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  • 17 octobre 1961, la manifestation la plus réprimée de l’histoire

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    Qu’il pleuve ou qu’il vente, la ‘’Ville-Lumière’’ ne rompt jamais avec son exercice de prédilection : captiver et tenir en haleine la trentaine/quarantaine de millions de touristes qui, bon an, mal an, déambulent entre les deux rives de la Seine.
    Au rythme des croisières des Bateaux Mouches, la ville des ‘’démons et des anges’’ bat le rappel de tout ce qu’elle compte comme séducteurs pour se raconter et se portraiturer avec cette art de la narration dont elle s’enorgueillit. A tout seigneur, tout honneur, Edith Piaf, Léo Ferré, Charles Aznavour, Jean Ferrat, Claude Nougarou donnent au ballet des Bateaux Mouches des allures d’escapades “lune de miel’’.

    Slalomant entre rive gauche-rive droite, Paris by Seine déroule son ‘’storytelling’’. Les guides touristiques accrédités auprès de l’Office de tourisme de la mégalopole parisienne font œuvre d’histoire et de mémoire. Et tous azimuts. Tout y est. Histoire d’abord : comment, à partir de l’île de la Cité, puis de l’île Saint-Louis, ‘’baris’’ s’est construite et comment, chemin faisant, elle a tissé, sa toile architecturale, une singularité patrimoniale devenue un corpus académique pour les écoles d’architecture du monde entier.

    La ‘’Mecque’’ des touristes en quête d’escapades à multiples facettes raconte tout. Elle ouvre ses pages ‘’Lumières’’ – cafés littéraires, Quartier latin et ses maisons d’édition, Comédie française, Théâtre de l’Odéon, Opéra, Louvre, Institut Pasteur – et ne rechigne pas à étaler ses épisodes sombres : la Commune, Jean Valjean et les Misérables, la famine, la peine capitale, la livraison de Paris au III Reich, l’antisémitisme, le Vél’d’Hiv’, Drancy, ‘’Paris ! Paris outragé ! Paris brisé 1 Paris martyrisé ! mais paris libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France’’, dixit le général de Gaulle.

    Aux touristes venus se détendre et enrichir leur ‘’capital savoir et culture générale’’, Paris raconte tout. Tout ? Pas tout à fait. Le Paris sanglant de la soirée du 17 octobre 1961 brille par son absence dans la narration de la ‘’Ville Lumière’’ et la ‘’capitale des droits de l’homme’’. De la ‘’Journée portée disparue’’, les ‘’guides historiens’’ embarqués par la société ‘’Bateaux Mouches’’ pour éclairer la lanterne des touristes n’en soufflent pas le moindre mot.

    Au rythme des croisières entre le Champ de Mars/Tour Eiffel et d’Austerlitz, la Seine se raconte avec force détails mais se garde d’évoquer les dizaines et dizaines de corps d’Algériens jetés, depuis les ponts de Saint-Michel, Neuilly, Bezons. En témoigne, pour l’Histoire et la postérité, un cliché omniprésent sur la Toile, un graffiti en cinq mots qui, clandestinement, avait bariolé un des quais de la Seine : ‘’Ici, on noie les Algériens’’ ! De Google à Yahoo en passant par AOL et le chinois Baidu, les principaux moteurs de recherche déploient le visuel sous les yeux de l’internaute à la moindre requête ‘’17 octobre 1961’’.

    Soixante ans après les faits, l’autre 17 octobre — ‘’Le 17 octobre des Algériens’’ pour reprendre le titre du livre de Marcel et Paulette Péju – souffre toujours d’une chape de plomb multiforme : médiatique, mémorielle et politique. Il y a soixante ans jour pour jour, par une nuit parisienne pluvieuse, les Algériens de Paris et ses banlieues subissent – dans leur chair — ‘’derniers feux de la folie coloniale’’, selon la formule de Gilles Manceron, l’un des historiens qui, depuis le début des années quatre-vingt-dix, n’en finissent pas de bousculer la chape de plomb qui pèse sur la ‘’journée portée disparue’’. C’était cinq mois avant les accords d’Evian et le cessez-le-feu.

    Le ton martial Papon

    Le 6 octobre 1961, le préfet de police, Maurice Papon, signe un communiqué avec une sémantique au ton martial. Adressé à l’ensemble des rédactions, le texte est rédigé à l’encre de la mise en garde. ‘’Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rue de Paris et de la banlieue parisienne de 20h30 à 5h30 du matin’’.

    De surcroît, Papon et sa police recommandent ‘’très vivement’’ aux Algériens de ‘’circuler isolément, les petits groupes risquant de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police’’. Last but not least, ‘’les débits de boissons tenus et fréquentés par des français musulmans doivent fermer chaque jour à 19 heures’’. Représentée en France par la Fédération de France du FLN (FF-FLN) – la ‘’7eme Wilaya’’, selon la formule imagée de Ali Haroun –, la direction de la révolution ne l’entend pas de cette oreille. ‘’C’est inacceptable’’, réagit-elle à la mesure du couvre-feu. La FF-FLN appelle à manifester dans les rues de Paris.

    Pour avoir lu et relu les documents de la Fédération de France, pour avoir discuté avec nombre de ses responsables, le journaliste et éditeur Renaud de Rochebrune et l’historien Benjamin Stora soulignent à grand trait la motivation de la FF-FLN. La manifestation dans Paris était dirigée ‘’contre cette mesure attentatoire à la liberté fondamentale d’aller et venir, mais surtout discriminatoire et pour tout dire raciste’’.

    Dans leur livre ‘’La guerre d’Algérie vue par les Algériens’’ (Paris, Denoël 2016), de Rochebrune et Stora remettent en perspective la manifestation du 17 octobre 1961 et la revisitent au miroir des manifestations du 11 décembre 1961. ‘’Entre décembre 1960 et octobre 1961, à Alger et à Paris, les +masses algériennes+, comme on disait volontiers à l’époque, vont faire irruption sur le devant de la scène, et +faire+ l’Histoire.

    Dans les deux capitales, de la métropole coloniale et de l’Algérie encore française, ce sont les ouvriers et les étudiants, les sans-droits et les chômeurs qui vont tenter de s’emparer du centre de ces grandes villes d’où ils sont exclus. Prendre possession des espaces citadins, pour les Algériens, ce n’est pas anodin, c’est déjà accéder à une forme de modernité, vouloir peser sur les décisions politiques, utiliser les villes comme des caisses de résonance pour faire valoir sa cause et ses frustrations. Cela marque aussi une date car, alors, la révolution est de retour dans les centres urbains où, sauf exception comme dans le Constantinois en août 1955 puis dans la capitale fin 1956, début 1957, elle était peu présente au début de la guerre et encore moins depuis la fin de la bataille d’Alger’’.

    Des manifestants pacifiques et disciplinés

    La décision de la Fédération de France du FLN d’en appeler à la mobilisation pacifique de la rue a effrayé les autorités. Le ministre de l’Intérieur Roger Frey et le préfet de police décrètent une alerte sécuritaire sans précédent. CRS, gendarmes et policiers des Renseignements généraux se déploient en grand nombre aux portes de Paris, sur les ponts qui traversent la Seine, aux grands carrefours et sur les grandes artères haussmanniennes.

    La FF-FLN fait montre d’un sens remarquable de l’organisation et apporte la preuve qu’elle jouit d’une écoute auprès de l’immigration. Émises via les militants, les instructions de la Fédération de France sont respectées à la lettre. Disciplinés, les manifestants se sont prêtés de bonne grâce aux fouilles des organisateurs FLN.

    Venus des bidonvilles de l’ouest et du nord-ouest parisiens – Nanterre, Levallois, Genvilliers – mais aussi de la Seine-Saint-Denis, les manifestent convergent surtout sur les Grands Boulevards – côté métro Bonne Nouvelle et le cinéma le Grand Rex – avant de marcher vers l’Opéra et traverser la Seine en direction du Quartier latin et du boulevard Saint-Germain. Singularité de cette manifestation – les photos en attestent –, on ne relève ni slogans, ni banderoles, ni drapeaux. Les 20.000 à 30.000 marcheurs – 40.000 à en croire la Fédération de France – manifestent pacifiquement. ‘’L’action de la Fédération de France du FLN, au cœur de Paris, frappe l’opinion française qui voit, brusquement, la ville vivre une situation de guerre, notent de Rochebrune et Stora.

    Permettant à la presse internationale de témoigner de ce combat des Algériens pour leur liberté, cette manifestation de masse montre la puissance d’engagement des immigrés aux côtés du FLN. Et leur maturité politique, car aucun manifestant n’est armé’’.

    Onze jours après avoir atterri dans les rédactions, le communiqué au ton martial de Maurice Papon se traduit à l’épreuve du terrain. Une répression en règle s’abat sur les manifestants dès le début de soirée. Des rafales d’armes automatiques se font entendre dans les secteurs des boulevards Poissonnière, Bonne-Nouvelle et Montmartre. Des victimes sont signalées. Chargés sans ménagement, des manifestants se réfugient à l’intérieur des stations de métro. Ils sont rattrapés par les forces de polices qui ne lésinent pas sur la matraque.

    Tout au long de la nuit, les 9e et 10e arrondissements se transforment en lieu de rafles massives. Répression oblige, le palais des Sports de Paris change de vocation. Programmé depuis des mois pour abriter un concert du chanteur et musicien américain Ray Charles, le lieu a fait l’objet d’une réquisition et sans autre forme de procès. Il sera, des semaines durant, un lieu de détention des manifestants raflés dans Paris et sa banlieue. Cette ‘’nuit portée disparue’’ verra l’entrée en lice des ‘’harkis à Paris’’ comme le racontera, plus tard, la journaliste Paulette Péju, épouse de Marcel Péju, compagnon de Jean-Paul Sartre, secrétaire des ‘’Temps modernes’’ et signataire du ‘’Manifeste des 121’’ sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.

    A l’heure des bilans pour les besoins – contraints – de la communication officielle, Préfecture de Police et ministère de l’Intérieur parlent de deux morts, soixante-quatre blessés et 11 538 arrestations. Dans la foulée de la répression, la Fédération de France du FLN évoque 200 morts et 400 disparus. Plus tard, à l’heure de la sortie en France de son livre ‘’La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France’’ (Paris, Le Seuil 1986), Ali Haroun, membre du Comité fédéral de la Fédération de France dira : ‘’La Fédération a été dans l’incapacité de fixer le nombre (des victimes) de manière précise, d’autant que, parmi les éléments recensés +disparus+, il devait se trouver nécessairement des militants transférés en Algérie et dont on ne retrouve plus la trace.

    Cependant, la synthèse des rapports militants sur le cas précis des tués, le 17 octobre et les jours suivants, par balles, matraquages, noyades et autres moyens, permet de les chiffrer approximativement à 200 et les blessés à 2300’’. Résolument engagée en faveur de l’indépendance algérienne, ‘’Les Temps modernes’’ – revue animée par le trio Sartre- Claude Lanzmann et Péju – avait cité à l’époque une autre estimation officieuse de l’Inspection générale de la police, un organe rattaché au ministère de l’Intérieur : 140 morts.

    Dans ‘’La Bataille de Paris, 17 octobre 1961’’ (Paris, Le Seuil 1991) – livre qui a fait rejaillir la tragédie dans le débat médiatique –, le chercheur Jean-Luc Einaudi avait parlé de 150 morts avant de réviser le bilan à la hausse (200 morts). Auteurs d’un travail académique fondateur et très documenté sur le sujet – ‘’Paris 1961/ Algerians, State Terror dans Memory’’ (Oxford University Press 2006), les historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master livreront une estimation de l’ordre d’une ‘’centaine’’.

    Mais, au-delà de cet indicateur, le travail des deux anglo-saxons aura le mérite de souligner la ‘’terreur d’Etat’’ de la France coloniale à l’heure et de la répression sanglante du 17 octobre 1961. Et de la situer au miroir de répressions urbaines qui ont marqué l’Histoire. ‘’Le 17 octobre des Algériens’’ (dixit Marcel et Paulette Péju) a été la répression ‘’la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subie une manifestation de rue désarmée dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale’’.

    Par S. Raouf

    Le Jeune Indépendant, 17/10/2021

  • El Moudjahid : Le 17 octobre 1961, un crime d’Etat

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    Le 17 octobre 1961, l’Etat français, drapé de la toge des droits de l’Homme, commettait un crime contre des Algériens qui manifestaient pacifiquement pour leur indépendance et contre un couvre-feu discriminatoire.

    Crime d’État, en ce sens qu’il a été perpétré par des forces de police qui relevaient de l’autorité souveraine de la France et ordonné en haut lieu. Soixante ans après, aucun coupable n’a été jugé ni condamné. Une censure impitoyable a été orchestrée pour empêcher la vérité d’apparaître au grand jour et pour que les instigateurs de cette forfaiture ne soient pas inquiétés.
    Comment était-il possible que la police française tue plusieurs dizaines de personnes, en plein cœur de la capitale, sans que cela suscite un scandale de grande ampleur ?
    Une police aidée dans cette sanglante chasse aux Algériens par des supplétifs.

    Un bilan officiel, minimaliste à souhait, ajouta le mépris au crime et au déshonneur. Il fallut attendre 1991 et l’ouvrage de Jean-Luc Einaudi La Bataille de Paris, 17 octobre 1961, pour que le voile soit levé de façon décisive sur une violence instrumentalisée au plus haut sommet de l’État. Les prétoires furent aussi des lieux où la parole vint déliter un mensonge d’État, ébranlé par l’accumulation de témoignages, de travaux d’historiens… Du côté des acteurs algériens, le livre d’Ali Haroun sur la Fédération de France du FLN en 1986, a apporté d’autres éléments.

    Le temps de l’occultation s’érode, des brèches sont ouvertes dans ce mur du silence.
    Il faut saluer la probité d’un Pierre Bourdieu qui déclara : «J’ai maintes fois souhaité que la honte d’avoir été témoin impuissant d’une violence d’Etat haineuse et organisée puisse se transformer en honte collective.» L’eau a donc fini par user la pierre.

    Plus que jamais, les revendications d’une reconnaissance des crimes de la police du sinistre Maurice Papon, actionné par les plus hautes sphères de la décision du régime gaulliste, sont d’actualité non seulement de la part des descendants des victimes de ces atrocités, mais aussi à la faveur d’une mobilisation citoyenne en France et en Algérie. Soixante ans après ces évènements tragiques, les chefs d’Etat français persistent dans une politique de dénégation qui exclut toute reconnaissance officielle. Pire, Macron remet même en cause l’existence de la nation algérienne avant la colonisation. N’est-ce pas là l’expression la plus abjecte du déni raciste ?

    La France doit impérativement reconnaître et condamner les crimes commis contre des manifestants algériens pacifiques, mais aussi tous les crimes commis en Algérie depuis 1830.

    Il importe de faire comprendre que les Algériens ne sauraient exister en dehors de l’histoire et du traitement des dossiers de la Mémoire qui ne sauraient faire l’objet d’aucune renonciation. C’est dans cet esprit que le président Tebboune a affirmé le «souci ferme de traiter les dossiers de l’Histoire et de la Mémoire, sans complaisances, ni compromissions et avec le sens aigu des responsabilités que requiert le traitement impartial et intègre, loin des engouements et de la prédominance de la pensée colonialiste arrogante sur des lobbies incapables de s’affranchir eux-mêmes de leur extrémisme chronique».

    L’attachement de l’Algérie à l’exigence d’un règlement global du dossier mémoriel reposant sur la reconnaissance définitive, par la France, de ses crimes contre le peuple algérien est une position de principe qui fait l’unanimité auprès de la nation tout entière.

    EL MOUDJAHID, 17/10/2021

  • 17 octobre 1961: Macron reconnaîtra-t-il la responsabilité de l’Etat ?

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    Lors de sa campagne présidentielle, Macron avait déclaré qu’il reconnaitrait une fois président « la colonisation comme un fait contradictoire aux valeurs de la République ». Le collectif attend du président français qu’il respecte son engagement.
    « La France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, -en particulier la guerre d’Algérie – non plus dans les drames et horreurs qu’elles ont entraînés comme le crime d’Etat que constitue le 17 octobre 1961 » peut-on lire dans cette lettre.
    Le 17 octobre 1961, des manifestants algériens pacifistes ont été massacrés de sang froid et furent jetés sur la Seine à Paris par la police française avec indifférence et mépris les droits de la personne humaine.
    Le 17 octobre 1961, des manifestants algériens pacifistes de la région parisienne ont répondu favorablement à l’appel du Front de la libération nationale en vue de protester contre le couvre-feu dont seuls les Nord-Africains faisaient l’objet.

    Ce couvre-feu était également accompagné de violences lors des contrôles et d’arrestations.
    Lors du rassemblement, la police française a fait usage d’une violence excessive, allant jusqu’à tirer sur les manifestants ou les violenter. Au moins 200 personnes auraient perdu la vie lors de ce « massacre ». Depuis, l’Etat français rejette sa responsabilité dans la mort des manifestants pacifistes algériens.

    Quelques jours auparavant, le collectif du 17 octobre 1961 comptant notamment des historiens, a envoyé une lettre au président Emmanuel Macron pour le presser à faire part de sa position sur les crimes d’Etat commis par la France.
    Le choix de la France pour la signature et l’adoption d’une résolution phare de l’Assemblée générale de la naissante ONU le 10 décembre 1948, au Palais de Chaillot à Paris, de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Etait-il judicieux et pertinent ?

    L’Empire colonial français, avec ses lots de violations de ces mêmes droits de l’Homme, et son palmarès tristement célèbre en la matière, dans le continent africain, en particulier en Algérie, n’avait-il pas empreint à jamais ce pays du sceau de la honte ?

    De tels actes ne peuvent que plonger dans l’effroi et la tristesse de nos sociétés toutes entières et non uniquement les français. Le monde libre partage ces émotions et tient à exprimer sa solidarité ainsi que ses condoléances les plus sincères aux familles des victimes et à leurs proches. C’est aussi le rôle des élites des peuples et des associations parlementaires d’un côté comme de l’autre de rappeler aux autorités françaises à quel point il est essentiel de respecter les droits humains et l’État de droit dans leur réponse à des situations aussi extrêmes.
    La France a pris des engagements, en signant et en ratifiant divers textes internationaux, pour protéger l’ensemble des droits fondamentaux sans établir de hiérarchie entre eux. Ainsi, elle doit protéger la liberté d’expression de tous les citoyens, même lorsque celle-ci peut conduire à offenser ou choquer, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un « appel à la haine, nationale, raciale ou religieuse, qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence » (article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques).

    Elle a aussi l’obligation de garantir la liberté de religion et de conviction, sans distinction entre les diverses croyances. Les seules restrictions possibles doivent servir l’objectif légitime et spécifique de protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics ou des droits fondamentaux et libertés d’autrui.

    Si l’État doit garantir la sécurité de tous et toutes sur son territoire, cet objectif ne saurait être poursuivi à n’importe quel prix. Les mesures que le gouvernement français prendra doivent être conformes aux principes du droit international que la France s’est engagée à respecter.

    Or dans les faits, la France devient progressivement un pays de répression, censure et restrictions des libertés les plus basiques. En effet, et bien que les exactions, dont la barbarie le disputait à l’horreur, furent perpétrées par la France, indifféremment en Indochine, en Afrique subsaharienne et au Maghreb, il n’en demeure pas moins que c’est en Algérie, pays colonisé pendant un siècle et un tiers de siècle et annexé à la Métropole, où la France a fait le plus étalage de sa sauvagerie.

    De la baignoire et la corvée de bois à la gégène et au sérum de vérité en passant par les viols, les pendaisons, l’arrachage d’ongles, la guillotine, l’emmurage et les enfumades, la France a doublé d’ingéniosité pour inventer et sophistiquer des méthodes de torture, aussi abjectes les unes que les autres.

    De nombreux spécialistes et historiens, aussi bien algériens que français, ont traité dans leurs écrits et recherches de cette question, qui demeure, six décennies environ après l’indépendance de l’Algérie arrachée au prix fort, une plaie ouverte en attente d’un mea culpa de l’Hexagone, qui tarde à être fait, malgré quelques tentatives timides mais hélas étouffées et tuées dans l’œuf.

    Mahfoud Kaddache, un des plus éminents historiens algériens (1921-2006) a, en évoquant ce sujet, dit que « La France doit assumer son passé devant le tribunal de l’Histoire ».

    « Quand on parle de torture (française) pratiquée en Algérie, il ne faut pas sous-entendre celle liée seulement à la Guerre de Libération (1954-1962), la torture a existé en Algérie depuis le début de la conquête française en 1830 », a relevé l’historien, auteur entre autres de « L’Algérie des Algériens, Histoire de l’Algérie 1830 – 1962 ».

    Ces exactions généralisées dans le temps ne se limitent pas à la torture mais s’étendent aux massacres et aux tueries, dont les plus célèbres furent celles de Sétif – Guelma -Kharrata, en mai 1945, lorsque des dizaines de milliers d’Algériens désarmés, sortis réclamer pacifiquement leurs droits les plus élémentaires, ont été assassinés par l’armée coloniale.

    Nombre d’experts et de spécialistes de la question estiment, à juste titre, qu’à côté des célèbres 1,5 million de martyrs tombés dans le champ d’honneur durant la Guerre de libération qui a duré plus de sept ans et demi, les pertes algériennes, humaines s’entend, s’élèvent à 6 millions de morts, moins connus, durant les 132 ans de colonisation.

    De son côté, l’historien français Pascal Blanchard a souligné dans ses écrits que « la torture ne fut pas seulement liée à des situations de conflit, mais elle fut consubstantielle de la colonisation » de l’Algérie.
    Blanchard, un historien spécialiste de l’Empire colonial français, d’études postcoloniales et d’histoire de l’immigration, relève que « La torture en Algérie, qui est inscrite dans l’acte colonial, elle est l’illustration ‘normale ‘ d’un système anormal ».

    Il a ajouté que « la torture n’est pas une dérive ou un aléa d’une guerre » mais il s’agissait plutôt selon lui d’une politique institutionnalisée et d’une pratique systématique, ce qui le pousse à s’interroger, en l’absence d’excuses officielles de la France de ses pratiques : « Pourquoi alors l’histoire et la mémoire coloniales restent-elles un point aveugle de notre inconscient collectif ? ».

    Les paradoxes de l’histoire ont voulu que l’un des pays les plus sanguinaires de l’histoire humaine, la France, soit aussi l’un des défenseurs des droits de l’homme, ou du moins ce que laisse croire le président Emmanuel Macron.

    Tarek Benaldjia

  • France: massacre de Paris et tensions avec l’Algérie

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    Paris, France – Il y a soixante ans, des Algériens de Paris ont été arrêtés, tués et noyés dans la Seine par la police française. Ils manifestaient pacifiquement contre un couvre-feu qui leur était imposé quelques mois avant la fin de la guerre d’Algérie. Les archives estiment qu’entre 100 et 300 personnes ont été tuées, mais il n’existe pas de chiffre exact.

    Selon l’historien Fabrice Riceputi, c’est parce que ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 dans le centre de Paris est un « massacre colonial ». « L’une des caractéristiques de tous les massacres coloniaux dans l’histoire est qu’il est impossible de faire des évaluations précises », a-t-il déclaré à Al Jazeera. Largement considéré par les historiens comme la répression la plus violente d’une manifestation dans l’Europe occidentale de l’après-guerre, beaucoup en France refusent encore de l’affronter.

    Mais aujourd’hui, dans le contexte de mouvements sociaux croissants qui réclament la justice raciale et la fin des brutalités policières, la pression est de plus en plus forte pour que la France affronte son passé violent.

    En 2012, François Hollande, alors président, a reconnu la « répression sanglante » de 1961, mais les historiens affirment que le gouvernement n’a pas pris de mesures concrètes et que les informations sur cet événement continuent d’être supprimées.

    « Ce qui est réclamé depuis les années 1990, et demandé par de nombreux groupes, c’est que le chef de la République française, donc le président, reconnaisse officiellement qu’il ne s’agissait pas d’une erreur regrettable, mais d’un crime d’État », a déclaré Riceputi. « C’est ce que nous attendons du président [Emmanuel] Macron pour le 60e anniversaire ».

    L’événement le plus douloureux

    Le 17 octobre 1961, les Algériens de Paris sont appelés à organiser une marche du Front de libération nationale algérien. Des milliers d’entre eux se sont rendus sur place pour réclamer une Algérie indépendante, malgré un couvre-feu imposé.

    La violente répression ordonnée par le préfet de police de Paris de l’époque, Maurice Papon, est sans équivalent.

    « Maurice Papon a appris à appliquer ces méthodes de terreur à Constantine en Algérie pendant plusieurs années, et il les a importées à Paris », a déclaré Riceputi à propos du tristement célèbre Papon, condamné en 1998 pour complicité avec le régime nazi.

    Pour les Algériens de France, le souvenir reste vivace dans la mémoire collective.

    « Pour moi en tout cas, c’est peut-être l’événement le plus douloureux de toute la période coloniale », a déclaré à Al Jazeera l’historienne algéro-américaine Malika Rahal, qui a grandi en France. « Cela ne remet pas en question votre relation à l’Algérie, mais cela remet en question votre relation à la France tous les jours ».

    De la censure des journaux à l’empêchement des procès des accusations déposées par les Algériens, les chercheurs ont déclaré que l’effort de l’État français pendant des décennies pour cacher des informations était institutionnalisé.

    « C’est une partie du crime », a déclaré Riceputi. « Il a été commis et immédiatement nié, et le gouvernement a tout fait pour imposer le silence, pour couvrir l’événement ».

    Rahal a déclaré que lorsqu’elle étudiait l’histoire à Paris dans les années 1990, beaucoup de ses collègues de l’époque ne connaissaient pas le massacre de Paris. Elle en a d’abord entendu parler par sa famille algérienne, mais l’événement a été si traumatisant pour son père qu’il ne s’est jamais ouvert pour parler de ce qui s’est passé.

    Même les historiens étrangers disent avoir eu du mal à accéder à certains documents.

    Amit Prakash, un professeur américain qui écrit sur la décolonisation française, a déclaré que lorsqu’il est arrivé à Paris pour étudier les archives, il a souvent été « bloqué ».

    Ils m’ont donné accès à beaucoup de choses, mais ils m’ont dit : « Le 17 octobre, les dossiers que j’ai demandés ne relèvent pas de cette question », a-t-il déclaré.

    Selon M. Riceputi, le sujet reste tabou car il déclencherait à nouveau une remise en question de l’image publique et des valeurs de la France.

    « Cela signifierait que nous acceptons enfin d’apprendre que la République française n’est pas une entité parfaite par définition. Elle est l’héritière des Lumières, de la Déclaration des droits de l’homme, mais elle est aussi l’héritière de ce passé colonial criminel. »

    Tensions de Macron

    La pression monte sur Macron pour qu’il profite du 60e anniversaire pour reconnaître les violences, une tâche qui, selon les analystes, est loin d’être simple.

    La question de l’Algérie continue de diviser en France. Les politiciens de droite ont par le passé refusé d’en discuter, et les personnalités d’extrême droite sont nostalgiques de la période coloniale de la France.

    Alors que Macron se prépare à l’élection de 2022 et que l’extrême droite monte dans les sondages, les experts estiment que si le président français devait faire un commentaire, il est peu probable qu’il bouleverse le statu quo.

    Dans le même temps, Macron navigue dans des relations diplomatiques tendues avec l’Algérie.

    Fin septembre, la France a déclaré qu’elle réduirait considérablement le nombre de visas accordés à l’Algérie – ainsi qu’au Maroc et à la Tunisie – pour avoir refusé de reprendre les migrants en situation irrégulière.

    Mais ce qui a réellement provoqué l’ire d’Alger, c’est la manière dont Macron a abordé le passé colonial de la France. Le 30 septembre, le président français a invité plusieurs jeunes d’origine algérienne au palais de l’Élysée pour discuter de la guerre d’Algérie.

    Le Monde rapporte que Macron leur a posé la question suivante : « Y avait-il une nation algérienne avant la colonisation française ? »

    Pour Arthur Asseraf, historien et maître de conférences à l’université de Cambridge, Macron a essayé d’être provocateur, mais cette démarche est en fait « la plus vieille ruse du livre » – celle utilisée pour justifier la colonisation.

    Selon des observateurs comme Rahal, la longue occupation de l’Algérie par la France – 132 ans – signifie qu’en fin de compte, même si Macron reconnaît la complicité de la France dans le massacre de Paris, « Alger ne dira jamais merci… parce que les deux pays sont très différents en termes de valeurs. L’Algérie est absolument anticoloniale et la France n’a jamais pris le tournant anticolonial. »

    Macron devrait devenir le premier président français à assister à une cérémonie officielle de commémoration du massacre, bien que l’Élysée, contacté plusieurs fois par Al Jazeera, n’ait pas été en mesure de discuter de plus amples détails.

    Une marche commémorative aura lieu à Paris, organisée par 120 syndicats et organisations.

    Et les militants demandent à l’État français de créer un site officiel de commémoration, d’ouvrir toutes les archives, d’inclure cet événement dans le programme scolaire et d’accorder des réparations aux descendants des victimes.

    « C’est un événement qui n’a peut-être jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui », a déclaré Riceputi. « Parce qu’il s’agit de violences policières. En France, depuis quelques années, on sait ce que c’est. Et c’est aussi une question de racisme systémique, on sait aussi ce que c’est en France (…) donc ça mobilise beaucoup de monde. »

    Aljazeera, 15/10/2021