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  • Assassinat de Ben Barka : Le roi et le Mossad

    Tags : Maroc, France, Ben Barka, Israël, Mossad,

    L’affaire risque de souiller un peu plus le palais royal et son makhzen. Les services secrets marocains (le Mossad) ont donné un sacré de pouce au roi Hassan II pour se débarrasser de l’illustre opposant Mehdi Benbarka. Cet assassinat coordonné entre Rabat et Tel Aviv fait les choux gras de la presse israélienne, française et même marocaine.

    L’hebdomadaire marocain Tel Quel a publié de larges extraits de l’enquête. Premier à ouvrir la boite de pandore, le quotidien israélien Yedioth Aharonoth a publié le 23 de ce mois une enquête exhaustive sur les relations entre le Mossad et le Maroc et établi preuve à l’appui l’implication des services secrets israéliens dans l’enlèvement puis l’assassinat atroce de l’opposant Mehdi Ben Barka.

    Cette sulfureuse enquête s’appuie sur des «sources israéliennes», qui avouent l’existence de contacts entre le Mossad et le général Oufkir, ministre de l’Intérieur et de la Défense sous Hassan II. Pis encore, ces gorges profondes d’Israël racontent même les circonstances horribles dans lesquelles se serait déroulé l’assassinat de l’opposant d’Hassan II.

    Ronen Bergman et Shlomo Nakdmon, les deux journalistes à l’origine de ces révélations, ont expliqué s’être notamment appuyés sur des documents officiels israéliens secrets. Ils ont ainsi pu consulter des archives de l’un des plus proches conseillers du Premier ministre qui confirme des rencontres entre le chef du Mossad, Meir Amit, et le Premier ministre israélien Levi Eshkol.

    Une enquête explosive

    Pourquoi le Mossad a-t-il jugé utile de donner un coup de main au roi Hassan II pour tuer Ben Barka ? Explication des enquêteurs israéliens : «Au début des années 1960, le Mossad se fixe comme objectif de rentrer en contact avec les services marocains. Car le Maroc est un pays arabe en contact rapproché avec les principaux ennemis d’Israël. De plus, Hassan II est perçu comme un chef d’État « relativement pro-occidental».

    Ronen Bergman et Shlomo Nakdmon expliquent que la relation entre le royaume et l’État hébreu a débuté en 1960, lorsque ’Hassan II était encore prince héritier. Un an plus tard, suite à son couronnement, Israël demande au roi Hassan II de permettre aux Juifs marocains d’émigrer en Israël. Mohammed Oufkir, responsable des services secrets à l’époque, aurait servi d’intermédiaire et c’est lui qui aurait conclu l’accord avec les agents du Mossad, instituant le versement de 250 dollars pour chaque citoyen juif marocain, avancent les deux journalistes. La rétribution financière concernant le transfert de 80 000 citoyens juifs marocains (deux millions de dollars) aurait été placée, selon le Yedioth Aharonoth, sur un compte secret en Europe.

    Guerre des «Six Jours», le roi aux côtés d’Israël…
    Suite à la mise en place de ces contacts, Hassan II aurait demandé une protection rapprochée de la part des agents du Mossad. « Le roi avait peur d’être assassiné […], il avait beaucoup d’ennemis », a confié l’un de ses anciens gardes du corps, David Shmoron, au quotidien israélien.

    On y apprend aussi que le roi Hassan II était soucieux de la stabilité de son régime et soupçonnait l’Algérie et l’Égypte de soutenir «plusieurs éléments de l’opposition monarchique». Les choses s’accélèrent avec le début de la «guerre des Sables», en 1963, quand le Maroc a envahi le sud ouest algérien. L’enquête révèle que le chef du Mossad, Meir Amit, embarque dans un avion en direction de Marrakech, avec un faux passeport, et rencontre le roi Hassan II, lui déclarant : « Nous pouvons aider et nous voulons aider ».

    Une proposition qui aurait été acceptée par Hassan II, et qui aurait permis au Maroc de bénéficier des renseignements provenant d’Israël, mais aussi de pilotes aguerris ainsi que d’armement israélien. En échange, les services de l’État hébreu avaient accès aux prisonniers égyptiens venus combattre aux côtés des Algériens. Durant le même temps, le Mossad a également installé une station permanente à Rabat. «Vendre» ses frères pour la peau de Ben Barka Pire, l’agent du Mossad, Rafi Eitan a reconnu à Yedioth Ahronoth que les services marocains ont informé leurs homologues israéliens des «faiblesses militaires des pays arabes exposées lors de la conférence de la Ligue arabe de 1965 à Casablanca».
    De précieux renseignements qui ont été décisifs dans la défaite militaire des arabes lors de la guerre des «Six Jours» en 1967. Une collaboration marocaine qui a été «payée» auparavant par Israël dont les services de renseignements furent chargés de repérer puis liquider l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en 1963.

    Le journal Yedioth Aharonoth souligne que dans les documents des services israéliens, le nom de code de l’opposant est généralement «BB». Mehdi Ben Barka est localisé à Genève et aurait débarqué à Paris le 29 octobre 1965, «équipé d’un passeport diplomatique algérien » selon le journal. Ce jour-là, il part à la rencontre d’un journaliste à la brasserie Lipp. Une rencontre qui n’aurait été qu’un leurre censé attirer Ben Barka, selon l’historien Yigal Ben-Nun. A quelques encablures du restaurant, l’opposant est embarqué par deux policiers, qui n’auraient été en fait que des mercenaires français payées par le second d’Oufkir, Ahmed Dlimi. Il aurait ensuite été emmené vers un appartement où il aurait été torturé pendant au moins 3 jours : «battu, et brûlé avec des cigarettes».

    Des agents du Mossad racontent l’horrible crime

    La victime a, ensuite selon le Yedioth Ahronoth, été électrocuté et sa tête plongée dans une baignoire. « Ils (les Marocains, ndlr) ont rempli une baignoire d’eau. Dlimi a plongé sa tête et voulait qu’il (Ben Barka, ndlr) révèle des informations […], ils ont mis sa tête sous l’eau un peu trop longtemps jusqu’à ce qu’il devienne complètement bleu», a témoigné Elizer Sharon, un agent du Mossad qui s’est confié aux deux journalistes avant son décès.

    Une fois la mort de l’opposant constatée, les agents du Mossad, lit-on encore, «se sont emparés de son corps et ont décidé de s’en débarrasser en l’enterrant dans le bois de Saint-Germain-en-Laye et en le saupoudrant de produits chimiques qui devaient consumer le corps». Le corps de Mehdi Ben Barka est certes réduit en poudre, mais son cri d’outre tombe résonne encore dans les oreilles des anciens du makhzen.

    Bien que l’establishment français maintienne la chape de plomb sur cette scabreuse affaire d’assassinat politique, la vérité commence à faire son chemin. Le journal Le Monde a publié lundi un entretien avec l’un des journalistes auteur de l’enquête qui confirme l’implication du Mossad dans le meurtre de Ben Barka. La justice française pourra-t-elle rester indéfiniment aveugle face à de telles révélations ? Pas si sûr.

    #Maroc #France #Israël #Mossad #Ben_Barka

  • L’affaire Ben Barka : l’opinion des renseignements français

    L’affaire Ben Barka : l’opinion des renseignements français

    Maroc, Ben Barka, France, Israël, Mossad, renseignement français, SDECE,

    Gérald Arboit

    Aborder l’Affaire Ben Barka du point de vue des services de renseignement revient à délaisser les interrogations et les suspicions de la querelle politicienne, dans laquelle l’Affaire s’est enferrée depuis la pantalonnade des deux procès de 1966 et 1967. De cette analyse, reposant sur l’abondante bibliographie publiée[1] et quelques documents d’archives provenant des services français[2] et américains[3], le mystère politique ne sera certainement pas levé. Toutefois, l’Affaire sera rétablie dans son double contexte géopolitique. La disparition du dirigeant révolutionnaire internationaliste El Medhi Ben Barka doit en effet être replacée dans son époque, à savoir le Maroc des lendemains de l’indépendance et de l’accession d’Hassan II au trône. Elle doit aussi l’être en regard du « Grand Jeu » des services de renseignement au milieu des années 1960. Aussi, cette analyse n’entend pas apporter une réponse à la polémique entourant la disparition du responsable politique marocain, mais bien montrer comment les services de renseignement du Royaume chérifien et d’Israël ont pu monter une opération et comment le ministère de l’Intérieur français se servit de la révélation de l’enlèvement de Ben Barka pour mener une opération de déstabilisation à l’encontre du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE)

    Le renseignement marocain et Ben Barka

    Pour bien comprendre les ressorts de l’Affaire Ben Barka, il convient de se pencher dans un premier temps sur la structure de renseignement marocaine. Celle-ci est moins héritée de la période du protectorat, comme le suggérerait son nom de Sûreté nationale, que des conceptions personnelles du pouvoir de Mohamed V et surtout de son fils, le futur Hassan II, à qui il laissa la haute main sur les affaires de sécurité nationale (police et armée). Les deux souverains connaissaient la fragilité de la cohésion nationale autour de leur trône et utilisèrent les possibilités offertes par la police et les Forces armées royales, créées le 13 mai 1956, pour contenir les tentations sécessionnistes (opération franco-hispano-marocaine Ecouvillon-Ouragan[4] dans le Sahara espagnol, 1957-1958 ; insurrection du Moyen-Atlas, février 1960) et la guérilla urbaine, comme le Croissant noir (proche du Parti communiste), à laquelle s’ajoutait l’agitation étudiante et syndicale créée par une situation économique et sociale indigente. Pour garantir l’efficacité de sa police, Mohamed V entreprit une radicale politique de « marocanisation », qui se traduit par le renvoi, à compter du 1er juillet 1960, des quelques trois cents policiers français restés à la Sûreté nationale[5]. Confiée depuis l’indépendance à Mohamed Laghzaoui, riche homme d’affaires proche de l’Istiqlal (parti nationaliste), la Sûreté nationale dépendait pour administration du ministre de l’Intérieur par le laconique dahir (décret royal) du 16 mai 1956[6]. Mais, Laghzaoui, spécialiste des « coups tordus », resta avant tout l’homme-lige du prince héritier. A partir de janvier 1958, il commença à organiser une série de brigades spéciales confiées à des fidèles et dépendant uniquement de son cabinet, d’où leur dénomination de CAB. Véritables polices politiques autant que commandos urbains, ils furent créés en fonction des besoins sécuritaires du moment. Le CAB1 fut ainsi dirigé contre la subversion de la gauche nationaliste, comme l’Union nationale des forces populaire (UNFP), de Ben Barka[7]. Sept autres suivirent jusqu’au dahir du 17 juillet 1958, le CAB7 étant chargé des interrogatoires ; selon les canons de la lutte contre-insurrectionnelle développée en Indochine et en Algérie[8], la « Septième » devint l’antre de la torture à laquelle furent soumis les différents opposants au régime alaouite.

    A partir de l’accession d’Hassan II à la plénitude du pouvoir royal, au décès de son père le 26 février 1961, cette structure de sécurité intérieure devint la colonne vertébrale du régime jusqu’en 1972. A compter du 13 juillet 1960, un fidèle parmi les fidèles, son compagnon d’armes au cours d’Ecouvillon-Ouragan, le lieutenant-colonel Mohamed Oufkir remplaça Laghzaoui, tout en gardant les sept CAB créés par son prédécesseur, qui avait jugé prudent d’emmener avec lui leurs personnels[9]. Brillant officier « français » – huit citations, deux croix de guerre (1939-1945 et théâtres opérations extérieures) avec palmes et étoiles, officier de la Légion d’honneur (1949) -, Oufkir ne fut versé que le 28 février 1957 seulement dans les Forces armées royales. Toutefois, il navigua à compter du 1er mars 1950 dans les sphères royales. Jusqu’en novembre 1955, cet ancien lieutenant du régiment de marche du 4e régiment de tirailleurs marocains en Indochine fut affecté au cabinet militaire du commandant supérieur des troupes françaises, le général Maurice Duval. Il devint ensuite l’aide-de-camp des derniers résidents généraux, puis de Mohamed V à son retour d’exil[10]. Il s’affirma rapidement comme un familier du prince-héritier, au point que l’ambassadeur de France, Alexandre Parodi, nota perfidement que « sa femme [était] la maîtresse du roi. A diverses reprises, on l’a[vait] vu sortir du harem royal. Il fermerait les yeux complaisamment sur son infortune »[11]. Homme de confiance d’Hassan II, promu colonel le 1er janvier 1962, il s’avéra un fidèle exécutant de la volonté royale, à l’image du nationaliste Laghzaoui qu’il remplaçait. Après lui avoir fait suivre un stage dans le renseignement militaire, Oufkir s’entoura du lieutenant de parachutiste Ahmed Dlimi, qu’il avait rencontré au cours d’Ecouvillon-Ouragan. Il confia à ce « Français » la direction du premier CAB[12].

    L’ancien chef de gouvernement Abdallah Ibrahim, donna une vision plutôt juste du mandat et de la latitude de cet officier à la tête de la Sûreté nationale :

    « Oufkir (…) était un homme façonné par l’armée, et dont le cerveau ne fonctionnait que par les vertus de l’armée (…). Il a transformé le Maroc tout entier en centre de renseignement, y compris au sein de l’UNFP. Pas de morale, pas d’éthique. C’est un lourd handicap qui a ouvert la porte à une politique de violence officielle.[13] »

    Par « armée », il fallait d’abord entendre l’armée française. Aussi bien Oufkir que son adjoint Dlimi firent, directement pour l’un, à l’instruction pour l’autre[14], l’expérience des guerres de la décolonisation et de leurs déviances en termes de maintien de l’ordre[15]. S’il n’était pas certain qu’Oufkir eût un rôle actif dans l’opération visant à arrêter les chefs du Front de libération nationale algérien du 22 octobre 1956, ni qu’il fut approché, cinq ans plus tard, par les « Barbouzes » chargées par Roger Frey de lutter contre l’Organisation de l’armée secrète (OAS) en Algérie (novembre 1961-mars 1962), il était clair que le directeur de la Sûreté nationale jouât un rôle dans les missions de « la Main rouge », faux-nez du SDECE et de la DST, au Maroc[16]. Cette violence importée se retrouva bien vite inscrite dans un cycle proprement marocain enclenché bien avant son accession à ce poste. La menace intérieure ne fut jamais jugulée, les conjurations se succédant sans que jamais l’on sache si elles étaient avérées ou imaginées (février 1960, juin-juillet 1963 contre l’UNFP ; mars 1965 contre les étudiants et les syndicats), et qui finirent par emporter jusqu’à Oufkir (août-septembre 1972). Entre temps, Hassan II proclama l’état d’exception (7 juin 1965), interrompant pour cinq ans un difficile processus de dialogue politique et social ouvert par son Mémorandum aux partis politiques et aux organisations syndicales (20 avril 1965). Dans ce contexte se produisit l’enlèvement du principal opposant politique qu’était El Medhi Ben Barka. Décidée au printemps par Oufkir, promu général le 6 septembre 1963 et devenu ministre de l’Intérieur le 20 août 1964, cette opération fut confiée au CAB1.

    Le renseignement israélien et Ben Barka

    Pour mener une telle mission contre un homme qui parcourait le monde entier, les capacités du renseignement chérifien ne suffisaient pas. Les inspecteurs du CAB1 n’avaient d’ailleurs pas réussi à éliminer Ben Barka via un banal accident de la route, le 15 novembre 1962 ; l’opposant principal d’Hassan II s’en tira moyennant la fracture d’une vertèbre cervicale qui nécessita la pose d’un plâtre dans un hôpital allemand. Pour réussir l’enlèvement d’une cible aussi mouvante que médiatisée, il fallait disposer d’un réseau que la brigade spéciale de la Sûreté nationale marocaine n’avait évidemment pas. Ni ses missions de renseignement intérieur, ni la formation de ses personnels n’avaient été prévues pour opérer à l’étranger. Inévitablement, il fallut se tourner vers un service étranger. Mais Oufkir ne pouvait décemment pas demander au SDECE ou à la CIA d’intervenir. Certes, ils bénéficiaient des compétences pour mener à bien la mission, mais ils n’avaient aucun intérêt à le faire, surtout pour la minuscule Sûreté nationale. Pourtant, tous deux s’intéressaient aux activités du dirigeant internationaliste Ben Barka ; le premier le faisait depuis septembre 1959, le plaçant par intermittence pendant la guerre d’Algérie sur la liste des personnes à éliminer[17], tandis que la seconde semblait ne l’avoir découvert que deux ans plus tard à l’occasion d’un colloque florentin[18]. Mais, au « grand Jeu » des services, Oufkir n’était qu’un pion permettant à ces deux centrales d’obtenir des informations et des facilités sur le théâtre africain, comme au Congo, contre une simple aide technique, notamment en contre-insurrection. Le « premier flic » du Maroc n’était pas de ceux qui traitaient à égalité avec ces grandes maisons, si tant est que l’on pût traiter ainsi avec elles. Il fallait donc qu’Oufkir trouvât un partenaire à sa hauteur.

    Depuis août 1961, Oufkir avait également succédé à Laghzaoui dans la liaison avec le Ha-Mossad le-Modi’in u-le-Tafkidim Meyuhadim (Institut israélien pour le renseignement et les opérations spéciales). Son prédécesseur l’avait inaugurée à l’occasion de sa volte-face consécutive à l’arrestation d’un agent, Amos Ravel, à Casablanca, aux lendemains de l’indépendance : la découverte des filières d’évasion de la communauté juive marocaine en direction du jeune Etat hébreu avait conduit le directeur de la Sûreté nationale à ordonner la fermeture de la structure d’immigration, Qadimah, et la fin de l’aliya. L’action du représentant britannique de l’Agence juive mondiale, Alexander Easterman, avait permis, le 19 juin 1956, de faire revenir sur sa décision Laghzaoui, vraisemblablement contre une part des sommes versés par l’Agence juive pour chaque émigrant. Ayant mis officiellement fin à l’action de Qadimah (1949-1956), il accompagna l’opération clandestine pilotée par le Misgeret (1956-1961), la nouvelle structure mise en œuvre au sein du Mossad, malgré les vicissitudes de la vie politique marocaine[19]. Laghzaoui resta un acteur de la stratégie israélienne, rencontrant dans un premier temps Easterman[20], puis des responsables du Mossad, Jo Golan et Akiva Levinsky[21].

    Dans le même temps, Easterman, puis un agent personnel des Affaires étrangères israéliennes, André Chouraqui, enfin des agents du Mossad, Yaagov Caroz et Lili Castel, entretinrent une liaison avec Ben Barka ; il s’agissait de trouver une solution au blocage de l’opération du Misgeret consécutif au raidissement marocain. Avant même le renvoi de Laghzaoui, les Israéliens cherchèrent à trouver un interlocuteur dans l’entourage du prince héritier Moulay Hassan. La réussite de cette liaison, en août 1961, marqua également la fin de celle avec Ben Barka, devenu trop instable pour jouer encore un rôle au Maroc[22]. Au moment où le Mossad se détachait de lui, en mars 1960, l’ancien président de l’Assemblée consultative se laissa approcher par la Státní Bezpečnost (Sécurité d’Etat, StB) tchécoslovaque. Mieux, le 28 mars, il rencontra à 11 h 30 Caroz, qui ne lui laissa aucune illusion quant au soutien israélien à ses projets, et à 20 h 30, se rendit au dîner auquel le second secrétaire tchécoslovaque, le capitaine du StB Zdeněk Mičke, rencontré une semaine plus tôt au Fouquet’s, l’avait convié[23].

    Instruit de ses contacts avec les Israéliens, Ben Barka va chercher à obtenir la même chose de la part des Tchécoslovaques. Ainsi fait-il aux deux parties, le 28 mars 1960 pour le Mossad[24] et entre le 12 mars et le 1er juillet 1961 pour le StB, la même proposition : un soutien financier et un approvisionnement en armes pour ses partisans quand l’heure du soulèvement arriverait. Comme les Israéliens, les Tchécoslovaques lui offrirent de venir visiter leur pays ; il s’y rendit onze fois à compter de septembre 1961. Ils le stipendièrent en outre pour son voyage en Guinée, à la deuxième Conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques, où Ben Barka prononça un discours encore très favorable à Israël. Pourtant, s’enferrant dans sa relation avec le StB, il lui offrit des informations sur la France, en provenance du SDECE, du Quai d’Orsay et du ministère des Armées. Dans le langage du renseignement de l’Est, il fut d’abord un verbovka agenta (agent en recrutement), puis devint, à l’issue de son second séjour à Prague, en février 1963, un důvěrným stykem (contact confidentiel). Le changement qui suscita ce déclassement aux yeux du StB tenait au changement de la donne politique marocaine. Ben Barka retourna dans son pays le 15 mai 1962, suspendant ses rapports avec le capitaine Mičke. Lors d’un bref séjour à Prague, en février suivant, il se vit affecter deux nouveaux officiers traitants, Karel Čermák et Jiřího Vančuru, du siège du StB[25]. Ben Barka continua encore ses allers-retours vers Prague de juillet 1963 à octobre 1965. Entre temps, il fut notamment invité à remplir une mission de bons offices entre les amis tchécoslovaques et ses amis baasistes en Syrie en mai 1963, mais il ne trouva pas « le moment approprié pour une telle intervention de l’emporter, propos[ant] d’attendre un certain temps »[26].

    Ces activités clandestines de Ben Barka finirent par alarmer les services d’Oufkir, notamment le CAB1. Ou, du moins, les révélations du représentant du Baas syrien à Genève, l’étudiant Atef Danial, à Abdelkrim el Khatib, ministre d’Etat chargé des Affaires africaines, dans la chambre d’un hôtel genevois qu’Oufkir et Dlimi mirent sur écoutes[27]. Ben Barka jugea plus prudent de s’exiler le 23 juin 1963, tandis qu’Oufkir lançait une nouvelle série d’arrestations dans les rangs de l’UNFP dans le cadre du « complot de juillet ». Dlimi continua son enquête sur l’ancien président de l’Assemblée constituante et mis à jour les liaisons avec le StB. La Rezidentura tchécoslovaque de Rabat l’apprit le 15 octobre 1963 :

    « Le Maroc [sut] que [Ben Barka] était en Tchécoslovaquie. Dans les milieux de la police, on estim[ait] que le but de sa visite était de discuter du développement de formation et de divers groupes marocains destinés à être déployés sur la frontière Maroc-Algérie[28]. »

    Le CAB1 ne se trompait qu’à moitié, puisque Ben Barka ne suivit un stage de formation aux techniques conspiratives qu’à compter du 9 au 17 mars 1965 à Prague[29]. Une quinzaine plus tard, au Caire, dans le cadre d’un colloque sur la Palestine, il prononça un discours critiquant « le rôle d’Israël en Afrique »[30]. Il est peu probable, compte tenu du « besoin d’en savoir » qui régit les relations dans le monde du renseignement, que le Mossad fit part de cette évolution à son homologue marocain.

    Pourtant, le service israélien n’avait pas tardé à établir une liaison avec Oufkir. Comme pour Laghzaoui, son entrée en jeu se concrétisa par l’arrestation de vingt membres du Misgeret, marquant la fin de leur opération, et en inaugura une nouvelle, Yakhin (1961-1966). Mais la liaison avec Oufkir n’intervint qu’en toute fin des démarches d’Easterman et de Golan[31]. Et encore se contenta-t-il dans un premier temps que de signer les passeports collectifs et de demander à son ami, le général Ben Aomar Driss, gouverneur de Casablanca, d’en finir avec le rançonnage des émigrants[32]. Au cours d’un temps d’observation (1961-1963) équivalent à celui que connut Laghzaoui (1956-1958) avant son premier contact direct, Oufkir fut d’abord mis en relation avec le commissaire divisionnaire de la Sûreté nationale parisienne, Emile Benhamou. Il est difficile de dire si les deux hommes se connaissaient depuis la Seconde Guerre mondiale, comme il est généralement établi, ou si le policier spécialisé dans les affaires financières, né à Tlemcem, rencontra son collègue marocain à propos des trafics de devises entre l’Afrique du Nord et la métropole aux lendemains de la décolonisation. Toujours est-il qu’en février 1963, Behamou organisa un déjeuner entre le directeur de la Sûreté national marocaine et Yaagov Caroz. Suivirent la réception par Hassan II du directeur du Mossad, Meir Amit, accompagné de Caroz et à laquelle assista évidemment Oufkir, à Marakech, en avril, puis une série de rencontres de ce dernier avec son officier traitant, David Shomron, dans les hôtels genevois Beau Rivage et Cornavin[33]. Mi-décembre, le chef des opérations du Mossad, Rafi Eitan, et Shomron se rendirent à Rabat pour rencontrer Oufkir. Tandis que Shomron faisait connaissance de Dlimi, Eitan et Oufkir établirent les bases de la coopération entre leurs services respectifs. Dans le contexte de guerre avec l’Algérie, soutenue par l’Egypte nassérienne et Cuba[34], la Sûreté nationale marocaine était demandeuse de formation à la protection de ses ambassades et au renseignement électromagnétique, tandis que le Mossad recevait un accès aux prisonniers égyptiens qui combattaient aux côtés des Algériens. Le service israélien obtint d’ouvrir une station par laquelle transiteraient les renseignements échangés entre les deux partenaires ; Shomron en prit la direction. Cette information fut confiée à Oufkir lors de son premier voyage à Tel Aviv, le 3 janvier suivant, que confirma Hassan II[35].

    Quant le CAB1 comprit que Ben Barka complotait avec le StB, il chercha à le localiser. Mais l’opposant marocain se déplaçait sans cesse, changeant d’identité à chacun de ses voyages entre Alger, où il avait sa résidence, et Le Caire, où il bénéficiait de complicités. De là, il s’évaporait vers des destinations que les compétences du service de renseignement intérieur marocain ne pouvaient identifier. Le 25 mars 1965, au soir des manifestions de Casablanca trop sévèrement réprimées par la police d’Oufkir, un conseil restreint se tint à Rabat en présence d’Hassan II ; outre le souverain et le ministre de l’Intérieur, se seraient trouvés ainsi réunis le directeur-adjoint (Oufkir en était toujours le directeur en titre) de la Sûreté nationale, le commandant Ahmed Dlimi, le chef de la maison royale, le colonel Moulay Hafid, et le directeur général du cabinet royal, Driss M’Hammedi. L’objet de cette conférence fut d’évoquer « le cas Ben Barka » dont le rôle à l’étranger pouvait être plus nocif que s’il était dans le pays[36]. Avant de pouvoir l’amener à rentrer, encore fallait-il réussir à savoir où il se trouvait.

    Il fallut donc demander l’aide des Israéliens. Début mai, David Kimche, de l’unité Tevel (Monde), chargée des relations avec les services étrangers, vint à Rabat étudier avec Oufkir les attentes marocaines, puis les deux hommes s’envolèrent pour Tel Aviv, via Rome, afin d’obtenir l’accord de Meir Amit. Rapidement, le Mossad localisa Ben Barka à Genève. La capitale économique helvétique formait la plaque tournante à partir de laquelle le dirigeant de l’UNFP planifiait ses déplacements en Europe et dans le monde ; ses contacts au sein du SDECE, au temps des opérations françaises en Algérie, lui avaient conseillé d’éviter la France. Un kiosque de presse genevois lui servait de boite aux lettres. Mais il s’y faisait réexpédier différents journaux et revues internationaux, dont The Jewish Observer. Le Mossad fit aussi la découverte qu’un autre service surveillait le Marocain et suspendit ses opérations en sa direction. Cette décision signifiait que le service en question était un allié, comme la CIA, avec lequel la Centrale israélienne collaborait depuis octobre 1952[37]. En aucun cas, le Mossad n’aurait suspendu sa surveillance s’il s’était agi du StB. Toujours est-il que les agents de la Sûreté nationale marocaine durent remplacer ceux du service israélien pour « planquer » autour du kiosque genevois. En deux semaines, ils retrouvèrent Ben Barka.

    A la fin de l’été 1965, Hassan II prit la résolution d’en finir avec cette question. Lors de sa demande de participation au compromis proposé par le souverain, l’opposant en exil répondit qu’il fallait renvoyer « les opportunistes et les traitres », désavouant l’UNFP autant qu’il courrouçât le souverain. Le roi demanda à Oufkir de conclure un marché avec le Mossad : en échange de son accès à la conférence de la Ligue arabe, qui devait se tenir à Casablanca du 13 au 18 septembre 1965, le service israélien aiderait le CAB1 à mettre la main sur Ben Barka. L’objectif était de lui donner l’alternative entre un poste ministériel, donc un ralliement à la monarchie honnie, et un procès pour trahison, sur la base des informations relatives à ses tractations avec le StB, devant une cour marocaine. Ce marché, courant entre services de renseignement, révélait un changement de sens dans la relation entre le Mossad et la Sûreté nationale marocaine : l’opération Yakhin prenait fin et les transferts financiers se faisaient anecdotiques[38].

    Début septembre, des membres de l’unité Tziporim (unité de recherche opérationnelle), dont Rafi Eitan et Zvi Malkin, se rendirent à Casablanca, que le CAB1 installa, sous bonne garde, au niveau de la mezzanine de l’hôtel accueillant la conférence. Le 12 septembre pourtant, Hassan II se ravisa et ordonna aux agents israéliens d’abandonner le site, craignant qu’ils ne fussent reconnus par leurs confrères de la partie adverse arabe. Le CAB1 utilisa les moyens d’écoute installés par le Mossad et, immédiatement après la conférence, transmit toutes les informations nécessaires, ainsi que le matériel électromagnétique israélien. Dans l’affaire, le service israélien obtint un aperçu de l’état d’esprit des plus grands ennemis d’Israël, notamment que les armées arabes n’étaient pas préparées à une nouvelle guerre. Quant à Nasser, dont le Gihaz al-Mukhabarat al-Amma (Service de renseignement général) détecta la présence israélienne, il eut la preuve de la duplicité marocaine[39]…

    La partie du marché en faveur du Mossad ayant été tenue, il fallait que le service israélien tînt sa part. Il n’est pas inutile de voir une relation entre cette responsabilité prise par Meir Amit envers Mohamed Oufkir et le nom que le Premier ministre israélien, Levi Eshkol, qui aimait citer les sources religieuses, donna à l’opération : « Baba Batra » était autant une référence à l’ordre talmudique relatif à la responsabilité individuelle qu’un jeu de mots autour des initiales de Ben Barka. « Baba Batra » prit la forme d’une intoxication. Elle consistait à faire croire à la cible que son conseil et son aide seraient décisifs pour un projet de film sur les mouvements révolutionnaires dans le monde. Depuis cinq ans, le Mossad connaissait la propension insurrectionnelle de celui qui, depuis le printemps, présidait le comité préparatoire de la conférence Tricontinentale, ce qui l’amenait à travailler avec la Dirección de Inteligencia cubaine. La réalisation opérationnelle et le recrutement de l’équipe de cinq membres, dont le service israélien fournissait les passeports, furent laissés à l’initiative marocaine. Le Mossad n’apporta que quelques éléments ciblés. Le premier consista certainement dans celui de crédibilité : un producteur débutant de films[40] suisse, Arthur Cohn, collaborateur du Shin Bet, le service israélien de renseignement intérieur, et gendre du ministre israélien de la Justice Moshe Haïm Shapira. Le second fut plus décisif : plutôt qu’une action auprès d’un fonctionnaire de la police fédérale des étrangers, le Mossad fit pression, certainement contre espèces, sur un avocat suisse, évidemment connu de Ben Barka pour lui faire comprendre, le 28 octobre, que « son autorisation de séjour et son visa seraient arrivés à expiration et le fonctionnaire chargé de les renouveler serait parti se reposer en vacances en Israël »[41].

    Le 4 octobre 1965, sans en dévoiler les attendus opératifs, Amit fit part à Eshkol de la nouvelle demande marocaine. Les deux dirigeants se montrèrent dubitatifs quant à la sincérité des Marocains. Leur sentiment sembla être confirmé lorsque le capitaine Dlimi demanda, le 12 octobre, de fausses plaques de voiture et du poison. Treize jours plus tard, Amit se rendit à Rabat pour une visite de routine. Il tenta de dissuader les Marocains de remettre à plus tard l’assassinat prévu, « de sorte que leurs préparations [fussent] plus parfaites. » Mais le chef du CAB1 le surprit en lui annonçant que l’opération était « déjà en cours ». Placé devant le fait accompli, le directeur du Mossad réalisa qu’il ne pouvait plus louvoyer et se devait d’apport un soutien à l’opération[42].

    Le renseignement français et Ben Barka

    Le CAB1 lança son opération dès le printemps 1965 en dépêchant à la suite de Ben Barka un agent sous couverture. Elle fut même lancée depuis Paris par le ministre de l’Intérieur en personne ; le général Mohamed Oufkir organisa une réunion avec des « amis français », le 21 avril ; neuf jours plus tard, une note du service de la recherche au SDECE ne précisait pas qui ils étaient. Tout juste était-il mentionné son objet :

    « Le général Oufkir, ministre marocain de l’Intérieur, qui est arrivé à Paris le 21 avril a été chargé par le roi du Maroc d’entrer en contact avec Mehdi Ben Barka pour tenter de le convaincre de rentrer au Maroc avec ses compagnons. Hassan II est décidé, en effet, à lever la procédure de contumace pris à l’encontre du leader de l’UNFP »[43].

    Si l’on considère la réunion du 25 mars 1965 à Rabat comme lançant la première phase de l’opération, cette réunion semblait antérieure à la réponse israélienne. Elle correspondait à cette époque où les Marocains pensaient pouvoir retrouver Ben Barka facilement. Aussi Oufkir vint-il à Paris dans un état d’esprit différent de celui avec lequel il se rendait moins de deux mois plus tard à Tel Aviv. Cette fois, la réunion du 21 avril, aux accents informels puisqu’elle se tînt au Crillon, où descendit le ministre de l’Intérieur, se contenta d’obtenir de ses « amis français » l’autorisation de mener une opération dans la capitale. Parmi les « amis » présents, peut-être se trouvait-il son homologue français, Roger Frey, le chef de cabinet de ce dernier, Jacques Aubert, l’avocat Pierre Lemarchand et le directeur général de la Sûreté nationale, Maurice Grimaud ? Outre leur implication précédente dans les opérations barbouzardes contre l’OAS, ces quatre hommes, à diverses étapes de l’opération marocaine, eurent un rôle éminent à jouer. Le premier connaissait son collègue de Rabat depuis qu’ils avaient été présentés peu après son accession à l’Intérieur, le 6 mai 1961 ; certains prétendent que les deux ministres se fréquentaient depuis cette date, le Français se rendant en famille chez le Marocain[44]. Le second, directeur de la Sûreté nationale en Algérie (janvier 1960-novembre 1961), puis en métropole (janvier-décembre 1962), eut des relations avec son homologue marocain à l’occasion d’affaires aussi diverses que la prostitution, le trafic de devises et la lutte contre l’OAS. Lutte que coordonna le troisième, à la demande de son ami Frey, rencontré en 1947 au service d’ordre du Rassemblement pour la France (RPF), avant de mettre en musique l’opération dessinée par le Mossad. Ces trois hommes figurent parmi la fine fleur des réseaux de renseignement gaulliste. Grimaud était plus atypique, proche de François Mitterrand. Le 7 janvier 1963, Oufkir lui présenta « son messager », le commissaire El Ghali El Mahi[45].

    Un cinquième homme était un habitué du Crillon et de la famille Oufkir, mais dont le rang social ne permit probablement pas de figurer parmi ces « amis français » du ministre marocain de l’Intérieur : Antoine Lopez. Inspecteur principal d’Air France (1963), il méritait à tout point de vue son surnom de « Savonnette ». Approché par le SDECE lorsqu’il n’était encore que chef de trafic à l’aéroport de Tanger (1953-1956), il devint, peu après sa mutation à Orly, un « honorable correspondant d’infrastructure (HCI) » (1958) du service VII (service de recherche opérationnelle). Cette ascension rapide en disait long sur son entregent pour recueillir des informations brutes, comme en attesta sa progression professionnelle de sous-chef, puis chef du service passages, puis du centre de permanence. Au SDECE, Lopez fut considéré comme une source généralement fiable, c’est-à-dire qu’il était côté B. Courant 1962, il devint « collaborateur » de la brigade mondaine ; il fut traité par Louis Souchon, chef de groupe de la section chargée de la répression des trafics de stupéfiants. Mais ce « combinard-type »[46] cacha bien son changement de légitimité, effectif au début de l’été 1965, pour devenir un agent marocain. Ce processus avait été entamé dès l’époque que Lopez passât à Tanger[47]. Le 29 juin 1965, Dlimi lui octroya un laissez-passer du ministère de l’Intérieur marocain[48]. Depuis le printemps, il cherchait à se faire détacher d’Air France, où il était sur une voie de garage, vers la direction des relations extérieures de Royal Air Maroc, avec l’appui d’Oufkir et, à Paris, du SDECE[49]. Dans l’opération marocaine, le rôle de Lopez fut double. D’une part, il désinforma son officier traitant au SDECE, le colonel Marcel Leroy (Finville), lui distillant suffisamment de données pour pouvoir justifier son rang d’HCI, photographiant les documents de la réunion du Caire de la Tricontinentale, contenus dans la serviette d’un agent marocain le 5 septembre[50], mais omettant les éléments qui auraient permis d’identifier l’opération en cours[51]. D’autre part, il assura la logistique (hommes du milieu et domiciles privés) de l’opération marocaine en France.

    Si Oufkir mobilisa son réseau de soutien, Dlimi choisit d’envoyer, sous fausse identité, son collaborateur, le jeune commissaire Miloud Tounsi (Larbi Chtouki), infiltrer l’entourage parisien de Ben Barka. Rapidement, courant avril, son choix se porta sur Philippe Bernier, un jeune journaliste autant gauchiste qu’impécunieux. Il figurait peut-être sur les tables du CAB1, tant il s’agissait d’une figure connue au Maroc : outre sa proximité avec l’ancien président de l’Assemblée consultative, il fut producteur-directeur des programmes de Radio Maroc (1954-1956), puis anima un réseau de soutien à la résistance algérienne (1958-1960), avant d’occuper brièvement un poste de chargé de mission à la présidence algérienne (printemps 1962)[52]. Soupçonné d’être un agent de la Sécurité militaire algérienne aussi bien que du Mossad, il ne fut qu’un idéaliste, « un journaliste parfaitement intègre »[53] embarqué dans une affaire qui le dépassa. S’il fut choisi initialement pour son contact avec Ben Barka, contre des fonds qui lui permirent de mettre en chantier le n° 0 d’un nouveau magazine destiné à la jeune génération, L’Inter Hebdo, il présenta un nouvel intérêt lorsqu’au début de l’été 1965 le CAB1 dut mettre en œuvre le scénario israélien de film sur les mouvements révolutionnaires dans le monde. En effet, son entreprise éditoriale était adossée sur la Société d’étude de presse L’Inter, 17 rue Joubert, dans le 9e arrondissement parisien ; cette dernière offrit une couverture idéale pour héberger la tentative d’approche de Ben Barka[54].

    La mise en œuvre de l’opération imaginée par les Israéliens commença le 30 août 1965. A cette date, Chtouki se vit délivrer le passeport de service n° 551 par le ministère marocain de l’Intérieur[55]. Le lendemain, il arriva à Paris et rencontra Bernier et Lemarchand. Après explication du scénario, l’avocat entreprit de rédiger, sous la dictée de Chtouki, un questionnaire qui servirait à l’interview de Ben Barka, pour la partie du tournage liée au Maroc et aux événements de mars 1965. Puis il invita Bernier à rencontrer un de ses amis de collège, qui avait ses entrées dans le monde du cinéma français, Georges Figon. Omit-il de dire qu’il ne fût qu’un petit délinquant, sorti d’hôpital psychiatrique au printemps, et impliqué dans les trafics de dinars ? Chtouki, et à travers lui, le CAB1, le savait, puisqu’il traitait les truands chargés des « procédés non-orthodoxes », signalés par Lopez à Leroy le 12 mai ; ces procédés ne consistaient en rien d’autre que l’enlèvement. Avec l’opération marocaine, Lemarchand retrouva les échos de ses activités barbouzardes contre l’OAS. Figon fut son intermédiaire avec le milieu interlope qui prit ses quartiers, en attendant Chtouki, à la résidence Niel. Lemarchant intervint également auprès du commissaire des Renseignements généraux de la Préfecture de Police de Paris, Jean Caille, pour faire octroyer un passeport à son « adjoint », celui-ci étant toujours soumis au contrôle judiciaire. Par contre, Figon utilisa les services de l’inspecteur Roger Voitot, adjoint de Souchon à la brigade mondaine, pour remplacer le passeport périmé de Bernier. Ainsi, Chtouki, le journaliste Bernier et le « producteur » Figon purent-ils se rendre au Caire le 2 septembre 1965.

    Le lendemain, le trio rencontra Ben Barka. Il lui soumit le projet de film, au titre évocateur de Basta !, évoqua le cinéaste Georges Franju, très en vue à l’époque pour son réalisme sans concession. Malgré ses multiples occupations, qui l’avaient obligé à repousser les demandes répétées au printemps et à l’été de Moulay Ali, ambassadeur du Maroc à Paris, de revenir au pays, le président du comité préparatoire de la conférence Tricontinentale s’emballa pour ce documentaire. Il accepta de revoir ses promoteurs à Genève, entre deux voyages à travers le monde, le 20 septembre et le 6 octobre suivant. Pour cette dernière réunion, Figon fit le voyage seul. Bernier lui confia une lettre d’introduction à entête de la Société d’étude de presse L’Inter, datée de la veille à Paris, ainsi qu’un contrat, daté de Genève, le jour de la rencontre avec Ben Barka. Une troisième rencontre fut prévue à Paris, en présence du réalisateur. La date fut fixée au 29 octobre, à Paris.

    La veille, apprenant ses difficultés à renouveler son autorisation de séjour en Suisse, Ben Barka joignit le cabinet de Roger Frey pour s’enquérir de deux choses : la présence d’Oufkir à Paris et son libre accès au territoire français. Comme il lui fut assuré que rien ne s’opposait à sa venue en France, l’opposant marocain refusa les mesures de protection qui lui furent offertes[56]. S’il est impossible d’identifier le correspondant français – Jacques Aubert ? -, ou d’affirmer que la conversation eut véritablement lieu au ministère de l’Intérieur parisien, et encore moins d’assurer l’authenticité de ce coup de fil, il semble toutefois qu’il s’agît de la seconde partie de la manipulation du Mossad sur l’avocat suisse.

    Pendant que Chtouki, Bernier et Figon appâtaient Ben Barka, le commissaire El Ghali El Mahi vint officiellement s’inscrire à l’Ecole des Hautes études commerciales. En fait, l’« ordonnance » de la famille Oufkir lorsqu’elle prenait ses quartiers à Paris avait une autre mission, celle d’ordonnance de Chtouki, qui ne connaissait pas la capitale française. Il représenta donc ce dernier auprès des truands, abrités à la résidence Niel à compter du 21 septembre. A peine remis de sa stupeur en apercevant Lemarchand accompagnant Figon à l’avion de Genève deux jours plus tôt, Lopez s’imagina que les Marocains étaient en train de le doubler. Son détachement pour Royal Air Maroc était au point mort, malgré les contacts pris par Leroy à Air France, auprès d’Henri Barnier, un ancien du SDECE reconverti chef du cabinet du directeur général de la compagnie nationale, et avec la secrétaire de Roger Frey, Henriette Renaud, au cours d’une réception donnée à l’occasion du mariage de sa fille, en juillet. « Savonnette » connaissait aussi les truands recrutés par Chtouki. Il était même l’interlocuteur privilégié de Georges Boucheseiche, proxénète bien connu des deux côtés de la Méditerranée et ancien de la Gestapo française de la rue Lauriston et du gang des tractions avant. Il partageait leurs doutes quant à la sincérité du CAB1 : il ne s’agissait pas de la mission, bien sûr, mais de la rémunération. Cette question les agita du 10 au 27 octobre, Figon se montrant finalement le plus instable et menaçant d’utiliser ses contacts journalistiques pour déverser sa bile dans les jours qui suivirent[57]. Lopez préféra dévoiler l’opération Bernier-Figon à Leroy[58]. Il fit de même après l’enlèvement, taisant naturellement son rôle, en téléphonant au chef du service VII… alors qu’il savait qu’il serait absent de chez lui ou de son bureau.

    Si le SDECE fut maintenu consciemment sous embargo, hormis peut-être le directeur de la recherche, le colonel René Bertrand (Jacques Beaumont), il n’en alla pas de même du cabinet du ministre de l’Intérieur. Outre la conversation téléphonique du 28 octobre avec Ben Barka, son implication apparut sous deux aspects. Le premier était le plus connu, toujours au téléphone, à 10 heures et demie, à travers l’autorisation imputée à Jacques Aubert, bien que la voix perçue par l’auditeur fut différente de celle de l’orateur, donnée à Louis Souchon de répondre à la réquisition de Lopez. Le 28 octobre, le « collaborateur » de la brigade mondaine offrit à son officier traitant une tricoche, c’est-à-dire une rémunération pour services rendus à des intérêts privés. Il n’aurait qu’à « interpeller un bic », ainsi que Souchon l’expliqua le lendemain au commissaire-adjoint Lucien Aimé Blanc, responsable du parc automobile de la brigade. Le second aspect est moins connu : du 10 septembre au 25 octobre, le cabinet du ministre de l’Intérieur autorisa le commissaire Gaston Boué-Lahorgue, un ancien des barbouzeries anti-OAS devenu chef de la Brigade de documentation et de recherche criminelle de la Direction générale de la police nationale (DGPN), à mener des écoutes à Paris, en contradiction avec la procédure qui voulait que seule la Préfecture de Police fût compétente dans le ressort de la capitale. La cible était la résidence Niel, un hôtel de rendez-vous assez bien agencé et dirigé par le proxénète parisien Marius Chataignier. Tous les truands sélectionnés par Chtouki et Boucheseiche y résidèrent jusqu’au 23 octobre[59]. Ces écoutes signifiaient soit, que Roger Frey se méfiait aussi de Mohamed Oufkir, soit qu’il tenait à anticiper un mauvais coup de ces criminels, armés depuis le 21 septembre. Dans un cas comme dans l’autre, il savait qu’une opération marocaine était en cours et que la structure de soutien était la Préfecture de Police.

    Evidemment, il ne soupçonna pas l’implication du Mossad. Lorsque le décès de Ben Barka fut constaté, le 29 octobre, la panique prit toute l’équipe marocaine, les truands, Chtouki et même Lopez ; ce dernier ne savait que trop quelle était sa responsabilité dans l’affaire, lui qui avait désigné, camouflé derrière d’épaisses lunettes noires et de fausses moustaches, à Souchon et Voitot la personne de Ben Barka sur le trottoir de l’avenue des Champs-Elysées. Après avoir été ramené à Paris, vers 13 h 30 par les deux policiers, Lopez rejoignit Boucheseiche à Fontenay-le-Vicomte. Entre temps, il téléphona à Leroy, laissant un message laconique à son officier-traitant qu’il savait pertinemment en réunion, comme tous les vendredis[60]. Ben Barka décédé, il dut regagner Orly pour téléphoner au Maroc, mais à entre 17 h 32 et 17 h 38, il ne toucha que les directeurs de cabinet de Dlimi, le commissaire principal Abdelhaq Achaâchi, et d’Oufkir, Hajj Ben Alem. Le général rappela seulement vers 22 h 30, annonçant son arrivée par l’avion de nuit ; seulement, il dut passer par Fès, pour « rendre compte au patron », c’est-à-dire à Hassan II. Si le décès avait été prévu, il est clair que l’avis du souverain n’aurait pas été nécessaire pour poursuivre l’opération ! Et Dlimi n’aurait pas eu besoin d’abandonner la préparation du déplacement du roi à Alger, pour le sommet afro-asiatique du 1er novembre. Lui aussi annonça tardivement son arrivée avec l’avion du lendemain. Mais l’un et l’autre durent repousser leur venue à la fin d’après-midi et au début de soirée du 30 octobre.

    Dlimi profita de ce délai aérien pour se concerter avec Oufkir et appeler Naftali Keinan, chef de la section Tevel du Mossad. Ils convinrent de se retrouver à Orly, où après quelques propos, ils préférèrent se revoir après l’arrivée d’Oufkir, à la porte de Saint Cloud ; leur rencontre fut surveillée par Eliezer Sharon et Zeev Amit, un cousin du chef de Meir Amit. Là, Dlimi lui indiqua la route pour gagner la maison de Lopez où Ben Barka fut conduit après son enlèvement et où il trouva la mort. Keinan demanda à Emanuel Tadmor, le chef de poste du service israélien à Paris, d’y envoyer en urgence une équipe de quatre personnes (Eliezer Sharon, Zeev Amit, Rafi Eitan et Shalom Baraq) couverte par d’autres agents planqués dans deux voitures diplomatiques, s’occuper de la dépouille. Ils l’enveloppèrent, le mirent dans le coffre de la voiture diplomatique de Baraq et se dirigèrent vers le périphérique pour quitter Paris. Le corps de Ben Barka fut enterré nuitamment dans un bois au nord-est de Paris, en un lieu où les agents du Mossad avaient l’habitude de faire des pique-niques avec leurs familles. Ils versèrent ensuite sur et sous le corps un produit chimique, acheté en petites quantités dans plusieurs pharmacies de Paris, puis versèrent de la chaux et enfin recouvrirent la dépouille. Quelques heures plus tard, la pluie activa les produits chimiques et le corps se dissout. En l’absence de corps, l’enquête n’en serait que plus difficile. Le lendemain matin, à cinq heures, Oufkir, Dlimi et Chtouki quittaient Paris, l’un pour Genève, les autres pour Casablanca. Le 31 octobre, Boucheseiche s’envola à son tour pour Casablanca. Peu après, Lopez rendit compte à Leroy de ces allers et retours, n’en sachant à vrai dire pas plus. Sinon, il tut la mort de Ben Barka, s’évitant de quelconques poursuites ultérieures[61].

    Les services de renseignement et l’affaire Ben Barka

    Dès le 30 octobre au soir, des bruits entourant la disparition de dirigeant de l’UNFP se répandirent dans Rabat[62], alors que l’événement passa presque inaperçu dans les premiers jours à Paris. Toutefois, l’annonce par Europe 1 de la disparition de Ben Barka, à 19 heures, alerta Leroy. Mais il ne put rien faire en raison du long week-end qui s’annonçait. Néanmoins, il nota « mentalement de rappeler au général Jacquier, après les fêtes de Toussaint, le mardi suivant, nos deux rapports des 19 mai et 22 septembre », puis d’en rédiger un nouveau suite à la conversation qu’il aurait avec Lopez[63]. Le chef du service VII imaginait déjà avoir été dupé par son HCI. Il en eut le pressentiment dès le 22 septembre, lorsque Lopez lui dévoila l’opération israélienne. Leroy ne dit-il pas à cette occasion à son rédacteur pour les questions arabes, Marcel Chaussée (Marc Desormes) : « Je crois que les Marocains viennent plutôt à Paris pour flinguer (sic) Ben Barka ». Ces propos furent prononcés trois quarts d’heure après que le chef du service VII eût demandé à son subordonné de rédiger une note sur la politique d’Hassan II après les révélations de Lopez[64]. Leroy tint-il ces propos d’une conversation qu’il eût, le 22 septembre, avec son supérieur, le colonel Bertrand (Jacques Beaumont) ?

    La question ne fut jamais posée car le SDECE fut emporté dans une vaste « opération d’intoxication »[65]. Dès l’annonce de la disparition de Ben Barka, les « amis français » d’Oufkir s’ingénièrent à distiller dans la presse une vérité incriminant le service de renseignement extérieur. Le 3 décembre, l’ambassadeur britannique Cynlais Morgan James, put ainsi noter :

    « Prétendument corrompu, véreux, dépourvu d’une bonne direction ou d’un vrai contrôle, le SDECE va prendre une dérouillée très sévère »[66].

    A ce petit jeu médiatique, ce dernier répondit par le plus grand mutisme, permettant toutes les hypothèses, en premier lieu celle de l’implication du SDECE dans cette disparition. Ce silence extérieur se traduisit à l’intérieur du service dans une note du directeur général, le 3 novembre, prescrivant à son directeur de la recherche – qui répercuta dans les services – de « ne rien faire dans l’histoire Ben Barka (pas d’initiative) » et surtout pas « orienter particulièrement nos sources »[67], en l’occurrence le poste de Rabat. Dans sa dépêche du 3 décembre, Cynlais Morgan James établissait dans cette ville l’élaboration du complot « par le service de sécurité marocain et des représentants régionaux du SDECE. Les deux agents du SDECE ne sembl[ai]ent pas être haut placés »[68] ; l’information venait d’une « source sûre », mais rien ne dit que cet ancien officier de renseignement dans la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale ne fut pas également intoxiqué par les mêmes « amis français » du Maroc qui attaquèrent le SDECE. Un fonctionnaire du Foreign Office, lui-aussi ancien officier de renseignement jusqu’en septembre 1956, tenta « de résumer ce que [la diplomatie britannique] sav[ait] de l’affaire Ben Barka ». Il conclut que « mis à part [un] télégramme de Paris (…) et deux lettres de Rabat, nous dépendons d’articles de presse, dont certains sont peu fiables »[69]. Les télégrammes déclassifiés de la CIA, entre le 2 novembre 1965 et le 1er janvier 1967, relayèrent également, à 77 %, les publications de la presse[70].

    Pour autant, le 3 novembre 1965, Jacquier se méfia-il de ses agents sur le terrain, dont un d’eux, le capitaine Jarry, était très lié à Oufkir[71] ? Ou bien de son responsable géographique Monde arabe (III/A), le colonel Tristan Richard ? Ou encore du colonel René Bertrand (Jacques Beaumont), véritable chef du SDECE et premier recruteur, à Tanger, de Lopez ? Ou bien comprit-il que tout cela fut attaque en règle de la part des parties à cette affaire, aussi bien à la Préfecture de Police qu’au ministère de l’Intérieur, et que la meilleure des positions fût de laisser le réseau marocain du service en état de léthargie afin de voir ce qu’il se passerait ? Le directeur-général du SDECE, le général Paul Jacquier, qui n’était pas un homme du renseignement, ne se prononça jamais sur ses doutes et options. Néanmoins, ces questions s’éclairaient à la lumière du climat régnant au sein du service, au lendemain du long week-end de Toussaint. Comme à chaque fois depuis 1958, les officiers de renseignement, personnels militaires et civils, s’attendirent à une nouvelle purge. Leroy devint bientôt la victime expiatoire idéale. Lui-même chercha vainement à se défausser sur ses subordonnés, réputés proches de l’OAS, comme Marcel Chaussée (Marc Desormes).

    Cette solution à courte vue s’imposa en raison des élections présidentielles qui allaient se dérouler, le général de Gaulle, président sortant n’ayant pas encore annoncé s’il se représentait. Un scandale impliquant la police, et à travers elle l’Etat, ne pouvait être que désastreux pour sa réélection. Qui plus est, ce coup de projecteur sur le service de renseignement permettrait de faire le ménage. D’une part en éliminant la tendance pro-OAS qui rendait cette administration particulière difficilement commandable depuis 1961. D’autre part en réaffectant administrativement le service. Ces grandes décisions furent repoussées à après les élections, tant il était clair que le général de Gaulle fût réélu. Le 18 janvier 1966, Leroy fut suspendu de ses fonctions ; son arrestation et sa mise sous écrou intervint le 10 février suivant. Le lendemain, le Conseil des ministres retira le SDECE à l’autorité du Premier ministre pour la confier au ministre des Armées. Le général Jacquier fut admis à faire valoir ses droits à la retraite. Bertrand resta en place encore quatre ans. Le 10 novembre 1970, suite au soupçon d’être un « agent de l’Est », il fut remplacé furtivement (un an) par le colonel Richard. Le service VII fut supprimé, son personnel et ses fonctions opérationnelles réparties entre les autres services, notamment Action. Pour sa part dépossédé du SDECE, le Premier ministre Georges Pompidou nota que :

    « les chefs de service ne [semblaient] pas avoir couvert le moins du monde leurs subordonnés ; ni le préfet de Police Papon, ni le général Jacquier qui n’étaient pas au courant eux-mêmes ».

    Toutefois, il pointa l’absence de « coopération entre les services. Les polices[72] se détest[aient] ensemble elles détest[aient] les services spéciaux, et ce monde détest[aient] la justice »[73].

    En Israël également, la révélation de la disparition de Ben Barka tourna à l’affaire politique. Les quelques personnes qui connaissaient l’implication du Mossad pensèrent d’abord pouvoir l’éviter. Au fond, le service n’avait offert qu’« une assistance technique minimale », selon un télégramme envoyé de la station parisienne du Mossad à Amit. Le 5 novembre, ce dernier put dire au Premier ministre Eshkol que « les Marocains [avaient] tué Ben Barka. Israël n’avait aucune connexion physique à l’acte en lui-même. » Seulement, cette vision ne fut qu’une description partielle, voir évasive, des évènements. Pour Amit,

    « La situation [était] satisfaisante (…) Si des erreurs [avaient] été faites ici et là, [elles] n’étaient pas dus à l’inattention, mais à l’absence de moyen de prédire ce qui se passerait. Les gens sur le terrain, qui [avaient] travaillé sous la pression du temps et dans les circonstances les plus difficiles, [firent] quelques erreurs, et je prends toute la responsabilité sur moi. Malgré les erreurs, nous sommes encore dans les limites de sécurité que nous nous sommes fixés. »

    Mais Amit oubliait l’histoire interne de son service. Se dressa contre lui son prédécesseur, Isser Harel, connu comme le « père du renseignement israélien », et à ce titre se croyant détenteur de droit sur le Mossad. Surtout, il avait été forcé de quitter son poste suite à un différend avec David Ben Gourion. Consultant pour les affaires de renseignement d’Eshkol, il n’attendait qu’un faux pas d’Amit pour montrer que son successeur n’était pas digne de ses fonctions. La médiatisation internationale de la disparition de Ben Barka en était une et il entendait s’en saisir. Mais, contrairement à ce qui se passa à Paris, le Premier ministre soutint son directeur du service de renseignement. Harel ne démissionna qu’en juin 1966, suivit par son plus grand allié à l’intérieur du Mossad, l’artisan de la liaison avec le Maroc, Yaagov Caroz[74]. Aigri par la tournure des événements, il confia à Maxime Ghilan et Schmuel Mohr, tous deux journalistes à Bul (Cible), un magazine semi-pornographique, une documentation présentant l’apport technique du Mossad (appartement de repli, passeports, matériel de maquillage, fausses plaques, poison), mais taisant l’opération de manipulation, même si l’implication d’Arthur Cohn était mentionnée. L’auditeur militaire israélien fit saisir le numéro du 11 décembre 1966 de Bul, mais cinq cents exemplaires avaient déjà quitté le pays. L’article « Des israéliens dans l’affaire Ben Barka » fut publiée dans The New York Times du 19 février 1967, et repris dans Le Monde et France Soir du 22 février suivant.

    L’« opération d’intoxication » toucha également, dès le 2 novembre 1965[75], la CIA qui, comme le SDECE, n’avait rien à voir dans ces événements. « Il n'[était] toujours pas connu au juste de quoi il en retourne exactement, et nous ne voulons pas y être mêlés » fut la réponse que le service américain entendit faire passer par le biais du département d’Etat[76]. Mais le désordre qui toucha ces services de renseignement fut aussi l’occasion pour les services de l’Est, guerre froide obligeait, d’exploiter les difficultés de la partie adverse. Dès le 12 novembre 1965, le StB décida de lancer une Opération Départ dont les objectifs étaient d’attirer les soupçons sur le gouvernement américain et la CIA, pour faire croire qu’ils étaient les organisateurs directs du rapt, tout en dénonçant d’une part pour compromettre autant que possible la police, les services de renseignement français et Charles de Gaulle, et d’autre part Hassan II, Oufkir, Dlimi, les cadres du régime, tous présentés comme des « larbins actifs de l’impérialisme » ou des agents de l’espionnage américain. En France, un journaliste du Canard enchaîné (Pipa) contribua à l’opération de déstabilisation du StB[77].

    Bien que du point de vue marocain l’opération fut un ratage total, ni le ministre de l’Intérieur, ni le directeur-adjoint de la Sûreté nationale, ni le chef du CAB1 ne furent ennuyés par l’enquête judiciaire qui se déroulait en France. Dès le 3 novembre, l’ambassadeur marocain à Paris, Moulay Ali, fut remplacé par Laghzaoui. Hassan II optait pour le conflit avec Charles de Gaulle. Quant aux truands, ils furent placés sous surveillance du CAB1. Les inculpations d’Oufkir et de Dlimi restèrent non seulement lettre morte, mais le ministre de l’Intérieur devint l’enjeu des rapports diplomatiques[78] entre les deux pays pour quinze ans. Lorsque le procès des protagonistes français débuta le 5 septembre 1966, le souverain marocain tenta une dernière manœuvre dilatoire : le 19 octobre, le commandant Dlimi se présenta au palais de justice et se constitua prisonnier. Cette « initiative personnelle » lui valut cent vingt jours d’arrêt de rigueur et une promotion au grade de lieutenant-colonel. Interrompu le temps de la nouvelle instruction, le procès reprit le 17 avril 1967. Le 5 juin, Dlimi fut blanchi par la cour d’assise de Paris, tandis qu’Oufkir et les truands furent pour leur part condamnés par défaut à la réclusion à perpétuité. Antoine Lopez et Louis Souchon écopèrent de six et huit ans de réclusion. Leroy fut libéré mais sa carrière dans le renseignement était finie. Quant à Oufkir, son aura grandit dans la population autant que son étoile pâlit aux yeux de son souverain. Il sombra dans la boisson et finit par tenter de renverser Hassan II. Il fut exécuté le 16 août 1972. Quelques heures plus tard, les truands furent éliminés. Dlimi mourut dans un accident le 22 janvier 1983. Ainsi s’acheva, du point de vue du renseignement, l’affaire Ben Barka.

    Notes:

    [1] Jean-Paul Marec, La ténébreuse affaire Ben Barka. Les grandes affaires de ce temps, Paris, Les Presses noires, 1966 ; François Caviglioli, Ben Barka chez les juges, Paris, La Table ronde de Combat, 1967 ; Roger Muratet, On a tué Ben Barka, Paris, Plon, 1967 ; Daniel Guérin, Les assassins de Ben Barka, dix ans d’enquête, Paris, Guy Gauthier, 1975 et Ben Barka, ses assassins, Paris, Syllepse & Périscope, 1991 ; Bernard Violet, L’affaire Ben Barka, Paris, Fayard, 1991 ; René Gallissot, Jacques Kergoat (dir.), Medhi Ben Barka. De l’indépendance marocaine à la Tricontinentale, Paris, Kerthala/Institut Maghreb-Europe, 1997 ; Zakya Daoud, Maâti Monjib, Ben Barka une vie une mort, Paris, Michalon, 2000 ; Maurice Buttin, Ben Barka, Hassan II, De Gaulle, ce que je sais d’eux, Paris, Karthala, 2010 ; Mohamed Souhaili, L’Affaire Ben Barka et ses Vérités, Paris, La Procure, 2012…
    [2] Archives de la Préfecture de Police de Paris, E/A 1390 (articles de presse) et HB3 1-9, Renseignements généraux (1965-1967)* ; Archives nationales, Pierrefitte, 19870623/41-42, dossier de la Section des étrangers et des minorités des Renseignements généraux*, 2003327/2, enquête judiciaire (1965-1967), 19920427/42-44, dossier de la Direction générale de la Police nationale (1965-1967) ; Documents diplomatiques français [DDF], 1965-II, 1966-I et 1966-II, Paris/Bruxelles, Ministère des Affaires étrangères/Peter Lang, 2004 et 2006 ; Roger Faligot, Pascal Krop (RFPK), La Piscine. Les services secrets français 1944-1984, Paris, Seuil, 1985, p. 390-405 ; Pascal Krop (PK), Les secrets de l’espionnage français de 1870 à nos jours, Paris, Lattès, 1993, p. 798-821 (dans les deux cas, il s’agit de documents provenant du dossier de Marcel Le Roy, colonel du SDECE contraint de démissionner suite à l’Affaire).
    [3] FOIA CIA et David S. Patterson, Nina Davis Howland (Dir.), Foreign Relations of the United States, 1964-1968, XXIV, Africa [FRUS], Washington, United States Government Printing Office, 1995.
    [4] Service historique de la Défense, Département de l’armée de Terre, Vincennes, 6 Q 32/3.
    [5] Ignace Dalle, Les trois rois. La monarchie marocaine de l’indépendance à nos jours, Paris, Fayard, 2004, p. 203.
    [6] Juris-classeur marocain, Paris, Editions techniques, 1972, p. 219.
    [7] Maurice Buttin, op. cit., p. 68.
    [8] Gérald Arboit, Des services secrets pour le France. Du dépôt de la Guerre à la DGSE (1856-2013), Paris, CNRS Editions, 2014, p. 269-274.
    [9] Stephen Smith, Oufkir. Un destin marocain, Paris, Calmann-Lévy, 1999, p. 204.
    [10] Bureau central des archives administratives militaires, Pau, 134953.
    [11] Cité par Ignace Dalle, op. cit..
    [12] Roger Muratet, op. cit., p. 160.
    [13] Cité par Ignace Dalle, op. cit., p. 288.
    [14] Dlimi était à Pau à l’automne 1956, comme adjoint au commandant de la 1re Compagnie de parachutistes marocains à l’instruction [Jamila Abid-Ismaïl, Calvaire conjugal, Casablanca, Eddif, 2007, p. 53].
    [15] Avec les précautions d’usage relatif à tout travail journalistique et éludant les effets sur les forces de sécurité marocaines, cf. Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort. L’Ecole française, Paris, la Découverte, 2004.
    [16] Maurice Buttin, op. cit., p. 72 ; Gérald Arboit, op. cit., p. 278-279 ; Raymond Aubrac, Où la mémoire s’attarde, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 233.
    [17] Philippe Bernert, SDECE Service 7. L’extraordinaire histoire du colonel Le Roy-Finville et des clandestins, Paris, Presses de la Cité, 1980, p. 89, 268.
    [18] FOIA CIA, 51966ec6993294098d509ff5, note de criblage, 19 mars 1963 ; 51966ec6993294098d509ff5, Ugo Antonio Emanuele Dadone (Desdemone), « « colloquio Mediterraneo » Firenze 3/6 octobre 1958 », p. 14.
    [19] Yigal Bin-Nun, « La quête d’un compromis pour l’évacuation des Juifs du Maroc », Pardès, n° 34, 2003/1, p. 75-98.
    [20] Archives de l’Etat d’Israël (AEI), Jérusalem, Ministère des Affaires étrangères, 2525/9, Easterman à Goldmann, 1er juillet 1957 ; 4317/10/II, télégr. Shneurson suite à sa conversation avec Easterman, 19 janvier 1958 ; 4318/10/II, Easterman à Laghzaoui, 26 novembre 1958. Cf. Yigal Bin-Nun, « The contribution of World Jewish Organizations to the Establishment of Rights for Jews in Morocco (1956-1961) », Journal of Jewish Modern Studies, n° 9/2, 2010, p. 251-274.
    [21] Ibid., 4317/10/II, Levinsky lors d’une rencontre d’agents du Mossad à Paris, 7 novembre 1958.
    [22] Ibid., 4319/4/1, rapport de Chouraqui, Chouraqui à Castel et Gazit à Castel, 24 mars 1960. Cf. Yigal Bin-Nun, « Chouraqui diplomate. Débuts des relations secrètes entre le Maroc et Israël », Perspectives, Revue de l’Université hébraïque de Jérusalem, n° 15, 2008, p. 169-204.
    [23] Archives de l’Úřad pro zahraniční Styky a Informace (AÚZSI), Prague, 43802-20, rapport de Mičke, 1er avril 1960.
    [24] AEI, op. cit., 4319/4/2, Caroz à Gazit, 3 avril 1960 ; 2052/84/2, Verad à Maroz, 13 juillet 1960.
    [25] AÚZSI, op. cit., Čermák, 25 février 1963.
    [26] Ibid., Rezidentura Rabat, 23 mai 1963.
    [27] Ignace Dalle, op. cit., p. 288.
    [28] AÚZSI, op. cit., Rezidentura Rabat, 23 octobre 1963.
    [29] Petr Zídek, Karel Sieber, Československo a Blízký východ v letech 1948-1989 [La Tchécoslovaquie et le Moyen-Orient, 1948-1989], Prague, Ústav mezinárodních vztahů, 2009, p. 220-225.
    [30] Medhi Ben Barka, Ecrits politiques 1957-1965, Paris, Syllepse, 1999, p. 199-218.
    [31] Ian Black, Benny Morris, Israel’s Secret Wars. A History of Israel’s Intelligence Services, New-York, Grove Press, 1992, p. 179 ; Yigal Bin-Nun, « La quête d’un compromise…, op. cit., p. 83-95.
    [32] Stephen Smith, op. cit., p. 232.
    [33] Raouf Oufkir, Les invités, Vingt ans dans les prisons du Roi, Paris, Flammarion/J’ai lu, 2005, p. 370-373, citant Y. Bin-Nun, Les relations secrètes entre le Maroc et Israël, 1955-1967, manuscrit et cycle de conférences au Centre Communautaire de Paris, 2004 ; Yigal Bin-Nun, « Les agents du Mossad et la mort de Mehdi Ben Barka », La Tribune juive, 1er avril 2015.
    [34] Cf. Karen Farsoun, Jim Paul, « War in the Sahara: 1963 », Middle East Research and Information Project, n°45, mars 1976, p. 13-16 ; Piero Gleijeses, « Cuba’s First Venture in Africa: Algeria, 1961-1965 », Journal of Latin American Studies, vol. 28, n° 1, février 1996, p. 159-195.
    [35] Michel Bar Zohar, Nissim Mishal, Mossad les grandes opérations, Paris, Plon, 2012, p. 178-179 et Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, « The Ghosts of Saint-Germain Forest », Yediot Aharonot, 23 mars 2015.
    [36] Ahmed Boukhari, Raisons d’Etats. Tout sur l’affaire Ben Barka et d’autres crimes politiques au Maroc, Casablanca, Maghrébines, 2005, p. 89 [ce livre, bourré d’affabulations, doit être manié avec précautions, malgré des éléments issus des permanenciers du CAB1 toujours classifiés].
    [37] Ephraim Kahara, « Mossad-CIA Cooperation », International Journal of Intelligence and Counterintelligence, vol. 14, n° 3, 2001, p. 409-420.
    [38] Yigal Bin-Nun, « La négociation de l’évacuation en masse des Juifs du Maroc », Shmuel Trigano (dir.), La fin du Judaïsme en terres d’Islam, Paris, Denoël, 2009, p. 357.
    [39] Muhammad Hassanein Haykal, كلام في السياسة (Propos politiques), Le Caire, Al-Misriyya linarch, 2001, cité par Abdelhadi Boutaleb, Un demi siècle dans les arcanes du pouvoir, Rabat, Az-Zamen, 2002, p. 274.
    [40] Il n’a produit que deux documentaires, Le ciel et la boue (1961) et Paris secret (1965).
    [41] Zakya Daoud, Maâti Monjib, op. cit., p. 347.
    [42] Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, op. cit..
    [43] Citée par Maurice Buttin, op. cit., p. 230-231.
    [44] Ahmed Boukhari, op. cit., p. 103.
    [45] Maurice Grimaud, Je ne suis pas né en mai 1968. Souvenirs et carnets (1934-1992), Paris, Tallandier, 2007, p. 270-271.
    [46] Roger Muratet, op. cit., p. 163-164.
    [47] Cf. les propos d’Ali Benjelloun, in DDF, 1966-1, Beaumarchais, 20 août 1966.
    [48] Pièce déclassifiée par la DGSE le 12 novembre 2004, citée par Maurice Buttin, op. cit., p. 407.
    [49] Philippe Bernert, op. cit., p. 320-321.
    [50] Roger Muratet, op. cit., p. 144-145.
    [51] PK, p. 798-800, « Compte rendu de voyage effectué du 8 au 10 mai 1965 », annexé à la note VII/102/010/100 du 17 mai 1965 de Leroy à Richard. Note VII/1912/R du 22 septembre 1965 de Leroy à Bertrand (non publiée) reprise dans RFPK, p. 391-393, note 5140/DG/CAB du 22 décembre 1965 de Jacquier à Zollinger ; Ibid., p. 395-397, Leroy à Bertrand, sd [3 novembre 1965].
    [52] Roger Muratet, op. cit., p. 169-174.
    [53] Philippe Bernert, op. cit., p. 328.
    [54] World’s Press News and Advertisers’ Review, 18 juin 1965, p. 14 ; Roger Muratet, op. cit., p. 221.
    [55] Bernard Violet, op. cit., p. 153.
    [56] Zakya Daoud, Maâti Monjib, op. cit., p. 347.
    [57] Maurice Buttin, op. cit., p. 239, 282.
    [58] Note VII/1912/R, op. cit..
    [59] Lucien Aimé Blanc, L’indic et le commissaire, Paris, Plon, 2006, p. 242-244.
    [60] Philippe Bernert, op. cit., p. 348.
    [61] Ibid., p. 350-352 ; Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, op. cit. ; Yigal Bin-Nun, « Les agents du Mossad et la mort de Mehdi Ben Barka », La Tribune juive, 1er avril 2015.
    [62] DDF, 1965-II, télegr. N° 3671, 31 octobre 1965.
    [63] RFPK, p. 395-397, et PK, p. 807-809, Leroy à Bertrand, sd.
    [64] Archives privées, M. Chaussée-Desormes, 13 février 1981.
    [65] Philippe Bernert, op. cit., p. 350, 353.
    [66] The National Archives, Kew (TNA), Foreign Office, 371/184006, James à Brown.
    [67] Philippe Bernert, op. cit., p. 368, RFPK, p. 398, et PK, p. 801, Bertrand à Leroy, 3 novembre 1965.
    [68] TNA, op. cit..
    [69] Ibid., 16 novembre 1965.
    [70] FOIA CIA, série 75-00149R.
    [71] Maurice Buttin, op. cit., 434.
    [72] Police judiciaire, DST, RG, Préfecture de Police de Paris.
    [73] Alain Peyrefitte, op. cit., p. 43.
    [74] Ronen Bergman, Shlomo Nakdimon, op. cit. ; Ian Black, Benny Morris, op. cit., p. 204-205.
    [75] FOIA CIA, CIARDP-75-00149R000100360072-6.
    [76] FRUS, p. 179, McCluskey à Ball, 25 janvier et Rusk à Johnson, 12 février 1966.
    [77] AÚZSI, 43802-100.
    [78] Cf. DDF 1965-II, télégr. 2299/2300, Couve de Murville à Gillot, 6 novembre 1965.

    CNAM, ESDR3C.

    Source

    #Maroc #Ben_Barka #Israël #Mossad #France

  • France-Maroc : La crainte de nouveaux assassinats politiques

    France-Maroc : La crainte de nouveaux assassinats politiques

    France, Maroc, Israël, Mossad, Ben Barka, diaspora marocaine, services secrets, Georges Malbrunot,

    Même si la France a toujours su dominer et faire marcher à la baguette le Maroc, ses relations avec son ancien protectorat n’a jamais été un long fleuve tranquille. Ce qui ajoute aux troubles et tempêtes dans ces relation tumultueuses et évoluant en dents de scie sous leurs dehors calmes et sereins, c’est cette propension qu’a adopté le Maroc à corrompre pas mal de hauts responsables hexagonaux, à défaut de carrément les faire chanter quand il n’arrive pas à en déterminer le prix. Georges Malbrunot, journaliste français, spécialiste du Moyen-Orient et du conflit israélo-palestinien, grand Reporter au Figaro, lève dans un Tweet un lièvre à la consistance loin d’être négligeable. Il y évoque carrément de possibles réminescence de l’affaire Ben Barka, dont les (mé)faits remontent carrément à la fin de la décennie 1960.

    Selon Georges Malbrunot, qui cite « un agent français, « quelques tensions sont apparues actuellement entre les services de renseignements français et marocains. La DGSI (direction générale de la sécurité extérieure) est remontée ». et pour cause, explique-til encore : « Que des éléments de la diaspora marocaine en France servent de sous-traitants au Mossad israélien, ça ne passera pas », détaille Malbrunot, citant encore sa source. Ce genre de tensions ne sont pas choses nouvelles dans les rapports sulfureux entre Paris et Rabat.

    Lors de son enlèvement à Paris, Mehdi Ben Barka préparait la conférence tricontinentale, qui s’est tenue à La Havane en janvier 1966. C’est cette dimension moins connue de l’activité du dirigeant socialiste marocain que des intervenants tâcheront de mettre en lumière. C’est pour mettre en convergence les mouvements de libération du tiers-monde que Mehdi Ben Barka, au moment de son assassinat, en octobre 1965, préparait la conférence tricontinentale. Eliminer Ben Barka était devenu une exigence majeure dans la répression internationale des insurrections du tiers-monde. Nous consacrerons cette semaine à mettre en lumière la vie de Mehdi Ben Barka et ses combats pour la solidarité entre les peuples opprimés. Les sulfuruses, délictueuses et incestueuses relations entre Paris et Rabat ne sont d’ailleurs pas sans rappeler et invoquer le spectre de l’opposant Mehdi Ben Barka, enlevé et assassiné par des éléments de la DGSI française, non sans la précieuse aide d’agents du Mossad.

    Ben Barka, dont l’aura rayonnait sur la planète entière, était devenu un sérieuse menace pour la monarchie corrompue et prédatrice du défunt Hassan II. C’est le colonel Laânigri, sorte de double d’Abdellatif Hammouchi, qui s’est occupé de torturer Ben Barka dans une villa située en banlieue parisienne, avant que son corps ne soit dissout dans une baignoire remplie d’acide.

    En apprenant la nouvelle de cet odieux assassinat, le général De Gaulle serait entré dans une colère folle. Or, jusqu’à ce jour ce crime d’Etat n’a toujours pas été élucidé. Pis encore, le risque est grand que de pareils assassinats politiques ne soient commis de nouveau en France contre des opposants marocains et sahraouis en vue activant en Hexagone.

    Hassan II, on s’en souvient, avait obtenu l’aide directe des agents du Mossad dans l’assassinat de Ben Barka en échange de la vente-émigration de près de 10.000 juifs marocains. Si bien que cette dernière est désormais la plus importante en Palestine, et est carrément majoritaire dans la ville d’Ashdod.

    Mehdi Ghayeb

    La patrie news, 01 juin 2022

    #Maroc #France #Services_secrets #BenBarka #Mossad



  • La France, craint-elle une affaire Ben Barka bis?

    La France, craint-elle une affaire Ben Barka bis?

    France, Maroc, Israël, Mossad, Ben Barka, diaspora marocaine,

    Selon Georges Malbrunot, qui cite « un agent français, « quelques tensions actuellement entre les services de renseignements français et marocains. La DGSI est remontée ». « Que des éléments de la diaspora marocaine en France servent de sous-traitants au Mossad israélien, ça ne passera pas », explique la source.

    « Le rapprochement marqué entre le Maroc et Israël fait craindre à Paris une intensification de la coopération entre les services des deux pays, sur le dos de la France. Des histoires passées remontent à la surface. Voir Le déclassement français, précise-t-il dans un twit.

    Malbrunot, fait-il allusion à l’assassinat par le Mossad de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka sur le sol français?

    #Maroc #France #Israël #Mossad

  • Ralph Boussier: avocat et lobbiste du Maroc payé par la DGED

    Ralph Boussier: avocat et lobbiste du Maroc payé par la DGED

    Ralph Boussier: avocat et lobbiste du Maroc payé par la DGED – Joseph Tual, Ben Barka, services secrets, Israël, Mossad,

    Un avocat français au service de l’espionnage marocain

    Le hacker Chris_Coleman24 qui distille depuis octobre dernier via son compte Twitter des documents confidentiels sur la diplomatie marocaine, diffuse aujourd’hui une série de documents concernant Ralph Boussier, un avocat français travaillant pour le compte de la Direction générale des études et de documentation  (DGED), le service marocain du renseignement extérieur dirigé par Yassine Mansouri.

    Dans un mail datant du 23 novembre 2009, Chris_Coleman24 révèle que l’avocat français Ralph Boussier du Cabinet Normand et Associés demande à son officier traitant marocain de transférer « un compte rendu d’audience » à « Monsieur Le directeur Général », qui n’est autre que le patron de la DGED, Yassine Mansouri.

    Le compte rendu concerne une affaire de faux billets bahreinis  imprimés en Argentine et échangés en France pour une valeur de 300 millions d’euros disséminés au Niger, au Tchad, au Liban, en Belgique, en Suisse et en France ! Le mail fait référence à Hicham Mandari, un marocain abattu par balles au sud de l’Espagne en aout 2004 . Selon le mail signé par Aurore Francelle, avocate associée de Ralph Boussier, Mandari aurait effectué la première opération de change d’envergure de ces faux billets à Paris. La présence du nom d’un marocain dans cette affaire aurait-elle à elle seule justifié que la DGED soit mise au parfum?

    Dans un autre document datant du 13 avril 2010, l’avocat rend compte de deux réunions tenues respectivement avec l’ancien ambassadeur de France au Maroc, Bruno Joubert et l’ancien secrétaire marocain d’Etat à l’Intérieur, Saad Hassar où il est question d’organiser les visites au Maroc de Jean François Copé, alors président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale et le Ministre de la Culture de l’époque Fréderic Mitterrand. On apprend dans ce document que Ralph Boussier suggère au patron de la DGED de transformer la « Maison de Lyautey » en musée après l’avoir rénovée, ce qui ressemble à une proposition d’affaire immobilière juteuse qui profiterait évidemment au premier à en avoir  eu l’idée !Dans un autre document datant du 12 août 2010, on apprend qu’une réunion de travail est prévue entre l’avocat et le patron de la DGED. Celle-ci avait été précédée d’autres rencontres avec l’ancien conseiller royal et actuel patron de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT), Fayçal Laraichi et des juristes américains pour tenter de rallier Barbara Lee, congresswoman démocrate de Californie et Keith Ellison, congressman musulman à la cause nationale de la marocanité du Sahara. Dans sa lettre, Ralph Boussier exprime également ses prétentions salariales sur la base « d’un règlement mensuel au temps passé» dans cette mission!
    Le marrant dans l’histoire, c’est que les mails confidentiels sur l’affaire des faux billets bahreinis qu’il recevait de sa collègue avocate comportaient la mention suivante: « ce courrier électronique est envoyé par un cabinet d’avocats et peut contenir des informations personnelles et confidentielles. Si vous n’en êtes pas le destinataire, veuillez en informer l’expéditeur et effacer ce message de votre système ». En violant les règles de confidentialité et en transférant ces courriers à de tierces parties, l’homme de loi ne pensait pas être pris dans son propre jeu quelques années plus tard en voyant son histoire éclater au grand jour par un simple clic !

    Source : Blog de Reda Ben Othman, 6 déc 2014

    ——————————————————————

    Selon quelques correspondances avec la DGED, les renseignements extérieurs du Maroc, Maître Ralph Boussier a été envoyé aux Etats-Unis en vue

    De : hakim sayah hakim.sa@gmail.com
    À : amine aminee aaamine145@yahoo.fr
    Envoyé le : Sam 18 décembre 2010, 5h 31min 30s
    Objet : Re: Tr : TR: DSCC Swearing-In Breakfast on January 5

    La mobilisation d’une délégation marocaine pour prendre part au petit déjeuner qu’organisent les sénateurs Harry Reid et  Patty Murray ne semble pas constituer une initiative probante.  
     Il s’agit en effet d’un événement considéré comme mineur sur le plan politique et dont le principal objectif est de collecter des fonds. Les sénateurs du Caucus démocrate ne seront d’ailleurs représentés dans leur quasi majorité que par leurs staffeurs.

    Les principaux concernés par cette initiative restent des acteurs locaux (investisseurs, groupes de pression , hommes d’affaires américains …)  qui tablent sur le  Caucus démocrate pour servir leurs propres intérêts et qui suivent dans ce cadre assidument les activités de cette institution.
    La présence d’une délégation étrangère sans projet concret susceptible de capter l’intérêt de leurs convives  pourrait  ainsi paraitre insolite. Le temps pour engager  un début de discutions fructueuses risque en outre d’être trop limité,  la rencontre devant durer moins d’une heure.

    La présence de M l’Ambassadeur et ses diplomates en charge des relations avec le sénat pourrait toutefois être justifiée.  Elle s’inscrit en effet dans la continuité d’un travail de sensibilisation récemment entrepris par son équipe auprès  des sénateurs Herber Kohl, Sherrod Brown, Jesse Francis “Jeff” Bingaman Jr  et Thomas Stewart Udall, tous membres dudit Caucus. Ces derniers qui subissaient l’influence néfaste du sénateur  pro-polisario Patrick Leahy tendent depuis à prendre une position plus équilibrée concernant l’affaire du Sahara. 

    Quant à l’implication de maitre Boussier, la  contribution du consultant Tobby Moffet semble plus appropriée. Il s’agit en effet d’un produit du terroir qui en tant qu’ancien congressman, connait le langage à tenir devant ses comparses politiques du sénat. En outre, la notoriété et l’estime que lui vouent plusieurs représentants démocrates font de lui une source d’intérêt crédible et appréciée des sénateurs et staffeurs.

    A la lumière de ce qui précède , en termes de rentabilité tant sur le plan financier qu’opérationnel , la présence d’une délégation composée de  M l’Ambassadeur, son équipe de diplomates en charge des relations parlementaires,  du  lobbyiste Tobby Moffet et de son Vice Président for International Business auprès du groupe Moffett,  Talal Belghiti, suffirait amplement pour effecteur le travail de promotion nécessaire auprès des staffeurs et autres personnalités  qui assisteront à cet évènement.

    ———————————————————–

    De : « rboussier@galilex.com » rboussier@galilex.com
    À : Aminee AMINE aaamine145@yahoo.fr
    Envoyé le : Mer 2 mars 2011, 19h 26min 34s
    Objet : Tr: U.S. Under Sec. of State Says U.S.-Morocco Partnership ‘More Important’ Than Ever, Reiterates… — WASHINGTON, March 1, 2011 /PRNewswire-USNewswire/ —

    Pour information.
    Cordialement.
    ——Message d’origine——
    De: M. Thomas M. WOLF
    À: M. Ralph BOUSSIER
    Objet: U.S. Under Sec. of State Says U.S.-Morocco Partnership ‘More Important’ Than Ever, Reiterates… — WASHINGTON, March 1, 2011 /PRNewswire-USNewswire/ —
    Envoyé: 2 mar 2011 16:57

    http://www.prnewswire.com/news-releases/us-under-sec-of-state-says-us-morocco-partnership-more-important-than-ever-reiterates-support-for-western-sahara-autonomy-plan-cites-moroccan-reforms-117190463.html

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    RALPH BOUSSIER
    Avocat à la Cour
    SCP Normand & Associés
    7, place de Valois-75001 PARIS

    ———————————————————————————–

    BEN BARKA : UN JOURNALISTE DE FRANCE 3 DANS LE VISEUR DU RENSEIGNEMENT MAROCAIN ?
    Wikileaks marocain : de nouveaux documents fuitent

    49 ans après l’enlèvement du principal opposant au roi Hassan II à Paris, en 1965, l’affaire Ben Barka continue d’occuper la justice française et les services de renseignement marocains. Ce mardi 16 décembre 2014, le tribunal correctionnel de Paris examinait la plainte déposée par un journaliste de France 3 à l’encontre du magazine Maroc Hebdo. L’affaire remonte à 2007 : au lendemain d’un reportage de France 3 à propos d’un nouveau rebondissement judiciaire dans l’affaire Ben Barka, l’auteur du reportage, Joseph Tual, a fait l’objet de nombreuses attaques de la presse marocaine. Des tentatives de déstabilisation de la part du Maroc ? Une thèse validée par la publication de nouveaux documents de la part de @chris_coleman24, à l’origine du Wikileaks marocain.
    Ce mardi 16 décembre 2014, au tribunal correctionnel de Paris, il était question d’une affaire qui remonte à sept ans, en marge d’une affaire qui date… de 1965. Cette année-là, Mehdi Ben Barka, principal opposant au roi du Maroc, Hassan II, est enlevé en plein Paris. Par qui ? Où se trouve son corps ? C’est tout l’enjeu de l’enquête judiciaire, toujours en cours en France.

    Les 22 et 23 octobre 2007, alors que Nicolas Sarkozy est en voyage officiel au Maroc, France 3 fait le point sur l’enquête Ben Barka. Et révèle que le juge d’instruction français en charge du dossier, Patrick Ramaël, a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de cinq dignitaires marocains, dont le général Benslimane, chef de la gendarmerie royale, et un certain Miloud Tounzi, identifié comme étant le fameux Larbi Chtouki, le principal organisateur de l’enlèvement de Ben Barka, condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité en 1966 lors d’un procès à Paris.

    Le journaliste de France 3, Joseph Tual, qui enquête sur l’affaire Ben Barka depuis plus de vinqt ans, rappelle dans les deux sujets l’existence d’une ancienne prison secrète à Rabat, baptisée PF3. Ce serait là que Ben Barka pourrait être enterré, ainsi que près de 250 opposants au régime, notamment des étudiants de grandes familles marocaines. Selon nos informations, la justice française aurait même demandé une surveillance satellitaire afin de s’assurer que le terrain vague d’aujourd’hui, propriété de la gendarmerie royale marocaine, reste en l’état, à défaut pour la justice française de pouvoir se rendre sur place pour faire des fouilles. Un sujet très sensible. La preuve ? Pour avoir filmé ce centre de détention secret, Tual est désormais indésirable sur le sol marocain.

    « La prison PF3, c’est le tabou absolu, assure Tual, contacté par Arrêt sur images. Tous mes ennuis partent de là ». Des ennuis ? Au lendemain de la diffusion de ses deux reportages, le journaliste fait l’objet de nombreuses attaques de la presse marocaine, comme l’a rappelé Le Point. Le quotidien Assabah le qualifie d’ »agent des services secrets algériens ». Tual le fera condamner pour diffamation. Maroc Hebdo International va plus loin et publie un article intitulé « profession fouille-merde », dans lequel on peut lire des retranscriptions d’une conversation entre Tual et l’un des cinq Marocains sous mandat d’arrêt, Miloud Tounzi. D’après les retranscriptions de cette conversation téléphonique qui s’est tenue le 19 octobre 2007, Tual prévient Tounzi qu’il va faire l’objet d’un mandat d’arrêt dans quelques jours et il lui suggère de quitter le territoire marocain car sa vie serait en danger. Un extrait de la conversation pour le moins gênant pour le journaliste de France 3 : cela sous-entend qu’il est de mèche avec le juge d’instruction français.

    A la suite de la publication de cet article, Tual dépose plusieurs plaintes. En 2008, le directeur de la publication de Maroc Hebdo, Mohamed Selhami, est condamné pour injure publique. En 2009, Tual porte également plainte pour « atteinte au secret des correspondances » et « atteinte à l’intimité de la vie privée », la conversation n’ayant pas vocation être rendue publique. A l’époque, Tual assure à l’AFP que cette conversation a été « tronquée » et que ses propos ont été « dénaturés afin de manipuler l’opinion ». C’est ce volet de l’affaire qui vient d’être examiné par le tribunal correctionnel de Paris.

    Une nouvelle étape judiciaire qui s’inscrit dans une longue liste de procès opposant Tual et Tounzi, lequel a lui aussi porté plainte contre le journaliste, notamment pour atteinte à la présomption d’innocence et injure publique. Jusqu’à présent, Tual a gagné tous ces procès.

    L’AVOCAT DE MAROC HEBDO, PAYÉ PAR LES RENSEIGNEMENTS MAROCAINS ?
    Ces procès auraient un objectif bien précis : « Le but du jeu est de me déstabiliser, de me mettre la pression », nous assure Tual. Qui précisément ? Des documents diffusés dans le cadre du Wikileaks marocain, dont Arrêt sur images a déjà parlé, apportent peut-être un début de réponse. Celui qui se fait appeler Chris Coleman a publié des documents attestant que l’avocat de Maroc Hebdo est payé par… les services de renseignement marocains, visiblement bien décidés à mener la vie dure au journaliste de France 3.

    Parmi ces documents figure notamment une note de frais d’avocat en date du 27 décembre 2011, adressée par le cabinet d’avocats Normand & Associés à Yassine Mansouri, directeur de la DGED, les services secrets marocains. Ces frais d’avocat s’élèvent à 3 900 euros et mentionnent une « facture de Me Bosselut ». Bosselut ? C’est précisément l’avocat de Maroc Hebdo dans l’affaire contre Tual, déjà en cours d’instruction en 2011.

    Le document est-il authentique ? Après vérification des données du fichier PDF, il semble que ce document n’ait pas été trafiqué. En revanche, plusieurs interrogations demeurent : pourquoi le cabinet d’avocat Normand & Associés aurait-il édité une telle facture alors qu’aucun de ses avocats n’a travaillé pour Maroc Hebdo dans les multiples affaires judiciaires qui opposent Tual, Maroc Hebdo et Tounzi ? Pourquoi Me Bosselut apparaît-il sur ses factures alors qu’il ne travaille pas pour le compte de Normand & Associés ? Le cabinet Normand & Associés sert-il ici de paravent pour brouiller les pistes afin de masquer les liens entre Bosselut et les renseignements marocains ?

    Détail supplémentaire : l’avocat Ralph Boussier, dont la signature figure au bas de la note d’honoraires de Normand & Associé, est « l’un des membres du collectif d’avocats franco-marocains qui représentent le royaume chérifien », dixit RFI. C’est lui qui est monté au créneau en début d’année, au nom du patron de la Direction générale de la surveillance du territoire marocain (DGST), Abdellatif Hammouchi. Accusé de tortures, notamment par un militant sahraoui qui a reçu le soutien d’une ONG française, Hammouchi a mandaté Boussier pour porter plainte pour dénonciation calomnieuse en France. Voilà pour la connexion Boussier-Maroc. De là à considérer que le document Normand & Associés est crédible et n’est pas un faux…

    Contacté par ASI pour savoir si ce document était authentique, le cabinet Normand & Associés a vérifié le numéro de dossier (20071097) figurant sur la note d’honoraires. « A priori, ça ne vient pas de chez nous », nous a-t-on dit au bout de quelques minutes. L’avocat Ralph Boussier, dont la signature figure au bas de cette note d’honoraires, n’était pas disponible à l’heure où nous publions cet article. Tout comme Me Rodolphe Bosselut, l’avocat de Maroc Hebdo.

    Arrêt sur image, 18/12/2014

    #Maroc #RalphBoussier #DGED #Lobbying #BenBarka #Joseph_Tual

  • Affaire Ben Barka: Documents révélés par le hacker Coleman

    Affaire Ben Barka: Documents révélés par le hacker Coleman – Maroc, Israël, Mossad, Hassan II, Miloud Tounzi, services secrets,

    Courrier de Maître Ralph Boussier du 08 décembre 2010:

    —– Message transféré —-
    De : Ralph BOUSSIER <RBOUSSIER@galilex.com>
    À : aaamine145@yahoo.fr
    Envoyé le : Mer 8 décembre 2010, 16h 59min 24s
    Objet : 20071097 – TOUNZI – CONSULTATION

    Cher monsieur,

    Conformément à la stratégie arrêtée lors de notre dernier rendez vous général voici la déclaration d’appel qui fut régularisé par maitre Clément.

    J’ajoute que le greffe de la Cour d’appel lui a indiqué que depuis 34 ans que dure cette instruction et en dépit des 11 juges d’instructions qui se sont succédés dans ce dossier , jamais la Cour n’avait connu de ce dossier.

    Décidément c’est curieux.

    Cordialement.

    Ralph BOUSSIER

    S.C.P. NORMAND &  Associés

    www.normand-associes.fr

    Tel : 00.33.1.47.20.30.01

    Membre de :

    www.ialawfirms.com

    Pièce jointe en PDF :

    ————————————————————–

    RALPH BOUSSIER
    Avocat à la Cour
    SCP Normand & Associés
    7, place de Valois-75001 PARIS

    De : Ralph BOUSSIER <RBOUSSIER@galilex.com>
    À : aaamine145@yahoo.fr
    Envoyé le : Ven 24 décembre 2010, 15h 00min 07s
    Objet : note de lecture livre de me Buttin

    cher monsieur,
    merci de transmettre cette note à monsieur le Directeur général.
    bien entendu e suis à son entière disposition pour lui commenter de vive voix à sa convenance.
    cordialement

    RALPH BOUSSIER
    AVOCAT A LA COUR
    SCP NORMAND
    FRANCE
    +33 1 47 20 30 01
    +33 1 47 20 06 01
    +33 6 76 86 91 50

    NOTE DE LECTURE DU LIVRE DE MONSIEUR MAURICE BUTTIN

    1. sur cette publication :

    il convient de souligner d’ores et déjà et en introduction que cet ouvrage est édité chez KARTHALA qui est une société d’édition très confidentielle qui ne produit que des ouvrages très particuliers à audience restreinte.

    Pour preuve s’agissant de celui-ci, il n’est pas encore à ce jour diffusé chez les libraires ou les grandes enseignes de diffusion d’ouvrage et il convient d’aller l’acquérir chez l’éditeur lui-même.

    1. présentation générale de l’ouvrage :

    Ce livre est en réalité un prétexte pour son auteur de réaliser une biographie en se dissimulant derrière un titre particulièrement accrocheur puisqu’il utilise le nom de trois personnalités à très forte notoriété que sont feu sa majesté HASSAN II, le Général DE GAULLE et BEN BARKA.

    Le titre et la première de couverture indiquent clairement que l’essentiel du livre concerne le dossier qui aura occupé presque toute la vie professionnelle de cet avocat à savoir l’affaire BEN BARKA ;

    Au travers de 479 pages, dont 430 sont consacrés à Mehdi BEN BARKA, il est retracé les premières années de l’Indépendance jusqu’à la disparition de Mehdi BEN BARKA en ce mois d’octobre 1965.

    L’aspect témoignage politique n’est pas l’objet de la présente et j’en fais l’économie. C’est pourquoi je vais directement à ce qui est intitulé « l’affaire BEN BARKA » et qui est la troisième partie du livre qui comprend trois sous-parties que sont :

    • la première plainte (1965-1975)
    • la deuxième plainte (1975-2010)
    • « les responsables ».
    1. l’analyse de la troisième partie :
    1. la première plainte et sa gestion de 1965 à 1975 :

    Au travers de cette première sous-partie, il est essentiellement décrit tout d’abord l’influence supposée de Mehdi BEN BARKA, puis les éléments politiques qui auraient conduit à sa disparition et enfin l’impact de sa disparition au sein du Royaume du Maroc.

    Cette partie se termine bien entendu par les éléments fondamentaux que sont les procès de 1966 et 1967 et il faut d’ores et déjà souligner que de façon très contrastée l’auteur relève que si l’instruction de cette affaire n’a pas été bâclée par le Juge ZOLLINGER, en revanche elle aurait été réalisée dans un délai beaucoup trop court pour, comme cela est indiqué : « (…) dégagées toutes les mailles du filet (…) » (Cf. page 297).

    Afin de fonder son propos, Maître BUTTIN reprend l’interview qu’avait donnée le Juge d’instruction le 21 mars 1990 dans une émission d’enquête de Charles VILLENEUVE où ce magistrat à la retraite avait répondu :

    « je ne pouvais plus rien ajouter. Toutes les portes étaient fermées, tous les verrous poussés (…) ».

    Pour achever l’illustration de cette première thèse, il est cité un extrait du journal suisse La Liberté Fribourg du 4 avril 1966 qui aurait affirmé que le dossier du juge fut d’autant plus rapidement clos qu’il était visible que le pouvoir avait hâte d’en finir avec un dossier plus volumineux que lumineux.

    C’est sur ces appréciations donc que s’ouvre la relation du procès de 1966 qui, et il n’est pas neutre de la souligner, s’appelle pour le commun des mortels « l’affaire BEN BARKA », nom de la victime, et non du nom des accusés, ce qui est plus habituel en matière criminelle.

    Dans cette première affaire l’audience durera 17 semaines, six accusés sont présents dans le box. Ils sont accusés d’arrestation illégale et de séquestration et pour le Roy Finville de non dénonciation de crime.

    Bien entendu, cette première partie de procès sera interrompue par l’arrivée de Monsieur DLIMI, ce qui renverra le procès et conduira à une deuxième session d’assises.

    Pour synthétiser l’essentiel du procès, en tout cas de cette première partie du procès, il faut reprendre la citation qui est faite par Maître BUTTIN s’agissant de la plaidoirie de l’un de ses confrères qui relève qu’ « il est regrettable que beaucoup de gens n’ait connu l’existence de BEN BARKA, ce leader du Maroc et du Tiers-Monde, qu’à propos de son enlèvement (…) » (Cf. page 299) nous sommes manifestement dans une tribune politique et non dans une enceinte de justice.

    Il faut relever qu’avec une certaine franchise, Maître BUTTIN note que cette première série de journées d’audience est très décousue, que les témoignages sont contradictoires et qu’il est tellement impliqué dans le dossier que le Président va même jusqu’à s’interroger, s’adressant à lui, en lui disant :

    « (…) êtes-vous témoin ou avocat ? (…) »ceci est intéressant pour la situation actuelle de ce dossier et des agissements du juge Ramael.

    La réflexion du Président de la Cour d’Assises de Paris résulte de l’interrogatoire de EL MAHAI qui est pris à partie par Maître BUTTIN lorsqu’il déclare qu’il est étudiant, alors qu’il l’aurait reçu précédemment au Ministère de l’Intérieur à Rabat en lieu et place du Général OUFKIR.

    D’ores et déjà, on s’aperçoit que Maître BUTTIN est arc-bouté sur le fait de savoir qui est Monsieur CHTOUKI.

    En effet, il explique au Président que pour sa cliente Madame BEN BARKA, il a besoin de savoir qui est ce personnage, qui est selon lui la charnière du dossier et que personne n’a pu retrouver.

    Le Président en bon magistrat lui coupe la parole et lui dit :

    « (…) se sont des appréciations je voudrai que vous posiez votre question (…) » (Cf. page 301)

    Il n’est pas neutre non plus de relever avec quelle insistance LOPEZ est interrogé afin d’identifier CHTOUKI et la seule information qui ait pu avoir la Cour d’Assises est que cette personne existait puisque Monsieur EL MAHAI le connaissait.

    Monsieur EL MAHAI va jusqu’à dire qu’il l’a connu comme Commissaire de police et que son prénom était Miloud.

    Monsieur EL MAHAI va être très disert puisqu’il va définir le rôle de DLIMI auprès d’OUFKIR et il identifie le cabinet 1 puis fait référence à la Villa MOKRI. (page 303)

    Manifestement, les débats se tendent et le Président menant de façon ferme et respectueuse du Code de procédure criminelle ceux-ci, va jusqu’à suspendre l’audience compte-tenu de la volonté qu’ont certains avocats des parties civiles de transformer en tribune politique l’audience.

    Ces incidents d’audience vont aller jusqu’à ce que le Président interdise à Maître BUTTIN d’intervenir à tout bout de champ et il ne se retirera pas de ce procès à la demande de Abderrhaman YOUSSOUFI qui lui demande de se maintenir pour pouvoir plaider.

    Pour illustrer la tension qui existait, il est fait référence à un article paru le 30 septembre 1966 dans le journal Combat qui relevait que :

    « Lorsque le 30 septembre, le Président PEREZ a osé censurer le témoignage du Bâtonnier YOUSSOUFI, la partie civile a menacé de se retirer, (…), il ne s’agissait pas d’un chantage. Et c’est pourquoi soudain apeuré le Président, après une courte suspension d’audience a platement battu en retraite, (…), mais je crois comprendre que la partie civile a désormais perdu toute illusion, le pouvoir de Matignon a prévalu sur celui de l’Elysées, (…), la partie civile est revenue pour la forme à la barre. Moralement elle s’est retirée. Le procès des assassins de BEN BARKA peut se poursuivre maintenant sur un autre plan que le judiciaire. L’affaire ne fait que commencer. Le mort aura la vie dure. Le mort aura le dernier mot (…). »

    Cette position et cette relation des faits, en un mot ce témoignage, sont particulièrement importantes dans la situation actuelle puisqu’on s’aperçoit qu’en réalité les parties civiles n’auront de cesse à partir de ce moment là que « ..d’affirmer que cette tragique et ténébreuse affaire à la double responsabilité marocaine et française, ne peut avoir de conclusion puisque les verrous mis par les complices français à une instruction complète et le silence obstiné des accusés et des autres personnes vraisemblablement au courant, empêche que le sort réservé à la victime ne soit connu… » (Cf. page 308)

    La position deviendra éminemment politique, à tel point que les journaux retiennent que Maître BUTTIN fait œuvre de militant en faisant plaidoirie essentiellement centrée sur la politique marocaine pour aboutir à la théorie du complot.

    De façon curieuse, Maître BUTTIN règle le réquisitoire de l’Avocat général TOUBAS en deux lignes en indiquant qu’il est implacable mais qu’il se garde bien de mettre en cause le souverain marocain.

    C’est donc au terme de 37 jours d’audience que le verdict doit être rendu mais un coup de théâtre intervient le 19 octobre, puisque le Directeur général de la Sûreté Nationale Ahmed DLIMI se présent au Palais de justice et se constitue prisonnier.

    Cette arrivée, certes spectaculaire, permet à Maître BUTTIN de retenir que « … le pouvoir marocain en joueur avisé s’sacrifia une pièce importante de son jeu, ce qu’il qualifie être le troisième pilier du régime selon ce qu’aurait écrit le Bâtonnier YOUSSOUFI dans son ouvrage intitulé L’Evènement paru en novembre 1966 page 22. … »(page 311).

    Bien entendu le procès est ajourné et après avoir rappelé la tragique série de décès des confrères de la partie civile, Pierre STIBBE, le Bâtonnier THORP et Michel BRUGUIER Maître BUTTIN une nouvelle fois va extrapoler et à indiquer que tous trois seraient décédés épuisés par les semaines de travail, de présence aux audiences, de tension et de passion lors du procès BEN BARKA.

    Certains seraient même allés jusqu’à parler de la malédiction qui s’abattait sur les avocats de la partie civile.

    Ceci renvoie au 17 avril 1967 où le même Président, à savoir le Président PEREZ ouvre la nouvelle session d’Assises qui est l’objet d’entrée de jeu d’un incident des parties civiles qui souhaiteraient qu’elle soit tenue plus tard.

    Les parties civiles savent que cette demande de renvoi du procès à un mois n’est bien entendu pas acceptable pour le Président.

    Ceci conduit Maître BUTTIN à affirmer qu’à compter de ce jour, Madame BEN BARKA a décidé de consacrer désormais sa vie et ses moyens à la recherche de la vérité, et c’est face au refus de cette demande de renvoi que la partie civile quitte l’audience et deviendra un spectateur silencieux. (Cf. page 315).!

    Faisant manifestement l’objet d’une orchestration et d’une organisation particulière qui avaient pour seul but, dès cette époque là, de montrer que dans cette affaire l’instruction dans un premier temps puis le procès dans un second ne sont pas normalement menés, la partie civile va avoir le beau rôle de quitter les débats et sera soutenue par une partie de la presse française comme par exemple le Canard Enchaîné qui écrit le 19 avril 1967 :

    « Dieu merci, la mort, puis le Président PEREZ ont finalement réussi à écarter cette inconvenante partie civile du prétoire, où elle jetait le trouble. Désormais, le linge sale de l’affaire BEN BARKA se lavera, comme il se doit, en famille. Tous les espoirs sont permis (…) Quant à Monsieur le Président PEREZ, le voici réduit au silence. Son rôle principal consistait, en effet, à dire « la question ne sera pas posée » et l’on saura enfin la vérité, comme toute la vérité, comme l’a promis DE GAULLE à la mère de BEN BARKA ».

    Fort de cette position de témoin silencieux, Maître BUTTIN va ensuite dans son ouvrage faire sa plaidoirie, en disant « si j’avais pu plaider les débats auraient été différents ».

    Comme vous le savez le verdict est rendu le 5 juin 1967. Monsieur SOUCHON est condamné à six ans, LOPEZ à huit ans de réclusion criminelle. Maître BUTTIN rappelle que l’Avocat Général avait requis 20 ans contre le premier et 15 ans contre le second. Tous les autres accusés sont acquittés et c’est ainsi que seront clôturés 70 journées d’audience.

    L’auteur nous livre également une citation parue dans la revue L’Evènement sous la plume de K. Archibald qui écrivit que :

    « en rendant leur verdict, les jurés n’ont fait que rendre au Tribunal la monnaie de sa pièce. Les faiblesses du dossier, les références sempiternelles au secret professionnel et à l’acte de gouvernement, leur ont fait comprendre qu’ils n’avaient pas droit à la vérité mais aux quelques parcelles que la raison d’état jugeait bon de leur livrer. Dans ces conditions, ils ont estimé qu’ils n’avaient pas à juger (…) ».

    Mais la Cour rendit également le même jour un deuxième arrêt pour condamner par contumace OUFKIR, CHOUKI et les quatre truands français dans cet arrêt Ahmed DLIMI est acquitté, OUFKIR condamné par contumace. Ainsi se clôture la première partie de cette affaire.

    Maître BUTTIN renvoie à des appréciations politiques en faisant référence notamment au livre « Les officiers de sa Majesté » mais ce n’est pas particulièrement dirimant.

    1. deuxième plainte de 1975 à 2010 :

    Comme nous le savons, Maître BUTTIN a régularisé une plainte contre X le 21 octobre 1975 pour assassinat, complicité d’assassinat et toute autre infraction que l’instruction révèlerait.

    Cette plainte est motivée par le fait que les arrêts du 5 juin 1967 n’ont pas fait justice. (Cf. page 339)

    Il ne me semble pas très pertinent de faire des développements sur l’introduction afférente à cette deuxième plainte puisqu’il s’agit essentiellement d’appréciation de Monsieur BUTTIN et le premier élément intéressant développé visé les mandats d’arrêt en page 352.

    Ce qui ne sera pas pour nous surprendre, il retient que le Juge RAMAEL a incontestablement adopté une attitude plus offensive que ces prédécesseurs et cette offensive bien entendu prend la forme des cinq mandats d’arrêt d’octobre 2007 qui sont motivés uniquement pour entendre les survivants de l’époque « et non à priori pour les mettre en examen comme certains médias l’ont soutenu » (page 352).

    Il rend également hommage au courage du journaliste Joseph TUAL et relève que cette décision du Juge RAMAEL est une première depuis le dépôt de la nouvelle plainte.

    Ensuite, il est rappelé que manifestement les mandats d’arrêt internationaux n’ont pas gêné dans ses déplacements le Général BENSLIMANE et qu’en juin 2009 lorsque Michèle ALLIOT-MARIE devient Ministre de la justice et des libertés, après qu’elle ait été saisie par lettre, s’étonnant de la non exécution par le Maroc des commissions rogatoires internationales, il aura reçu une réponse le 28 août, lui indiquant qu’elle saisissait immédiatement le Directeur des affaires criminelles et des grâces et à mi-septembre, la décision est prise de diffuser les mandats d’arrêt.

    Il est relevé que moins de 24 heures après, une décision contraire intervient.

    Fort de cela, et de ces errements quant à l’exécution des mandats d’arrêts ou des commissions rogatoires internationales, Maître BUTTIN rappelle que le 2 octobre 2008 il avait été reçu au quai d’Orsay par trois représentants du Président de la République française et qu’on lui aurait proposé un marché, à savoir d’échanger l’exécution des commissions rogatoires internationales contre la mise à néant des mandats d’arrêts internationaux. Marchandage auquel il se serait refusé.

    Il termine ce chapitre en apothéose en citant in extenso la lettre écrite le 7 octobre 2009 par le Juge RAMAEL au Procureur de la République en lui indiquant :

    « (…) Interpol revendique le blocage des diffusions sollicitées selon des procédures internes confidentielles qui tiennent compte des intérêts politiques et diplomatiques. En conséquence, j’estime inutile et hypocrite de fournir de plus amples éléments afin de permettre d’apprécier s’il s’agit d’une affaire mettant en cause des responsabilités étatiques. Manifestement l’affaire BEN BARKA continue de déranger 44 ans après, (…) ».

    L’auteur ajoute que le Juge renouvelle alors les quatre mandats d’arrêt et ajoute un cinquième visant Monsieur EL ASSOUNI puisque semble-t-il il vient d’obtenir l’identité complète de celui-ci.

    L’auteur s’exclame en conclusion que le Maroc refuse d’exécuter les commissions rogatoires internationales et que la France s’oppose à l’exécution des mandats d’arrêt. Une fois de plus la raison d’état et des Etats l’a emporté sur l’exigence de justice. (page 354)

    A partir des pages suivants, il s’agit plus d’un travail d’enquête qui est mené par l’auteur, qui a reconstitué certains éléments à partir soit des pièces pénales soit d’auditions récentes de personnes qui subitement se présentent chez le Juge RAMAEL, tel un agent d’Orly Monsieur Daniel TROUBLE qui, le 18 juin 2009, va déclarer au Juge d’instruction :

    « Lorsque je suis arrivé comme jeune agent des services commerciaux aux frets d’Orly, en 1969, j’ai entendu parler les anciens et je suis venu vous livrer mon témoignage (…). Il se disait qu’un dimanche, me semble-t-il, vers 5 heures du matin, l’employé de permanence pour la taxation des colis avait vu arriver en personne Maurice PLAGIAS, chef du centre de fret, et deux autres personnes. La présence de ces deux responsables ce jour là et à cette heure là, était totalement inhabituelle.

    Ils étaient venus faire taxer un colis parallélépipédique, identique à ceux servant à transporter les cercueils, d’un poids de 125 à 140 kg, supposé contenir des pièces détachées à destination de Casablanca.

    Ce colis a été embarqué dans un DC3 qui n’aurait embarqué rien d’autre (…). Le lendemain, deux gendarmes sont venus récupérer la souche de la LTA, qui est le titre de transport d’une marchandise et l’ont emportée. Là aussi c’est étrange (…), quelques semaines plus tard PLAGIAS et FOSSATI ont été muté tous les deux. Il faut dire que les rumeurs de leur appartenance au SDECE allaient bon train (…) ».

    Tout à l’avenant jusqu’à la fin de l’ouvrage et sur le dernier chapitre afférent aux responsabilités de façon paradoxale et peut-être consensualiste, on peut relever que quatre pays semblent avoir une responsabilité aux yeux de Maître BUTTIN, à savoir le Maroc, la France, Israël et les Etats-Unis.

    Dans le cadre de cet ouvrage et au regard de ce qui nous intéresse plus particulièrement, je souhaite relever l’attention du lecteur sur la page 251.

    Je reviens sur celle-ci car elle me semble essentielle sur la relation des faits et l’analyse qui en est faite par Maître BUTTIN au regard du mandat d’arrêt international visant Monsieur Miloud TOUNZI.

    Bien entendu, de façon lapidaire et sans que ceci soit nullement fondé, bien au contraire tout permet de contester cette affirmation, l’auteur fait un amalgame entre Miloud TOUNZI et Miloud CHTOUKI.

    Je rappelle que le mandat d’arrêt international vise un homicide volontaire à l’encontre de Monsieur Miloud TOUNZI et donc suppose que celui-ci ait à tout le moins rencontré l’hypothétique victime dans le cadre de sa présence à Paris le 30 octobre 1965.

    Or, ce samedi 30 octobre 1965, Maître BUTTIN a semble-t-il collationner dans le premier dossier généré par la première plainte des informations chronologiques très précises qui conduisent à pouvoir affirmer que Monsieur CHTOUKI n’a jamais rencontré Mehdi BEN BARKA à Paris à cette date là.

    Par voie de conséquence, juridiquement le mandat d’arrêt, bien entendu passée la difficulté première de faire un amalgame et une parfaite superposition de personne, succomberait à l’analyse juridique puisque Maître BUTTIN affirme :

    « (…) OUFKIR arrive à son tour à Orly à 17 heures. Accueilli par CHTOUKI, EL MAHI et LOPEZ. Il se fait conduire par celui-ci à Fontenay le Vicomte où DLIMI l’accueille vers 18 heures. Le Général a confié sa valise à EL MAHAI et lui a demandé de lui prendre une chambre à l’hôtel ROYAL ALMA et de l’y attendre avec CHTOUKI. Tous deux patienteront une partie de la nuit en vain. OUFKIR n’occupera à aucun moment la chambre, mais fera chercher sa valise. EL MAHI passe plusieurs coups de fils chez BOUCHESEICHE et chez LOPEZ sans réponse (…) ».

    Donc cette reconstitution, si on la retient comme étant juste, et il n’y a aucune raison de ne pas le faire, atteste incontestablement d’une impossibilité physique de rencontre entre Mehdi BEN BARKA et le sieur CHTOUKI.

    Bien entendu, cet ouvrage peut donner lieu à d’autres réflexions mais j’ai volontairement cantonné mon analyse à cette partie du dossier afférente à Monsieur Tounzi.

    ***

    En conclusion, il faut retenir que cet ouvrage n’aura sans doute pas beaucoup de lecteurs. Toutefois il est une note de synthèse très intéressante même si elle est à charge puisqu’elle dissimule certainement des éléments à décharges contenus dans le premier dossier pénal qui nous sont inconnus, tout comme des éléments contenus dans le deuxième dossier pénal et qui viendraient les uns comme les autres asseoir incontestablement la position selon laquelle les mandats d’arrêt internationaux qui ont été relancés en octobre 2007 à l’encontre des quatre personnes susnommés, n’ont aucun fondement et ne sont, comme Maître BUTTIN le dit lui-même dans son ouvrage, que des ballons sondes qui ont uniquement comme ambitions d’obtenir des informations qu’ils ignorent encore aujourd’hui après plus de 35 ans d’instruction et 11 juges d’instruction.!

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    LA DISPARITION DE BEN BARKA DANS LA PRESSE FRANÇAISE

    Le Monde : Révélations en Israël sur l’implication du Mossad dans l’affaire Ben Barka
    Deux journalistes viennent de publier une enquête sur le rôle des services de renseignements israéliens dans la disparition de l’opposant marocain, cinquante ans après son enlèvement à Paris.

    Entretien. Quel rôle a joué le Mossad dans l’affaire Ben Barka ?

    L’enlèvement de l’opposant marocain en plein Paris, le 29 octobre 1965, puis son assassinat, ont fait l’objet d’innombrables thèses, rumeurs et conclusions plus ou moins fiables. Le corps de Mehdi Ben Barka n’a jamais été retrouvé, mais l’implication de plusieurs parties a été établie. En 1966, deux journalistes israéliens avaient été arrêtés pour avoir publié dans l’hebdomadaire Bul un article laissant entendre que les Israéliens auraient été mêlés à l’enlèvement, devant la brasserie Lipp. L’hebdomadaire, aussitôt retiré de la circulation par les autorités, mettait en cause le général Meïr Amit, chef du Mossad à l’époque. En 1987, le Haaretz écrivait que le gouvernement israélien (dirigé alors par Lévi Eshkol) avait été tenu dans l’ignorance de cette opération.

    Le 20 mars, deux journalistes du quotidien Yediot Aharonot, Ronen Bergman et Shlomo Nakdimon, ont publié une enquête fleuve dévoilant les coulisses de l’implication logistique du Mossad, en

    soutien des assassins marocains de l’opposant. Une enquête qui a été soumise, comme l’exige la loi en Israël, à la relecture de la censure militaire. Les journalistes ont mis au jour les détails de l’incroyable conflit politique survenu en Israël, entre le chef du Mossad, le premier ministre et celui qui fut chargé d’enquêter sur cette affaire d’État, Isser Harel. Mort en 2003, Harel fut une figure mythique des services israéliens, d’abord fondateur du Shin Bet (renseignement intérieur) après l’établissement de l’Etat en 1948, puis directeur du Mossad entre 1952 et 1963. L’enquête s’appuie sur les minutes des rencontres entre ces trois hommes, ainsi que sur des témoignages de certains des acteurs.

    Ronen Bergman, célèbre journaliste d’investigation en Israël, spécialisé dans les questions militaires et les services de renseignement, revient sur les coulisses d’une opération du Mossad à

    l’issue non préméditée, qui s’est fini en désastre. Ronen Bergman met actuellement la dernière main à un livre sur l’histoire du Mossad.

    Pouvez-vous revenir sur les circonstances dans lesquelles le Mossad s’est retrouvé impliqué dans l’affaire Ben Barka ?

    Le Mossad ne souhaitait pas être impliqué. Cela apparaît clairement dans les documents et les rencontres entre les dirigeants de l’époque.

    Le service voulait parvenir à l’impossible : ne pas être partie prenante, tout en parvenant à satisfaire leurs homologues marocains, en leur fournissant ce qu’ils souhaitaient. Les relations secrètes avec les Marocains étaient considérées comme stratégiques, de la plus haute importance. Elles relevaient de ce que le Mossad appelait la théorie de la périphérie, consistant à développer des relations avec des pays entourant Israël et les ennemis d’Israël, comme l’Iran, l’Ethiopie, la Turquie, et donc le Maroc. Le Maroc représentait un grand défi car c’est un pays arabe, aux très fortes relations avec la Ligue arabe, et n’entretenant pas de conflit avec une partie du monde arabe, comme l’Iran. Le Mossad a réussi à créer des intérêts communs avec le roi Hassan II et ses services. Cela a commencé en convainquant le roi de laisser les juifs de son pays émigrer vers Israël. Puis Israël a fourni une aide militaire et en matière de renseignement. En échange, on a obtenu un accès à des informations par le Maroc.

    Un mois et demi avant l’enlèvement de Ben Barka, il y a un sommet crucial de la Ligue arabe à Casablanca…

    Effectivement, il y a eu un sommet arabe en septembre 1965, lors duquel le Mossad a obtenu la possibilité d’observer. Les Marocains ont fourni au Mossad des documents décrivant les délibérations. Je en peux m’appesantir sur le détail de ces activités car elles sont en partie

    couvertes par le secret militaire. Mais le contenu des discussions a été qualifié comme étant le plus grand succès en matière de renseignement de notre histoire. L’un des sujets du sommet était de

    savoir si les pays présents étaient prêts à une nouvelle guerre contre Israël. Les informations obtenues ont été une des bases de la confiance en eux des chefs militaires israéliens, au moment de la guerre des Six jours, en 1967. Pourtant, à l’époque, beaucoup pensaient que le pays serait rayé de la carte.

    Mais cet accès privilégié a eu un prix…

    Oui. Trois jours après le sommet, les Marocains ont réclamé le paiement pour ces informations : il s’agissait d’aider à localiser et à tuer Ben Barka. Il y a eu des versions divergentes sur ce sujet. Selon le professeur Yigal Bin-Nun, que nous citons dans l’article, qui a beaucoup travaillé sur l’affaire et recueilli de nombreux témoignages auprès des services marocains et israéliens, le plan initial était d’enlever Ben Barka, de l’amener au Maroc et de lui faire une proposition qu’il ne pouvait refuser : accepter un poste de ministre sous peine d’être poursuivi pour haute trahison.

    Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Les documents rapportant les entretiens entre le directeur du Mossad, Meïr Amit, et le premier ministre, Lévi Eshkol, suggèrent clairement qu’Amit avait appris des Marocains qu’ils voulaient le tuer. Par ailleurs, dans le cadre de leur aide logistique, le Mossad s’est vu demander à deux reprises de fournir aux Marocains des poisons différents. Pourquoi demander du poison si on ne veut pas le tuer ?

    Quelle est la nature des documents que vous citez, concernant les rencontres officielles ?

    Ce sont les minutes, rédigées par l’un des plus proches conseillers du premier ministre, au moment de ces rencontres. Ils sont très secrets. On nous les a montrés. Ils ne sont pas publics. Ce genre de document était scellé, selon la loi, pour cinquante ans. Il y a cinq ans, je me suis adressé à la Cour suprême pour obtenir la publication de toutes les archives confidentielles antérieures à cinquante ans. Le gouvernement a fait savoir à la Cour que le délai était dorénavant porté de cinquante à soixante-dix ans.

    Vous citez une rencontre, le 4 octobre 1965, entre le premier ministre et Meïr Amit, le directeur du Mossad, qui dit : « Le roi Hassan a donné l’ordre de tuer Ben Barka ».

    Amit comprend qu’ils veulent le tuer. Mais ça laisse une question en suspens : pourquoi ne pas assassiner Ben Barka en pleine rue à Paris ?

    Ça serait bien plus simple que de le conduire dans un appartement, de le torturer, si ce n’est pour leur plaisir personnel. Les Marocains avaient donc peut-être d’autres objectifs, même s’ils envisageaient de le tuer à la fin.

    Amit et peut-être le premier ministre avaient l’impression que l’opération n’aurait pas lieu, que les Marocains laisseraient les choses en l’état. Amit pensait pouvoir recueillir le bénéfice de la coopération, en apparaissant comme un bon partenaire, sans être impliqué dans un assassinat. Il ne ment pas quand il rapporte au premier ministre que le Mossad n’est pas impliqué directement dans l’assassinat de Ben Barka. Ce ne sont pas des mains israéliennes qui ont serré le cou, le Mossad n’était pas présent au moment des faits et n’a pas autorisé sa mise à mort. Mais il minimise le rôle joué par le service.

    Quelle a été l’implication logistique du Mossad ? On sait que, dans la phase initiale, ils avaient aidé à repérer Ben Barka en Suisse, à Genève…

    Ils ont ensuite aidé en fournissant de faux documents pour louer des voitures et ils ont donné des passeports aux Marocains et aux mercenaires français pour pouvoir prendre rapidement la fuite après les faits. Il est clair aussi que le Mossad a fourni un appartement, une cache aux Marocains, mais on’est pas certain que ce fut celui où Ben Barka a été conduit.

    Et le corps de Ben Barka ?

    Quelques minutes après le drame, Ahmed Dlimi [adjoint du ministre de l’intérieur, Mohammed Oufkir] a appelé le Mossad de l’appartement en disant : « Je ne voulais pas, il est mort. » Selon

    certains témoignages de premier ordre dont nous disposons, le Mossad s’est chargé d’évacuer le corps de l’appartement, puis de s’en débarrasser. Les agents connaissaient une forêt près de Paris, très prisée pour les pique-niques familiaux. Le service a eu l’idée de dissoudre le corps avant de l’enterrer avec de l’acide, à base de produits chimiques achetés dans plusieurs pharmacies. Cette nuit-là, il a plu. La pluie a accéléré le processus. C’est l’aspect le plus visuel, le plus dramatique de l’implication du Mossad. Le service était très réticent à l’idée d’être impliqué dans l’opération. Au début des années 1960, Ben Barka avait été en contact avec les Israéliens, notamment les services, qui n’avaient aucune hostilité contre lui. Mais ils avaient une énorme dette envers les Marocains.

    Quel a été le rôle d’Issa Harel, figure mythique de la communauté du renseignement israélienne, dans la crise politique qui s’est nouée après l’assassinat, en Israël même ?

    Il faut rappeler le contexte. Harel avait dû démissionner comme directeur du Mossad deux ans plus tôt. Il y avait eu une dispute très sévère entre lui et David Ben Gourion [alors premier ministre]. Il

    pensait que Ben Gourion ne pourrait gérer le Mossad sans lui. Mais Ben Gourion a accepté sa démission et a nommé le chef du renseignement militaire, Meïr Amit, à la tête du service. Harel était convaincu que le Mossad, c’était lui, et qu’Israël, c’était le Mossad.

    Par la suite, il y a eu un clash interne au sein du camp travailliste, pour capter l’héritage de Ben Gourion, entre Eshkol, Golda Meir et d’autres. Harel, lui, voulait se venger et prouver que son successeur était incompétent. Il a alors entendu parler de l’affaire Ben Berka.

    Nommé conseiller du premier ministre Eshkol, il lui a dit qu’il devait virer Amit. Eshkol a refusé. Harel lui a dit alors : vous devez démissionner vous-même ! Il menaçait, dans le cas contraire, de tout dire en public et de causer un énorme tourbillon.

    Est-il possible d’imaginer que le premier ministre n’ait pas été au courant de l’opération Ben Barka ?

    Je ne suis pas sûr qu’il était courant de tout. Quand on compare ce que savaient les acteurs sur le terrain et ce que Amit rapportait à Eshkol, il y a une grande différence. Cela concerne le degré d’implication du Mossad, ses contacts directs avec les Marocains avant et après l’assassinat de Ben Barka, les informations fournies aux Marocains pour pouvoir localiser Ben Barka, le fait que le Mossad était derrière le piège destiné à attirer Ben Barka à Paris (un projet de documentaire sur lui). Je n’ai trouvé aucun rapport d’Amit au premier ministre détaillant le niveau d’implication du Mossad. Eshkol a fini par demander l’ouverture d’une enquête sur cette affaire, une enquête extrêmement superficielle. Deux feuilles manuscrites, après un travail de trois jours.

    Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)

    Le Monde, 23 mars 2015 via Academia

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    El Watan : Français et Israéliens derrière la disparition de Ben Barka

    Un nouveau témoignage, cette fois d’un homme du «système» marocain, accable de nouveau les services de renseignement français (DGSE) et israéliens (Mossad) de l’enlèvement et l’assassinat du célèbre opposant marocain, Mehdi Ben Berka, à Paris en 1965, sur demande des services secrets marocains. Le voile sera-t-il un jour levé sur l’affaire Mehdi Ben Barka, grand opposant au régime marocain et un des leaders du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste ? Avec le temps, les langues se délient.

    Des révélations sont attendues sur l’affaire liée à l’assassinat, en France, de l’opposant marocain, Mehdi Ben Barka, à l’occasion de la présentation, hier à Rabat, par l’ancien Premier ministre marocain, Abderrahmane Youssoufi, de ses Mémoires, dans lesquels il atteste de l’implication des services secrets marocains, français et israéliens dans ce crime politique.

    Dans son ouvrage intitulé Récits du passé, l’ancien Premier ministre du gouvernement de l’Alternance marocain (1998-2002), a décidé, au crépuscule de sa vie (94 ans), de donner sa version des événements vécus par le Maroc le long de la deuxième moitié du siècle passé. Chacune des trois parties, le Maroc, la France et Israël, avait «un intérêt particulier à faire taire Ben Barka», selon l’homme politique marocain. Abderrahmane Youssoufi, ancien militant du parti Istiqlal, avait été chargé de suivre le dossier de l’assassinat de Mehdi Ben Barka auprès de la justice française.

    Depuis sa disparition à Paris, le 29 novembre 1965, le corps de l’opposant de Hassan II n’a jamais été retrouvé et l’affaire n’a jamais été élucidée. Il fut l’un des principaux opposants socialistes au roi Hassan II et le chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. De son vivant, il avait initié de nombreuses mobilisations populaires au Maroc.

    L’ex-président français, François Hollande, avait décidé, en mai 2017, quelques jours avant de quitter ses fonctions, de lever le secret défense sur 89 documents relatifs à l’affaire de l’assassinat, en France, de la figure de la gauche marocaine, dont le corps n’a jamais été retrouvé. Ces documents englobent les rapports, notes de synthèse, bulletins de renseignement, procès-verbaux, auditions, questionnaires, fiches, biographies, des photos et lettres détenus. Mais un document est resté bloqué dans cette déclassification et la CSDN a refusé de lever le secret-défense.

    Selon les médias français, il s’agit d’un document qui se trouvait, en 2010, dans les locaux de la Direction générale de la sécurité extérieure et dont on ignore le contenu. L’auteur de Récits du passé, qui a tenu à faire coïncider la parution de ses Mémoires avec son 94e anniversaire, Abderrahmane Youssoufi en l’occurrence, regrette à ce titre que son pays «n’ait pas pu amorcer un virage démocratique pour plusieurs raisons». Parmi ces causes, «l’incapacité» de l’élite politique marocaine elle-même à opérer cette transformation. A cela s’ajoutent une «mauvaise gouvernance» et «une administration archaïque».

    Ont été évoqués notamment, outre son enfance, les dessous de son retrait de la vie politique en 2003, des épisodes du mouvement national marocain, des premières heures de l’aube de l’indépendance, ses liens avec feu Mehdi Ben Barka, son opposition au régime, sa prise de commande de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et sa pratique politique au sein du gouvernement de l’Alternance marocain.

    Divisés en trois parties, les Mémoires, rédigés par son compagnon de route M’barek Boudarqa, seront présentés au théâtre Mohammed V de Rabat, qui coïncide avec son 94e anniversaire.

    Alhadith fi ma jara (Récits du passé) est une compilation en trois tomes d’éléments biographiques, d’entretiens et de discours de l’ancien opposant et chef du gouvernement. L’ouvrage sortira en librairie le lendemain de sa présentation au public au théâtre Mohammed V à Rabat, une présentation à laquelle prendra part Abderrahmane Youssoufi, en compagnie de nombreuses personnalités marocaines et internationales de la politique.

    El Watan, 09 mars 2018

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    Europe1 : Comment le Mossad a aidé les services secrets marocains à éliminer l’opposant Mehdi Ben Barka ?

    Au micro de Patrick Cohen sur Europe 1, Ronen Bergman, qui publie « Lève-toi et tue le premier : l’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël », revient sur l’assassinat de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, auquel les services secrets israéliens auraient participé.
    INTERVIEW
    Près de 1.000 pages et de multiples révélations. Ronen Bergman, journaliste au New York Times et investigateur israélien, publie aux éditions Grasset Lève-toi et tue le premier : l’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël, un livre événement qui revient sur les nombreuses exécutions réalisées par le Mossad, l’agence de renseignements de l’État hébreu. Dans « C’est arrivé demain », le journaliste raconte sur Europe 1 comment les services secrets israéliens ont aidé le gouvernement marocain à éliminer Mehdi Ben Barka, l’un des principaux opposants au Roi Hassan II dans les années 1950.

    « Dans le monde du renseignement, il n’y a rien de gratuit »
    « Ce n’est pas simplement que le Mossad a œuvré, c’est beaucoup plus que cela », explique Ronen Bergman. « Le service de renseignements du Maroc a rendu service énorme aux Israéliens en donnant au Mossad la capacité d’écouter les conversations les plus secrètes des dirigeants arabes », affirme le journaliste du New-York Times. « Mais ils voulaient quelque chose en échange, car dans le monde du renseignement, il n’y a rien de gratuit. »

    Si des Français étaient déjà impliqués dans l’élimination de l’anticolonialiste Mehdi Ben Barka, le Maroc demande aussi au Mossad de l’aider, raconte Ronen Bergman. Le 29 octobre 1965, le leader panafricain se rend à un rendez-vous à la brasserie Lipp à Paris, mais les services secrets israéliens l’ont traqué afin que les Marocains l’enlèvent. L’opposant socialiste au roi Hassan II est alors torturé et tué par les services secrets marocains. « Le Mossad aide les assassins à se débarrasser du corps et à l’enterrer sous ce qui est aujourd’hui le musée Louis Vuitton, dans le bois de Boulogne », poursuit Ronen Bergman.

    « L’utilisation quasi systématique des éliminations a changé de nombreuses fois l’histoire en bien »
    Interrogé par Patrick Cohen sur les conséquences des éliminations commanditées par le Mossad, Ronen Bergman se veut nuancé. « Ça change l’histoire, parfois du bon, parfois du mauvais côté », affirme-il. « Mais après huit ans de recherches, je peux affirmer que l’utilisation quasi systématique des éliminations a changé de nombreuses fois l’histoire en bien », explique Ronen Bergman, prenant en exemple les éliminations qui ont suivi les attentats de Munich.

    Europe1, 09 fév 2020

    #Maroc #Mossad #Israël #BenBarka #Services_secrets #HassanII

  • Bin-Nun: Relations entre Hassan II et Ben Barka avec le Mossad

    Bin-Nun: Relations entre Hassan II et Ben Barka avec le Mossad

    Bin-Nun: Relations entre Hassan II et Ben Barka avec le Mossad – Maroc, Israël, Yigal Bin-Nun,

    Le professeur Yigal Bin-Nun, un Israélien d’origine marocaine, « spécialiste des relations SECRÈTES » entre l’Etat hébreu et le royaume du Maroc, a publié récemment une rectification au travail de deux journalistes israéliens paru dans le quotidien Yediot Aharonot sur l’implication du Mossad dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka. L’enquête de Yediot Aharonot avait été reprise par le quotidien Le Monde.
    La rectification de Bin-Nun, qui est passée totalement inaperçue, fourmille pourtant d’informations non publiées par Yediot Aharonot et Le Monde. Il conclut dans ce papier, que nous publions ci-dessous, avoir rencontré, par l’intermédiaire de l’ancien ministre et ambassadeur Ahmed Ramzi (décédé en 2012), le général Hamidou Laânigri, alors patron de la DST marocaine, à Paris.
    Yigal Bin-Nun explique avoir révélé à Laânigri la véritable identité du fameux Chtouki, l’un des auteurs de l’enlèvement et assassinat de Ben Barka.
    Bin-Nun, qui a rencontré plusieurs agents du Mossad qui ont participé à l’opération, assure qu’il va publier prochainement un livre sur l’affaire Ben Barka. Une annonce qu’il avait déjà faite en 2004 dans Le Journal hebdomadaire Demain.

    Les agents du Mossad et la mort de Mehdi Ben Barka

    Voici quelques rectifications à l’article de Yediot Aharonot sur les circonstances de la mort de Mehdi Ben Barka.

    Je n’ai jamais dit aux journalistes qu’Israël était impliqué dans l’assassinat de Ben Barka mais qu’il avait été sollicité par Ahmed Dlimi de la Sécurité nationale marocaine, pour faire disparaitre sa dépouille. En outre, à mon avis le roi Hassan II n’a pas donné l’ordre de tuer Ben Barka et ni Dlimi ni son patron Mohamed Oufkir n’ont dit aux Israéliens qu’ils avaient l’intention de tuer Ben Barka, qui d’ailleurs, avait d’excellentes relations avec les Israéliens.

    Selon les protocoles des entretiens entre le chef du Mossad Meir Amit le premier ministre Levy Eshkol, les Israéliens n’auraient jamais accepté de collaborer à un projet de ce genre. La mort du leader marocain n’a été causée que par un excès de zèle de la part de Dlimi, et Oufkir n’était pas impliqué dans ce meurtre. Ben Barka ne constituait aucun danger pour Israël, bien au contraire, il a longtemps soutenu la diplomatie israélienne dans les pays du tiers monde et avec Abderrahim Bouabid, il œuvra pour la sauvegarde des droits des Juifs du Maroc.

    Le 28 mars 1960, Golda Meir, ministre des Affaires étrangères avait même dépêché à Ben Barka un émissaire spécial, Yaacov Caroz, bras droit du chef du Mossad Isser Harel. Ben Barka demanda à cette occasion aux Israéliens une aide financière pour son parti. Durant son deuxième exil en Europe il reçut un salaire mensuel d’Israël par l’intermédiaire d’Alexandre Easterman du Congrès juif mondial. Mais les relations entre Ben Barka et Israël se détériorèrent lorsque Ben Barka osa demander à Caroz des armes qui seraient utilisées par son parti lorsqu’il déciderait de prendre le pouvoir par la force. A partir de cet entretien, Golda Meir conseilla à son ambassade à Paris de se méfier de l’exilé et de privilégier les contacts avec l’entourage financier du prince héritier Moulay Hassan. On peut comprendre le discours antiisraélien de Ben Barka au Caire par la décision d’Israël de minimiser ses relations avec lui (y compris le salaire) au profit du Palais. Sur les relations entre Ben Barka et Israël. Voir mon article

    La coopération officielle entre le Maroc et Israël, dans le domaine politique, sans rapport avec l’émigration juive du Maroc, débuta en février 1963. Elle fut précédée par « l’accord de compromis » conclu au début août 1961. Contrairement à ce qui a été publié en mon nom, Oufkir n’avait aucun rapport avec cet accord pour le départ collectif des Juifs du Maroc moyennant une indemnisation de 50 à 250$, sous couvert de l’organisme humanitaire d’émigration HIAS (Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society). Il s’est même prononcé contre les conditions de cet accord. Voir mon article

    Oufkir effectua quatre visites en Israël

    Les relations secrètes israélo-marocaines s’inscrivent dans le cadre de « la politique de la périphérie » préconisée par le premier ministre David Ben Gourion. Des contacts étroits furent établis surtout avec le roi Hussein de Jordanie, avec le général Qasim d’Irak, ainsi qu’une alliance spéciale (Kalil) entre Israël, l’Iran et la Turquie, et une autre alliance entre Israël, l’Éthiopie et le Soudan. Sans compter les relations avec les pays d’Afrique occidentale.

    La première rencontre officielle entre les deux pays eut lieu entre le bras droit de Isser Harel – Yaacov Caroz, le général Mohamed Oufkir et le commissaire de police français, délégué à l’Interpol, Émile Benhamou, à son domicile de Paris, rue Victor Hugo, suivie d’une série de rencontres entre Oufkir et David Shomron, du Mossad, dans les hôtels genevois Beau Rivage (quai du Mont-blanc 13) et Cornavin (23 boulevard James-Fazy). Oufkir avait reçu précédemment le feu vert de Hassan II.

    À la mi-février, Ahmed Dlimi, l’adjoint d’Oufkir, effectua un voyage en Israël et participa à des réunions de travail avec le Mossad. Le 12 avril 1963, l’ambassadeur d’Israël à Paris, Walter Eitan, rencontra son homologue marocain en France, Mohamed Cherkaoui. Oufkir effectua quatre visites en Israël, la première en janvier 1964 et rencontra Golda Meir et Meir Amit. À partir de ces rencontres, les agents du Mossad qui se succédèrent au Maroc s’entretinrent souvent avec le roi, Oufkir, Dlimi et avec d’autres personnalités marocaines

    Contrairement à certaines publications, le premier directeur du Mossad, Isser Harel, n’a jamais effectué de voyage officiel au Maroc et n’a jamais rencontré Hassan II. Il est arrivé au Maroc à quatre reprises, clandestinement, dans le cadre de l’émigration clandestine des juifs du Maroc. Ce n’est que son successeur, Meir Amit, qui effectua un voyage officiel au cours du mois d’avril 1963 et fut reçu par Hassan II et le général Oufkir, dans un petit pavillon du palais de Marrakech. La visite officielle du chef du Mossad le général Meir Amit et de son adjoint Yaacov Caroz au roi et à Oufkir n’était en fait que la conséquence de l’échec des négociations entre Hassan II et le président algérien Ahmed Ben Bella à Alger concernant les problèmes frontaliers entre le Maroc et l’Algérie.

    Quelques mois avant la Guerre des sables qui opposa les armées marocaines et algériennes, Oufkir sollicita l’aide d’Israël pour une aide militaire, stratégique et sécuritaire. La classe dirigeante marocaine détestait Nasser et le Palais ne faisait confiance ni aux Américains ni aux Français. C’est pour cela que les Marocains préférèrent solliciter l’aide d’Israël.

    Pendant le deuxième exil de Ben Barka en Europe, Israël accepta de surveiller les déplacements et rencontres de l’exilé à la demande de Dlimi, mais se retira de cette filature, le Mossad s‘étant rendu compte que d’autres services secrets surveillaient ces déplacements. Selon un protocole gouvernemental Meir Amit avait reçu le feu vert du premier ministre Levi Eshkol d’effectuer cette filature uniquement après que le chef du Mossad lui eût promis que le but était d’éviter que Ben Barka ne tombe dans le piège d’un service qui décide de l’éliminer.

    Hassan II, de toute évidence, n’avait pas l’intention de tuer Ben Barka. Il avait même dépêché à Paris son ministre Réda Guedira pour proposer à l’exilé de rentrer au Maroc avant la Conférence tricontinentale qui devait se tenir à la Havane. Mais Ben Barka préféra ne retourner au pays qu’après cette conférence. On peut alors se demander, si les Marocains avaient prémédité l’élimination de Ben Barka pourquoi l’aurait-on enlevé en pleine journée à Paris au coin de la rue de Rennes et du boulevard Saint Germain ? On lui aurait plutôt tiré une balle dans le dos dans une rue déserte à Genève ou au Caire. Durant neuf mois, Ben Barka habita au domicile du couple Jacques Givet et Isabelle Vichniac, au 18 rue Beaumont à Genève.

    Comment Ben Barka trouva la mort?

    D’après divers témoignages que j’ai recueillis à partir de 1996, il s’avère de sources irréfutables que Ben Barka est mort noyé après qu’un groupe de marocains avec à leur tête Ahmed Dlimi et Miloud Tounsi, alias Chtouki, aient commis la bavure d’immerger sa tête dans une baignoire pleine d’eau, qui entraîna sa mort. Tout de suite après, Dlimi appela le responsable du Mossad à Paris, Emanuel Tadmor, lui raconta ce qui s’était passé et sollicita son aide dans deux domaines : débarrasser les Marocains du corps de Ben Barka et leur fournir de faux. Malgré sa consternation par la mort de Ben Barka, ami d’Israël, l’agent Emanuel Tadmor reçut l’ordre du chef du Mossad Meir Amit d’aider « nos amis marocains ».

    Voici le déroulement des faits tels que me les a rapportés l’agent du Mossad Eliezer Sharon-Sudit (alias Qabtsen) l’été 1998 dans son domicile (en présence de Ami Perets, un autre agent du Mossad): Dlimi, est arrivé le 28 octobre 1965 à Paris et fut reçu à l’aéroport Orly par Naftali Keinan, chef de la section Tevel du Mossad. Après quelques propos, ils préférèrent se revoir à la Porte de Saint-Cloud. Leur rencontre fut surveillée par Eliezer Sharon et Zeev Amit (cousin du chef du Mossad Meir Amit, mort pendant la Guerre de Kippour). Dlimi demanda à Keinan de rester en état d’alerte à portée d’un téléphone dans l’appartement de service du Mossad à Paris pour lui communiquer le déroulement des faits. Deux jours après, Dlimi affolé appela Keinan et lui demanda de l’aider à faire disparaître le corps de Ben Barka. Tout de suite après Dlimi vint lui remettre les clés de l’appartement où Ben Barka trouva la mort. Keinan demanda à Tadmor d’envoyer en urgence une équipe de quatre personnes, couverts par d’autres agents, planqués dans deux voitures diplomatiques, pour s’occuper de la dépouille.

    Les agents du Mossad l’ont enterré

    Eliezer Sharon, Zeev Amit et Rafi Eitan se rendirent à l’étage d’un petit appartement à Paris, prirent le corps de Ben Barka de l’intérieur d’une baignoire, l’enveloppèrent, le mirent dans le coffre d’une voiture diplomatique appartenant à Shalom Barak et se dirigèrent vers le périphérique pour quitter la capitale française. Le corps de Ben Barka fut enterré la nuit dans un bois dans le nord-est de Paris, un lieu où les agents du Mossad avaient l’habitude de faire des pique-niques avec leurs familles. Ils enterrèrent le corps dans un bois et versèrent au dessus et en dessous du cadavre un produit chimique acheté par des agents du Mossad en petites quantités dans plusieurs pharmacies de Paris. Ils versèrent de la chaux sur la dépouille puis recouvrirent le corps. Quelques heures plus tard, il plut et au contact de l’eau les produits chimiques le corps fut dissous.

    Contrairement à ce que prétend un des deux journalistes de Yediot Aharonot, Ben Barka n’a pas été enterré dans un jardin public, traversé par une route. Avant sa mort, Eliezer Sharon ne m’a pas dit que le lieu de l’enterrement était la forêt de Saint-Germain. Ce n’est qu’une de mes déductions personnelles, suite à une série de questions que je lui avais posées sur le lieu de l’enterrement. Sharon a répondu à toutes mes suggestions par la négative en indiquant seulement une forêt au nordouest de Paris. J’en ai déduit que probablement ça pouvait être la forêt de Saint-Germain.

    Les détails de ce témoignage m’ont été confirmés plus tard par Emanuel Tadmor. Le témoignage de David Shomron, premier chef de la station du Mossad au Maroc, que j’ai recueillis le 28 juillet 1998 et le 15 septembre 2003 dans son domicile à Ra’anana, confirment ceux de Sharon et de Tadmor. Quelques mois après les faits, Dlimi avoua à Shomron que Ben Barka était mort dans ses bras. Selon Shomron : « Dlimi immergeait la tête de sa victime dans l’eau d’une baignoire et pour voir s’il respirait encore, il lui pinçait les fesses. Si ses muscles raidissaient, il fallait sortir sa tête de l’eau. Au bout d’un moment, la tête de Ben Barka resta trop longtemps dans l’eau sans respirer et il mourut asphyxié ». Selon Shomron, Dlimi n’a utilisé ni les revolvers ni d’autres objets que lui avait fournis le Mossad à sa demande. Il précise que la mort de Ben Barka n’est que le résultat d’un excès de zèle de la part de Dlimi et que Oufkir n’avait eu aucun rôle dans cette affaire. Après la débâcle de l’opération, Hassan II demanda à Oufkir de se rendre à Paris pour s’informer du comportement de Dlimi.

    En fait le roi voulait « impliquer » Oufkir dans cette affaire devant la justice française. A la fin, Dlimi qui était le responsable du meurtre de l’opposant a été acquitté par la justice française et Oufkir, qui n’était impliqué ni dans l’enlèvement ni dans la mort de Ben Barka, a été jugé et condamné par contumace à la prison à vie par cette même cour de justice. Oufkir fut éliminé par le palais après une tentative de coup d’état en 1973 et Dlimi trouva la mort en 1984, dans un probable accident de voiture.

    Peu d’officiels marocains étaient au courant de la présence du Mossad au Maroc. A part Oufkir et Dlimi, on peut noter les noms de Hosni Benslimane, et les ministres Abdelkader Benjelloun, Bensalem Guessous, Mohammed Laghzaoui et quelques autres. Dans les stages militaires à la base militaire de Dar El Baïda à Meknès, les Israéliens étaient présentés comme des Américains ou des Allemands.

    J’ai transmis l’essentiel de ces révélations à Bachir Ben Barka et à son frère à Paris en octobre 1998. A Zakya Daoud en juillet 1997 et septembre 1998, ainsi qu’à l’avocat Maurice Buttin le 30 mars 2004. Plus tard, Me Buttin m’a demandé par courrier si j’étais prêt à témoigner sur l’affaire devant le juge Patrick Ramaël. J’ai posé deux conditions : que ce ne soit pas un témoignage mais l’avis d’un expert et que cet avis soit recueilli en Israël et non pas à Paris. On ne m’a plus recontacté.

    Le 27 décembre 2014 Me Buttin a renouvelé sa requête de témoigner devant le nouveau juge d’instruction Cyril Percaux.

    Par l’intermédiaire de l’ancien ministre Ahmed Ramzi, le chef des services de sécurité marocains Hamidou Laânigri accepta de me rencontrer. L’entretien a eu lieu en septembre 1998 à Paris au Drugstore des Champs Elysées, et je l’ai averti que j’allais publier le résultat de mes travaux sur l’affaire Ben Barka. A sa demande, je lui ai révélé le vrai nom de Chtouki. Le reste sera publié dans mon prochain livre.

    Yigal Bin-Nun est historien et spécialiste des relations SECRÈTES israélo-marocaines.

    Source : Academia

    #Maroc #Israël #BenBarka #Mossad

  • Himmich: « La normalisation avec Israël est un néocolonialisme »

    Himmich: « La normalisation avec Israël est un néocolonialisme »

    Himmich: « La normalisation avec Israël est un néocolonialisme » – Maroc, Bensalem Himmich, Ben Barka, USFP,

    UN ANCIEN MINISTRE MAROCAIN, MEMBRE DU PARTI DE BEN BARKA, MONTE AU CRÉNEAU : « La normalisation avec Israël est un néocolonialisme »
    Après la montée du front interne contre le processus de normalisation entre Rabat et Tel-Aviv, à travers des manifestations d’indignation organisées dans plusieurs villes marocaines, la classe politique et intellectuelle prend le relais pour dénoncer, à son tour, cette alliance avec le diable, décidée de bon grès par Mohammed VI et son Makhzen au dépens des intérêts du « petit » peuple réduit au silence par la force de la répression.

    En effet, lors d’un symposium politique intitulé « Où va le Maroc ? », organisé, jeudi à Rabat, par la Fondation Mohamed Abed Al-Jabri pour la pensée et la culture, les intervenants, entre hommes politiques et intellectuels et penseurs, ont dénoncé le processus de normalisation engagé par le royaume de leur pays. Ainsi, Bensalem Himmich, un ancien ministre de la culture (2009-2012), néanmoins membre du parti de l’Union socialiste des forces populaires -fondé par l’opposant assassiné Mehdi Ben Barka-, estime que la démarche de normalisation en cours avec Israël est « une nouvelle colonisation » du Maroc contre le peuple. Autrement, ce qu’il appelle « les tentatives de normalisation »- bien que le processus a atteint un stade très avancé- qui ont lieu avec Israël « sont synonyme d’une nouvelle colonisation du Maroc », si ce n’est, a-t-il précisé, une démarche opérée avec une nouvelle manière.

    Dans la foulée, et tout en exprimant son rejet pur et simple de cette normalisation, Himmich a invité les juifs marocains « à désavouer » et « à se démarquer » d’Israël et de la politique des partis travaillistes et Likoud israéliens, et de proclamer Israël comme une entité sioniste usurpatrice des territoires palestiniens occupés.

    Pour sa part, Mohamed Sassi, leader et fondateur de la formation politique marocaine de gauche dite Parti socialiste unifié (PSU), déplore l’alignement officiel du Maroc sur la politique expansionniste d’Israël et son alliance déclarée au grand jour devant le peuple marocain qui assiste avec indignation à cette trahison décidée par le royaume de Rabat. « Malheureusement, le Maroc est tombé dans les bras d’Israël. Nous souffrons en silence de ce qui se passe », déclare Sassi pour qui encore, la normalisation du Maroc avec Israël est une « bêtise » pour tout ce qu’elle participe à l’accentuation de la situation interne dans le pays.

    « Malheureusement, a-t-il davantage déploré, le pire moment a été choisi pour commettre cette folie ». « Les Marocains sont contre la normalisation avec Israël », a-t-il déclaré mettant en garde contre la montée des manifestations dans les villes marocaines. Et au même intervenant de s’interroger, « quels sont les intérêts communs entre Maroc et Israël ? Combat-il (Israël) le terrorisme ? », avant d’affirmer crûment que « l’entité sioniste, elle-même, pratique le terrorisme d’État ».

    Farid Guellil

    Le Courrier d’Algérie, 05/12/2021

    #Maroc #Israël #Normalisation #Bensalem_Himmich #Néocolonialisme #Ben_Barka #USFP