude.
Pour ne citer qu’elles, à titre d’exemple, les réactions politiques en France ne s’y sont pas trompées. L’historien Benjamin Stora, auteur du fameux rapport sur les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie, est un des rares à trouver que «pour la première fois, un chef d’État en exercice reconnaît la responsabilité de l’État dans un massacre considéré comme un crime ». Mais, en réalité, les mots rigoureusement pesés du locataire de l’Élysée sont loin d’avoir fait l’unanimité, à droite comme à gauche.À gauche, les responsables politiques et autres députés regrettent qu’Emmanuel Macron ne soit pas allé plus loin, en reconnaissant « un crime d’État ». Chez les écologistes d’EELV qui réclament la reconnaissance du « crime d’État », Julien Bayou, le secrétaire national du parti, relève que Papon, le responsable direct des massacres, « est resté en place » jusqu’en 1967. Cette reconnaissance est également demandée par la France insoumise. Le député LFI Alexis Corbière appelle le Président Emmanuel Macron à « reconnaître le massacre des Algériens pour ce qu’il a été: un crime d’État ».
Le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, a souligné, pour sa part, « des avancées bienvenues » tout en regrettant « la frilosité d’Emmanuel Macron » et sa « politique des petits pas » prudents. « Le chef de l’État va plus loin que Hollande dans la précision des faits ». Et par ailleurs le « crime est réduit à la responsabilité de Maurice Papon » qui « n’était pas un État dans l’État », car « il y avait bien un chef du gouvernement et un chef de l’État qui décidaient qui était préfet de police ».
Mais si d’aucuns estiment que le Président français ne fait pas juste ce qu’il faut, et a raté ainsi l’occasion de reconnaître le « crime d’Etat », d’autres, à droite et à l’extrême-droite, estiment qu’il en fait trop. D’aucuns dénoncent des « repentances à répétition » qui « deviennent insoutenables et attentent à l’image de la France », selon Marine Le Pen. Enfin, Éric Ciotti, l’un des candidats des Républicains à la présidentielle de 2022, stigmatise « la propagande victimaire anti-française du Président Macron ». Pour sa part, Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, tout en concédant «une tragédie», met cependant sur un pied d’égalité le vaste massacre d’Algériens et les 22 policiers français qui ont perdu la vie dans des attentats FLN, cette même année 1961».
Au final, on pourrait comprendre un peu l’exercice de funambule sur le fil du rasoir auquel s’est adonné le Président Emmanuel Macron au sujet du grand massacre de la Seine.
Noureddine Khelassi
Le Soir d’Algérie, 19/10/2021
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Macron : «Ce n’est pas moi, c’est Papon …»
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La France n’a pas honte de ses crimes, elle «regarde toute son histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies», a affirmé, hier, Emmanuel Macron, premier président français à se rendre sur un lieu de mémoire du massacre du 17 Octobre 1961. Un déplacement qu’il a, faut-il le préciser, effectué 24 heures avant la date de commémoration.
Pour les 60 ans de ce massacre, le président Macron avait affiché le souhait d’aller plus loin que la «sanglante répression» admise par François Hollande, en 2012, mais ses «petits» pas n’arrivent pas à rattraper la grande reculade qu’il a enregistré avec les propos belliqueux qu’il a proférés, dernièrement, contre l’Algérie, son histoire et ses dirigeants. Comme ses prédécesseurs, le président français refuse de présenter des excuses pour les génocides et les abominables crimes commis par la France coloniale et c’est sans prise de parole qu’il a déposé une gerbe sur les berges de la Seine, à la hauteur du pont de Bezons, d’où ont été jetés, il y a six décennies, des dizaines de manifestants algériens. Lors de la cérémonie, il a respecté une minute de silence avant de s’entretenir, ensuite, avec des proches de victimes, invités pour la circonstance. Un communiqué de l’Élysée, diffusé juste après le recueillement, a indiqué que le président français «a reconnu les faits: les crimes commis, cette nuit-là, sous l’autorité de Maurice Papon (le préfet de police de Paris, NDLR) sont inexcusables pour la République».
Macron, dans sa logique de «reconnaissance et non repentance», a, certes, parlé de «crimes inexcusables», mais non sans disculper l’État français en soutenant que c’est uniquement «sous l’autorité de Maurice Papon» que les crimes ont été commis. C’est comme si Papon avait agi seul, alors que c’est bien la responsabilité de l’État français de cette époque qu’Emmanuel Macron devrait reconnaître. Et si Hollande avait rendu «hommage à la mémoire des victimes», Macron, lui, a préféré parler de victimes de «tous côtés».
Il a ainsi expliqué que si la France doit regarder son histoire avec lucidité, «Elle le doit d’abord et avant tout, à elle-même, à toutes celles et ceux que la guerre d’Algérie et son cortège de crimes commis de tous côtés ont meurtris dans leur chair et dans leur âme. Elle le doit en particulier à sa jeunesse, pour qu’elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoire, et construise, dans le respect et la reconnaissance de chacun, son avenir.» Macron veut, ainsi, mettre bourreau et victime sur un même pied d’égalité. Peut-il le faire en regardant droit dans les yeux les proches de Fatima Dedar, l’enfant de 15 ans qui a été noyée dans la Seine?
Ni le jeune âge de Fatima, ni son cartable de collégienne, encore moins ses tresses enfantines, n’ont réussi à arrêter son bourreau. Qu’a fait la France coloniale à cette époque? Son administration s’était empressée à affirmer qu’il n’y avait eu que deux décès et aucun disparu.
Le 31 octobre, lorsque le corps de la jeune Fatima, coincé dans une turbine de l’écluse de la Seine, a été retiré dans un état de dégradation avancé, la police, poursuivant sa logique de déni, a conclu à un suicide. C’est dire qu’il y a eu mensonges d’État! Mais la France n’a pas à avoir honte ni à s’excuser puisque -comme le soutien son président- elle reconnaît les faits. Pourquoi avoir alors créé des tribunaux pour juger les criminels de guerre, les tortionnaires et ceux qui ont commis des génocides puisque l’État colonial, qui a commis des enfumades, anéanti des villages entiers ou qui compte par dizaines de milliers de victimes des essais nucléaires n’est pas prêt à regretter ses gestes ni à s’en repentir affirmant qu’une reconnaissance des faits suffit largement à «réconcilier et apaiser les mémoires»?
Hasna YACOUB
L’Expression, 17/10/2021
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Algérie: Le sujet de la mémoire traité « sans complaisance ni concession »
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Dans un message que Taboune a adressé ce samedi aux Algériens à l’occasion du 60e anniversaire du massacre commis par la police de Paris contre des manifestants algériens sortis le 17 octobre 1961, le président a affirmé le souci du pays de traiter les dossiers de L’ère coloniale française « sans complaisance ni concession ».
Ainsi, le Président de la République algérienne, Abdelmadjid Tebboune, « a instauré de nouvelles règles pour les relations algéro-françaises, basées sur la réciprocité, l’égalité et le respect de la souveraineté et de la décision de l’Etat et du peuple algériens ».
Cela est venu dans un message que Tebboune a envoyé aux Algériens à l’occasion du 60e anniversaire du massacre commis par la police de Paris contre des manifestants algériens sortis le 17 octobre 1961 pour réclamer pacifiquement l’indépendance de leur pays du colonialisme français.
Dans sa lettre, Tebboune a déclaré : « Cette occasion me permet de confirmer notre souci de traiter les dossiers de l’histoire et de la mémoire, loin de tout relâchement ou concession, et dans l’esprit de responsabilité qu’exige un traitement objectif et impartial.
Il a souligné que cela « sera loin des influences des caprices et de la domination de l’idéologie colonialiste sur des lobbies incapables de se libérer de leur extrémisme chronique », évoquant les partis français.
La commémoration a coïncidé avec une escalade de la crise entre l’Algérie et la France, où le président français Emmanuel Macron a accusé les autorités algériennes, il y a quelques jours, de « garder rancune contre la France », et a contesté l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation de l’Algérie par la France ( 1830-1962), il eût demandé : «Si la nation algérienne elle existait, avant le colonialisme français » ?!
La présidence algérienne a répondu le 2 octobre, en annonçant le rappel de son ambassadeur à Paris pour consultations, en signe de protestation contre ces déclarations qu’elle a qualifiées d’ »offensives » et représentaient une « insulte inacceptable » à la mémoire de plus de 5 millions de résistants. Tués par le colonialisme français.
L’Algérie a également fermé son espace aérien aux avions militaires français opérant dans le cadre de l’opération Barkhane dans la région du Sahel africain.
De son côté, Macron a déclaré, samedi, lors d’une cérémonie dans la capitale française, Paris, à l’occasion, de l’anniversaire des massacres du 17 octobre 1961 que les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon (le préfet de police de Paris à l’époque) étaient injustifiables pour la République ». Le communiqué ajoute que Macron « a reconnu les faits : les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République », a souligné un communiqué de l’Elysée.
« La répression fut brutale, violente, sanglante. Près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri au stade Pierre-de-Coubertin, au Palais des sports et dans d’autres lieux. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine. De nombreuses familles n’ont jamais retrouvé la dépouille de leurs proches, disparus cette nuit-là. Le président de la République rend hommage à la mémoire de toutes les victimes. »
C’est la première fois qu’un président français se rend sur les lieux du massacre, dont le nombre de victimes est estimé par les historiens à au moins plusieurs dizaines, alors que le bilan officiel ne fait état que de trois morts.
Le 17 octobre 1961, la police française, sur ordre du préfet de police de Paris, Maurice Papon, attaque une manifestation pacifique de milliers d’Algériens venus à l’époque réclamer l’indépendance du pays.A cette époque, la police a délibérément tué des dizaines de manifestants algériens dans les rues et les stations de métro, et a jeté un certain nombre de blessés des ponts dans la Seine, ce qui a entraîné leur mort, connue sous le nom de « massacre de Paris de 1961 ».
Evoquant la survenance de « crimes » et se mobilisant pour une minute de silence sur les lieux, Macron a pris une position qui va au-delà de ce que son prédécesseur, François Hollande, avait admis en 2012 lorsqu’il évoquait une « répression sanglante ».
« Est-ce que le président français va avoir le courage politique de reconnaître et de condamner ce crime d’État ? Ou va-t-il encore une fois rester au milieu du gué pour prôner l’apaisement et le recueillement ? »
Tarek Benaldjia
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Macron et sa prose
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Le rivage de la réconciliation mémorielle entre l’Algérie et la France est si lointain. Le « nouveau geste» d’apaisement annoncé en grande pompe à l’occasion de la célébration du massacre du 17 octobre 1961, tant attendu lors de la sortie du président français, n’a pas eu lieu. Déception totale à Alger qui n’a vu aucune évolution positive dans l’attitude de la France officielle. En affirmant «reconnaître les faits» dont il attribue la responsabilité au préfet de police, Maurice Papon, le chef de l’État français entretenant l’amalgame entre le bourreau et sa victime et en reniant les faits pourtant clairs, finit, en bout de course, par s’enfermer lui-même dans les «conflits de mémoires» qu’il perpétue. Comme un crabe, le président Macron avance à reculons.
C’est à peine qu’il reconnaît du bout des lèvres la tragédie du 17 octobre 1961et s’interdit de présenter des excuses au peuple algérien, mais pour les harkis il s’est bien excusé. Plus encore, il impute la tragédie au préfet de l’époque, Maurice Papon alors que c’est un crime d’État qui implique la République française avec ses rouages administratifs et policiers. Papon dirigeait une police républicaine au nom de laquelle il a commis un carnage. Les propos de Macron sonnent alors comme une fuite en avant, une esquive qui consiste à exonérer les responsables politiques de toute culpabilité dans les crimes commis au nom de la République française.
Le préfet Papon n’est qu’un rouage dans l’appareil d’État français qui a froidement planifié et exécuté une campagne massive d’arrestations et d’exécutions.
Cette nouvelle posture de l’Hexagone n’ est pas faite pour primer l’apaisement et la réconciliation qui vont panser les profondes déchirures mémorielles qui traversent les sociétés algérienne et française. Mais faisons l’hypothèse charitable qu’il est écrit quelque part que les dirigeants français ont un goût immodéré de la controverse. Macron ne déroge pas à cette culture héritée du général de Gaulle qui a toujours excellé dans cet «art».
Saluant «l’immortel génie de la France, (…) pour élever les hommes au sommet de la dignité…», en 1944, lors de la conférence de Brazzaville, le général cautionne vaillamment la déportation de Messali El Hadj la même année et dans la même ville. Le général n’avait-il pas lancé le plan de Constantine, proposé la paix des braves et accepte de négocier avec le GPRA, tout en rappelant 15 000 militaires réservistes, et ordonnant au général Challe «d’écraser la rébellion du FLN».
La France de Macron n’a pas encore trouvé le courage collectif pour affronter ses crimes. «Tendre la main, retisser les liens, ce n’est pas s’humilier par je ne sais quelle repentance, c’est se grandir, c’est être fort.», c’est la prose du président Emmanuel Macron. Y croit-il vraiment?
Brahim TAKHEROUBT
L’Expression, 18/10/2021
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Existe-t-il des crimes justifiables ? Sur les 17 octobre 1961 et 2021
Algérie, France, Macron, 17 octobre 1961, #Algérie, #France, #Macron,Les évocations du 17 octobre 1961 dans les médias français ont été davantage multipliés dans la perspective de la démarche présidentielle que par le soixantième anniversaire ou par le « devoir de mémoire ». Emmanuel Macron dirait-il « crime d’État » ?Question et attente absurdes, quelle qu’en soit la réponse, puisqu’on ne peut qualifier autrement une tuerie massive perpétrée par les forces dudit État dans le contexte de sa politique de l’époque.La question du nombre de victimes décédées reste ouverte et les estimations dans les médias ces jours-ci oscillent entre quelques dizaines et environ deux cents. On évoque plus rarement 300, chiffre retenu par Jean-Luc Einaudi. En se basant sur les historiens institutionnels, des journalistes demeurent approximatifs, ajoutant à l’occasion que « certaines » victimes ont été jetées à la Seine sans témoigner à ce propos d’une lecture exhaustive des livres qu’ils évoquent.Cette lacune me semble plus partagée qu’on ne croit, y compris parmi les spécialistes de la mémoire.J’ai tenté un tableau des groupes de victimes décédées (je le précise car le nombre de blessés est incommensurable) en me basant sur les témoignages évoqués pour l’essentiel dans les livres de Jean-Luc Einaudi, qui marquent une évolution au cours de vingt ans de recherches.1. Au pont de Neuilly, pour empêcher environ dix mille manifestants venus des bidonvilles au nord-ouest de Paris, la FPA principalement a effectué de longs mitraillages, au fur et à mesure qu’avançaient les vagues successives, de 18 h à 21 h environ. On a évoqué une centaine de morts avant le pont.2. Cependant des groupes de manifestants ont réussi à franchir la première partie du pont. Ils se sont trouvés coincés avant d’en sortir vers Neuilly par un autre barrage constitué de policiers (on avait placé les supplétifs en première ligne, comme d’habitude). Les manifestants pris dans cette nasse ont été matraqués à outrance et jetés à la Seine. Selon le tract des « policiers républicains », il s’agit là d’une « bonne centaine » de tués.3. Cette nasse est connue par ailleurs, par des captations radios des réseaux de la police, évoquées par un conscrit opérateur officiant au centre de diffusion. Il saisissait ce que les policiers se disaient entre eux d’unités à unités répandues dans Paris et sa banlieue. Leurs propos portaient sur deux à trois cents victimes jetées à la Seine : parmi celles-ci, figurent la « bonne centaine » du groupe 2. Il faut donc ajouter donc cent à deux cents jetés ailleurs. Ce témoignage sur le moment même ne peut se confondre avec ceux portant sur ce qui s’est passé ensuite ailleurs.4. Les vagues de manifestants venus du nord-ouest ont été pourchassées et dispersées dans les rues de Puteaux et de Courbevoie (de chaque côté de la grande avenue allant du rond-point de La Défense à Neuilly). Charges, tirs à balles. Selon un témoignage de l’AGTA, un long mitraillage a visé environ 200 manifestants réfugiés dans un terrain vague clos. On ignore le chiffre des victimes plausibles de ce groupe.5. Il faut envisager que la poursuite systématique des groupes de manifestants désorganisés dans Paris et ses banlieues a donné lieu à des tirs à balles, des charges y compris par véhicules, etc. Une rumeur de militaires porte sur environ 200 tués par balles, parmi lesquels figurent possiblement ceux des fusillades au pont de Neuilly. Ce seraient donc une centaine de tués qui s’ajoutent à eux.6. La « farce » des policiers dans l’une des cours de la Préfecture a été mentionnée maintes fois à l’époque. L’estimation minimale de tués est d’une cinquantaine. Une émanant de policiers porte ce chiffre à 80.7. Un autre témoignage de policier a recensé 40 noyés dans le canal près de Bastille. Ils ne peuvent provenir de la Seine, ce ne sont donc pas des manifestants du pont Saint-Michel ni de la banlieue nord.8. Témoignage policier encore d’une centaine « au moins » (et sans doute « beaucoup plus ») de corps apportés à l’Institut médico-légal jouxtant la Préfecture et jetés immédiatement à la Seine voisine, sans enregistrement administratif. Ces corps peuvent être une part des tués par balles (ou matraqués) par-ci par-là dans Paris au cours des chasses à l’homme. Et aussi des morts dans les commissariats divers ou autres lieux de détention mineurs, comparés à celui de la porte de Versailles. Il s’agit donc partiellement de victimes plausibles en plus de celles assurées.9. Un témoignage évoque les corps emportés par les Algériens dans le cours de la nuit. Il avait compté 78 corps. Or ce militant n’évoque en cela qu’une seule équipe de recherche, alors qu’il y en eut sans doute d’autres.10. Un récit plus tard d’un manifestant estime à 150 les blessés graves qui moururent les jours suivants dans leur baraques ou garnis.Les groupes 6, 7, 9 et 10 approchent 350 décès en plus des 400 des groupes 1 à 5. Les victimes plausibles alourdissent forcément ce bilan. Les rejoignent encore :– les chasses à l’homme éparses en banlieue nord, qui durèrent toute la nuit (tirs à balles, corps ramassés dans des fourgons);– une carence statistique du Centre d’identification de Vincennes, d’environ 200 personnes;– les déclarés expulsés vers l’Algérie dont une part fut assassinée en route, ou en vol, ou là-bas;– des traces de fosses communes retrouvées tardivement et demeurées inexpliquées.C’est pourquoi, en conclusion de ma démarche, je soutiens que l’échelle d’un millier de morts le 17 et les jours suivants est une estimation beaucoup plus réaliste que les recensements statistiques encore possibles dans un univers fermé où beaucoup s’effectua sans consignation (ni ordres officiels).Le journal Vérité-Liberté, dont j’ai édité un recueil des articles principaux, notamment la totalité du numéro de novembre 1961 consacré au 17, citait une estimation des Algériens : 400 morts et 600 disparus. Les recoupements présentés ici confirmeraient cette échelle.Dix mille policiers organisés dans Paris pour disloquer vingt à trente mille manifestants (répartis en différents cortèges ou systématiquement embarqués à leur sortie du métro ou dans le métro) et déchaînés dans une violence meurtrière intentionnelle, douze mille incarcérés recensés, des brutalités omniprésentes et continuelles : envisager cette réalité pratique ne me semble pas contredire mes conclusions. Elles sont tirées, je le rappelle, de la lecture précise de livres accessibles à tous, et dont on honore l’auteur.Jean-Louis Mohand PaulLe Matin d’Algérie, 17/10/2021 -
El Moudjahid : Macron disculpe l’Etat français
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En n’assurant n’avoir aucune attache avec les partisans de la « nostalgérie » le président français veut résumer par ce barbarisme la douleur et l’émotion des proches des victimes tout en affirmant s’engager résolument dans la voie de la réconciliation des peuples français et algérien. La peine des gens qui ont vu mourir les leurs, jetés dans la Seine, les mains attachées, peut-elle être réductible à de la nostalgie. Il y a des mots qui blessent autant que les balles quand on se moque du respect.
L’auteur de la Gangrène et l’oubli aura bien du mal à le convaincre de franchir le Rubicon, car Emmanuel Macron ne cesse de mettre de la politique dans son vin mémoriel.
C’est un véritable déni de vérité, une hallucinante disculpation de l’Etat français qu’a accomplis le Président Macron en lavant cet Etat de la responsabilité des horribles crimes perpétrés en ce 17 octobre 1961.
Il s’est contenté de faire porter la responsabilité de ces assassinats sur le seul préfet de Paris, Maurice Papon, évitant également de les qualifier de crime d’État.
Il faut être absolument naïf pour croire que Papon pouvait avoir pris la décision de donner ordre à la police parisienne de réprimer avec une extrême sauvagerie, des manifestants pacifiques et sans armes.
En vérité, le préfet, dont ce n’est pas la première équipée sanglante, ne pouvait qu’être missionné par les très hautes sphères du régime gaulliste pour accomplir la sale besogne.
Se rendre sur un lieu de mémoire, observer une minute de silence et lancer une gerbes de fleurs dans la Seine, témoin éternel de la nuit d’horreur, ne trompe personne. L’acte, aussi solennel soit-il, est totalement improductif.
On comprend bien que le crime d’Etat n’entre pas dans la volonté de ce président. Faut-il le répéter. Il y a là, tout au plus, un clin d’œil évident en direction d’un électorat qu’il courtise dans la course à l’Elysée.
Tout compte fait, Macron s’inscrit dans la continuité de la politique française et ne change dans le fond, rien à l’affaire.
Que vaut, en réalité, la portée de son «geste» ? Presque rien. Contrairement à de nombreux pays qui ont reconnu les crimes perpétrés au cours de leur histoire coloniale, contre les autochtones, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, sans oublier les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou le Canada, la France se signale par cette attitude inacceptable pour les victimes et leurs descendants, ainsi que pour le peuple algérien.Encore une fois, elle se dérobe en accomplissant un acte, sur le pont de Bezons, historiquement et politiquement irrecevable.
Pour Mehdi Lallaoui, cinéaste et auteur d’un excellent documentaire sur la douloureuse tragédie du 17 octobre 1961, président de l’Association Au nom de la mémoire, « c’est une occasion ratée, très en-deçà de ce que l’on attendait ». « Les assassins ne sont pas nommés. Il n’y a que Maurice Papon qui l’est. C’est insupportable de continuer dans ce déni, que l’on ne puisse pas nommer la police parisienne, que l’on ne puisse pas citer Michel Debré, Premier ministre à l’époque, ou le général de Gaulle ».
EL MOUDJAHID, 18/10/2021
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Comment un massacre d’Algériens à Paris a été dissimulé
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« C’est un miracle que je n’aie pas été jeté dans la Seine », se souvient l’Algérien Hocine Hakem à propos d’un massacre tristement célèbre mais peu connu dans la capitale française il y a 60 ans.
Environ 30 000 Algériens étaient descendus dans les rues de Paris pour protester pacifiquement contre un couvre-feu et réclamer l’indépendance, près de sept ans après le début de la guerre contre la domination française en Afrique du Nord.
La police a tué des centaines de manifestants et des dizaines d’autres ont été jetés dans la Seine, ce qui en fait l’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale mouvementée de la France.
M. Hakem avait 18 ans à l’époque et il a raconté son histoire au journal L’Humanité des décennies après l’événement, qui a été peu rapporté à l’époque. Il faisait partie des quelque 14 000 Algériens arrêtés pendant l’opération.
Le gouvernement de l’époque a censuré l’information, détruit de nombreuses archives et empêché les journalistes d’enquêter sur cette histoire. Les bulletins d’information contemporains font état de trois morts, dont un ressortissant français. L’affaire n’a pas été couverte par la presse internationale.
Brigitte Laîné, qui était conservatrice aux archives parisiennes, a déclaré en 1999 que certains documents officiels avaient survécu, révélant l’ampleur des meurtres. « Il y avait beaucoup de corps. Certains avec le crâne écrasé, d’autres avec des blessures de fusil de chasse », a-t-elle déclaré.
Une photo illustre les sentiments effrayants de l’époque, montrant des graffitis griffonnés le long d’une section de la berge de la Seine, disant : « Ici, on noie les Algériens. »
C’est le titre du nouveau livre de l’historien français Fabrice Riceputi, qui raconte comment un homme – le chercheur Jean-Luc Einaudi – a cherché inlassablement à recueillir des témoignages, publiant son récit 30 ans après le massacre policier.
On estime aujourd’hui qu’entre 200 et 300 Algériens ont été tués ce jour-là.
Au total, 110 corps ont été rejetés sur les berges de la Seine au cours des jours et des semaines qui ont suivi. Certains ont été tués puis jetés, tandis que d’autres ont été blessés, jetés dans les eaux froides et abandonnés à la noyade.
La plus jeune victime était Fatima Beda. Elle avait 15 ans et son corps a été retrouvé le 31 octobre dans un canal près de la Seine.
Racisme anti-arabe
L’une des premières descriptions de l’événement a été publiée en 1963 par l’écrivain afro-américain William Gardner Smith dans son roman Stone Face – bien qu’il s’agisse d’un récit romancé, qui n’a jamais été traduit en français.
Elle témoigne du racisme anti-arabe de l’époque.
M. Riceputi estime que l’État français refuse toujours de faire face à cet héritage raciste.
À l’approche du 60e anniversaire de la tuerie, les relations souvent tendues entre la France et l’Algérie – qui avaient fait l’objet d’un lent rapprochement – ont une fois de plus fait tache d’huile.
La querelle a commencé le mois dernier lorsque la France a réduit le nombre de visas accordés aux Algériens, accusant son ancienne colonie de ne pas reprendre ceux qui se sont vu refuser un visa.
Mais c’est une audience du président Emmanuel Macron avec de jeunes descendants de ceux qui ont combattu pendant la guerre d’Algérie qui a suscité le plus de colère.
Il a demandé si la nation algérienne existerait sans les colonisateurs français.
Cette question a peut-être été posée dans un esprit de débat, mais elle a provoqué une réaction brutale de la part des Algériens qui y voient un symptôme de l’insensibilité de la France et de la dissimulation des crimes coloniaux.
Pas d’excuses
En ce qui concerne le massacre de Paris, l’État a fait très peu.
En 2012, François Hollande a reconnu que le massacre avait eu lieu – c’était la première fois qu’un président français le faisait.
Dans une déclaration à l’occasion du 60e anniversaire du massacre, le président Macron a déclaré que les crimes commis sous l’autorité du chef de la police étaient « inexcusables ».
Pourtant, ces deux déclarations n’ont pas répondu aux attentes de ceux qui ont demandé des excuses et des réparations, et aucune n’a reconnu le nombre de morts ou le rôle de l’État.
Les partis de gauche français, qui étaient dans l’opposition à l’époque, ont également été critiqués pour ne pas avoir condamné le massacre. Ils ont été considérés comme complices de la dissimulation, étant donné qu’ils ont intenté une action en justice contre la police pour avoir ouvert le feu sur des manifestants anti-guerre, principalement français, tuant sept personnes quelques mois plus tard, tout en restant silencieux sur le massacre des Algériens.
M. Riceputi affirme que la nature raciste de l’opération ne peut être ignorée – toute personne ayant l’air algérienne était visée.
La campagne menée contre les Algériens à Paris était officieusement appelée la « ratonnade », qui signifie « chasse aux rats ».
La recherche d’Algériens s’est poursuivie pendant plusieurs jours après le 17 octobre, la police procédant à des arrestations dans les transports publics et lors de perquisitions.
Selon certaines informations, les Marocains ont dû apposer le signe « Marocain » sur leurs portes pour éviter d’être harcelés par les descentes de police répétées.
Des travailleurs immigrés portugais, espagnols et italiens aux cheveux bouclés et au teint foncé se sont plaints de contrôles et de fouilles systématiques, la police les prenant pour des Algériens.
Les chercheurs affirment également que la police et les forces de sécurité n’ont pas été les seules à prendre part à l’opération : des pompiers et des groupes d’autodéfense y ont également participé.
Des milliers de personnes ont été expulsées illégalement vers l’Algérie où elles ont été détenues dans des camps d’internement alors qu’elles étaient des citoyens français.
Une réputation effrayante
À l’époque, le président Charles de Gaulle est en négociations avancées avec le Front de libération nationale (FLN) d’Algérie pour mettre fin à la guerre et accepter l’indépendance. La guerre prend fin cinq mois plus tard et l’indépendance suit en juillet 1962.
Mais en 1961, les tensions sont vives et le 5 octobre, les autorités parisiennes interdisent à tous les Algériens de sortir de chez eux entre 20 heures et 5 h 30.
La marche est organisée pour protester contre le couvre-feu. Les organisateurs ont voulu s’assurer qu’elle soit pacifique et les personnes ont été fouillées avant de monter dans les trains et les bus de la banlieue délabrée pour se rendre dans le centre de Paris.
Les instructions exactes données aux forces de sécurité n’ont pas encore été établies, mais le chef de la police parisienne de l’époque, Maurice Papon, avait une réputation notoire.
Il avait servi à Constantine, dans l’est de l’Algérie, où il avait supervisé la répression et la torture de prisonniers politiques algériens en 1956.
Il a ensuite été condamné par les tribunaux français pour avoir supervisé la déportation de 1 600 Juifs vers les camps de concentration nazis en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était un haut responsable de la sécurité sous le gouvernement de Vichy.
C’est ce procès, qui s’est déroulé entre 1997 et 1998, qui a permis de lever le voile sur certaines archives classées secrètes relatives au massacre du 17 octobre et d’ouvrir la voie à des recherches approfondies sur cette extraordinaire dissimulation.
Des enquêtes officielles préliminaires sur les événements ont été menées – et un total de 60 plaintes ont été rejetées.
Personne n’a été jugé, le massacre étant soumis à l’amnistie générale accordée pour les crimes commis pendant la guerre d’Algérie.
Pour M. Riceputi, l’espoir est que ce 60e anniversaire contribuera aux efforts visant à établir la vérité et à déterminer les responsabilités dans l’un des massacres policiers les plus sanglants de l’histoire de France.
Par Ahmed Rouaba
BBC News, 16/10/2021
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Macron doit qualifier le massacre de Paris de crime d’État
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Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers de citoyens français et algériens sont descendus dans la rue pour protester contre un couvre-feu imposé à Paris et dans sa banlieue. Des dizaines d’entre eux ont été abattus, battus à mort ou noyés dans la réponse brutale de la police.
Le 17 octobre 1961, les partisans du mouvement d’indépendance algérien protestent contre un couvre-feu imposé par la préfecture de police à Paris et dans sa banlieue, qui vise les « travailleurs musulmans algériens », les « musulmans français » et les « musulmans français d’Algérie ». Lorsque la police a réagi avec brutalité, la manifestation s’est terminée en carnage.
« La police a créé un bain de sang, utilisant tout ce qui lui tombait sous la main, des barres de fer aux matraques », a déclaré Saad Ouazene, l’un des 30 000 manifestants qui ont pris part à la marche pacifique sur Paris, à la télévision française dans les jours précédant le 60e anniversaire du massacre.
Le nombre exact de victimes n’est toujours pas connu à ce jour. Mais on estime qu’au moins plusieurs dizaines de personnes – et peut-être plusieurs centaines – ont été abattues, battues à mort ou noyées dans la Seine. Plus de 10 000 manifestants ont été détenus pendant plusieurs jours.
Un événement « impensable » dissimulé pendant des décennies
Pendant des décennies, l’État français a dissimulé l’ampleur des violences et le nombre de victimes, en recourant à des lois d’amnistie pour empêcher toute enquête indépendante. Le premier chiffre officiel publié faisait état de trois manifestants tués – plus tard, ce chiffre a été porté à six.
Etienne François, historien de 78 ans et expert de la culture du souvenir, a déclaré qu’à l’époque, les médias ne parlaient pas du massacre. À l’époque, il était étudiant à Nancy et a entendu parler de la manifestation par un maître de conférence.
« Depuis la guerre d’Algérie, nous savions que les conditions de vie en Algérie étaient dures et cruelles – mais qu’elles puissent s’étendre à la France elle-même, à la capitale, Paris, était impensable à l’époque », a-t-il déclaré.
Les fonctionnaires qui ont orchestré le massacre n’ont pas eu à rendre de comptes – et ont continué à occuper des postes gouvernementaux importants. Roger Frey, ministre de l’intérieur au moment du massacre, est devenu président du Conseil constitutionnel français. Le préfet de police Maurice Papon a été nommé ministre du budget sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing à la fin des années 1970.
Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, il y a eu un désir dans la société française d’ »oublier l’ignoble gâchis de la guerre d’Algérie », a déclaré l’historien Fabrice Riceputi. Le conflit ne figure dans les manuels scolaires français que depuis 20 ans, et l’on enseigne encore peu de choses sur la brutale conquête de l’Algérie par la France en 1830.
Riceputi fait partie d’un groupe d’universitaires, de politiciens et de militants qui ont appelé à une réévaluation majeure de la guerre d’Algérie dans la société française. Ils veulent que le président Emmanuel Macron reconnaisse le massacre de Paris comme un crime d’État.
François partage ce point de vue. « Je pense personnellement qu’une telle classification serait utile car elle correspondrait à la réalité de ce massacre », a-t-il déclaré.
Macron : « Répression violente »
Macron a critiqué la colonisation plus que tout autre président français précédent. Lors d’une visite en Algérie pendant sa campagne électorale de 2017, il a même qualifié cette époque de « crime contre l’humanité. » Il a également déjà évoqué le massacre, le décrivant sur Twitter en 2018 comme une « répression violente. »
La relation entre la France et l’Algérie a récemment sombré à un nouveau niveau après que Macron a parlé de la guerre d’Algérie et des événements de 1961 avec un groupe de jeunes, descendants de personnes impliquées dans le conflit. Au cours de la discussion, le président a laissé entendre que le discours officiel algérien sur le soulèvement n’était « pas fondé sur des vérités », mais sur « une haine envers la France ». Depuis 1962, a-t-il dit, les dirigeants politiques et militaires algériens ont rendu la France responsable des problèmes.
L’Algérie a réagi en retirant son ambassadeur de Paris et en fermant son espace aérien aux avions militaires français, qui utilisent cette route pour approvisionner les troupes combattant les jihadistes dans la région du Sahel, au sud.
La France et l’Algérie partagent des décennies d’histoire
M. Macron a exprimé son désir d’être le premier président français à réévaluer l’héritage de l’histoire coloniale de son pays en Algérie et le conflit de 1954-1962. Les historiens ont estimé que plus de 7 millions de personnes vivant en France aujourd’hui ont des liens avec l’Algérie, soit en tant que descendants de colons français qui ont dû partir en 1962, soit en tant qu’Algériens qui se sont installés en France pour diverses raisons.La France et l’Algérie doivent s’entendre, a déclaré l’historien François : « Les liens entre l’histoire et le présent des deux pays sont si profonds que l’on ne peut pas dire que les deux pays sont complètement séparés et différents. »
Pour commencer, Macron a chargé l’éminent historien Benjamin Stora, lui-même né dans une famille juive en Algérie et contraint de partir après 1962, de rédiger une « évaluation juste et précise » de l’héritage colonial de la France en Algérie et de la guerre, qui a fait plus d’un million de morts, selon certaines estimations.
M. Stora a présenté son analyse au début de l’année, recommandant la création d’une commission « Mémoire et vérité » chargée de recueillir les rapports des témoins oculaires. Il a également demandé l’ouverture des archives et une commémoration officielle des atrocités commises par les deux camps. Le 17 octobre 1961 est l’une des dates qui, selon l’historien, doit être ancrée dans la mémoire collective française.
Pas d’excuses officielles
Avant l’anniversaire, M. Macron a réagi au rapport en déclarant qu’il y aurait des « actes symboliques » pour reconnaître les crimes, mais qu’il n’y aurait pas d’excuses officielles ni d’expression de regrets. Et, en effet, samedi, Macron a assisté à une cérémonie de commémoration du massacre, mais son gouvernement n’a pas présenté d’excuses officielles.
Stora lui-même a déclaré qu’il ne pensait pas que le moment était propice à la présentation d’excuses, suggérant que les remords pourraient être exprimés à la fin du processus d’évaluation, mais pas au début.
Bien que l’État ait empêché le public d’accepter le massacre du 17 octobre 1961 pendant des décennies, plus de 50 villes françaises ont déjà installé des plaques commémorant les victimes de cette journée.
Le prédécesseur de Macron, François Hollande, a reconnu publiquement la souffrance du peuple algérien en 2012, mais est resté silencieux sur la responsabilité de l’État.
« Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour leur indépendance ont été tués dans une répression sanglante », a écrit Hollande dans un communiqué officiel. « La République reconnaît ces faits avec lucidité. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes », a-t-il ajouté – laissant à son successeur le soin de faire le pas suivant.
DW, 16/10/2021
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Il y a 60 ans, la France commettait un horrible crime d’Etat
Algérie, France, 17 octobre 1961, #Algérie, #France, #17octobre1961,Cet événement, dont des historiens britanniques ont écrit que ce fut la répression d’une manifestation désarmée qui a fait le plus de victimes dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, a été ensuite dissimulé par le pouvoir français.Les Algériens commémorent aujourd’hui la répression féroce des manifestations du 17 octobre 1961 à Paris. Sortis pour dénoncer le couvre-feu raciste auquel ils avaient été soumis par la préfecture de Paris, les milliers de manifestants ont été sauvagement reçus par la police française. Ces manifestations pacifiques ont été organisées par la Fédération de France du Front de libération nationale pour protester contre le couvre-feu injuste décrété par les autorités françaises à compter du 6 juin 1961 contre les Algériens.Des crimes odieux ont été commis contre ces manifestants pacifiques qui avaient reçu la consigne de la fédération de France du FLN de ne porter aucun objet susceptible d’être considéré par les autorités françaises comme une arme. La tuerie a été sans nom.Des hommes ont été jetés dans la scène, d’autres ont eu le crâne fracassé et d’autres encore ont été abandonnés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il eut également des Algériens enterrés vivants… en un mot, toutes les formes d’assassinat ont été pratiquées sur les manifestants désarmés. Plusieurs jours après cette funeste répression, des dizaines de corps étaient repêchés de la Seine. Un horrible massacre que la classe politique dirigeante de l’époque avait soigneusement caché aux français. Le sujet était tabou dans la presse.Aucun documentaire n’était toléré et encore moins une œuvre cinématographique ou télévisuelle. L’omerta avait été imposée à tous les acteurs médiatiques et politiques du pays. Des historiens ont tout de même eu le courage d’écrire des livres sur ce crime d’Etat. Mais leur voix étaient étouffées par l’establishment. Tous les pouvoirs qui s’étaient succédé à la tête de la France avaient mis le couvercle sur cette sanglante répression.Aujourd’hui, ces voix sont enfin audibles, même si les médias lourds français tentent toujours de minorer les événements du 17 octobre et la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat de centaines d’émigrés algériens. Parmi ces historiens courageux, on notera la déclaration de Henri Pouillot, témoin de la Guerre de libération nationale et militant anticolonialiste. «Il est impératif et indispensable que la France reconnaisse et condamne ces crimes commis en son nom», a indiqué M. Pouillot dans un entretien à l’APS, à l’occasion de la commémoration du 60e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961. «Ce n’est pas un simple pardon qui est nécessaire. Le pardon, c’est simplement la demande d’une excuse pour une petite faute, pas possible pour un crime», a commenté cet anticolonialiste français, soulignant que «c’est à ce prix qu’un traité d’amitié entre l’Algérie et la France est possible».De son côté, l’historien Gilles Manceron, souligne que «cet événement, dont des historiens britanniques ont écrit que ce fut la répression d’une manifestation désarmée qui a fait le plus de victimes dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale, a été ensuite dissimulée par le pouvoir français», ajoutant que «cette dissimulation et ses raisons doivent être maintenant étudiées et méditées».Les historiens algériens qui ont travaillé sur le sujet sont du même avis. Fouad Soufi est, à ce propos, catégorique. «Il ne faut pas être naïf. L’Etat colonial en Algérie était foncièrement raciste et fondamentalement au service de la minorité européenne. Quant à la population colonisée, c’était comme l’a écrit Olivier Le Cour Grandmaison, coloniser, exterminer», note-t-il.Dans la même veine, des chercheurs de l’université d’Oran spécialisés dans l’histoire de la glorieuse Guerre de libération considèrent que les massacres perpétrés par la police française contre une manifestation pacifique, le 17 octobre 1961 à Paris, est une «épuration ethnique» à l’encontre des Algériens.M. Bendjebbour, du département d’histoire de l’Université Oran 1 «Ahmed Ben Bella», a souligné, que la police française, lors de sa répression sanglante des manifestations pacifiques organisées par des émigrés, a commis un véritable massacre considéré comme «un crime d’Etat et un crime contre l’humanité».Yahia BouritOuest tribune, 17/10/2021