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  • Le déclin français

    Le déclin français

    France, Sahel, Mali, Barkhane, AUKUS, – Le déclin français

    Le thème du «déclin français» et son corollaire «le retour de la grandeur de la France» est devenu, directement ou indirectement, de la droite à la gauche des forces politiques françaises, le sujet majeur de la vie politique française.

    Ce «déclin français», avec ses composantes de peur, d’amertume, ces interrogations sur l’avenir, domine,sans le dire, depuis des années le climat politique et la vie intellectuelle française. Il a nourri au fur et à mesure un nationalisme d’autant plus malsain qu’il est fait de dépit, de peur de l’autre, de xénophobie, de perte de confiance en soi.

    Avec la crise du Corona, ce sentiment de déclin s’est accentué: on y retrouve, pèlemêle jetés, le scandale des masques, le paracétamol et les autres pénuries de médicaments de base, les difficultés de production de l’oxygène, l’échec de la France», la seule parmi les «grandes puissances», à ne pas produire un vaccin anticovid», mais aussi les déboires militaires au Sahel décidément trop grand pour les capacités françaises,»l’irrespect»manifesté par l’Algérie comme le dénoncent des hommes politiques français, l’arrogance du Royaume Uni sur l’affaire des zones de pêche, l’affaire du contrat de vente de sous-marins avec l’Australie etc.. etc.. Si on n’a pas en vue ce sentiment de déclin, on ne peut comprendre, par exemple, la réaction extrême française à cette dernière affaire. La désinvolture, voire l’indifférence aux intérêts français manifestée par ses alliés, ont vexé la France. Encore plus, lorsque ce manque de considération s’est confirmé dans l’annonce d’un traité d’alliance Indopacifique entre les États Unis, le Royaume Uni et l’Australie, conclu sans que la France ne le sache et d’où elle est exclue . Cela ne pouvait mieux confirmer ce sentiment de déclin.

    C’est comme si la France était obligée, désormais clairement, de prendre conscience de sa place dans les rapports stratégiques mondiaux.

    Mais qu’y a-t-il en réalité derrière cette question du déclin

    En effet, si on considère la question de plus près, on pourra s’apercevoir, vite alors,que le mot «déclin» est inapproprié. Il sert à masquer, en fait, une nouvelle réalité qui détermine et qui déterminera probablement la place de la France, comme celle d’autres pays naguère dominants, dans les rapports entre nations. Le mot déclin remplit alors une fonction: celle du déni de cette réalité ; cette angle d’approche, cette lecture de la situation française par le déclin, va s’imposer à toutes les forces politiques, de gauche comme de droite, aussi bien dans la dénonciation de ce déclin, que dans la recherche de ses responsables, ainsi que dans la nécessité de le refuser et de redonner à la France, «la place qui est la sienne». Le président Macron parle de» redonner sa grandeur à la France». Éric Zemmour clame que «la France n’est pas la France si elle n’est pas hégémonique». Jean Luc Mélenchon tonne que La France est  » le 2eme domaine maritime du monde avec 10 millions de km2 , qu’en 2050 cinq cent millions de personnes parleront le français dans le monde » grâce à la présence de la France en Afrique, et que «la France ne ressemble pas aux autres puissances car sa mission est universelle» . Le nationalisme fait rage. De façon générale, tout le discours politique reflète ce souci, cette obsession de redonner sa puissance à la France que ce soit dans les approches économiques de réindustrialisation de la France, culturelle à travers la francophonie, ou militaire à travers l’attachement à une présence à l’extérieur, même si les moyens ne le permettent plus.

    Car tout cela n’est d’évidence plus possible. La place de la France, et aussi de l’Europe, dans le PIB mondial a été pendant deux siècles une sorte d’exception historique, liée à la révolution industrielle européenne. Celle-ci a fait que des pays relativement petits, du point de vue de leur étendue géographique et du nombre de leurs habitants, ont pu dominer d’immenses pays grâce à la fois à leur puissance technologique et militaire et à leur unité nationale . Qu’on regarde la carte du monde, ceci saute aux yeux et laisse songeur. Avant la révolution industrielle, des pays comme la Chine et l’Inde représentaient 50% de la production mondiale. On sait que le facteur démographique est, en dernière instance, le facteur déterminant des rapports entre groupes humains. Aujourd’hui avec leurs trois milliards d’habitants, ils reprennent progressivement leur place mondiale. C’est aussi simple que cela. C’est aussi le cas progressivement d’autres régions du monde. Il ne s’agit donc pas d’un «déclin», mais d’une évolution historique en quelque sorte normale, d’un retour à l’ordre des choses.

    Le déni de la réalité

    De la même manière, la France, et d’autres pays européens, vont reprendre historiquement tout simplement leur place naturelle dans le concert des nations du monde. Et c’est une bonne chose, y compris pour la France. Les autres nations dans le monde se trouvent-elles dévalorisées d’être à leur place, de ne pas être hégémoniques. L’Allemagne s’est trouvée bien plus respectée de ne plus l’être, et de consacrer ses forces à son développement , bien que …la tentation hégémonique n’est jamais bien loin.  D’autres pays, fameux par leur qualité de vie, et leur niveau civilisationnel, se trouveraient-ils diminués d’être comme tout le monde , des pays «normaux» . Sont-ils de «petits pays» ou bien au contraire des pays admirés. Mais en attendant, malheur à celui qui dirait en France tout simplement «voilà c’est la réalité de ce que nous sommes actuellement, le monde a évolué». Il n’aurait plus aucune chance politique dans un climat où domine le nationalisme sous sa forme la plus négative, la plus dangereuse, celle de l’amertume, celle d’un sentiment dedéchéance par rapport à un statut désormais dépassé.

    Le déni de la réalité est toujours dangereux, que ce soit pour un individu ou pour un groupe social. Il entraine toujours à des pathologies.La réalité est niée, refusée, insupportable pour bien des forces politiques française, et même, pourrait-on dire par l’opinion publique française en général. D’où ce pourrissement de la situation politique, d’où cette propension à chercher des boucs émissaires à cette situation, émigration, arabes, musulmans, «politiciens- traitres». Cette fausse conscience de déclin pourrait expliquer des phénomènes inquiétants en France comme l’exacerbation du racisme, la généralisation du sentiment de haine, la haine des autres mais aussi la haine de soi. Au contraire, les sociétés optimistes, en plein essor, sont caractérisées par le sentiment de solidarité et l’optimisme pour l’avenir. Ce déni de la réalité peut expliquer aussi, et c’est intéressant à noter, ce refuge vers le passé, vers l’Histoire de France ,chez bien des intellectuels français actuellement Dernièrement, au cours du débat qui les opposait, aussi bien Jean Luc Mélenchon qu’ Éric Zemmour ont fait assaut de références à l’Histoire française, chacun de leur point de vue évidemment, mais ce passéisme est en lui-même significatif. La rencontre de toutes les forces politiques autour de la personnalité du général de Gaulle, représentant prestigieux s’il en est du nationalisme français, et leurs disputes autour de l’appropriation de son héritage est édifiante à ce sujet.

    L’idéologie du déclin et son instrumentalisation

    Comme pour beaucoup de civilisations qui se tournent vers leur grandeur passée pour oublier leur présent, cette relecture de l’histoire française devient alors une sorte d’opium du peuple pour retrouverles vertiges de puissance d’antan. Pendant longtemps «le chauvinisme de grande puissance», pour reprendre une expression chinoise, avait permis de gérer les classes populaires, et de les entrainer, malgré des résistances vite vaincues, dans les aventures impériales. Aujourd’hui la réactivation de ce passé cherche à atteindre exactement les mêmes buts. Une idéologie du déclin et de ses causes est élaborée. Elle va se diffuser, s’enraciner dans l’opinion publique. On va appeler dramatiquement le peuple à se mobiliser contre le danger du déclin. Cette idéologie va servir à la fois à masquer les causes réelles de la situation, c’est-à-dire l’évolution du monde, et à produire un nationalisme exacerbé. Plutôt que s’adapter au monde et à ses nouvelles réalités, tout sera fait pour les refuser.Là réside le danger principal de cette idéologie du déclin aussi bien pour les français que pour leurs amis dans le monde. La France doit faire un aggiornamento, un délicat passage vers l’avenir. Ici, l’entrée dans la modernité, signifie , pour elle, revoir complètement l’image qu’elle a d’elle-même et du reste du monde, ne plus gaspiller ses forces dans des objectifs de domination voués tôt ou tard à l’échec, se libérer de ces forces négatives qui ne cessent de l’entrainer vers le bas, adapter ses objectifs à ses moyens, ne plus avoir des objectifs de domination mais seulement de bien-être et de progrès pour son peuple. Y a-t-il plus belle utopie ?

    par Djamel Labidi

    Le Quotidien d’Oran, 27/11/2021

    #France #Sahel #Mali #Barkhane #Déclin

  • L’axe fragile Paris-Londres

    Tags : Union Européenne, France, UE, Royaume Uni, AUKUS, Emmanuel Macron,

    Les différends successifs du Royaume-Uni avec la France exacerbent la faiblesse de la cohésion interne de l’Union européenne.

    Un homme de sa noble formation universitaire (Oxford) comme Boris Johnson connaît sans doute la vieille expression latine pacta sunt servanda, selon laquelle les pactes lient : c’est l’un des principes les plus importants du droit et l’un des piliers de la civilisation occidentale. Mais il est inhabituel de voir à quelle fréquence il est nécessaire de le rappeler à la Première ministre britannique, qui est engagée dans une bataille constante avec l’Union européenne au sujet de l’accord commercial post-Brexit. Cette fois-ci, le différend entre Londres et Paris concerne apparemment les licences permettant aux pêcheurs français de pêcher dans les eaux britanniques de la Manche, mais il y a quelque chose de plus profond et de plus grave à l’œuvre ici : c’est un nouveau symptôme de la détérioration des relations entre les deux pays et cela exacerbe un climat de suspicion à l’égard de Londres qui s’est répandu sur tout le continent, comme c’était déjà le cas avec le différend contractuel que l’UE a eu pour l’achat du vaccin contre le covid.

    La gravité du désaccord avec Paris dépend de la participation du Royaume-Uni à l’Aukus (le pacte de défense annoncé par l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis le 15 septembre). Cet accord a fait perdre à la France un lucratif contrat de fourniture de sous-marins d’attaque à l’Australie. Outre l’exclusion du pacte et la déloyauté du pacte lui-même, l’Aukus a montré l’énorme vide géopolitique que représente l’Europe dans le monde. Le silence ostensible de l’UE après l’annonce de l’accord révèle une fois de plus les divisions internes de l’Europe en matière de politique étrangère. Elle n’a pas non plus servi à rappeler à l’Allemagne la nécessité d’inverser le déclin de sa puissance militaire et de renforcer l’autonomie stratégique de sécurité au sein même de l’UE.

    Les conséquences de l’affaire Aukus et du différend sur les droits de pêche vont plus loin que de simples déchirements réversibles, car elles impliquent la rupture de la confiance entre deux grandes nations, la France et le Royaume-Uni. Il montre l’aliénation du monde anglophone par rapport à l’UE et une division de l’Occident, qui a cessé de se penser et de se percevoir comme un bloc partageant des valeurs et une vision du monde communes. Outre l’érosion des liens amicaux qui ont uni les nations occidentales, l’Aukus entraîne un degré supplémentaire d’éloignement car il entérine la rivalité des États-Unis avec la Chine et approfondit encore la division interne de l’Occident. Le réalignement géopolitique des États-Unis autour de l’anglosphère se produit en même temps qu’ils se distancient du monde euro-atlantique, tout en entraînant Londres dans une course qui ne peut qu’affaiblir l’Union européenne elle-même.

    El Pais, 08/11/2021

    #France #Union_Européenne #UE #Royaume_Uni #AUKUS #Etats_Unis #Sousmarins #Brexit

  • Répercussions d’AUKUS sur la défense et la sécurité de l’UE

    Tags : AUKUS, Australie, Etats-Unis, Grande-Bretagne, Royaume Uni, sous-marins, France, UE, Europe, défense, sécurité,

    Introduction

    Le 15 septembre 2021 a marqué un tournant dans la relation transatlantique, destiné à ouvrir une nouvelle direction en termes de coexistence stratégique et à modifier l’orientation du projet européen de sécurité et de défense communes. En effet, à cette date, l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont annoncé la création d’une nouvelle collaboration en matière de sécurité baptisée AUKUS (des initiales des noms des pays en anglais) : un accord de coopération navale indo-pacifique qui devrait faire contrepoids à l’influence de la Chine sur son voisinage dans cette région cruciale. Cet accord a non seulement une valeur strictement opérationnelle mais aussi une valeur symbolique car il rouvre la question de longue date de l’autonomie stratégique de l’Union européenne en matière de défense et de sécurité.

    1. Accords et désaccords : la course aux sous-marins à propulsion nucléaire

    En 2016, l’Australie avait signé un accord intergouvernemental avec la France pour la construction d’une fourniture de 12 sous-marins conventionnels à moteur diesel. Il s’agissait d’un contrat avec le groupe industriel français Naval Group pour un montant total de 90 milliards de dollars australiens (environ 66 milliards de dollars australiens). La rupture de l’accord a déclenché une réaction furieuse de la part de Paris, qui a rappelé ses ambassadeurs de Canberra et de Washington (mais à l’heure où nous écrivons ces lignes, les diplomates ont été réintégrés dans leurs fonctions pour redéfinir les termes des relations mutuelles) et a qualifié le pacte de « coup de poignard dans le dos », selon les termes du ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Mais derrière la décision de l’Australie de se tourner vers la production anglo-américaine, il y aurait des impératifs stratégiques et un nécessaire resserrement des délais, comme le souligne la mise à jour stratégique de la défense en 2020. En effet, l’accord initial conclu avec les Français piétinait en raison de renégociations défavorables et d’importants retards de livraison (les premiers modèles de Barracuda ne seraient pas prêts avant 2035 au plus tôt)[1].

    L’AUKUS sera bénéfique pour l’Australie car il permettra au pays de produire sous licence des sous-marins nucléaires de nouvelle génération, du modèle SSN-X, des navires à grande vitesse capables de chasser les sous-marins lance-missiles chinois et dotés de composants d’invisibilité sophistiqués contre les drones sous-marins. En outre, les sous-marins nucléaires peuvent effectuer une mission plus longue que les sous-marins conventionnels et sont moins détectables par les radars adverses[2].

    2. La double stratégie de la France : individualisme nationaliste et influence extérieure

    La France a, d’une part, soutenu le projet de défense européenne au premier rang avec l’Allemagne, et d’autre part, a mené une politique collatérale d’avantage compétitif, exploitant le concept de « puissance d’équilibre » soutenu par des investissements massifs dans la lignée de la traditionnelle « diplomatie de l’armement ». Cette approche permet au pays de se positionner comme une alternative au soutien des États-Unis en matière d’armement, étant donné que la France est le troisième exportateur d’armes au monde et le premier pays européen à avoir planifié une stratégie indo-européenne, en investissant dans la création de partenariats de sécurité mais aussi dans des projets culturels avec les principales puissances impliquées dans la zone, comme le Japon, l’Australie et les États-Unis. Paris possède également 93 % de la zone économique exclusive (ZEE) de la région[3].

    Après ce revers, Macron a annoncé un triomphe militaire le même jour avec l’assassinat par les troupes françaises d’Adnan Abu Walid al-Sahrawi, le chef du groupe terroriste islamique dans le Grand Sahara. En effet, la France mène depuis sept ans une mission au Sahel contre les groupes extrémistes djihadistes : l’opération Barkhane. Comme l’explique Nicki Anastasio dans son article publié sur le blog Quaderni Africani di Africa Rivista édité par AMIStaDeS, l’opération a été menée pour :  » soutenir les armées des pays précités, renforcer la coordination des moyens militaires internationaux et mener des actions en faveur de la population comme l’accès aux services. « [4] Mais derrière le battage français se cachait le soutien logistique des États-Unis à travers des opérations de reconnaissance par drones et le travail de repérage de cibles sensibles par le renseignement américain.[5]

    3. AUKUS et ANZUS

    L’AUKUS a remanié l’équilibre des forces existant et a contraint les secrétariats européens à se pencher une fois pour toutes sur la question longue et délicate de savoir où se placer sur l’échiquier transatlantique. Ce qui devait être un coup de pouce pour la communauté transatlantique semble s’être révélé, au contraire, un indicateur du déséquilibre entre les alliés en faveur du bloc anglophone et un signe précis de la direction prise par les États-Unis. L’accord trilatéral a élevé le niveau de coopération à un niveau opérationnel supérieur en renforçant les priorités communes des alliances transpacifiques. Rappelons, en effet, que les États-Unis ont déjà signé avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande un traité appelé ANZUS pour la sécurité du Pacifique, qui est devenu la base de la conduite de la politique stratégique australienne depuis 1951[5]. L’accord AUKUS, quant à lui, traduit concrètement la propension des États-Unis à déplacer leur centre de gravité géopolitique de l’océan Pacifique, siège du traité ANZUS, vers les océans Indo-Pacifique et Atlantique.

    Les États-Unis poursuivent une stratégie agressive contre la Chine en tant que rival systémique, rejetant la vision européenne de Pékin en tant que partenaire commercial. L’AUKUS n’a pas les caractéristiques d’une véritable alliance car elle ne comprend pas l’engagement de défense collective explicitement énoncé à l’article 5 du traité de l’OTAN. Il s’agit d’un réseau défensif destiné à contrer les menaces à la liberté de navigation et d’un signal clair envoyé à la Chine qui exploite sa position militaire périphérique dans la région, notamment à Taïwan. Ces dernières semaines, l’armée chinoise a envoyé plusieurs avions de guerre dans la zone de défense taïwanaise, provoquant l’indignation de Washington. Par conséquent, le pacte vise à acquérir une capacité de dissuasion sur la Chine ainsi qu’à poursuivre un objectif concret : couler la marine chinoise en moins de 72 heures en cas d’affrontement[6].

    4. Les paradoxes des Alliances : méfiance, défiance ou stratégie ?

    Selon certains, l’accord trilatéral est le résultat d’une démarche délibérée de l’administration Biden pour couvrir le faux pas qu’elle a fait dans la gestion du retrait des troupes américaines en Afghanistan. Pour la France, en revanche, cette  » décision unilatérale, brutale et imprévisible ressemble beaucoup au comportement assumé par Trump « [7]. En fait, elle révélerait une orientation stratégique précise des États-Unis pour s’engager dans le monde anglo-saxon mais aussi une tendance à concurrencer activement les visées économiques et industrielles françaises. En effet, comme le souligne Daniel Fiott, le paradoxe inhérent à la relation transatlantique voit le désir des Etats-Unis d’avoir : « une Europe suffisamment indépendante pour payer ses propres factures de sécurité et financer d’éventuelles collaborations avec les Etats-Unis, mais pas assez indépendante pour faire obstacle aux plans et aux priorités de Washington »[8] Un manque de collaboration européenne est considéré par les Etats-Unis comme un manque de coopération européenne.

    Un manque de collaboration européenne est perçu par les États-Unis comme une attitude trop douce à l’égard de la Chine, tandis que les initiatives potentiellement compétitives qui interfèrent avec l’agenda américain sont considérées comme une menace pour la solidité de l’OTAN. L’éloignement progressif des États-Unis des affaires européennes est également indiqué par le fait que l’AUKUS a été annoncé publiquement le jour même où l’UE a publié sa première stratégie indo-pacifique. Et coïncidant également avec un autre épisode, à savoir le refus de la Chine d’accorder l’accès à une frégate allemande pour sa première visite prévue à Shanghai[9].

    5. La défense européenne : une nouvelle marche ou une nouvelle impasse ?

    La colère des Français face à la situation a également alarmé les capitales européennes, en particulier celles des États baltes et des pays de l’ancien bloc communiste, qui sont les plus fervents partisans de l’OTAN et sont de plus en plus sceptiques quant à l’idée d’une défense européenne. Le Premier ministre danois, Mette Frederiksen, a notamment évoqué dans le journal danois Politiken la fidélité absolue de M. Biden à l’Alliance atlantique, minimisant la position française. Le Danemark est l’un des pays qui a réagi avec le plus de méfiance au nouvel appel de la France à l’autonomie stratégique, y voyant une tentative de Paris d’étendre sa souveraineté et de favoriser les contrats de défense aux entreprises françaises[9].

    Bien que l’idée d’une défense européenne soit déjà inscrite dans le traité de Lisbonne et qu’il ait été constamment question de la défense commune comme synonyme d’autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis, dans le cadre d’un renforcement mutuel avec l’OTAN, les Nations unies et les pays partenaires de l’UE, aucun résultat concret n’a encore été obtenu. À cet égard, des initiatives telles que la coopération structurée permanente (PESCO) et le Fonds européen de défense ont été mises en place pour promouvoir la coopération sur les projets de défense et favoriser un sentiment d’unité militaire. La PESCO est un mécanisme de coopération en matière de défense, juridiquement contraignant, auquel participent 25 États membres et qui vise à améliorer l’interopérabilité des forces armées. Le Fonds européen de défense est un fonds d’investissement innovant destiné à développer des projets de défense communs et à renforcer la base industrielle et technologique de défense commune[10].

    Conclusion

    Lors de la dernière réunion des ministres européens des affaires étrangères et de la défense en Slovénie, Macron a suggéré d’utiliser l’AUKUS comme un tremplin pour le développement de capacités conjointes et a promis qu’en 2022, la France pourrait utiliser la présidence du Conseil de l’UE pour faire progresser la stratégie de sécurité en tant que priorité absolue. Le service diplomatique de l’UE, le Service européen d’action extérieure (SEAE), aura le droit de présenter une première version du Compas stratégique, le document militaire destiné à normaliser les capacités de renseignement, en novembre 2021.

    L’aspect le plus urgent à prendre en compte est la nécessité de développer une culture stratégique commune et de rationaliser le processus décisionnel tout en maintenant des relations productives avec les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie en tant que partenaires stratégiques contre la Chine.

    Sara Ferragamo

    Amistades, 04/11/2021

    #AUKUS #ANZUS #France #Europe #Australie #Etats_Unis #Royaume_Uni #Défense

  • The Guardian : Comment Macron a gâché la COP26

    The Guardian : Comment Macron a gâché la COP26 – Le show climatique de la COP26 de Scott Morrison a déraillé à cause d’Emmanuel Macron et de la querelle des sous-marins. La participation de Scott Morrison au G20 et à la Cop26 devait permettre de consolider le pivot climatique de la Coalition avant les prochaines élections. Mais le président français, Emmanuel Macron, avait d’autres idées.

    Scott Morrison est en retard. Ce n’est pas inhabituel, alors nous n’en pensons rien. Ces deux semaines au Parlement ont été épuisantes, car les Nationales ont été amadouées, puis encerclées, pour qu’elles soutiennent l’objectif  » zéro émission « .

    Nous sommes jeudi soir et les journalistes ont été prépositionnés au terminal Fairbairn de la RAAF. En attendant, nous spéculons sur la façon dont les choses pourraient se passer lorsque M. Morrison devra partager la scène avec M. Macron au G20 et à la Cop26 à Glasgow. S’agira-t-il d’un rapprochement ou d’une colère ? La décision de M. Morrison de renoncer à un contrat de 90 milliards de dollars avec le groupe français Naval a provoqué un tollé diplomatique.

    Le bruit court à Canberra que Morrison a essayé d’organiser une rencontre bilatérale avec Macron à Rome. Une prise en main rapide et un sourire permettraient au Premier ministre de revendiquer une réinitialisation, de ne plus nous avoir sur le dos, et de se concentrer sur son pivot climatique qui est en préparation depuis que Joe Biden a remporté les élections américaines. Lorsque nous avons été informés de ce à quoi nous pouvions nous attendre pendant la saison des mini-sommets, les journalistes ont demandé si une rencontre bilatérale était prévue. Les hauts fonctionnaires sont restés discrets.

    Morrison atterrit avec plus de 30 minutes de retard sur l’horaire prévu. Il apparaît brièvement dans notre cabine pour reconnaître notre présence. Le premier ministre a l’air épuisé. Il dit qu’il est fatigué. Il est clair qu’il ne va pas s’attarder. Il s’excuse et se dirige vers sa suite à l’avant de l’avion. À la moitié du premier vol, mon collègue Daniel Hurst signale que quelque chose de nouveau se prépare à l’Élysée.

    Il y a eu un appel entre Morrison et Macron. Une vague d’irritation traverse la cabine des journalistes. Nous sommes dans un avion avec Morrison et une petite phalange de conseillers. Nous avons vu le Premier ministre juste après qu’il ait raccroché. Voilà pourquoi il est en retard. Personne n’a mentionné cet appel. Pas même une allusion énigmatique. Macron a manifestement englouti un morceau de Morrison. Selon le compte-rendu français, l’abandon du contrat des sous-marins a brisé « la relation de confiance », et Canberra devait proposer des « actions tangibles » pour combler le fossé.

    Le récit de la conversation par Macron donne le ton. Il faut un certain temps pour qu’un compte-rendu australien soit produit, et quand il arrive, il ne dit presque rien.

    L’avion descend sur Darwin. Comme il s’agit de l’équivalent diplomatique de coups de feu, on se précipite sur les ordinateurs portables. Les reporters de la télévision troquent leurs sweats à capuche contre des chemises et des cravates pour des morceaux de caméra. Nous dégringolons dans la soupe chaude de l’air nocturne de Darwin. Certains s’accroupissent autour de points d’alimentation dans un terminal vide pour classer ou ajouter des paragraphes. Morrison n’est nulle part. Les correspondants de la télévision se positionnent sur le tarmac, regardent le canon de la caméra, et se forcent à ne pas transpirer.

    Premier acte : Rome

    Les moteurs des avions tournent au ralenti sur le tarmac de l’aéroport international Leonardo da Vinci. Les dirigeants et leurs entourages arrivent par vagues pour le G20. Après 28 heures dans les airs, nous avons atterri sous un doux soleil d’automne. Morrison atterrit et s’avance vers nous.

    Q : Je viens de parler de l’appel téléphonique avec le président Macron – que pensez-vous du moment choisi ? Il apprécie que Macron ait trouvé le temps de lui tendre la main. Il affirme que les relations entre l’Australie et la France sont sur la bonne voie. Q : Monsieur le Premier ministre, vous allez voir le président Macron au G20 et à la Cop. Envisagez-vous d’avoir une rencontre bilatérale avec lui, une rencontre à bâtons rompus ou un engagement formel ou informel ? [Grillons].

    Dans le bus. Le cortège entre à toute vitesse dans la capitale romaine, éparpillant une succession de petites Fiats. Au lieu de contourner les nids de poule qui parsèment les routes, notre chauffeur accélère et nous fait voler. Très vite, Rome s’anime autour de nous. Le commerce et l’hôtellerie sont ouverts. Presque personne ne porte de masque. Les scooters se faufilent dans les rues, klaxons à fond. Tout juste après des mois d’enfermement à Canberra, cette explosion de Covid-normal est surprenante. Un certain nombre d’entre nous sont fascinés par la vie pré-pandémique exposée par la fenêtre.

    Tic-tac. Nous sommes toujours à l’heure et les journalistes de la télévision ont toujours besoin d’une nouvelle toile de fond. On suggère le Colisée. Beaucoup d’entre nous se promènent pour prendre l’air en faisant de lents tours du périmètre. De retour à l’hôtel, je zappe sur la BBC. Il y a Joe Biden. Le président des États-Unis a atterri à Rome et il est assis aux côtés de Macron à l’ambassade de France au Vatican. Alors que je déballe et charge mes appareils, je constate que Biden est venu voir Macron. Le signal de pénitence suscite l’intérêt, alors je m’assieds et je regarde.

    Biden est un personnage inhabituellement empathique, et l’un des éléments constitutifs de l’empathie est l’humilité. Mais l’Amérique est rarement pénitente. Peut-être que j’exagère la pénitence. C’est peut-être une question de convenance, car Biden a également fait appel au pape François. Mais l’Amérique gère sa propre rupture diplomatique avec Macron parce que les États-Unis sont l’un des partenaires du pacte Aukus qui a remplacé les sous-marins français. Macron est en colère contre tous les partenaires de l’Aukus.

    A Rome, Biden dit à Macron qu’il avait « l’impression » que la France savait que l’Australie allait se retirer du contrat Naval Group. Il reconnaît également que toute la question a été traitée de manière « maladroite ». Il s’agit d’une autocritique performative. Mais il y a aussi un déplacement des responsabilités. L’implication claire est que l’Australie a manqué de sophistication. Ce n’est pas bon pour Morrison.

    Je me demande ce que fait le Premier ministre en ce moment. Est-il aussi en train de pendre des chemises dans sa suite d’hôtel, à la recherche de fil dentaire, tout en regardant Biden le jeter sous un bus ?

    Biden est un personnage inhabituellement empathique, et l’un des éléments constitutifs de l’empathie est l’humilité. Mais l’Amérique est rarement pénitente. Peut-être que j’exagère la pénitence. C’est peut-être une question de convenance, car Biden a également fait appel au pape François. Mais l’Amérique gère sa propre rupture diplomatique avec Macron parce que les États-Unis sont l’un des partenaires du pacte Aukus qui a remplacé les sous-marins français. Macron est en colère contre tous les partenaires de l’Aukus.

    A Rome, Biden dit à Macron qu’il avait « l’impression » que la France savait que l’Australie allait se retirer du contrat Naval Group. Il reconnaît également que toute la question a été traitée de manière « maladroite ». Il s’agit d’une autocritique performative. Mais il y a aussi un déplacement des responsabilités. L’implication claire est que l’Australie a manqué de sophistication. Ce n’est pas bon pour Morrison.

    Je me demande ce que fait le Premier ministre en ce moment. Est-il aussi en train de pendre des chemises dans sa suite d’hôtel, à la recherche de fil dentaire, tout en regardant Biden le jeter sous un bus ?

    Deuxième acte : G20

    Je regarde Macron à travers une fenêtre. Nous sommes dans la dernière ligne droite du G20. Les journalistes australiens ont été prépositionnés pour une conférence de presse avec Morrison. Ce soir, nous décampons pour Glasgow et le sommet de la Cop26. Le G20 vient de publier un communiqué dans lequel le langage du changement climatique a été édulcoré, en partie à cause du lobbying australien contre les engagements à éliminer progressivement les combustibles fossiles. Ce n’est pas un bon signe.

    Morrison n’est pas encore arrivé, mais la voix de Macron flotte dans notre direction. Je suis le son jusqu’à ce que j’obtienne un visuel. Le président français est compact, mais il sait utiliser son corps comme une ponctuation, ou une emphase. Les gestes sont calculés et précis. David Crowe, le correspondant politique en chef du Sydney Morning Herald et de l’Age, s’est éloigné dans le couloir et s’est réfugié au fond de la salle de presse. Quelques collègues de la télévision s’approchent également : Pablo Vinales de SBS et Andrew Probyn de l’ABC. Il semble possible que nous puissions attraper Macron au moment où il quitte la salle de presse.

    Ce n’est pas gagné, mais pour une fois, tout va dans notre sens. Le président français sort alors que notre petit groupe s’est échoué dans la position parfaite pour l’intercepter. Probyn, qui a un accent du Lancashire, et une manière implacable de jouer les héros, se présente poliment comme un journaliste australien. Q : Pouvons-nous parler ? Macron sourit et s’arrête.

    Le service de sécurité du Président n’a pas l’air très à l’aise, mais pas alarmé. Une attachée de presse de Macron, qui suit son patron de plusieurs mètres, repère le groupe improvisé, grimace et court pour le rattraper. Mais un Macron détendu est déjà en train de lancer des grenades. Du coin de l’œil, je remarque un autre correspondant du SMH-Age, Bevan Shields, en orbite autour du périmètre. Vinales a sorti son iPhone pour filmer.

    Macron dit qu’il nourrit de l’amitié et du respect pour l’Australie et les Australiens. Mais le respect exige la réciprocité. « Je dis simplement que quand on a du respect, il faut être vrai et il faut avoir un comportement conforme et cohérent avec cette valeur ». Le va-et-vient continue. Shields est maintenant positionné directement en face de Macron. Il demande au président s’il pense que Morrison lui a menti lors de l’affaire du sous-marin. Le président n’hésite pas. « Je ne pense pas, je sais », répond-il.

    Après avoir lâché son micro, l’entourage de Macron poursuit son chemin. La franchise de l’accusation est étonnante. Il faut une minute ou deux pour la comprendre. Plus tôt dans la journée, M. Morrison s’est approché de M. Macron de manière informelle dans le salon des dirigeants pour une poignée de main que le photographe officiel du Premier ministre a capturée et diffusée. Sur la photo, Macron n’avait pas l’air enchanté. Ses yeux n’étaient pas chaleureux. Le corps expressif était légèrement incliné vers l’arrière. Les sommets sont des danses étranges, avec leur propre étiquette. La tentative de contact fortuite de Morrison a-t-elle été considérée comme une nouvelle provocation ?

    Morrison répondra aux questions dans quelques minutes. Le responsable des médias du Premier ministre est curieux de savoir où nous sommes allés. Je lui transmets la charge centrale du président. J’apprendrai plus tard que certains de mes collègues sont mécontents que j’aie fait ça. Mais c’est une courtoisie élémentaire. Etant donné la façon dont Morrison opère, c’est aussi une nécessité professionnelle. Je suis sûr que si le Premier ministre n’a pas été informé de ce que Macron a dit, il fermera les questions en plaidant l’ignorance. Peut-être que le choc et l’évasion fonctionnent comme un moment de télévision, mais cela n’explique pas pourquoi nous avons atteint ce nadir. Nous avons besoin de dire et de montrer. Mentir est une accusation grave venant d’un pair mondial. Morrison doit réellement répondre à l’accusation, plutôt que de la contourner. L’assistant maternel de Morrison disparaît dans la salle d’attente. Lorsque le Premier ministre arrive, son agacement est à peine dissimulé.

    Q : Monsieur le Premier ministre, le président Macron a dit à deux d’entre nous, dans le coin, que vous n’aviez pas… Morrison : « Deux d’entre vous, pardon ? » Q : Le président Macron a dit à certains d’entre nous que vous ne lui aviez pas dit la vérité sur l’accord sur les sous-marins. En fait, il a dit que vous auriez pu mentir. Est-ce que c’est vrai ? Morrison : « Non. Q : Vous allez devoir le voir à la Cop. Morrison : « Je l’ai vu plusieurs fois aujourd’hui. Vous l’avez vu les gars, vous preniez des selfies avec lui. »

    Cette luge est complètement absurde. Macron est clairement en train de tester le premier ministre australien, de le pousser à bout, de sonder ses limites, et Morrison a répondu en jetant ses jouets hors du lit. Crowe corrige le premier ministre. Q : Nous ne prenions pas de selfies avec le président Macron. Deuxièmement, quand il a parlé de… Morrison n’est absolument pas repentant, et note, caustiquement : « Je dois avoir été mal informé. »

    Lorsque Morrison termine la conférence de presse, il sort directement à travers les journalistes et les caméras plutôt que de sortir sur le côté. Il fonce comme un attaquant de première ligne, mais il hésite ensuite, dans un lieu inconnu, face à un programme implacable. On dirait qu’il a perdu ses repères. De quel côté est la sortie ? Les assistants le font sortir.

    Troisième acte : Glasgow

    Le Flic26 s’est abattu sur Glasgow. La ville écossaise est en ébullition. Des milliardaires, des membres de la famille royale, des célébrités, des bureaucrates et des diplomates épuisés par le climat s’administrent eux-mêmes leurs tests d’antigènes rapides, enfilent leurs masques, se regroupent et délibèrent sur l’avenir de la planète.

    Depuis des mois, M. Morrison s’efforce d’arriver ici avec suffisamment d’arguments pour que l’Australie ne soit pas exclue de la réunion. Mais le jour de l’ouverture, le Premier ministre se trouve à plusieurs kilomètres de là et nous le suivons en casque de chantier et en gilet de sauvetage pendant qu’il inspecte un navire de guerre chez BAE Systems. Cet événement se déroule à la dernière minute, si bien que le lieu de l’événement est avancé par des assistants en temps réel.

    Pendant que les préparatifs nécessaires sont effectués, nous nous abritons du vent fouetté de Glasgow dans un salon de thé du personnel. Pendant le temps mort, nous découvrons que les fées du contrôle des dommages ont été occupées pendant la nuit. Le Daily Telegraph et quelques autres médias ont découvert une fuite d’un message de Macron. Ce message est adressé à Morrison, deux jours avant que l’accord Aukus ne soit dévoilé. Le président demande : « Dois-je m’attendre à de bonnes ou de mauvaises nouvelles pour nos ambitions communes en matière de sous-marins ? » Le texte a été présenté comme un moyen de réduire la position de Macron en tant que partie lésée. L’idée est la suivante : ce type savait depuis le début que nous allions mettre ses sous-marins en boîte, Macron peut donc se passer de sa fausse indignation.

    C’est curieux, car toute personne ayant une compréhension de base de la lecture sait que le texte démontre le contraire. Il montre que 48 heures avant que l’Australie annule le contrat de Naval Group, Macron était toujours dans l’ignorance. Ce prétendu Exocet en direction de l’Élysée est en fait un cigare qui explose. Mais la nuance est évidemment la première victime d’une course aux armements diplomatiques.

    Dans tous les cas, le but de la fuite n’est pas tant le contenu que l’acte de fuite. Le geste alpha envoie un message : si tu me traites de menteur, prépare-toi à une justice brutale. Ainsi, au lieu de couvrir le sort de la planète, nous sommes tous en train de regarder un vaisseau de guerre qui possède apparemment la capacité de se faufiler furtivement dans les sous-marins (vous voyez ce qu’il a fait là ?). Morrison doit renverser la situation, et pour ce faire, il faut une toile de fond évocatrice pour le journal télévisé.

    Lorsqu’il s’adresse aux journalistes après la visite du navire, Morrison déroule son récit. Oubliez les coups de poignard dans le dos, l’Australie est la victime de la mendicité française. Macron veut que Morrison donne la priorité à la restauration de la fierté française avant la sécurité nationale de l’Australie – un pacte faustien que le Premier ministre méprisera toujours, parce que c’est The Australian Way. (Désolé, il s’agit en fait de la politique climatique.) Quoi qu’il en soit, vous voyez le genre. Au lieu d’être un menteur, Morrison (dans ce récit) est un leader au courage exemplaire, car il fera ce qui est nécessaire. Et il n’acceptera tout simplement pas que Macron se moque de l’Australie. (En fait, c’est le président qui a fait du plat à Morrison, pas à l’Australie – mais quatre jours après le début de ce reboot de Battlestar Galactica, nous sommes au mieux dans les faits).

    Un journaliste demande pourquoi le bureau de Morrison a divulgué le texte de Macron. Le Premier ministre ne nie pas la conduite mais dit : « Je ne vais pas me livrer à votre éditorial sur ce sujet. » Q : Mais, monsieur le Premier ministre, l’échange de textos ne montre-t-il pas que quelques jours avant Aukus, Emmanuel Macron, une puissance de l’OTAN et un allié de longue date, était encore dans l’ignorance de la décision finale ? … Emmanuel Macron, en tant qu’allié si fort de l’Australie et chef de la France, ne méritait-il pas davantage… ? Morrison ignore le sens de la question et martèle son propre message.

    « Je vais prendre les décisions difficiles pour que l’Australie ait la meilleure capacité de défense et vous devez avoir la force de supporter l’offense que parfois cela peut causer. Lorsque vous défendez les intérêts de l’Australie, cela ne plaît pas à tout le monde. Cela ne va pas rendre tout le monde heureux et vous devez avoir la force de faire face à cela ».

    Chaque apparition étant porteuse d’une escalade quelconque, il s’ensuit une course folle au classement. Finalement, nous revenons à la conférence sur le climat. M. Morrison a prévu de nouveaux fonds pour le financement du climat dans le Pacifique. Le premier ministre fidjien, Frank Bainimarama, lui dit merci, mais pourquoi pas plus d’actions pour la décennie 2030 ? Lorsque M. Morrison prononce la déclaration nationale de l’Australie devant une salle à moitié vide en fin de journée, le Premier ministre insiste sur le fait que l’Australie devrait dépasser l’objectif actuel de 2030. Dans son pays, le débat interne du gouvernement a porté sur l’année 2050. Mais ici, l’objectif de zéro émission d’ici 2050 est une évidence pour les pays développés, et non une quelconque avancée.

    Morrison passe le premier jour et le deuxième jour, il disparaît dans des réunions bilatérales. L’activité s’intensifie dans le pavillon australien de la Cop, où un barista prépare des flat whites décents dans des tasses bleues. À un moment donné, Andrew « Twiggy » Forrest passe avec un petit groupe d’accompagnateurs pour aller voir Joe Biden. Il y a de la politique dans le pavillon. Le producteur de gaz Santos a contribué à une exposition sur la capture du carbone. Forrest, qui se fait maintenant le champion de l’hydrogène vert, n’approuve pas la CSC.

    Pendant que les visiteurs entraient et sortaient, le visage plongé dans leurs applications de messagerie et leurs invitations de calendrier, les vétérans de la guerre du climat s’inquiétaient en buvant leur café et se demandaient si Copenhague n’allait pas se répéter. Malcolm Turnbull, désormais dans l’orbite de l’entreprise Forrest, tournait autour du périmètre du pavillon comme un grand blanc agité. Macron était peut-être en train de suivre Morrison, mais le président français avait rattrapé Turnbull, son vieil ami.

    Conclusion : Base aérienne d’Al Minhad, Dubaï

    Nous ne revoyons plus Morrison jusqu’à ce que nous soyons rassemblés hors de Glasgow et que nous atterrissions à la base australienne pour les opérations militaires au Moyen-Orient. Pendant que nous étions dans les airs, la France a encore doublé la mise. Les conseillers de Macron ont déclaré aux journalistes basés à Paris que la fuite du texte avait « brisé » la confiance.

    Au National Press Club à Canberra, l’ambassadeur français se demande qui dans le monde fera à nouveau confiance à l’Australie après une telle violation de la courtoisie.

    La réponse de Morrison à cela est simple : c’est toi qui as commencé mon ami. À Glasgow, Morrison s’est présenté comme le gardien inflexible de l’intérêt national de l’Australie (par opposition à l’hystérie gauloise de Macron). Son prochain coup de dé sera celui du pacificateur. Dans le désert de Dubaï, Morrison propose un armistice. Il est temps pour tout le monde de passer à autre chose.

    En particulier les journalistes. Il en a assez de nous voir. Pourquoi les leaders mondiaux se sentiraient-ils en sécurité en vous parlant ? Passez à autre chose. La divulgation de conversations privées était-elle juste ? Passez à autre chose. Qu’allez-vous faire pour combler le fossé ? Passez à autre chose. Nous aimerions en fait rester sur place, et obtenir des réponses à ces questions, mais nous sommes déplacés. Vers le bus. Au tarmac, à l’avion. Pour Perth. Pour Sydney. A Canberra.

    The Guardian, 05/11/2021

  • Voilà pourquoi Macron a traité Morrison de menteur

    Voilà pourquoi Macron a traité Morrison de menteur – Morrisona affirmé que les Français savaient que le contrat d’achat de 12 sous-marins par l’Australie était sur le point d’être rompu en septembre en faveur d’un partenariat de sous-marins nucléaires avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

    Emmanuel Macron a publiquement traité Scott Morrison de menteur parce qu’il était tellement en colère d’être « laissé de côté » dans la région du Pacifique, selon un expert de la France.

    Interrogé par des journalistes lors du sommet sur le climat COP26 à Glasgow pour savoir si M. Morrison lui avait menti avant de déchirer un contrat de sous-marin de 90 milliards de dollars, le président Macron a répondu : « Je ne pense pas, je sais ».

    M. Morrison a nié avoir menti à M. Macron et a insisté sur le fait que les Français savaient que le contrat d’achat de 12 sous-marins par l’Australie était sur le point d’être rompu en septembre en faveur d’un partenariat de sous-marins nucléaires avec les États-Unis et le Royaume-Uni.

    La manifestation publique de la colère du président Macron était très inhabituelle et reflète la fureur de Paris face à l’annulation de ce que la presse française a appelé « le contrat du siècle », qui aurait apporté d’énormes avantages économiques.

    Le ministre australien de la Défense, Peter Dutton, a affirmé que la colère du président Macron était une tentative de gagner les électeurs français avec une élection en avril, mais l’expert en affaires françaises, le professeur Peter McPhee de l’Université de Melbourne, a déclaré qu’il était furieux parce que les intérêts stratégiques de la France ont été mis à mal.

    En mai 2018, le président Macron a annoncé pour la première fois une stratégie indo-pacifique, exposant les priorités de la France pour la région – où elle possède des territoires en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française – telles que le renforcement de la défense et de la sécurité, l’augmentation de la croissance économique et le respect de l’État de droit dans un contexte d’affirmation croissante de la Chine.

    La promotion de la coopération entre « partenaires partageant les mêmes idées » était un élément clé de la stratégie et le contrat de sous-marin avec l’Australie faisait partie de cet objectif plus large.

    ‘En mai 2018, Macron a annoncé une stratégie indo-pacifique française alors qu’il se tenait à côté du Premier ministre de l’époque, Malcolm Turnbull, à Sydney’, a déclaré le professeur McPhee au Daily Mail Australia.

    En mai 2018, le président Macron a annoncé pour la première fois une stratégie indo-pacifique. En photo : Des navires alliés mènent des opérations dans l’Indo-Pacifique le mois dernier.

    En mai 2018, le président Macron (deuxième à gauche) a annoncé une stratégie indo-pacifique française alors qu’il se tenait aux côtés du Premier ministre de l’époque, Malcolm Turnbull (deuxième à droite) à Sydney.

    ‘Et dans une mise à jour aussi récente que le mois d’août de cette année, le contrat de sous-marins avec notre « grand allié » l’Australie a été considéré comme assez pivotant pour cela.

    La France a développé une stratégie majeure pour la région et cette annulation est au cœur de cette stratégie », a-t-il ajouté.

    Le gouvernement français s’est senti exclu des décisions stratégiques clés concernant l’Indo-Pacifique.

    Il ne s’agit pas seulement d’un contrat de sous-marin, mais de la place de la France dans la région ».

    Le professeur McPhee a déclaré qu’il était extrêmement rare qu’un dirigeant accuse publiquement un allié de mentir.

    Je ne peux vraiment pas penser à une occasion précédente. Macron a considéré l’Australie comme le partenaire clé de la France dans le Pacifique et pour un allié, dire que le leader d’un pays allié a menti – c’est normalement quelque chose qui se fait autour d’un verre plutôt qu’en marge d’une conférence « , a-t-il déclaré.

    Cela a été fait très délibérément. Il y avait de la poudre aux yeux derrière ce qu’il a dit. Macron était furieux, et pas seulement à cause des sous-marins ».

    Lorsque M. Dutton a affirmé que le président Macron montrait sa colère pour séduire les électeurs français en prévision d’un défi lancé par le leader d’extrême droite Marine Le Pen, il a répondu : « Les politiciens et les élections forment toujours un mélange intéressant ».

    Le ministre de la défense, Peter Dutton, a affirmé que le président Macron (photographié avec sa femme Bridgette le mois dernier) montrait sa colère pour séduire les électeurs français avant l’élection présidentielle d’avril.

    Le président Macron doit faire face à un défi de la part de la candidate d’extrême droite Marine Le Pen (photo) à l’approche des élections d’avril 2022.

    Le professeur McPhee a déclaré que la politique intérieure était un facteur, mais que tous les partis en France avaient une réaction similaire à l’annulation du sous-marin.

    Pour Macron, oui, c’est humiliant à l’approche des élections, mais tous les partis politiques français ont été indignés par ce qui s’est passé », a-t-il déclaré.

    La remarque de Dutton est une remarque facile pour minimiser l’importance de cette affaire, juste pour dire « les Français font de la politique », mais il y a beaucoup plus que cela.

    Il faut dire que l’indignation en France a touché tout le spectre politique.

    Le principal journal de gauche en France, Libération, a consacré huit pages à l’annulation du contrat.

    Le principal journal conservateur, Le Figaro, a eu à peu près la même réaction », a-t-il déclaré.

    Plus de 1,6 million de personnes vivent en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française et les trois quarts de la zone économique exclusive française se trouvent dans l’Indo-Pacifique.

    La Nouvelle-Calédonie est confrontée à un troisième référendum sur l’indépendance le 12 décembre.

    M. Morrison (en photo à la conférence sur le climat de Glasgow) a nié avoir menti à M. Macron et a insisté sur le fait que les Français savaient que l’accord d’achat de 12 sous-marins par l’Australie était en péril avant qu’il ne soit déchiré en septembre.

    M. Morrison a annoncé sa décision d’annuler le contrat français de sous-marins lors d’une conférence de presse conjointe avec Boris Johnson et Joe Biden en septembre.

    M. Morrison souhaite disposer d’ici 2040 de sous-marins à propulsion nucléaire de type américain ou britannique, plus furtifs et pouvant rester en mer plus longtemps que les sous-marins conventionnels.

    La France a été prise de court par cette décision et s’est dite « poignardée dans le dos ».

    Après que M. Macron a accusé M. Morrison de lui avoir menti lundi, le Premier ministre australien a répliqué en déclarant qu’il n’accepterait pas d’être « trahi ».

    Le président français a affirmé qu’il n’avait pas été informé des projets de l’Australie de rompre le contrat de défense avant que le pacte de sécurité AUKUS ne soit révélé au monde entier le 15 septembre.

    Mais dans un message qui aurait été divulgué par le bureau de M. Morrison pour montrer que M. Macron savait que l’accord reposait sur des bases fragiles, le dirigeant français a écrit : « Dois-je m’attendre à de bonnes ou de mauvaises nouvelles pour nos ambitions communes en matière de sous-marins ?

    Bien que M. Morrison ait admis que M. Macron n’était pas au courant des négociations avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, en raison de leur nature confidentielle, il affirme que le dirigeant français a été informé dès le mois de juin que l’Australie consultait d’autres options pour les sous-marins.

    Un SMS secret (photo) semble montrer qu’Emmanuel Macron a été averti que l’Australie allait torpiller son contrat de 90 milliards de dollars avec la France pour des sous-marins.

    Une poignée de main maladroite à Rome entre le Premier ministre australien Scott Morrison (à droite) et le président français Emmanuel Macron (à gauche).

    Daily Mail online, 02/11/2021

  • Affaire AUKUS: Des messages de Macron à Morrison divulgués

    Affaire AUKUS: Des messages de Macron à Morrison divulgués – Les médias australiens ont publié mardi des messages entre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre australien Scott Morrison

    CANBERRA, 2 novembre (Reuters) – Les médias australiens ont publié mardi des messages entre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre australien Scott Morrison, Canberra cherchant à se défendre contre les allégations selon lesquelles elle aurait menti à Paris au sujet d’un contrat de sous-marins de plusieurs milliards de dollars.

    En septembre, l’Australie a annulé un contrat avec le groupe français Naval Group, choisissant de construire au moins 12 sous-marins à propulsion nucléaire après avoir conclu un accord avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.

    L’annulation a provoqué une rupture bilatérale majeure, et Macron a déclaré dimanche que Morrison lui avait menti sur les intentions de l’Australie, une allégation sans précédent chez les alliés. Morrison a démenti cette allégation.

    Selon une source familière avec les messages, lorsque Morrison a essayé d’organiser un appel avec Macron au sujet du contrat des sous-marins le 14 septembre, deux jours avant l’annonce de l’accord avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, Macron a répondu par un message disant « Dois-je m’attendre à de bonnes ou de mauvaises nouvelles pour nos ambitions communes en matière de sous-marins ? » Le message contenant la réponse de Morrison n’a pas été divulgué.

    La source a refusé d’être identifiée en raison de la sensibilité de la question.

    La France a déclaré que l’Australie n’a pas tenté de l’informer de l’annulation jusqu’au jour où Canberra a annoncé son accord avec les États-Unis et la Grande-Bretagne.

    « Il ne fait aucun doute que Morrison avait besoin de se mettre en avant et de convaincre les Australiens et les alliés qu’il n’était pas duplicite et qu’il ne mentait pas, mais il y avait une grave inquiétude que le projet ne soit pas mené à bien », a déclaré Haydon Manning, professeur de sciences politiques à l’université Flinders en Australie-Méridionale.

    Ce mois-ci, l’Union européenne a reporté pour la deuxième fois le prochain cycle de négociations sur un éventuel accord de libre-échange, dans un contexte de colère latente face à la décision de Canberra d’annuler le contrat avec la France.

    Reuters, 02/11/2021

  • France-USA : Maladresse

    France-USA : Maladresse – Le président américain reconnaît une attitude «maladroite».

    La crise des sous-marins australiens a signé il y a six semaines une montée de tension entre les États-Unis et la France. Pourtant, nombreux étaient ceux dans l’Hexagone à avoir estimé que la réponse de Paris face à cette trahison diplomatique était bien faible et contribuait à maintenir la perception d’une France faible. Finalement, Joe Biden et Emmanuel Macron se sont rencontrés à Rome vendredi pour apaiser les tensions. Le président américain reconnaissant une attitude «maladroite».

    Le président français a salué devant son homologue américain «les décisions concrètes» prises qui «amorcent un processus de confiance» renouvelée entre la France et les États-Unis, après la crise des sous-marins. «Ce que nous avons fait était maladroit et n’a pas été fait avec beaucoup d’élégance», a déclaré, à ce propos, le président américain, l’acte de contrition le plus clair à ce jour de la part des Américains. Biden a ajouté que la France était à ses yeux «un partenaire d’une extrême valeur», en s’adressant aux journalistes auprès de son homologue français qui le recevait à la Villa Bonaparte, ambassade de France auprès du Vatican. Le président français a quant à lui estimé qu’il était temps de tourner la page. «Nous avons clarifié ce que nous avions à clarifier», a-t-il dit.

    Dans les attentes françaises, il y a notamment un soutien clair des Américains à propos du projet de véritable défense européenne commune, cher à Paris. Selon Emmanuel Macron, cette idée, que Washington n’a pas toujours accueillie avec le plus grande chaleur, est tout à fait compatible avec l’Otan, l’alliance militaire transatlantique pilotée par les États-Unis. Paris voudrait aussi plus de soutien aux interventions militaires contre les jihadistes au Sahel, Emmanuel Macron saluant les premières mesures concrètes mises en œuvre sur le terrain par les États-Unis. La rencontre des deux hommes, qui se sont vus en tête-à-tête avant d’être rejoints par leurs délégations, devait déboucher sur un communiqué, a déjà fait savoir la Maison-Blanche. Pour Paris, le fait que le gigantesque convoi présidentiel américain, 84 voitures, se déplace en terre française était déjà un signe de la volonté américaine de recoller les morceaux. Les États-Unis avaient été visiblement pris de court par la réaction française à l’annonce mi-septembre d’une nouvelle alliance baptisée «Aukus», entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni dans la zone indopacifique. Outre le fait de ne pas avoir été consulté, Paris avait été très dépité par la première conséquence de ce partenariat : l’abandon par l’Australie d’un mégacontrat de sous-marins français. Mécontent, Emmanuel Macron, après avoir rappelé l’ambassadeur de France aux États-Unis, avait attendu une semaine avant de s’entretenir avec Joe Biden le 22 septembre, une discussion téléphonique qui avait permis d’amorcer la détente. Cette rapide réconciliation, durant laquelle Biden s’excuse rapidement et arrive avec 90 minutes de retard, va encore échauffer les passions de ceux qui critiquent déjà la faible réponse de Paris face à la trahison américaine qui a fait perdre la somme de 56 milliards d’euros (90 milliards de dollars) à l’État français. Des candidats à la présidentielle de 2022 ont notamment pointé du doigt l’incapacité de Macron de faire respecter son pays à l’international et ne manqueront pas d’utiliser cette affaire durant la campagne présidentielle pour le mettre en difficulté. Du côté américain, l’on critique déjà Biden pour avoir seulement avoué une «maladresse» dans l’affaire des sous-marins australiens.

    Fouzia Mahmoudi

    Le Jour d’Algérie, 30/10/2021

  • Impact géopolitique du retrait des USA d’Afghanistan

    Etats-Unis, Afghanistan, OTAN, AUKUS, Australie, Royaume Uni,

    La sortie définitive des États-Unis d’Afghanistan et le trouble qu’elle a créé chez les alliés, principalement en raison des conditions dans lesquelles elle s’est produite, continuent d’avoir un impact sur l’agenda stratégique des parties prenantes en Syrie et dans la région. Un autre signe du « pivot » américain a été l’annonce du partenariat avec le Royaume-Uni et l’Australie (AUKUS) pour la vente de sous-marins à propulsion nucléaire à cette dernière. La récente réunion de la « QUAD » (États-Unis, Inde, Japon, Australie) à la Maison Blanche a été la dernière confirmation de l’importance accordée par l’administration Biden à la région indo-pacifique et à la rivalité avec la Chine. Une situation ironique alors que l’UE prépare sa propre stratégie indo-pacifique. Les tensions transatlantiques sont donc loin de diminuer. SOS Blinken s’est rendu à Paris début octobre et le président américain Biden s’est entretenu avec son homologue français dans un effort évident pour apaiser les tensions entre Paris et Washington. Aucun résultat visible jusqu’à présent.

    Les consultations de l’ESNU Pedersen ont permis un accord de principe des parties pour la reprise des pourparlers sur le Comité constitutionnel à Genève le 18 octobre (cf. déclaration au CSNU du 28 septembre). Ce résultat fait suite à sa visite à Damas, où il a rencontré le FM Mekdad et le chef de la délégation du régime aux pourparlers de Genève, à Istanbul où il a rencontré des représentants de l’opposition menés par Anas Al Abde et des officiels turcs. Ces derniers ont souligné l’importance du processus d’Astana et du partenariat avec le Qatar. L’accord est également le résultat de ses consultations avec les Américains et les Russes.

    Il reste prudent quant aux chances de succès. Certes, la méthode acceptée par les parties apporte une nouvelle dynamique, c’est-à-dire des discussions plus « orientées vers les résultats », et des perspectives de calendrier pour parvenir à un résultat final d’installation d’une réforme constitutionnelle concrète. Mais la réponse de Damas reste clairement prudente, suivant le ton du discours d’investiture provocateur d’Assad en juillet dernier. D’autre part, le dialogue russo-américain ne semble pas encore très dense, notamment sur le  » pas à pas « , qui devrait prendre place dans les négociations à Genève. Il n’en reste pas moins que le temps presse et que l’on ne peut se permettre de revenir au tempo lent et parfois régressif de ces derniers mois. Un engagement américain plus fort, incluant la nomination d’un nouvel envoyé spécial, est nécessaire. Aucun rôle européen visible pour l’instant. L’opposition syrienne critique la communauté internationale pour son manque d’engagement derrière le processus de paix.

    Cette situation amène les pays arabes (notamment la Jordanie, les EAU, le Bahreïn et l’Égypte, si ce n’est l’Arabie saoudite) à explorer davantage la notion de normalisation avec le régime de Damas. Ils partagent avec Israël l’inquiétude de voir l’Iran se montrer plus agressif en Syrie. La Jordanie et Israël en particulier refusent de voir les milices soutenues par l’Iran renforcer leur présence près de leurs frontières. C’est ce qu’a fait savoir le ministre israélien des affaires étrangères Lapid lors d’une visite à Moscou (alors que Lavrov exprimait l’impatience de la Russie face aux frappes israéliennes répétées contre le territoire syrien). La Jordanie a fait la même remarque à Moscou, notamment lors d’une rencontre du roi Abdallah avec Poutine en août dernier. Dans le même temps, Amman souhaite voir les échanges avec la Syrie reprendre pour des raisons économiques.

    La livraison d’hydrocarbures iraniens au Liban via les ports syriens a conduit à une réunion des ministres de l’énergie jordanien, égyptien, syrien et libanais à Amman le 8 septembre. Ils se sont mis d’accord sur une feuille de route pour fournir du gaz naturel égyptien au Liban via la Jordanie et la Syrie, dès que la Syrie aura réparé la section du gazoduc située sur son territoire. Ils ont également approuvé des plans visant à approvisionner le Liban en électricité depuis la Jordanie via le territoire syrien. Le ministre syrien de l’électricité a mentionné un coût de 3,5 millions de dollars pour la réhabilitation du réseau électrique dans le sud de la Syrie. Le ministre libanais de l’énergie a déclaré que son pays était en contact avec la Banque mondiale pour le financement de l’approvisionnement en gaz égyptien. Le jour même de cette réunion ministérielle, les forces armées syriennes sont entrées dans la vieille ville de Daraa après des semaines de siège et après un accord négocié par la Russie avec les rebelles de la province. Une conquête essentielle pour permettre la mise en place de l’accord de fourniture de gaz et d’électricité.

    Par ailleurs, le ministre de la défense et chef d’état-major syrien, le général Ali Abdullah Ayyoub, s’est rendu à Amman le 19 septembre où il a rencontré son homologue jordanien, le général Yousef Hunaiti, chef d’état-major, pour discuter de la sécurité des frontières après la prise de contrôle de Daraa par le régime et du poste frontière de Nassib. Cela confirme l’approche jordanienne (sécurité et intérêts économiques, notamment le commerce avec l’Europe) ainsi que l’attitude pragmatique de Damas. Pour couronner le tout, le président syrien Bachar al-Assad et le roi Abdallah de Jordanie se sont entretenus au téléphone le 3 octobre, la première conversation publiquement connue entre les deux dirigeants depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011. Les deux dirigeants ont « discuté des relations entre les deux pays frères et des moyens de renforcer la coopération », selon un communiqué du palais royal jordanien. Abdallah a déclaré que son gouvernement soutient l’intégrité territoriale, la stabilité et la souveraineté de la Syrie – un clin d’œil à la position d’Assad selon laquelle toute la Syrie déchirée par la guerre doit revenir sous le contrôle de Damas et un long chemin depuis le soutien initial de la Jordanie aux groupes rebelles en Syrie.

    Il s’agit sans aucun doute d’une victoire pour le régime.

    C’est aussi un succès du dialogue russo-américain initié avec la rencontre au sommet Poutine-Biden à Genève et qui se poursuit au niveau des experts des deux nations. Cette approche « pas à pas » a également permis aux Etats-Unis de s’engager à ne pas soumettre les travaux de réhabilitation des infrastructures électriques dans le sud de la Syrie aux sanctions de l’Acte de César.

    La Turquie, quant à elle, doit s’écarter de ses priorités : soutenir l’opposition dans le nord-ouest et faire face à une nouvelle offensive du régime à Idlib, combattre les milices kurdes, contenir l’afflux de réfugiés et gérer ses relations avec ses alliés occidentaux. L’offensive de Damas avec le soutien de la Russie à Idlib produit des tensions avec Moscou. Des soldats turcs ont été tués récemment dans une attaque de groupes rebelles. Les rivalités entre groupes djihadistes, la mauvaise gouvernance et leurs exactions contre la population locale (notamment les médias) compliquent sa tâche. Selon les rumeurs, les chefs des services de renseignement turcs et syriens se seraient rencontrés à Bagdad.

    La Russie contrôle plus que jamais le jeu, sur le terrain comme on l’a vu à Dara et Idlib récemment, ainsi qu’au niveau diplomatique. En plus de poursuivre des échanges discrets avec les Américains, elle a multiplié les rencontres avec les représentants des pays de la région. Assad a rencontré Poutine le 13 septembre à Moscou pour la première fois depuis 2018. La discussion a tourné autour de la situation dans le nord-ouest et du sort des accords de cessez-le-feu.

    Des représentants des factions kurdes de l’est de la Syrie, dont l’AANES (Administration autonome du nord-est de la Syrie), se sont également rendus à Moscou. L’AANES tente d’obtenir les garanties de Moscou pour protéger le nord-est de la Syrie contre l’invasion de l’ARS (Armée nationale syrienne) et de la Turquie, et de pouvoir négocier avec Damas des conditions spéciales pour la région dominée par les Kurdes. De telles demandes sont considérées avec scepticisme par Moscou tant que le SDF (Syria Democratic Forces) est un allié militaire des États-Unis. Mais les Kurdes prévoient sans doute des options de secours en cas de départ des Américains.

    Et bien sûr, la Russie profite également des tensions transatlantiques mentionnées ci-dessus. La rencontre entre Poutine et Erdogan à Sotchi le 29 septembre semble avoir privilégié le style sur la substance, chaque dirigeant semblant mesurer le pouvoir de l’autre à imposer ses priorités et son statut sur la scène intérieure de son pays, tout en soulignant l’importance de la relation entre leurs deux pays, tant sur le plan stratégique qu’économique. Ni le ministre turc des affaires étrangères ni le ministre turc de la défense ne faisaient partie de la délégation d’Erdogan. Aucune conférence de presse conjointe n’a été organisée à l’issue de la rencontre. Outre l’Afghanistan, la Libye et le Caucase, la Syrie était à l’ordre du jour, notamment la situation à Idlib où l’accord de stabilisation entre Moscou et Ankara reste fragile. Comme pour réaffirmer le rapport de force, l’armée russe a mené des frappes contre l’enclave dans les zones contrôlées par les HTS et à Afrin contre des positions des ANS le 26 septembre. Les médias turcs font également état d’un mécontentement au sein de l’armée turque concernant les opérations dans le nord-ouest de la Syrie. Ankara n’est pas non plus particulièrement à l’aise avec l’invitation faite à l’AANES des YPG, dominée par les Kurdes, pour des contacts à Moscou le 16 septembre, juste après la visite d’Assad le 13 septembre.

    Quant à l’UE et aux Européens, ils peinent à trouver enfin un rôle stratégique digne de la boussole du même nom. Le consensus semble s’effriter, y compris sur la question de la normalisation avec le régime.

    Cependant, ils ne peuvent pas rester les bras croisés face au scepticisme croissant quant aux chances de succès du processus politique. Par ailleurs, la situation humanitaire désastreuse en Syrie et le traitement cruel et dégradant des réfugiés de retour au pays, mis en évidence dans le dernier rapport d’Amnesty International le mois dernier, ne nous permettent pas de rester les bras croisés. De même après le rapport du Réseau syrien pour les droits de l’homme (RSDH) qui indique que 94 civils ont été tués lors d’exécutions extrajudiciaires en Syrie en août dernier, dont 32 enfants, 10 femmes et autres. Le rapport note que c’est dans le gouvernorat de Daraa que l’on a constaté le plus de victimes civiles aux mains du régime.

    Cette destruction de la société civile en plus des infrastructures risque d’aboutir à un État failli qui rend toute reconstruction problématique même si les conditions politiques que nous posons sont plus ou moins remplies. Une réflexion s’impose sur les leviers dont nous disposons pour infléchir ce cours désastreux, en coordination et en dialogue avec les autres acteurs qui partagent tout ou partie de ces préoccupations, y compris les pays arabes.

    Marc Otte

    Egmont Institute, 14/10/2021