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Une savoureuse satire africaine sur les Européens
Hayibo est un magazine satirique d’Afrique du Sud. Il s’est emparé de deux affaires qui ont quelque peu défrayé la chronique ces derniers jours, celle du monarque espagnol victime d’un accident lors d’une chasse à l’éléphant (un loisir dispendieux aux dépends d’une espèce fragile au moment où ses sujets sont appelés à se serrer la ceinture) et celle de cette ministre Suédoise qui coupe un gâteau à l’effigie de ce qui ressemble à une caricature de femme africaine. L’idée n’était certes pas bonne mais peut-être a-t-on fait hâtivement le procès de la ministreMais peu importe car autant j’ignore si le gâteau était savoureux, autant je suis en mesure de vous dire que l’article l’est incontestablement.Hayibo (Afrique du Sud)Les Africains disent avoir peu d’espoir de voir l’Europe jamais devenir civilisée, après une semaine qui a vu le roi d’Espagne Juan Carlos lancé dans une chasse frénétique pour tuer des éléphants et la ministre Suédoise de la culture s’amuser d’un gâteau aux relents racistes. « Vous pouvez retirer le blanc de la jungle, mais vous ne pouvez par retirer la jungle qui est dans les Européens, » soupire un habitant de Kinshasa.August Mwanasa, de Libreville au gabon, dit ne pas avoir été surpris par ces récentes atrocités parce que les Européens restent des «sauvages.»“Je ne veux pas avoir l’air raciste, et certains de mes meilleurs amis sont blancs, mais soyons honnêtes : la violence est au plus profond de leur ADN, » affirme Mwansa. « Je m’explique, les Européens ont tué 20 millions d’autres Européens dans les années 1930 et 1940. C’est une barbarie à une échelle sans précédent dans l’histoire.»Jenkins Odumbe, un styliste de Nairobi, déplore un sentiment d’assistanat bien ancré en Europe.“S’ils ne vont pas pointer au chômage, ils demandent à être renfloués, » dit-il. « Pourquoi est-ce qu’ils ne peuvent pas simplement se lever plus tôt et travailler plus dur, c’est ce que je voudrais savoir ?»Liberte Aidoo, une voyagiste Ghanéenne, dit avoir été “choquée et dégoûtée » par ce qu’elle a découvert lors de son premier voyage en Espagne.“Les brochures promettaient la mer et le soleil, mais ils sont encore incroyablement arriérés en Espagne,” se souvient-elle. «A la base, ils vivent tous dans des huttes en boue qu’ils appellent haciendas, et ils dorment pendant deux heures au milieu de la journée. En Europe, ils appellent ça la ‘siesta’. Au Ghana, on appelle ça « être un putain de paresseux.»Mais, ajoute-t-elle, il fallait s’attendre à ce genre « d’inertie de déprime » dans un pays plus endetté que toute l’Afrique réunie.Entre temps, la plupart des Africains ont rejeté les appels à une d&mission de la ministre Suédoise de la culture Lena Adelsohn Liljeroth suite à la débâcle après qu’elle ait été photographiée en train de manger un gâteau conçu pour ressembler à la caricature raciste d’une femme africaine.« Les seules personnes qui appellent à sa démission sont des libéraux Européens qui se cachent derrière un mince vernis de civilisation, » explique le sociologue Burundais Descarte Tugiramahoro. « Nous Africains, ne sommes pas choqués le moins du monde.“Elle ne fait que se livrer à de vieux rituels européens : se moquer des gens qui ont une apparence différente, et le cannibalisme symbolique tel qu’il a été introduit par l’église catholique. Tout est absolument normal.» -
Que faire contre l'abstention ?
Les résultats du référendum sur la révision de la Constitution ont été différemment appréciés par les observateurs locaux et étrangers. Rendant dans ce sens des avis à l’opposé les uns des autres. Qui a tort, qui a raison ? Selon la Présidence et l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), qui ont fait part de leur entière satisfaction à l’issue du vote, les résultats du référendum sont l’«expression réelle et intégrale de la volonté du peuple», d’une « nouvelle Constitution plébiscitée par le peuple» et d’«une Constitution halal», qui sera la pierre angulaire dans l’édification de l’Algérie nouvelle.L’abstention ? La loi ne prévoit aucun seuil de participation pour valider ou invalider une élection, avait rétorqué le président de l’ANIE, Mohamed Charfi. Ce dernier insistera sur la vérité des chiffres, qui reflètent la sincérité et l’honnêteté de l’ANIE à veiller sur le respect du principe démocratique et la protection des voix des électeurs, quelle que soit leur tendance, et qui montrent, ainsi, que la fraude ou le bourrage des urnes font partie du passé. Le taux de participation, très faible, avec seulement 23,72% (moins de 5% à l’étranger), et le résultat du vote, avec des taux de 66,80% de votants pour le «Oui» et 33,20% pour le «Non», reflètent bien un vote «propre et honnête» auquel le pays n’était pas habitué. Des points positifs sur lesquels focalisent la présidence de la République, soulignant à travers un communiqué que les résultats du scrutin «ont démontré que la transparence et la probité de ce scrutin ont été totales», et que le président de la République «a tenu ses engagements pour qu’enfin soit entamé le processus qui permette l’expression libre et démocratique du peuple algérien sur tout ce qui concerne son destin».Alors que d’autres, focalisant leurs appréciations sur le faible taux de participation, voient à travers les résultats de ce référendum «un désaveu cinglant» pour le pouvoir, un «échec des projets du pouvoir et son incapacité à parvenir à un consensus national sur la Constitution, rien ne semble perturber la marche du pays vers la concrétisation des engagements du président de la République. Mais, entre les appréciations des uns et des autres, il y aurait bien un milieu bien équilibré pour porter un jugement éclairé sur le référendum du 1er novembre.Le fort taux d’abstention ne pourrait pas donner satisfaction à l’opposition, car sa signification peut s’expliquer par l’indifférence des électeurs, préoccupés par d’autres soucis de la vie quotidienne, autant en direction du pouvoir que de l’opposition qui s’en réclame, voire exprimant une défiance face à la chose politique. Et cela ne peut pas pour autant faire preuve d’ignorance par le pouvoir. Si on cherche réellement à ancrer la pratique démocratique, le très faible taux de participation devrait donner à penser au gouvernement. Le phénomène de l’abstention a bien trouvé remède sous d’autres cieux, pourquoi pas chez nous ?Dans certains pays, tout électeur qui s’abstient de voter est sanctionné par une amende, assez lourde en cas de récidive, et aller jusqu’à supprimer son nom de la liste des électeurs s’il continue à bouder l’urne. D’une correction admirable, car tout un coûteux chantier est mis en place pour que cet électeur puisse exercer son droit, et il doit rembourser ce qui a été dépensé par faute de ne pas avoir exercé son devoir. Citoyenneté et démocratie vont de pair, et on ne peut pas se prévaloir de l’un et ignorer le second.Le Quotidien d’Oran, 4 nov 2020 -
L’Occident peut-il vaincre le «terrorisme islamique»?
L’Occident ne semble remarquer l’incendie qu’il a provoqué aux quatre coins de la planète que lorsque les flammes la lèchent et ressentent sa chaleur.
Peu importe que les souffrances causées par certains événements dont il est coresponsable aient été infligées beaucoup plus largement par la «périphérie», avant même qu’il n’y ait de rétroaction au «centre». En résumé: ce qui se passe ici n’est qu’une fraction de ce qui se passe là-bas.
En ce qui concerne le «terrorisme islamique», cette dynamique atteint le paroxysme: n’est-ce pas peut-être l’Occident – de concert avec les monarchies pétrolières du Golfe – qui l’a utilisé et diffusé pour atteindre ses objectifs géopolitiques?
De l’Afghanistan, au moment de la guerre menée par l’URSS, en passant par les Balkans lors du processus (induit) de désintégration de la Yougoslavie et de l’agression contre la Serbie puis, pour atteindre l’Afrique et le «Moyen-Orient» avec la guerre contre la Libye d’abord et à la Syrie – qui a échoué – et avant cela à l’Irak.
Opérations visant le « Chaos Créatif », avec des effets secondaires incontrôlés, comme cela est typique des effets dévastateurs causés par chaque apprenti sorcier …
Mais ce ne sont pas les seuls territoires où ce «cancer» – comment le définir, sinon? – reproduit. Pensez simplement au Caucase, par exemple, à la Chine au Xinjiang ou ailleurs en Asie, que les populations ont payé dans l’indifférence internationale. Souvenons-nous simplement des effets du terrorisme islamiste tchétchène en Russie …
Certes, cependant, la perception du phénomène – complice des appareils informationnels-culturels «au casque», embauchés par les classes dirigeantes – ne commence à se manifester que lorsque cette longue traînée de mort et de destruction nous revient.
Peut-être sous la forme d’un meurtre odieux d’un citoyen ordinaire, perpétré par un « extrémiste islamique », comme ce fut le cas avec le professeur de français décapité en banlieue parisienne par un Français d’origine tchétchène il y a quelques jours. Dont la famille, liée à la guérilla islamique tchétchène, avait «fui» la Russie pour obtenir l’asile politique en France.
Il est difficile de trouver une analyse qui corrèle les effets du néocolonialisme et la propagation du djihadisme dans le cadre des États postcoloniaux, où les politiques d’indépendance vis-à-vis des anciens et des nouveaux parrains ont échoué en partie ou totalement, ainsi que dans la construction d’entités étatiques solides capables de satisfaire les besoins de leurs citoyens avec un développement autocentré, comme dans le cas de certains pays africains.
Nous avons traduit ici une enquête multi-mains, publiée dans «Le Monde», qui fait le point sur l’évolution du djihadisme sur le continent africain, à partir de là où s’articulent les intérêts néo-coloniaux français et pas seulement, désormais menacés par l’insurrection Islamique, comme cela se produit par exemple autour des gisements de gaz au Mozambique.
Exploitation des ressources sans contrepartie (à part les descendants qui vont engraisser les élites locales complaisantes), déracinement de la population, insertion des jihadistes dans cette contradiction et donc militarisation des territoires; à la fois par des armées «régulières» et par des milices privées hautement rémunérées.
C’est le scénario qui se répète de plus en plus souvent, dans un cercle vicieux où la dynamique: extractivisme / déracinement / militarisation est rejoint par le «facteur islamique», qui agit selon toute vraisemblance «pour le compte de tiers» pour contrer les tentatives de pénétration d’autres acteurs mondiaux.
On ne voudrait pas faire de mal aux auteurs, mais il semble que le principal moteur de leurs préoccupations, au-delà de la validité de l’étude, soit la menace pesant sur le plus grand projet d’extraction de gaz africain impliquant le français Total, au Mozambique (le neuvième plus grande ressource estimée de la planète), plus que la souffrance des 1 300 morts et des plus de 210 000 personnes déplacées, dans une vraie guerre qui ne s’appelle même pas ainsi et qui évidemment ne fait pas d’histoires.
Une approche «euro-centrique», fondamentalement plus intéressée par les intérêts matériels de son propre impérialisme, pratiquement indifférente aux souffrances causées aux populations locales.
Soit dit en passant, ENI est également impliquée dans l’extraction de gaz offshore au Mozambique …
Si vous listez les différentes agences de sécurité privées impliquées dans les étapes ultérieures, vous trouverez les principales sociétés mercenaires mondiales: Blackwater, Wagner, Dyck Advisory Group, etc.
Dans un autre article du Monde sur cette guerre peu oubliée, Total avoue avoir fait appel à 5 de ces agences et qu’un appel d’offres était en cours pour confier le contrat à 7 autres!
Ce n’est pas le seul nouveau projet de la multinationale française aux effets dévastateurs. Pensez à l’oléoduc de pétrole brut de l’Afrique de l’Est, un oléoduc de 1445 km qui part du lac Alberta en Ouganda et atteint la côte nord-est de la Tanzanie, dans l’océan Indien.
Malgré le « capitalisme vert », sur les 400 puits d’extraction prévus à Tilenga, en Ouganda, 132 se trouvent dans un parc national protégé, avec un projet qui a un impact négatif sur environ 100 000 personnes, leur refusant les activités les plus élémentaires de subsistance par l’agriculture.
Pour les oligarchies européennes, la «transition écologique» s’arrête à leurs propres frontières.
Revenant à l’article traduit, nous avons une image assez réaliste de la façon dont les principales « sociétés holding » du terrorisme islamique « investissent également en Afrique », qui ces dernières années est devenue l’un des principaux théâtres du Jihad mondial, avec tout le respect dû à ceux qui pensaient que L’Etat islamique avait été vaincu parce qu’il avait été battu militairement au «Moyen-Orient». Nous voyons aussi les «coupures islamiques» à la solde de la Turquie, pour agir en Libye ou dans le conflit arméno-azerbaïdjanais.
Comme le dit un chercheur cité dans l’enquête: tant que l’État islamique continuera d’avancer en Afrique, le rêve du «califat» mondial n’est pas mort. Nous ajoutons: tant que les conditions d’existence dans lesquelles des millions de personnes en Afrique sont contraintes sont celles dictées par la logique coloniale, ce «rêve» ou cauchemar aura un véritable espace social.
Les stratégies d’enracinement changent – parfois la guérilla islamique prend la place d’une administration étatique absente – et les modes de fonctionnement, qui profitent des défaites subies. Mais la principale condition pour laquelle ils peuvent prospérer est la destruction que l’Occident a apportée et continue d’apporter dans ces territoires également par le biais de ses propres troupes d’occupation – comme c’est le cas au Sahel – ou par l’utilisation de soldats de fortune du XXIe siècle. .
L’Occident capitaliste peut remporter des victoires limitées et limitées contre le djihadisme mais certainement pas gagner la guerre ou à l’intérieur de ses propres frontières – dans la mesure où il impose des politiques répressives – ou en dehors de cela – dans la mesure où les coalitions internationales sont préparées – car c’est l’une des premières causes de mal qu’il voudrait guérir.
Bonne lecture!Source : Contropiano, 21 oct 2020
Tags : Islam, Occident, terrorisme, djihadisme, Daech, ISIS, Etats Islamique, capitalisme, Afrique,
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La Françafrique vue par Wikileaks
France, Afrique, Françafrique, Wikileaks, Etats-Unis,
WIKILEAKS : UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE ET DE SA POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Si 2% seulement des câbles Wikileaks ont été rendus publics, ils ont déjà permis de brosser un bout de l’histoire contemporaine de la France vue par la diplomatie américaine.
Ces dernières semaines, la publication des câbles diplomatiques par Wikileaks s’est focalisée sur la Tunisie, l’Egypte et la Lybie, mettant en lumière les connivences de certaines chancelleries avec les régimes en place, notamment de la France avec celui de Ben Ali. Il ressort de ces télégrammes que les États-Unis sont à la fois admiratifs des dispositifs répressifs et inquiets du racisme français.
Ils font état de la visite de différentes personnalités politiques françaises à l’ambassade des Etats-Unis à Paris ou sur le sol américain. Si certains n’y passent que pour livrer leurs opinions, d’autres, comme Alain Madelin s’y rendent pour demander un soutien à leur carrière [1]. D’autres encore pour assurer les diplomates américains de leur proximité idéologique : Brice Hortefeux ou Nicolas Sarkozy qui, en 2005, promet de faire en France « ce que Reagan a fait aux Etats-Unis ou Thatcher au Royaume-Uni » mais aussi Dominique Strauss-Khan ou Michel Rocard, qui propose la création d’un think tank franco-américain.
Rwanda : le juge Bruguière en service commandéParmi les visiteurs de l’ambassade américaine, on trouve aussi le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière. Il y fournit les détails de plusieurs affaires en cours, racontant notamment comment il s’est coordonné avec l’exécutif français pour délivrer les mandats d’arrêt contre plusieurs personnalités rwandaises [2].
Un responsable français affirme plus directement que le dossier Bruguière était une réponse de la France à l’enquête rwandaise sur les responsabilités françaises dans le génocide de 1994. Bruguière n’aurait pas caché sa volonté d’isoler le gouvernement Kagamé lors de sa visite. Une volonté qu’on s’attendrait à retrouver chez un politicien plutôt que chez un juge, dont l’indépendance n’est manifestement pas la plus grande qualité…
En mars 2007, un diplomate américain analyse les orientations en matière de politique étrangère des candidats Royal et Sarkozy et se félicite de leur volonté affichée de rompre avec la gestion interpersonnelle des affaires africaines de Chirac et de « réduire l’empreinte militaire » de la France en Afrique, ce qui, cependant, « ne signifie pas un retrait », puisqu’elle « voudra continuer à exercer son influence au maximum » [3].
Dans plusieurs télégrammes ultérieurs, les diplomates décortiquent la réalité de cette promesse de rupture avec la Françafrique. Le terme est d’ailleurs explicitement employé dans plusieurs notes, pas comme dénonciation militante, mais comme grille d’analyse géopolitique par la diplomatie américaine.
La Françafrique comme grille de lecture en AfriqueEn 2008, trois longues notes [4] brossent la définition d’une Françafrique quelque peu édulcorée (les crimes de la Françafrique ne sont abordés que par le biais de quelques affaires arrivées en justice, comme l’assassinat du juge Borrel), qui connaîtrait un réel tournant avec l’arrivée de Sarkozy. Néanmoins, la politique africaine de la France continue d’être dictée par la cellule africaine de l’Elysée. L’un de ses membres, Romain Serman, reconnaît que les accords de défense encore en vigueur avec huit pays africains sont absurdes, donnant à la France « un accès monopolistique aux ressources naturelles ». Les diplomates américains semblent alors croire à la rupture annoncée par Sarkozy, qui n’aurait connu que « quelques accidents de parcours, comme l’éviction de Bockel impliquant le Gabon », mais qui pêcherait plus par manque de réussite que de volonté.
La dernière note, concernant la présence militaire française en Afrique, conclut en excusant la non-rupture pour cause de difficulté de la tâche. Un fonctionnaire du ministère de la Défense français décrit, sans honte, la relation franco-africaine comme une relation « parent-enfant », dont l’enfant, maintenant « adulte, est capable et mérite plus d’autonomie, ayant cependant toujours besoin d’aide et d’orientation ».
En 2009, lors d’un entretien, portant longuement sur la Françafrique [5], Stephan Gompertz, du ministère des Affaires étrangères, reconnaissait l’influence de Robert Bourgi, « opérant dans l’ombre ».
Les diplomates américains concluaient que la France use d’un panel large de politiques en Afrique, « allant d’une approche idéale exprimée par Sarkozy » à ses débuts, « à des approches plus opaques mais probablement plus judicieuses, conformes au vieux modèle de la Françafrique. Les circonstances et la nature imprévisible, voire violente, des évènements en Afrique peuvent parfois inciter ou forcer les Français à agir moins idéalement qu’ils le voudraient – un comportement connu de tous les gouvernements de la planète – quand les décisions doivent conforter les intérêts nationaux par les méthodes les plus efficaces, même quand les méthodes les plus efficaces ne sont pas forcément les plus jolies ».
La plus grande puissance impérialiste du monde ne peut que comprendre, évidemment…
Les coulisses diplomatiques de la FrançafriqueSi la plupart des câbles ne contiennent que peu d’informations nouvelles, ils livrent parfois un aperçu du jeu diplomatique de la France pour influencer l’avenir des pays africains. Ainsi, en 2006, une proposition de résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU présentée par Chirac sur la Côte d’Ivoire inquiète les Anglais et les Américains [6]. Ils y voient une dérive qui pourrait aller « au-delà des lois et jurisprudences internationales » en se «substituant à la constitution d’un pays souverain».
Ne souhaitant pas s’opposer à la France, les Anglais sont néanmoins surpris que les Français aient réussi à obtenir le soutien du Ghana et du Congo. Pour ce dernier, ce soutien n’a pourtant rien de surprenant quand on sait à quel point Denis Sassou Nguesso doit à la France sa longévité au pouvoir.
En 2009, une note sur la perspective des élections en Côte d’Ivoire analyse les accords de « Ouaga IV » comme « essentiellement un accord entre Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo sur le contrôle du nord » du pays.
Les Américains considèrent alors que les « FAFN gardent, de facto, le contrôle de la région, en particulier en ce qui concerne les finances » et que « le désarmement et la réunification ne sont pas des processus séparés. Ils sont intimement liés ».
Une grille de lecture qui semble avoir été oubliée de la communauté internationale aujourd’hui…
En juin 2009, un autre télégramme (censuré à moitié) [7] rapporte que la France considère le président mauritanien Abdallahi renversé par les putschistes comme « un obstacle », à qui il faudrait forcer la main lors des négociations. Le rôle de Robert Bourgi y est à nouveau pointé du doigt, tant dans le rapprochement du putschiste Aziz avec les autorités françaises que dans le cas du Gabon ou de Madagascar. Pour Romain Serman, la Lettre du Continent sert régulièrement à Bourgi pour diffuser ses informations et que « tout ce qui [y] paraît avec un lien potentiel avec Bourgi doit être considéré avec précaution ».
D’autres exemples de cet acabit se trouvent dans l’infime partie des câbles déjà publiés mais ils fournissent déjà un matériau riche.
Le cablegate de Wikileaks nous parle avant tout de la diplomatie des Etats-Unis et la Françafrique n’est donc pas son objet principal. Néanmoins, les Américains s’y sont suffisamment intéressés pour qu’on puisse espérer que quelques affaires françafricaines récentes soient mises à jour.Notes:
[1] 05PARIS6744 Alain Madelin Seeks U.s. Support For His Candidacy To Head The Oecd And His Project To Reform The Oecd
[2] 07PARIS322, C/t Judge On France, Rwanda, Pakistan, And His Political Future, 07PARIS186, Rwanda : Effect Of Bruguiere Report On Usg, Status Of Mrs. Habyarimana , lire aussi France-Rwanda : l’enquête Bruguière était suivie de près à l’Elysée, Philippe Bernard, le Monde, 11 décembre 2010
[3] 07PARIS921, French Foreign Policy Under Nicolas Sarkozy Or Segolene Royal
[4] 08PARIS1501, France’s Changing Africa Policy : Part I (background And Outline Of The New Policy), 08PARIS1568, France’s Changing Africa Policy : Part Ii (french Implementation And African Reactions), 08PARIS1698, France’s Changing Africa Policy : Part Iii (military Presence And Other Structural Changes)
[5] 09PARIS1534, « francafrique » — Mfa Disputes Reports On A Return To Business As Usual
[6] 06LONDON7670, (c) Cote D’ivoire : Uk Shares U.s. Concerns But Does Not Want To Oppose France In Unsc
[7] 09PARIS815, Mauritania : French See Abdallahi As Obstacle
Source : Survie, 3 mai 2011
Tags: Côte d’Ivoire, Rwanda, Mauritanie, Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Bruguière, Wikileaks, Françafrique, Wikileaks, Afrique, Gabon, Tchad, Sénégal, RCA, RDC, Franc CFA, FCFA, colonisation, colonialisme, -
Le Soudan et l’Algérie, nouveaux alliés des Etats-Unis ?
Washington veut passer par Khartoum pour convaincre les pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël, et par Alger pour lutter contre le terrorisme sur le continent.
L’Afrique revient dans le viseur des Etats-Unis. Alors que le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, est engagé dans une course contre la montre pour dénouer le contentieux de son pays avec le Soudan avant l’élection présidentielle aux Etats-Unis, le chef du Commandement militaire américain en Afrique (Africom), Stephen Townsend, s’est rendu mercredi 23 septembre en visite en Algérie.
« Les Etats-Unis ont une occasion qui ne se présente qu’une fois d’assurer enfin une compensation aux victimes des attentats terroristes de 1998 menés par Al-Qaïda contre les ambassades des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie », a écrit Mike Pompeo dans une lettre à des sénateurs dont l’AFP a eu connaissance. « Nous avons aussi une fenêtre unique et étroite pour soutenir le gouvernement de transition dirigé par un civil au Soudan, qui s’est enfin débarrassé de la dictature islamiste », a-t-il ajouté.
Au cœur de ce dossier, l’inscription du Soudan dans la liste noire américaine des Etats soutenant le terrorisme. Cette sanction, synonyme d’entrave aux investissements pour le pays, remonte à 1993. La crise s’est envenimée avec les attentats de 1998, qui avaient fait plus de 200 morts. Le Soudan d’Omar al-Bachir était alors devenu un paria pour avoir accueilli le chef d’Al-Qaïda, Oussama ben Laden.
Ces dernières années, Washington a changé de ton lorsque l’ex-autocrate soudanais a commencé à coopérer dans la lutte antiterroriste et joué le jeu de la paix au Soudan du Sud. Les Etats-Unis ont renoué avec Khartoum, déjà sous l’ex-président démocrate Barack Obama, puis engagé un dialogue pour retirer le Soudan de leur liste noire. La révolution qui a balayé Omar al-Bachir, en 2019, n’a fait qu’accélérer le mouvement. Depuis, Mike Pompeo ne ménage pas son soutien au premier ministre de transition, Abdallah Hamdok.
Mais les négociations achoppaient sur l’épineux dossier judiciaire de l’indemnisation des familles des victimes des attaques de 1998. Le secrétaire d’Etat pense désormais qu’une solution est en vue et en a fait « une de ses premières priorités », a dit à l’AFP une porte-parole de la diplomatie américaine. Son « plan » prévoit le versement par Khartoum, sur un compte bloqué, de fonds qui ne seront versés que sous conditions aux Etats-Unis pour indemniser les plaignants. Des médias américains ont cité le montant total de 335 millions de dollars (environ 287 millions d’euros).
Parmi ces conditions, le retrait du Soudan de la liste noire antiterroriste et l’adoption d’un texte de loi proclamant la « paix légale » avec Khartoum, pour écarter le risque de nouvelles poursuites. Dans son courrier, Mike Pompeo fait pression sur le Congrès américain afin qu’il vote cette disposition. « Cette loi doit entrer en vigueur mi-octobre au plus tard afin de garantir le paiement des indemnisations aux victimes dès que le Soudan sera retiré de la liste des Etats soutenant le terrorisme », ce qui interviendra « très probablement » d’ici fin octobre, a-t-il expliqué. C’est-à-dire avant l’élection présidentielle américaine du 3 novembre. Au sein du gouvernement, on s’inquiète toutefois d’une résistance de quelques influents sénateurs démocrates.
Pourquoi un tel empressement de la part d’un secrétaire d’Etat par ailleurs peu intéressé par l’Afrique ? C’est probablement au nom d’un autre dossier cher à l’administration Trump. Mike Pompeo s’est rendu fin août à Khartoum lors d’une tournée pour convaincre des pays arabes de normaliser leurs relations avec Israël. Le camp du président-candidat veut capitaliser sur les accords historiques conclus sous son égide par l’Etat hébreu avec les Emirats arabes unis et Bahreïn – un succès qui manquait à son bilan diplomatique, qui plus est favorable aux intérêts israéliens et donc susceptible de galvaniser son électorat évangélique.
Abdallah Hamdok avait semblé doucher les espoirs américains, en affirmant qu’il n’avait « pas de mandat » pour trancher cette question sensible. Mais les tractations se poursuivent en coulisses, avec des positions peut-être moins figées. Le général Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil souverain au Soudan, qui avait rencontré en février le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a eu trois jours de pourparlers cette semaine à Abou Dhabi avec une délégation américaine. Au menu, bien entendu, la sortie de la liste noire, mais aussi, selon l’agence officielle soudanaise Suna, « l’avenir de la paix arabo-israélienne » et « le rôle que le Soudan devrait jouer dans la réalisation de cette paix ».
En parallèle à ce front, mais plus au nord sur le continent, le général Stephen Townsend, chef de l’Africom, a effectué mercredi une visite à Alger dans un contexte de tensions régionales, en particulier en Libye et au Mali, a-t-on appris de source officielle. Le général Townsend, « accompagné de membres de l’ambassade américaine en Algérie », a été reçu par le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, précise un communiqué de la présidence algérienne, qui ne divulgue pas la teneur des discussions. Le gradé de haut rang américain a également eu des entretiens avec le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chanegriha, et le ministre des affaires étrangères, Sabri Boukadoum.
« Nous avons beaucoup à apprendre et à partager les uns avec les autres. Renforcer cette relation est très important pour nous », a expliqué le chef de l’Africom, cité dans un communiqué de l’ambassade des Etats-Unis en Algérie. « L’Algérie est un partenaire engagé dans la lutte contre le terrorisme. Affaiblir les organisations extrémistes violentes, les activités malveillantes et renforcer la stabilité régionale est une nécessité mutuelle », a plaidé le général Townsend. Il s’agissait de la première visite en Algérie d’un commandant de l’Africom depuis 2018.
L’Algérie, qui craint les risques d’instabilité à ses frontières, s’efforce de réactiver son rôle sur la scène diplomatique régionale et tente d’endosser un rôle de médiateur dans les crises en Libye et au Mali.Source : Decryptnews.com, 27 sept 2020
Tags : Afrique, Armement, Économie, terrorisme, sécurité, sanctions, sahel, pauvreté, négociations, mali, islam, international, Algérie, Soudan, Etats-Unis, -
La francophonie patrimoine universel ou françafrique par d’autres moyens ?
Chems Eddine Chitour*
«Passionnée, étais-je à vingt ans, par la stature d’Averroes, cet Ibn Rochd andalou de génie dont l’audace de la pensée a revivifié l’héritage occidental, mais alors que j’avais appris au collège l’anglais, le latin et le grec, comme je demandais en vain à perfectionner mon arabe classique » Assia Djebbar de l’Académie française(…) j’ai dû restreindre mon ambition en me résignant à devenir historienne, En ce sens, le monolinguisme français, institué en Algérie coloniale, tendant à dévaluer nos langues maternelles, nous poussa encore davantage à la quête des origines ».
Assia Djebbar de l’Académie française
La ministre ruandaise Louise Mushikiwabo a été intronisée par « consensus » comme la nouvelle secrétaire générale, Michaelle Jean la secrétaire générale sortante n’a même pas pu défendre son bilan. La Francophonie est entre les mains d’un petit pays anglophone qui a supprimé le français de l’enseignement ! De plus , il ne brille pas sur le chapitre des droits de l’homme ou de l’alternance. Voilà pour la politique et ses desseins impénétrables !
Qu’est ce que la francophonie ?
Le terme francophonie désigne l’ensemble des gouvernements, pays ou instances officielles qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges. La carte de la francophonie se confond largement avec celle de l’expansion coloniale française. Dès le début des années 1960, des chefs d’État, des anciennes colonies françaises, comme le Sénégalais Léopold Senghor,- l’agrégé de grammaire- proposent de regrouper les pays nouvellement indépendants, désireux de poursuivre avec la France des relations fondées sur des affinités culturelles et linguistiques.
La Francophonie naît officiellement en 1970, à la conférence de Niamey. La francophonie est elle seulement au nom de la realpolitik, une continuation de la Franceafrique ? Ou est-ce, aussi un vecteur culturel universel qui paradoxalement ferme la porte à celles et ceux qui maîtrisent de loin la langue de Voltaire au profit , de pays qui n’ont qu’un lointain rapport avec le français .
Abdelkader Kherfouche écrit à ce propos Au cours d’un point de presse organisé au musée copte du Caire le 18 avril, François Hollande a déclaré : « La francophonie n’est pas un cadeau simplement de ceux qui parlent français. La francophonie c’est un combat, un combat pour des valeurs, un combat pour la culture, un combat pour la diversité » Les mots qu’utilise le président ne sont pas sans rappeler la rhétorique qu’employaient les élites françaises du XIXe siècle pour justifier la colonisation. La langue française, la langue d’une nation civilisée pour faire sortir le colonisé de sa barbarie primitive, la langue française comme un don « humanitaire et civilisateur » pour reprendre la formule de Jules Ferry. Comme le rappelle l’écrivaine algérienne d’expression française, ce n’est pas par les œuvres de Pierre de Ronsard ou de Jean Racine que les Algériens sont entrés dans la langue française, c’est la langue française qui est entrée par effraction en Algérie () La langue française était un outil au service de la colonisation. Une partie des colonisés était formée en français,« la langue des autres, celle des colonisateurs, ses maîtres », la langue de l’école coloniale : Le français donc, celui de l’école, celui de « nos ancêtres, les Gaulois », or ils n’étaient pas « nos ancêtres », et ils n’étaient pas Gaulois ! Mes, nos ancêtres parlaient, ou criaient, ou chantaient en arabe, en berbère, en Ma grand-mère, en arabe, racontait aux enfants autour d’elle, la guerre, les otages, l’incendie des oliviers, à la zaouïa. À l’école française, l’institutrice venue de France racontait Charlemagne, et même Charles Martel à Poitiers confie Assia Djebar dans un poème »(1).
Les «défenseurs grincheux» du français
C’est un fait, et de l’avis de plusieurs spécialistes, la langue française perd du terrain dans le domaine scientifique «l’usage du français dans les sciences tombe en désuétude, la moitié des publications scientifiques est en anglais, seulement 7% en français. Aux Nations unies, le français bataille pour garder son rang: aujourd’hui, seulement 14% des discours sont tenus en français, plus de la moitié le sont en anglais. L’écart entre les deux langues se creuse aussi à l’Union européenne, notamment dans la rédaction des rapports de la Commission, et ce phénomène s’est accentué depuis l’entrée des dix nouveaux pays membres qui parlent plutôt l’anglais. La domination de l’anglais sur les ondes, est aussi avérée. (2)
Promouvoir la francophonie en parlant anglais, le paradoxe n’a pas manqué d’irriter les inconditionnels de la langue française . Après l’injonction vaine en son temps, de Jaques Toubon à parler français, après le prix de la carpette, décernée à ceux qui parlent anglais : « un organisme québécois de défense de la langue française a décerné dimanche un «prix citron» au président français Emmanuel Macron pour des propos défendant son usage occasionnel de l’anglais sur la scène internationale. L’organisme culturel «Impératif français» a choisi le président Macron pour avoir, créé en 1975, Impératif français se décrit comme un «oranisme voué à la promotion de la langue française, de la culture d’expression française et de la francophonie.» Lors de la visite à Paris début mars du Premier ministre québécois, le président Macron avait déclaré ne pas faire partie «des défenseurs grincheux» de la langue française, égratignant au passage les tenants d’une stricte prééminence du français. «lors de la visite du Premier ministre du Québec Philippe Couillard, déclaré vouloir renouveler le logiciel’ de la francophonie en s’inspirant de l’exemple nord-américain’ selon lequel parler l’anglais renforce la francophonie’! Ouf!», écrit cet organisme sur son site ». (3)
La francophonie et l’arabophonie
On pourrait se demander pourquoi l’Algérie veut prendre la défense de la langue arabe en France en lieu et place de plusieurs pays arabes qui sont dans la francophonie. Pourtant l’un des vecteurs de l’acculturation croisée, en l’occurrence la langue arabe , perd elle aussi du terrain en France. Ce que dit Assia Djebbar est important, en ce sens que la langue arabe est consubstantielle de notre personnalité. L’enseignement de la langue arabe est ancien sur le territoire français. Il remonte à l’époque de François 1er. L’agrégation d’arabe fut créée en 1905. A l’époque, l’enseignement de l’arabe était essentiellement lié au phénomène colonial. Durant la période coloniale, la politique «intégro-assimilationniste» de la puissance coloniale fut en grande partie menée contre la langue arabe. Après la décolonisation, la langue arabe continua d’être enseignée et en 1975 le Capes d’arabe fut créé. Depuis, l’arabe semble appelé à connaître un déclin inéluctable. En 2005, la session du Capes d’arabe a été supprimée Pourtant, la langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue «rare» puisqu’elle est parlée par plus de 250 millions d’individus dans le monde et qu’elle est la langue officielle de plus de vingt pays (.. 😉 L’éducation nationale en France considère que l’arabe est une langue étrangère alors qu’elle fait partie intégrante du patrimoine culturel de millions de Français. Elle est usitée dans les familles, dans les cages d’escaliers, dans les quartiers. Elle domine dans les banlieues, dans les prisons. Pourtant, elle n’est pas enseignée à l’école primaire, elle est marginalisée au lycée. L’arabe en France est la langue des sous-scolarisés et des savants.»(3)
Etat des lieux de l’usage du français en Algérie
Avant 1962 l’enseignement du français à dose homéopathique faisait que les Algériens étaient des voleurs de feu selon l’élégante expression de Jean Amrouche. Ce fut pour nous la la langue du roumi mais aussi la langue pain On dit que les Algériens sont comme monsieur Jourdain ils font de la prose sans le savoir, ils «font de la francophonie» sans le savoir. Ils contribuent efficacement au rayonnement de la langue française sans y émarger ou attendre un quelconque subside. Les Algériens font autant pour la diffusion de la langue française -belle langue au demeurant- que plusieurs pays faisant partie de la liste des pays francophones sans plus mais qui, au premier vent défavorable, tournent casaque, comme c’est le cas des pays de l’Est ou des pays anglophones. L’usage du français véritable butin de guerre pour Kateb Yacine que nous avons préservé sans réciprocité est quotidien. C’est un lieu commun que de dire que l’Algérie est le deuxième pays francophone. Qu’est-ce que cela veut dire au juste? C’est d’abord l’enseignement du français depuis l’indépendance d’une façon intensive avec des fortunes diverses mais tout de même déterminée à telle enseigne qu’il y avait à l’indépendance moins de cent mille francophones- il y a de nos jours plus de 12 millions – d’autres sources parlent d’un tiers des Algériens- qui, d’une façon ou d’une autre, parlent le français de Voltaire . C’est le rai, le cinéma Ce sont des centaines de mots arabes notamment algériens qui sont passés dans la cagnotte de la langue française..
La génération de l’indépendance qui a été acculturée à son corps défendant s’était faite un point d’honneur d’être partout autant que possible malgré tous les obstacles, à l’école ou au lycée, la première notamment en orthographe et en mathématiques. En discutant avec des collègues universitaires français il m’est arrivé de les reprendre gentiment quand ils se prenaient les pieds dans des subjonctifs pas commodes. J’étais étonné de leurs « insuffisances » et ils étaient étonnés de constater que l’enseignant des sciences dures, paléo-bougnoule que j’étais, venu du plus profond du bled se permettait de leur apprendre la fameuse poésie de Malherbes : « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses l’espace d’un matin » ou encore la belle poésie la ballade des pendus de François Villon Nous sommes à nous demander, en le paraphrasant mais où est la langue d’antan ? La Révolution de 1789 nous a accompagnés par le vent de liberté qu’elle avait déclenché. Bien plus tard au collège nous récitions le Chant des Partisans pendant que les valeureux moudjahid se battaient pour arracher l’indépendance du pays . Bref tout a été fait par le pouvoir colonial pour magnifier la langue française, l’histoire de France et faire apparaitre les indigènes que nous étions comme des êtres in-civilisés. Il nous fallait cependant nous battre avec les armes de la colonisation pour avoir des chances d’émerger après un parcours du combattant à travers les interstices de tolérance du pouvoir colonial
Les humains dit on ne sont pas seulement eux-mêmes , ils sont aussi le milieu où ils sont nés , le foyer ou la chaumière où ils ont appris à faire les premiers pas, les contes qu’ils ont entendus de leurs grands-mères, les poètes qu’ils ont lus les auteurs qui ont bercé leurs enfances au point de les mettre sur des piédestaux comme ce fut en l’occurrence les auteurs du Moyen âge au XIXe siècle qui ont bercé notre enfance, notamment décrits dans le Lagarde et Michard C’est enfin les instituteurs « ces hussards noirs de la République » Ces instituteurs, on ne le rendra jamais assez justice pour avoir traversé le no man’s land qui nous séparait des européens d’Algérie Ils nous ont appris outre le bon usage du français, le bel usage du français.
La francophonie du XXIe siècle entre l’Algérie et la France
La France apprécie-t-elle à sa juste mesure l’apport inconditionnel des millions d’Algériennes et d’Algériens qui, qu’on le veuille ou non, font plus pour la langue française que des dizaines de pays qui émargent au râtelier de la Francophonie ? Il faudra bien qu’un jour «on rende à César ce qui appartient à César», en reconnaissant à l’Algérie un rôle majeur dans la diffusion du français.
C’est toute la littérature algérienne d’expression française, c’est une cinquantaine de quotidiens francophones, c’est 80% des vols des Algériens vers la France, c’est des milliards de dollars pour le tourisme c’est enfin le marché algérien qui fait que la France est le deuxième partenaire depuis l’indépendance malgré toutes les vicissitudes. Quand on parle français, on consomme français, on roule français et ceci malgré la mondialisation. De la même manière, la culture francophone est toujours prégnante, notamment dans la fonction publique que nous avons héritée pour le meilleur et pour le pire, la littérature, la musique, les arts plastiques, le cinéma, la mode vestimentaire.Bref le vécu au quotidien.
Enfin, il ne faut pas cacher la réalité; des dizaines de milliers d’universitaires, ingénieurs, médecins s’installent en France, participant de ce fait au dynamisme scientifique de la France et ceci sans que la France n’ait déboursé un maravédi à l’Algérie qu’il faut rappeler et les normes de l’Unesco l’attestent, près de 100.000 dollars pour la formation d’un universitaire. Mieux encore, l’Algérie participe enfin à l’enrichissement de la langue française en y apportant de nouveaux mots qui ont été adoptés. Cette acculturation croisée est peut-être un signe que la vitalité d’une langue a besoin de sang exogène pour conjurer son dépérissement. Malgré cela, la France des arts, des armes et des lois selon du Bellay fait une sélection incompréhensible. Il nous parait qu’il est plus facile d’obtenir un visa commercial qu’un visa pour les intellectuels, notamment les enseignants.
Tout d’abord et pour toutes les raisons, deuxième pays francophone, pays arabophone et amazighophone, l’Algérie ne peut pas et ne devrait pas de mon point de vue être traitée comme les autres pays pour ce qu’elle fait pour la langue française En tant qu’universitaires qui, pendant des dizaines d’années, avons enseigné en français, nous sommes nombreux à penser que la France doit développer une relation spéciale avec l’Algérie au nom de l’histoire des liens de sang tissés, du sang versé sans rapport dominant dominé mais avec une parole désarmée et une réelle volonté de faire un aggiornamento de notre histoire commune pour la reconnaissance du fait que la colonisation ne fut pas un long fleuve tranquille
La « reconnaissance objective» de l’Algérie pour la France passe par la résolution des contentieux en premier lieu, la restitution sans condition des restes des patriotes algériens qui sont entreposés dans les musées de France et de Navarre, C’est aussi la mémoire constituée par toutes archives qui contribueront certainement à la sérénité des relations , c’est enfin cette diaspora trait d’union qui peut être un vecteur de stabilité et vivification de la langue dans une acculturation apaisée Un signe fort et symbolique serait celui de la mise en place d’une grande bibliothèque numérique qui contribuerai ce faisant à l’apaisement des mémoires, par la restitution sous une forme ou une autre des fonds d’archives .
Souvenons nous ! Quand Mitterrand a inauguré la Bibliothèque d’Alexandrie, les députés égyptiens anglophones qui se sont fait traduire son discours l’ont acclamé debout Pour rappel il faut bien le dire que l’armée d’invasion a brûlé en 1837 la bibliothèque de Sidi Hammouda Constantine et comme rapporté par Adrien Berbrugger : « chaque soldat voulait avoir «son Coran» et que faute de bois, on allumait le feu avec les ouvrages. » .Dans le même ordre du plaidoyer il est utile de rappeler qu’un matin de juin 1962 , le cadeau de l’OAS a pris la forme d’un gigantesque incendie. Ce furent 600.000 ouvrages de la Bibliothèque d’Alger dont certains uniques, qui furent dévorés par le feu.
Si on y ajoute la mise en place d’une présence culturelle digne de ce nom en France dans sa double dimension arabe et amazighe, rien ne s’opposerait alors de mon point de vue à l’acceptation par l’Algérie de donner la pleine mesure de son talent au sein de la Francophonie. Cependant et pour terminer la question qui se pose est la suivante : La francophonie devra t-elle continuer à être une sorte de « françafrique » par d’autres moyens ? Ou doit elle s’affranchir du passé pour aller vers l’universel ? De notre point de vue si elle veut perdurer la francophonie ne doit pas se départir de sa fonction culturelle qui devrait , sans condescendance, favoriser le dialogue des cultures qui peuvent s’exprimer en langue française tout en favorisant une altérité croisée par un accueil bienveillant des autres expressions linguistiques.
Note
1.Abdelkader Kherfouche http://orientxxi.info/magazine/l-heritage-colonial-de-la-francophonie,1356,1356
2.Chems Eddine Chitour https://www.mondialisation.ca/francophonie-que-peut-faire-de-plus-lalgerie/5304176
3.https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/25/macron-recoit-un-prix-quebecois-parodique-pour-ses-propos-sur-la francophonie_a_23394921/?
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique Alger
Source : Blog du Professeur ChitourTags : Afrique, France, françafrique, Francophonie, coloniaslime, colonisation, exploitation, spoliation, pillage, ressources naturelles,
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Aides de l’Algérie au Niger : «Un devoir humanitaire envers un pays frère», affirme Ammar Belhimer
Le ministre de la Communication, porteparole du Gouvernement, Ammar Belhimer, a affirmé mardi que les aides humanitaires envoyées par l’Algérie au Niger suite aux dernières inondations, qui ont frappé ce pays, causant des pertes humaines et matérielles, constituaient «un devoir humanitaire envers l’Etat du Niger».
«Cette opération s’inscrit dans le cadre du renforcement des relations de fraternité entre l’Algérie et le Niger et du raffermissement des liens d’amitié entre les deux pays», a déclaré le ministre qui supervisait l’opération d’envoi de 105 tonnes d’aides humanitaires à bord de deux avions cargo militaires, depuis la Base militaire de Boufarik vers l’aéroport de Niamey (Niger).
Cette initiative est «un devoir humanitaire envers l’Etat frère du Niger suite aux dernières inondations qui ont frappé plusieurs régions de ce pays, causant des pertes humaines et des dégâts matériels», a-t-il souligné.
M. Belhimer a ajouté que ces aides humanitaires participaient d’une tradition suivie par l’Etat algérien vis-àvis des pays voisins et amis dans les situations de crise, relevant que «ces aides humanitaires fraternelles acheminées par l’ANP à nos frères au Niger sont favorables à la consécration de la sécurité et de la stabilité dans la région, partant du principe de respect de la souveraineté des pays voisins et de leurs frontières».
Supervisée par l’ANP, cette opération est la deuxième du genre après celle de lundi.L’Echo d’Algérie, 1 oct 2020
Tags : Algérie, Niger, aide humanitaire, solidarité, Sahel, Afrique,
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Pourquoi l’Algérie rompt avec un demi-siècle de non-ingérence?
Dalia Ghanem*
Des modifications constitutionnelles permettraient à Alger de participer aux opérations de maintien de la paix et d’envoyer des unités de l’armée à l’étranger.
La semaine dernière, un avant-projet de la constitution algérienne révisée a été publié. Selon ce schéma, l’Algérie peut, «dans le cadre des Nations Unies, de l’Union africaine et de la Ligue des États arabes», participer aux opérations de maintien de la paix. En outre, le président peut décider d’envoyer des unités de l’armée à l’étranger après un vote majoritaire des deux tiers du parlement.
S’ils étaient adoptés, ces deux amendements constitueraient un changement important. Depuis son indépendance de la France en 1962, l’Algérie a promu une politique de non-ingérence, poursuivant la médiation, l’inclusion et le dialogue avec tous les acteurs – y compris les islamistes tels que le Ennahda tunisien – sur l’intervention militaire.
Lever un tabou
Dans la nouvelle architecture régionale caractérisée par une multitude de menaces à ses frontières, l’Algérie tente de se repositionner en s’écartant de ses principes rigides non interventionnistes. Alors que le recadrage de cette doctrine peut prendre plus de temps et d’efforts, un tabou important est levé.
Cela aura un effet dissuasif, décourageant potentiellement les acteurs étatiques et non étatiques de prendre des mesures indésirables ou de se livrer à une agression militaire contre les voisins directs de l’Algérie. Cela rendra également les actions de l’Algérie moins prévisibles, ce qui lui donnera un avantage tactique. Plus important encore, cela permettra à l’Algérie de projeter sa puissance militaire et de prendre les devants si une action bien préparée et bien dirigée par l’Afrique doit voir le jour dans la région.
Alors, l’Algérie s’apprête-t-elle à devenir un acteur pertinent dans la gestion des multiples crises dans son voisinage direct?
Ce qui est certain, c’est que le pays tente de maximiser la protection de son arrière-cour dans une région tumultueuse, où la Libye, entre autres États, a été une source de problèmes de sécurité.
Il est trop tard pour que l’Algérie fasse une réelle différence en Libye. Ses efforts pour parvenir à un règlement politique ont échoué.
Le début de la crise libyenne en 2011 était une occasion manquée – un moment qu’Alger aurait pu façonner grâce aux efforts diplomatiques et militaires. Au lieu de cela, son principe fondamental de non-intervention a ouvert les portes à une opération militaire mal conçue de l’OTAN, sachant qu’elle ne provoquerait pas une réponse algérienne décisive.
Intervention à l’étranger
Cette position a facilité l’ingérence étrangère et les indiscrets de divers acteurs régionaux et internationaux (Égypte, Émirats arabes unis, Qatar, France, Italie, Russie et Turquie), en plus du maréchal libyen Khalifa Haftar, dont l’offensive de plusieurs mois pour saisir Tripoli du gouvernement d’accord national (GNA) – bien qu’Alger ait qualifié la capitale de «ligne rouge que personne ne devrait franchir» – en est un bon exemple.
On peut en dire autant des manœuvres diplomatiques infructueuses, comme l’opposition de l’Algérie en janvier à l’intervention d’Ankara en Libye. La Turquie a finalement envoyé des troupes pour soutenir le GNA.
Les amendements constitutionnels suggèrent qu’Alger a tiré des leçons de ses erreurs en Libye depuis 2011. Ils lui permettraient d’être plus proactif si un autre conflit éclatait dans un État voisin. Parmi les pays limitrophes de l’Algérie figurent le Mali, le Niger et la Mauritanie, tous considérés comme des États fragiles, susceptibles de déclencher un conflit.
Dans un tel scénario, l’Algérie pourrait désormais intervenir pour dissuader les menaces potentielles ou l’aventurisme militaire de tiers. Les adversaires de l’Algérie peuvent désormais peser plus soigneusement leurs options en matière d’intervention ou d’ingérence soit dans son voisinage direct, soit chaque fois que ses alliés sont menacés.
Des études ont montré que les perceptions sont essentielles au succès ou à l’échec des efforts de dissuasion. Déployer une puissance militaire importante directement sur le chemin des acteurs étatiques et non étatiques non seulement briserait la prévisibilité de la politique étrangère algérienne, mais enverrait également un message fort et clair.
Changement stratégique
Pour ce faire, le gouvernement algérien doit planifier et préparer sa population à ce changement stratégique. Le côté de la planification est clair, car le pays dispose d’un budget de défense substantiel et a consacré des années au renforcement des capacités logistiques et à la formation des troupes.
Quant au public, un débat national sérieux peut être nécessaire pour convaincre les citoyens de la nécessité du changement doctrinal. Cela impliquerait des messages sans ambiguïté à d’autres États que l’Algérie a non seulement les capacités, mais aussi la volonté de mettre à exécution les menaces si nécessaire. Toute perception de faiblesse compromettra les efforts de dissuasion.
Compte tenu de son histoire diplomatique, de sa puissance militaire et de ses ambitions régionales, ce changement pourrait permettre à l’Algérie de remplir efficacement son rôle autoproclamé de courtier en énergie et de stabilisateur régional – le premier pas vers un changement de sa politique étrangère plus en phase avec la volonté de l’Algérie de être reconnu comme un fournisseur de sécurité régionale.
Il est encore trop tôt pour dire s’il y aura un changement significatif dans la politique étrangère de l’Algérie, mais une chose est sûre: la rigidité doctrinale de la non-intervention n’est plus valable pour la sécurité et les intérêts nationaux de l’Algérie.
L’Algérie doit mobiliser des ressources proportionnées à ses capacités réelles et afficher une ferme volonté de réagir si elle n’a pas d’autre choix.
*Dalia Ghanem est une étudiante algérienne résidente au Carnegie Middle East Centre à Beyrouth, où son travail étudie la violence politique et extrémiste, la radicalisation et le djihadisme en mettant l’accent sur l’Algérie. Elle est l’auteur de nombreuses publications sur l’Algérie et a été conférencière invitée sur ces questions dans diverses conférences et commentatrice régulière dans les médias imprimés et audiovisuels arabes et internationaux.Source : Middle East Eye, 19 mai 2020 (traduction non officielle)
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