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  • La chute de Kaboul, une alerte pour le Sahel

    Afghanistant, Sahel,

    Moussa TCHANGARI, membre de la Fondation Frantz Fanon et directeur d’Alternatives Niger propose une réflexion plus large de la chute de Kaboul, qui pour lui est une alerte pour le Sahel.

    En Afghanistan, pays en guerre depuis 20 ans, les Talibans ont pris le contrôle de plusieurs villes, dont Kaboul, la capitale. Le président du pays, Ashraf Ghani, est en fuite; et les quelques hautes personnalités de son régime, encore présents dans le pays, se préparent à transmettre le pouvoir à leurs ennemis jurés. C’est ce que rapportent tous les grands médias mondiaux; et tout cela s’est joué en l’espace de quelques jours, à l’approche de l’échéance de retrait définitif de l’armée américaine, pilier principal de la coalition internationale qui a déclenché la guerre en 2001.

    A Washington, Londres, Paris, Berlin et Ottawa, capitales des grandes puissances engagées, depuis bientôt 20 ans, dans la guerre en Afghanistan, les dirigeants sont dans le désarroi; ils assistent impuissants au retour au pouvoir des Talibans, n’ayant plus aucun projet pour ce pays où ils ont déployé des milliers des soldats et dépensé des sommes folles, en dehors de l’évacuation de leurs ressortissants et de leurs « collaborateurs » afghans. « Ceci n’est pas Saigon », dit un haut dirigeant américain; mais, il s’agit bien d’une débâcle. Elle est même, à certains égards, plus retentissante encore que celle enregistrée au Vietnam, en 1975, avec la chute de Saigon.

    Au Sahel, région où certains des Etats mènent depuis quelques années une guerre rude contre des divers groupes armés idéologiquement proches des Talibans afghans, la chute de Kaboul sonne comme une alerte; elle préfigure ce qui pourrait y advenir, au cours des prochaines années, si les élites au pouvoir et leurs soutiens occidentaux continuent d’ignorer les appels à des réformes politiques audacieuses. La chute de Kaboul indique, en tout cas, et de manière fort magistrale, que la guerre contre les groupes armés djihadistes ne peut être gagnée en faisant l’économie des telles réformes, seules susceptibles de jeter dans la bataille la plus grande force politique et militaire, à savoir « le petit peuple ».

    Après 20 ans de combats, qui ont entrainé d’énormes pertes en vies humaines, principalement au sein de la population afghane, les armées occidentales, dotées des moyens les plus sophistiqués, ont échoué face à des Talibans déterminés ; mais, cet échec est d’abord et surtout celui des dirigeants politiques occidentaux, eux qui ont engagé toutes leurs forces (soldats, armements, argents, expertises) dans cette guerre, en misant sur une élite corrompue, qui partage avec les Talibans le rejet profond de la démocratie. On se souvient encore des élections afghanes qui, bien supervisées par les « grands pays démocratiques », ont été marquées par les fraudes des plus grossières.

    En Afghanistan, 20 ans de guerre ont enrichi une élite profondément corrompue, portée et maintenue au pouvoir par des armées étrangères ; mais, il faut dire que ces 20 ans de guerre ont enrichi également le complexe militaro-industriel occidental, les compagnies de sécurité et des experts en tout genre. L’argent englouti par cette guerre, les vies humaines qu’elle a emporté, ne sont une perte que pour le « petit peuple » d’Afghanistan et les petits contribuables des pays qui s’y sont engagés; et c’est parce que la guerre n’est pas un malheur pour tous qu’elle se poursuit toujours au Sahel, sur fond de corruption des élites, de déni des droits et du refus du dialogue et de réformes, au risque de voir un jour déferler sur les capitales des « Talibis en moto ».

    Au Sahel, il est urgent que des hommes et des femmes de bonne volonté se lèvent et proclament que la guerre en cours ne peut pas être gagnée avec les mêmes armées étrangères qui ne l’ont pas gagnée en Afghanistan; mais aussi, avec le même type de dirigeants corrompus, qui n’ont aucune once de patriotisme, et le même type de forces de défense et de sécurité, qui commettent parfois des graves exactions et sont plombées par l’affairisme de leurs chefs. Cette guerre, si elle doit être gagnée, ne le sera qu’à travers une volonté large et des initiatives audacieuses visant à construire un nouveau contrat politique et social restituant au peuple sa souveraineté et créant les conditions d’une vie digne pour les millions de personnes qui en sont aujourd’hui privées.

    Moussa Tchangari

    Fondation Frantz Fanon

  • Ces monstrueux talibans et nous

    Afghanistant, OTAN, Talibans,

    On aurait dit un écho d’un passé colonial. À l’époque, les journaux publiaient des informations alarmantes chaque fois qu’il y avait une révolte de « barbares » contre l’autorité coloniale : les Boxers en Chine, les Mau-Mau au Kenya, les Simbas au Congo. Tous, sans exception, des barbares qui osaient se révolter contre la chrétienté, la civilisation et les droits de l’homme (dans cet ordre précis), imposés par les maitres occidentaux dans les colonies, dans le même temps qu’ils y terrorisaient les populations et y pillaient les matières premières.

    Les titres des infos de la semaine écoulée ont tous été du genre : les fondamentalistes islamistes talibans sont de retour. Les barbares talibans s’emparent des villes l’une ville après l’autre, Kaboul tombe dans leurs mains. Dans un laps de temps d’une dizaine de jours, le régime installé par l’Occident dans ce pays s’est enfui et une armée de 300 000 hommes s’est rendue à une armée de guérilla de quelque 75 000 hommes.

    La rapidité des événements a surpris tout le monde. Même si tous ceux qui avaient quelque peu suivi la guerre savaient qu’une défaite de l’Occident était inéluctable. Il y a dix ans, à l’aide de documents secrets, Wikileaks[1] montrait déjà que la résistance des Talibans était en train de gagner et qu’elle était bien répandue dans tous les coins du pays. Matthew Hoh, un capitaine de l’armée américaine qui avait démissionné en septembre 2009 pour protester contre la guerre en Afghanistan, décrivait comme suit la résistance dans ce pays : « La révolte pashtoun est composée d’innombrables groupes locaux. Elle est soutenue par le peuple qui se tourne contre des siècles d’agression contre son pays, sa culture, ses traditions, sa religion. Selon moi, la grande majorité des insurgés ne se battent pas pour le drapeau blanc des talibans, mais plutôt contre la présence de soldats étrangers et contre les impôts et taxes qui leur ont été imposés par un gouvernement non représentatif installé à Kaboul. »[2]

    Les États-Unis (EU) et leurs alliés, dont la Belgique, sont en train de subir une défaite historique comparable, sinon plus sévère encore, à la défaite de 1975 contre le Vietcong communiste et les Nord-Vietnamiens.

    Exactement comme lors de la retraite honteuse de l’époque, nous entendons de savants professeurs et autres spécialistes expliquer que les Américains commettent une erreur historique en se retirant de la sorte et en abandonnant à leur sort le pays et sa population. Tous les acquis démocratiques, disent-ils, comme les droits de la femme, qui y ont été introduits par l’Occident au cours des vingt années écoulées, risquent d’être perdus. À l’instar du cobalt, du lithium et autres minéraux dont l’Afghanistan regorge, ajoutait sans sourciller ni rougir un spécialiste perspicace.
    Et nous sommes naturellement animés de préoccupations humanitaires et nous sommes aussi de grands défenseurs des droits de l’homme, mais cela aussi a ses limitations : ce qui nous intéresse le plus, c’est la façon de pouvoir endiguer ces afflux de réfugiés qui nous arrivent. Et la façon de pouvoir empêcher que le terrorisme reprenne vigueur dans nos pays, maintenant que les talibans sont de retour au pouvoir. Et, ici, on oublie de mentionner que c’est précisément la guerre contre l’Afghanistan qui a déclenché bien plus d’attentats en Europe que ce ne fut jamais le cas dans la période antérieure.

    À propos des droits de la femme

    En ce qui concerne les commentaires humanitaires sur l’Afghanistan, je me demande pourquoi cette même coalition occidentale qui avait envahi l’Afghanistan, allait, deux ans plus tard, balayer également l’Irak de la carte, alors qu’on y respectait bel et bien les droits de la femme. On se demande pourquoi un pays comme l’Arabie saoudite, qui foule au pied ces mêmes droits de la femme, fait toujours partie du cercle de nos proches amis. Pourquoi permettons-nous que la population palestinienne de Gaza soit enfermée dans une prison à ciel ouvert, sans eau ou électricité à suffisance : n’y a-t-il pas là des femmes et des enfants aussi ?

    Ou cette réflexion, également : les droits de la femme en Occident ont-ils jamais été arrachés grâce à l’intervention d’une puissance étrangère ? Notre pays a-t-il été bombardé afin d’être forcé d’accorder aux femmes le droit de vote en 1948, ou d’y permettre aux femmes d’ouvrir un compte bancaire sans l’accord de leur mari, un droit qui ne leur a été accordé qu’en 1976 ? La France a-t-elle été bombardée parce que, jusqu’en 1965, les femmes ne pouvaient pas y avoir un emploi sans le consentement de leur mari ? Ou veut-on nous dire que les femmes afghanes sont une fois pour toutes plus arriérées que les femmes occidentales ?

    On oublierait presque pourquoi tout cela a commencé il y a vingt ans

    La déclaration de guerre des EU à l’Afghanistan en 2001 n’avait strictement rien à voir avec le fait d’apporter la civilisation ou avec les droits des femmes ou des enfants. Mais tout à voir avec la vengeance de l’Occident en raison des attentats de New York, le 11 septembre 2001. Une vengeance exercée contre l’un des pays les plus pauvres de la planète. Une vengeance contre une population de quelque 28 millions d’humains. Contre cette guerre, les talibans ont tenté de se défendre par tous les moyens. Tels qu’ils sont décrits dans le livre « My Life with the Taliban » (Ma vie avec les talibans) d’Abdul Salam Zaeef, l’ambassadeur afghan des talibans au Pakistan.

    L’Amérique avait désigné Osama Bin Laden, qui se trouvait en territoire afghan, comme responsable des attentats de New York. À l’époque, la chasse à Bin Laden avait cours depuis quelques années déjà. Les attentats de 1998 contre les ambassades des EU à Nairobi et en Tanzanie avaient valu à Bin Laden une place bien en vue sur la liste américaine des « 10 most wanted » (les 10 personnages les plus recherchés). Après ces attentats, le président de l’époque, Bill Clinton, avait fait tirer des roquettes sur l’Afghanistan et de lourdes sanctions économiques avaient été imposées au pays. Les EU exigeaient la livraison d’Osama Bin Laden. Il n’existait pas d’accord d’extradition entre les EU et l’Afghanistan et, par conséquent, le gouvernement des talibans répondit à la demande américaine en trois points.

    Un. Si les EU peuvent prouver qu’Osama Bin Laden est responsable des attentats, ils doivent dans ce cas déposer ces preuves auprès de la Cour suprême de justice en Afghanistan. Si ces preuves sont réelles, Bin Laden sera châtié selon la charia islamique.

    Deux. Si la chose n’est pas acceptable pour les EU, du fait qu’ils ne reconnaissent pas l’État islamique de l’Afghanistan, ce dernier propose alors de désigner trois procureurs de trois pays islamiques et de le juger dans un quatrième pays islamique. L’Amérique pourra y plaider sa cause contre Bin Laden. Si celui-ci est déclaré coupable, il sera condamné pour ses actes criminels.

    Trois. Si cela aussi est inacceptable aux yeux des EU, l’Afghanistan promet alors de priver Bin Laden de tous les moyens le mettant en mesure d’avoir quelque portée à l’étranger et de lui permettre de ne mener qu’une simple existence de réfugié en Afghanistan.

    L’Amérique allait balayer de la main ces trois propositions et elle exigea la livraison inconditionnelle de Bin Laden. Il n’y eut même pas de contre-proposition de désigner un tiers pays qui aurait pu juger Bin Laden. Pas plus que l’option de la Cour internationale de justice à La Haye ne s’avéra acceptable pour les EU. Cette position américaine était inadmissible, pour les talibans. Ils déclarèrent à juste titre que cela signifierait que les EU auraient les coudées franches pour faire extrader n’importe qui dans le monde entier. Et que le point de vue des EU signifiait que, selon eux, il n’existait pas de justice dans le monde islamique et que ce dernier n’était pas en mesure de protéger les droits du peuple et de sanctionner les criminels.

    Après les attentats contre les ambassades, le ministère afghan des Affaires étrangères écrivit, dans une lettre adressée à l’ambassade des EU au Pakistan que « l’Afghanistan n’a pas l’intention d’infliger des torts aux EU, ni maintenant, ni non plus à l’avenir. Nous ne soutenons pas d’agression contre les EU sous quelque forme que ce soit et nous empêcherons également quiconque d’utiliser le territoire afghan en vue d’une telle agression. » Cela ne servit à rien.

    Puis il y eut les attentats de New York, le 11 septembre 2001

    Après les attentats de New York, les autorités afghanes organisèrent le plus vite possible une conférence de presse et elles condamnèrent les attentats dans un communiqué officiel : « Au nom de Dieu le bienfaisant et le miséricordieux, nous condamnons on ne peut plus sévèrement ce qui s’est passé aux EU contre le World Trade Center et le Pentagone. Nous partageons le deuil de tous ceux qui ont perdu des êtres chers lors de ces attentats. Tous ceux qui en sont responsables doivent être traînés devant la justice. Nous voulons que justice soit faite et nous demandons à l’Amérique d’être patiente et prudente dans les actions qu’elle a l’intention d’entreprendre. » En effet, les talibans avaient rapidement compris déjà qu’ils allaient de retrouver dans le collimateur des EU. Même si le principal dirigeant des talibans, le mollah Mohammad Omar, avait à l’époque un avis différent sur la question. Il estimait qu’il n’y avait que « 10 pour 100 de chances que les EU aillent plus loin que des menaces » et que « une attaque était improbable ». Et que l’Afghanistan, exactement comme en 1998, devait attendre des preuves contre Bien Laden pour entreprendre plus avant des actions contre lui.

    L’ambassadeur de l’Afghanistan au Pakistan adresse au nom de talibans une lettre à Bush et à la Maison-Blanche dans laquelle il expliquait à quel point la situation était dramatique dans le pays, après vingt ans de guerre incessante et de lutte interne. Et comment la population était confrontée à la faim, à la sécheresse et aux flux de réfugiés : « Nous avons tout perdu au cours de la guerre. Nous n’avons pas de pouvoir politique ou économique. Nous ne voulons plus combattre et nous ne disposons plus non plus de la force pour le faire. Nous demandons le dialogue, pas la guerre. »

    Rien n’y fit.

    L’opération « Enduring Freedom » (liberté immuable)
    Les EU ne voulaient absolument pas d’une action policière ou juridique en vue d’arrêter et de juger les auteurs des attentats de New York. Ils voulaient assouvir leur vengeance, et tout de suite, encore. Ils ne se contentaient plus de la seule extradition de Bin Laden, mais ils voulaient également un accès illimité à n’importe quel endroit de l’Afghanistan en vue de faciliter les opérations de recherche de l’armée américaine. De plus, le gouvernement taliban devait démissionner et une large coalition qui respectait les droits des citoyens et ceux des femmes devait reprendre le pouvoir.

    Le 7 octobre 2001, sous le nom de « Operation Enduring Freedom », une monstrueuse coalition dirigée par les EU envahit l’Afghanistan. Selon l’Otan, il s’agissait de « l’une des plus grandes coalitions de l’histoire, composée de 130 000 soldats en provenance de 50 pays, soit de l’Otan, soit alliés ».[3] Ce qui devait être une guerre éclair pour éliminer Al Qaida et renverser les talibans qui lui avaient prêté le couvert, allait se muer en une guerre longue de vingt ans.

    Une guerre que l’Otan, sous la direction des EU, pensait gagner grâce à sa supériorité technologique, en effectuant des bombardements massifs à l’aide d’avions et de drones, en s’enfermant dans des bases militaires coupées de la population et d’où elle lancerait ses attaques. Tout cela alla de pair avec des arrestations de masse et la torture des détenus dans la base militaire de Bagram, suivies de l’ouverture du camp de torture de Guantanamo, à Cuba, destiné à quelque huit cents musulmans afghans et internationaux accusés de terrorisme. Les talibans échappèrent en grande partie aux bombardements et aux arrestations en se repliant sur un territoire frontalier au Pakistan. En 2009, les EU obligèrent le Pakistan d’évacuer ce territoire et d’enfermer ainsi quelque 250 000 personnes dans des camps de réfugiés. Et c’est ce qui arriva, effectivement. Une mesure qui ne fit qu’accroître encore la haine parmi la population. Entre-temps, en Afghanistan, les vieux talibans qui s’étaient réfugiés au Pakistan au cours des vingt années écoulées avaient été renouvelés par de jeunes combattants, qui se déplaçaient parmi la population campagnarde comme des poissons dans l’eau. Ils opéraient comme une armée de guérilla, y compris en effectuant dans attentats meurtriers dans les villes aussi. Même s’il n’y a aucune comparaison entre les idéologies, écrivait Tariq Ali dans The Guardian en 2012, ils opéraient exactement comme les armées de guérilla vietnamienne, chinoise ou cubaine, de la même manière que Giap, Mao ou Che Guevara.

    Le coût humain et financier de la guerre fut horrible. Selon l’un des instituts de recherche sur la guerre, entre 218 000 et 241 000 personnes perdirent la vie en conséquence directe de ces 20 années de guerre.[4] Sept ans après le début de la guerre, Oxfam écrivit que les EU « avaient dépensé 65 000 dollars par minute pour vaincre les talibans ».[5] Le coût de la guerre allait s’élever à quelque 2 000 milliards de dollars. Et, pendant toutes ces années, 60 pour 100 de la population afghane des campagnes fut sans travail.

    Pas d’enquête sur les crimes des « porteurs de civilisation »

    Prenons quelques exemples venus de la province de Kunduz. Peu de temps après l’invasion américaine en 2001, les guerriers talibans se rendirent aux troupes américaines et au général Rashid Dostum.

    Ce dernier devint plus tard le premier vice-président de l’Afghanistan et, plus tard encore, maréchal de l’armée sous l’actuel président Ghani. Dostum fit alors enfermer les prisonniers talibans dans des containers métalliques. La majorité des 2 000 prisonniers étouffèrent et ceux qui avaient survécu furent abattus sans autre forme de procès.[6] Huit ans plus tard, à Kunduz également, les avions de la coalition larguèrent des bombes sur une foule de personnes qui transvasaient de l’essence de deux camions-citernes immobilisés près d’un passage de rivière. Au moins 142 civils furent brûlés vifs.[7] En 2015, toujours à Kunduz, un hôpital dirigé par Médecins sans frontières (MSF) fut complètement pulvérisé par des tirs en provenance d’un navire de guerre américain. Au moins 42 patients et membres du personnel médical perdirent la vie et de nombreuses autres personnes furent blessées.

    Le 11 mars 2012, le sergent américain Robert Bales massacra deux familles afghanes, 16 personnes en tout, dans les villages de Balandi et d’Alkozai dans le sud de l’Afghanistan. Après cela, il incendia les corps. Sumad Khan, un fermier afghan, perdit 11 membres de sa famille, dans cette tuerie : sa femme, quatre gamines de deux à six ans, quatre fils de huit à douze ans ainsi que deux proches parents.[8] Je ne connais pas les noms de ces enfants afghans. Et il est probable que nous ne les connaîtrons jamais.

    Pour rappel, la complicité belge

    Avant que la guerre ne commence, l’ambassadeur afghan au Pakistan s’était plaint de l’attitude arrogante de l’ambassadeur belge : « J’ai un bon contact avec tous les ambassadeurs », écrit-il. « Seuls, les ambassadeurs d’Allemagne et de Belgique sont impolis, brutaux et arrogants. Tous deux n’avaient que des préjugés à notre égard et la question des femmes était la seule chose dont ils voulaient discuter. » En 2008, après sept années de participation à la guerre en Afghanistan, la Belgique décida d’encore y accroître son engagement. À la Chambre des députés, le ministre de la Défense de l’époque, De Crem, répondit ce qui suit aux critiques prudentes des partis Écolo / Groen et des socialistes flamands : « Vous êtes isolés. Vous vous situez dans le camp d’Osama Bin Laden et de ses amis les poseurs de bombes et les violeurs. Vous êtes des alliés objectifs de ces poseurs de bombes et de ceux qui coupent les oreilles des filles lorsqu’elles veulent aller à l’école. Vos propos sont déraisonnables et sans respect pour les soldats belges qui sont présents là-bas. » Le 28 janvier 2011, on pouvait lire dans le quotidien Le Soir : « En trois ans, entre la période Flahaut (PS) et la période De Crem (CD&V), le nombre total de militaires belges en Afghanistan a augmenté, passant de 360 à 626. »

    Du 6 au 8 octobre 2013, sous la direction du ministre de la Défense et de quelques généraux, une délégation composée de membres des partis CD&V, CDH, MR, Open VLD, N-VA, Écolo / Groen, PS et Vlaams Belang rendait visite aux soldats belges en Afghanistan. Cette visite parlementaire se terminait par un discours d’un représentant du Vlaams Belang : « Le président de la Commission, Monsieur Filip De Man (Vlaams Belang) s’est adressé aux militaires belges au nom de toute la délégation. Il a exprimé son admiration pour le professionnalisme avec lequel les soldats exécutent leur mission et les a remerciés pour cette visite mémorable. Il a insisté sur le fait que, selon l’adage ‘une image en dit davantage que mille mots’, une visite aux troupes en opération est très enrichissante pour une profonde compréhension du contexte local. »[9]

    Au cours des mois et des jours qui ont précédé le retrait américain, tous les militaires européens encore présents ont quitté l’Afghanistan en toute discrétion, sur la pointe des pieds, pourrait-on dire. Associated Press (AP) a publié une liste d’un genre que nous ne sommes absolument pas habitués d’avoir sous les yeux. Cette liste est établie comme suit : « Ont quitté l’Afghanistan : l’Allemagne, la Pologne (33 000 Polonais y ont combattu au cours des 20 années écoulées), la Roumanie, l’Italie (53 soldats tués, 723 blessés), la Géorgie, la Norvège, le Danemark, l’Estonie et les Pays-Bas. L’Espagne s’en est allée le 13 mai, la Suède le 25 mai, la Belgique le 14 juin. De même, le Portugal, la Tchéquie, la Slovénie, la Finlande, l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Luxembourg ont rappelé leurs petits contingents. »[10]

    Quel épilogue honteux pour une monstrueuse coalition constituée en vue d’une guerre criminelle !

    Notes

    [1] https://wikileaks.org/wiki/Afghan_War_Diary,_2004-2010

    [2] https://www.theguardian.com/commentisfree/2010/jul/30/no-secret-pakistan-taliban

    [3] https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_8189.htm

    [4] https://watson.brown.edu/costsofwar/figures/2021/human-and-budgetary-costs-date-us-war-afghanistan-2001-2021

    [5] https://www.thenewhumanitarian.org/feature/2008/02/27/poverty-pushing-youth-arms-taliban

    [6] https://economictimes.indiatimes.com/news/defence/warlord-abdul-rashid-dostum-back-in-the-fray-as-taliban-overwhelm-afghan-north/articleshow/8526930

    [7] https://www.wsws.org/en/articles/2021/08/10/pers-a10.html

    [8] https://kifkif.be/cnt/artikel/van-oslo-utoya-tot-toulouse-montauban-de-horror-van-de-oorlog-haalt-europa-2315

    [9] http://www.pieterdecrem.be/index.php

    [10] https://apnews.com/article/europe-afghanistan-health-coronavirus-pandemic-9c1c4f5732c032ba85865aab0338a7a3

    Luk Vervaet, De monsterlijke Taliban en wij.

    Article traduit du néerlandais par Jean-Marie Flemal

    Source: le blog de Luk Vervaet

  • La queue entre les jambes, les USA quittent l’Afghanistan

    La queue entre les jambes, les USA quittent l’Afghanistan

    Afghanistant, Talibans, #Afghanistant, #Talibans, Etats-Unis, #USA,

    Les talibans ont le contrôle de l’ensemble du territoire du pays où s’est déroulée une guerre ratée pendant deux décennies, déclenchée sur la fausse prémisse du « terrorisme ».

    Par Manuel ‘Beam’ Ibarra

    Deux décennies, des « trillions » de dollars (milliards, selon le système utilisé au Mexique et dans le monde) dépensés en armements, pots-de-vin et d’innombrables dépenses et plus d’un quart de million de personnes sont mortes plus tard, la guerre des États-Unis et leurs alliés en Afghanistan, avec la victoire complète des talibans sur les forces occidentales.

    A titre de comparaison, le gouvernement fantoche du Sud-Vietnam a tenu le coup 2 ans après le départ des troupes américaines de son territoire. Le gouvernement dirigé par Achraf ghani, qui a tenté de s’enfuir avec une valise pleine de cinq millions de dollars, n’a pas résisté pendant trois mois à l’avancée des talibans, qui ont pris la capitale de son pays pratiquement sans tirer une seule balle.

    La question ici est de savoir quel était le but de cette guerre de 20 ans ? Le premier objectif stratégique, la lutte contre la « terreur » et contre les talibans, n’a pas été atteint. La plupart des terroristes impliqués dans l’attentat contre les tours jumelles du 11 septembre 2001 étaient d’origine saoudienne.

    Les talibans contrôlaient à nouveau tout le territoire que la ridiculement nommée « Coalition de la volonté » des États-Unis, des pays de l’OTAN et d’autres gouvernements fantoches leur a pris pendant quelques années. Il faut regarder au-delà du superficiel et analyser que le contrôle de l’ Afghanistan par les États Unis et ses alliés se sont également concentrés sur trois axes : l’enrichissement des élites nord-américaines à travers les compagnies d’armement du «complexe militaro-industriel», du nom du général et président nord-américain Dwight Eishenhower ; le contrôle du principal producteur d’opium au monde et la frontière de l’Afghanistan avec la République populaire de Chine, un point stratégique pour ce que le journaliste John Pilger appelle « La guerre future contre la Chine ».

    Au-delà des scènes d’horreur dont nous avons été témoins à l’aéroport de Kaboul, où des personnes d’origine afghane tentent désespérément d’entrer dans des avions militaires américains pour fuir le pays où leur vie est en danger pour avoir collaboré avec l’armée d’invasion, il faut analyser ce que signifie ce coup dur pour le « prestige » militaire américain, un fiasco et un effondrement bien pire que celui du Vietnam il y a près d’un demi-siècle.

    L’armée des États Unis n’est pas invincible et elle fait de moins en moins peur. Que ceux qui doivent le faire en prennent note et se préparent à une nouvelle réalité dans cette décennie et dans le reste de cet encore jeune 21e siècle.

    SDP Noticias, 16 août 2021

  • Joe Biden, de Saïgon à Kaboul

    Joe Biden, Etats-Unis, Afghanistant, #Afghanistan, Talibans, #Talibans, Vietnam,

    De Saïgon à Kaboul : la réponse de Biden au Vietnam trouve un écho dans sa vision du retrait d’Afghanistan

    Par Annie Linskey

    Deux semaines avant la chute de Saigon en avril 1975, Joe Biden, âgé de 32 ans, faisait partie des sénateurs convoqués à la Maison-Blanche pour un briefing top secret sur la crise au Vietnam.

    Bien qu’il ne soit qu’en première année, Biden a transmis un message clair au président : La situation au Viêt Nam était désespérée et les États-Unis devaient partir le plus rapidement possible, selon une chronique de Rowland Evans et Robert Novak de l’époque qui décrivait les interactions de Biden avec le président de l’époque, Gerald Ford.

    D’autres sénateurs qui soutenaient Biden à l’époque ont été décontenancés par la « performance didactique » de leur jeune collègue, écrivent les chroniqueurs.

    Près d’un demi-siècle plus tard, l’attitude de Biden à l’égard du retrait des États-Unis d’Afghanistan est étonnamment similaire – même si les événements font écho à l’évacuation frénétique des Américains et de ceux qui les ont aidés au Sud-Vietnam.

    À l’instar du Viêt-cong qui s’emparait des villes les unes après les autres avec une rapidité qui surprenait les planificateurs de guerre américains, Kaboul a été assiégée ce week-end après des avancées fulgurantes des combattants talibans.

    Dimanche, les images d’hélicoptères transportant des fonctionnaires de l’ancienne ambassade américaine à l’aéroport principal de la ville ont rappelé l’évacuation paniquée des Américains de Saigon et les longues files d’attente des Vietnamiens qui espéraient trouver une issue.

    Les questions d’aujourd’hui sur le sort des citoyens américains, des militaires et des habitants qui ont soutenu l’effort alors que le gouvernement soutenu par les États-Unis s’effondre étaient également des questions clés dans les derniers jours avant la chute de Saigon.

    Et la réponse de Biden a été remarquablement cohérente.

    À l’époque, comme aujourd’hui, Biden n’a pas été impressionné par les arguments des militaires selon lesquels plus de temps et d’argent pourraient changer la dynamique sur le terrain ou du moins retarder le résultat. À l’époque, comme aujourd’hui, il s’est interrogé sur l’utilité de poursuivre un conflit qu’il jugeait perdu. Et à l’époque, comme aujourd’hui, il n’était prêt à augmenter l’aide américaine que pour assurer la sécurité d’un retrait.

    D’autre part, l’approche globale de Biden en matière d’intervention militaire a beaucoup varié au cours de sa longue carrière à Washington. Biden n’a pas soutenu le premier conflit américain avec l’Irak mais a soutenu le second, pour dire ensuite qu’il regrettait ce vote. Il a parfois demandé l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, mais s’est ensuite prononcé contre leur envoi.

    Il y a dix ans, M. Biden a suggéré qu’un retrait d’Afghanistan laissant aux alliés le sentiment d’avoir été trahis était une issue raisonnable, en établissant une comparaison avec la fin du Viêt Nam.

    Lors d’une conversation privée avec Richard Holbrooke, qui était l’envoyé spécial du président Barack Obama en Afghanistan et au Pakistan, M. Biden a soutenu que les États-Unis n’avaient pas d’obligation envers les Afghans qui avaient fait confiance aux États-Unis, selon « Our Man », une biographie de Holbrooke par George Packer.

    « Nous n’avons pas à nous inquiéter de cela », a dit Biden à Holbrooke, selon le livre. « Nous l’avons fait au Vietnam. Nixon et Kissinger s’en sont sortis « , a-t-il dit, faisant référence au président Richard Nixon et à Henry Kissinger, qui était secrétaire d’État de Nixon et de Ford.

    Au cours de la même conversation, Biden aurait également repoussé l’argument selon lequel l’Amérique avait une obligation morale envers les femmes en Afghanistan.

    « Je ne vais pas envoyer mon garçon là-bas pour qu’il risque sa vie au nom des droits des femmes ! ». Biden a dit, selon le récit du livre. « Cela ne marchera tout simplement pas – ce n’est pas pour cela qu’ils sont là ».

    Biden a adopté une vision tout aussi realpolitik de l’Asie du Sud-Est.

    « Je suis peut-être le fils de fusil le plus immoral de cette pièce », a déclaré Biden lors d’un caucus démocrate au début de 1975 alors qu’il plaidait contre l’aide au Cambodge, selon le Wilmington Morning News. « J’en ai assez d’entendre parler de moralité, de notre obligation morale. Il y a un moment où l’on est incapable de répondre aux obligations morales qui existent dans le monde entier. »

    Au début de 1975, Biden avait initialement accepté de participer à une mission d’enquête du Congrès au Sud-Vietnam.

    Les organisateurs du voyage voulaient faire valoir qu’une aide supplémentaire des États-Unis serait utile, et Biden a été critiqué par certains experts conservateurs qui lui reprochaient d’avoir des opinions trop arrêtées.

    Biden, se plaignent-ils, a clairement indiqué qu’il voulait que l’aide militaire américaine prenne fin, quoi qu’il puisse voir sur le terrain. Ils ont noté qu’il avait déclaré au sujet du voyage qu’il « ne peut pas imaginer ce qui pourrait me faire changer d’avis, à moins que ce ne soit la preuve de représailles communistes contre les Sud-Vietnamiens après un effondrement militaire ». Il a rapidement ajouté : « Je doute que je le ferais même dans ce cas. » (Le voyage a été annulé après qu’un certain nombre de législateurs ont supplié, selon les rapports de presse).

    Trois semaines avant la chute de Saigon, de hauts responsables de l’administration Ford ont plaidé auprès de Biden et d’autres sénateurs en faveur d’une aide militaire américaine accrue, selon les comptes rendus des journaux.

    Lors d’une réunion à huis clos, des hauts fonctionnaires des départements d’État et de la Défense ont dit à Biden et à d’autres sénateurs de la commission sénatoriale des affaires étrangères que l’armée sud-vietnamienne avait « une chance » de défendre Saigon et la région du delta du Mékong avec une aide militaire américaine accrue, selon les comptes rendus des journaux.

    « Je suis convaincu qu’il n’y a absolument aucune chance », a déclaré Biden aux journalistes après le briefing, selon un article du Memphis Commercial Appeal.

    Mais Biden était prêt à dépenser l’argent des contribuables dans un effort étroitement adapté pour extraire les Américains.

    Quelques jours avant la chute de Saigon, le Sénat a approuvé une mesure autorisant Ford à utiliser des dizaines de millions de dollars pour aider à une évacuation.

    « Il s’agit simplement d’une rançon « , a déclaré M. Biden, rejoignant ainsi d’autres sénateurs qui s’opposaient à l’aide militaire au Viêt Nam, mais qui soutenaient le financement d’urgence parce qu’ils craignaient que certains Sud-Vietnamiens ne soient furieux d’avoir été abandonnés par leur allié et qu’il faille les  » acheter  » pour permettre aux Américains de partir en toute sécurité, selon les comptes rendus de l’époque.

    Lorsque Saigon est tombée, Biden était réfléchi et a adopté un ton d’espoir.

     » Il semble que nous soyons enfin sortis du Viêt Nam « , a déclaré Biden au Seattle Daily Times. « Il me semble que nous avons appris une leçon importante sur l’engagement militaire imprudent à l’étranger. »

    The Washington Post, 16/08/2021