Étiquette : Camille Kouchner

  • Retour sur « La Familia grande »

    La famille, disais-je en analysant un film de Woody Allen (Cassandra’s Dream) est le lieu tragique par excellence, celui où s’enchevêtrent inextricablement l’affection et le ressentiment, la fierté et la honte, l’amour et la haine… Comme le remarque Corneille reprenant Aristote, un conflit entre des personnes simplement extérieures peut être dramatique mais ne s’élève pas au tragique, ce qui advient en revanche quand le frère est amené à tuer le frère, où un père sa propre fille. Réflexive, la tragédie attaque ou ensanglante les liens de sang. Et au plus resserré de ce noeud, c’est soi-même qu’on heurte et prend pour cible, comme Œdipe, héros tragique par excellence, à la fois criminel, victime et son propre bourreau. Une familia grande élargit donc le risque d’une plus grande tragédie.

    Celle rassemblée autour du couple d’Oliver Duhamel et d’Evelyne Pisier-Kouchner était très accueillante, dans leur grande maison de Sanary. Et le récit que donne Camille Kouchner dans son livre que je viens tardivement de lire (Seuil, janvier 2021), a lui-même l’étrange vertu de nous associer intimement aux tribulations de cette tribu, nous sommes avec elle embarqués, complices ou témoins de leur histoire, nous faisons au fil de la lecture un peu partie de cette grande, et malheureuse, famille. De quelle façon ?

    Camille ne fait pas vraiment de littérature au sens classique, elle va à l’expression ou à l’émotion la plus directe, avec peu de recul. Les phrases sont courtes, le style oral, les mots comme lâchés, ou criés. Une pression longtemps contenue trouve une issue, s’échappe par bouffées saccadées. Cette langue ne cherche pas à expliquer, mais à rapporter des faits, bruts, à peine racontables. Parvenir à dire, c’est déjà beaucoup. Les fioritures viendront plus tard, l’urgence ne s’attarde pas aux pourquoi, aux comment ; les trois suicides, des grand-parents Georges et Paula puis de la tante Marie-France, ponctuent tragiquement l’histoire de cette famille mais sans appeller d’explications particulières. Des raisons et des circonstances de ces trois morts, nous n’apprendrons rien. Et le couvercle qui pèse sur la péripétie centrale, le baillon du silence sont tellement lourds à soulever que c’est assez de tout ce livre pour frayer cette parole, pour ne pas mourir d’étouffement. Ecrire se résume ici à trouver quelques mots, parvenir à les proférer.

    La Familia grande laisse ainsi son lecteur quelque peu étourdi, ou sonné ; le livre nous refile son trouble, qui y fait quoi exactement, comment s’y retrouver ?

    Le beau-père Olivier Duhamel a donc abusé sexuellement Victor, le fils de sa femme âgé de quatorze ans, qui s’est confié à sa sœur jumelle en exigeant d’elle le secret absolu vis-à-vis de leur mère Evelyne, de leur père Bernard Kouchner ou de tout autre membre de la familia grande, identifiée du même coup à une zone d’omerta, de parole interdite. À quoi sert de savoir, quel profit en tire Camille ? Comment, en particulier, va-t-elle regarder désormais son beau-père Olivier, qu’elle adorait et qu’elle ne peut dénoncer ? Et lui, saura-t-il qu’elle sait, et comment croisera-t-il sans honte le regard de Camille ? Le récit montre admirablement la propagation et la gravité du poison distillé par l’inceste : ses victimes en sont écrasées, réduites à une incapacité de penser qui se propage et confond tout. En mélangeant ce qui devrait rester séparé, la confusion majeure de l’inceste fait vaciller le sujet sur ses bases.

    Comment penser que ce beau-père d’abord adoré, qui prodigue aux enfants l’affection, l’éducation, la culture autant que de trépidantes vacances dans le Var, puisse se changer vis-à-vis d’eux en séducteur, en abuseur ? Comment, dans la même personne, un tel mélange est-il possible ? J’ai dit, dans un précédent billet sur cette affaire, « Le viol du silence », que j’avais rencontré au cours d’un colloque le professeur Olivier Duhamel, je le revois passant lors du dîner de table en table, parlant à chacun, nous chuchotant à l’oreille tout en nous prenant aux épaules… Ce papy papouilleur montrait la personnalité, rare dans ce milieu, d’un homme chaleureux, souriant, ouvert à tous. Il aimait assurément le contact, la conversation rapprochée, mais de là à… Inimaginable !

    Cet homme évidemment fêlé porte en lui une confusion qu’on s’explique mal : comment celui qui faisait le bien de ces enfants, qu’il avait adoptés comme les siens, put-il leur causer autant de mal ? Quel scénario, quelle justification avait-il échafaudés pour s’introduire ainsi nuitamment dans la chambre de Victor ? Et puisqu’il aimait, autant que Bernard Kouchner, chanter Aragon, est-ce ainsi que les hommes vivent ?

    Mais l’autre père justement, s’est-il montré vraiment meilleur ? Généralement absent, ou quand il était de passage toujours pressé et multipliant contre ses enfants les colères, oubliant le prénom de sa petite fille, administrant pour les endormir (le soir du suicide de Paula) un somnifère mais aucune parole ? Que gagna Camille à avoir pour géniteur « la personnalité la plus aimée des Français » ? Où est dans cette familia grande la place du père quand l’un, inabordable, demeure trop lointain et l’autre s’approche trop près ?

    Tout ceci intéresserait moins un lecteur de mon âge si l’affaire ne se déroulait sur fond de mai 68, de MLAC ou de MLF. Evelyne (qui passa par les bras de Fidel Castro) était la militante d’une liberté inconditionnelle, et cette liberté était aussi sexuelle, au diable les pudeurs, les distances et les retenues d’un autre âge, à bas la décence des petits bourgeois coincés ! Autour de la piscine on vivait à poil, le soir dans les dortoirs on s’essayait aux gestes de l’amour et la mère, le beau-père encourageaient ces premières approches, ils en plaisantaient à table, prenaient les jeunes corps en photos, qu’est-ce qu’on rigolait ! Pourtant, cette grisante liberté va vite révéler ses ravages, et Camille au détour d’une page nous rappelle à propos une maxime du prêtre dominicain Lacordaire, « entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère » (p. 42).

    Entre le fort et le faible, entre l’adulte et l’adolescent, entre le père et le beau-fils… Avec une bizarre insouciance, retranché loin des lois dans son royaume de Sanary, le professeur de droit constitutionnel pratiquait la confusion des sentiments ; il mélangeait l’amour parental avec le désir sexuel, ou du moins semblait voir entre eux une possible convergence, il passait avec la même bonne conscience par-dessus les différences d’âge au nom d’une confondante, d’une massacrante égalité.

    C’est de la mère surtout qu’il faudrait parler, Evelyne adorée de Camille mais elle-même trop dépendante de sa mère Paula dont le suicide la terrassa, l’anéantit, et qui à partir de là se mit à boire, avec la complicité d’Olivier qui remplissait ses verres. À cause de la mort de sa mère, ou des agissements de ce mari qui tourne autour de ses enfants ? Que savait exactement Evelyne, ou plutôt que s’interdisait-elle de savoir ou de soupçonner, jusqu’où fermait-elle les yeux ? Camille ne pouvait rien lui confier car cela l’aurait tuée – mais le silence ainsi conservé, exigé par son jumeau Victor, tuait en retour sa fille. Qui ne semble pas avoir envisagé de mettre au courant son père, trop occupé ailleurs.

    Qu’est-ce qui, en matière d’inceste, entraîne les pires conséquences, parler, ou se taire ? Dans une grande solitude et au long de combien d’années, Camille rumina durement ce dilemme. Evelyne, femme par ailleurs si forte, afficha une dénégation intraitable des agissements de son mari au point de rompre avec Marie-France l’actrice, quand cette sœur elle-même bien-aimée se mit à dénoncer clairement Olivier, sans mâcher les mots de son indignation . Marie-France étrangement retrouvée morte (suicidée sans laisser un mot ?) au fond de sa propre piscine, le corps encastré dans une chaise de jardin, comment, pourquoi ?

    Enfin clairement informée, Evelyne réagit en se séparant de ses enfants, « Salauds, vous avez tout balancé. Je hais votre perversité. Tout le monde maintenant va être au courant »… De son côté, face aux menaces de révélations de Camille, son beau-père lui aurait laissé sur son répondeur le message qu’il allait se donner la mort – ajoutant ainsi ce suicide aux trois précédents. Il paraît qu’au lieu de commettre ce geste, lui aussi écrit en ce moment un livre sur cette affaire, entreprise hautement risquée, comment présentera-t-il sa défense ? Beaucoup de mots manquent encore pour dire cette histoire, mais tout le témoignage de Camille montre avec force ce combat pour arracher au silence et mettre bout à bout des phrases, faire reculer l’indicible, l’immontrable, l’inarticulable.

    Car, comme psalmodie chez Sophocle le chœur d’Œdipe-roi, l’inceste apporte ou propage décidément le pire des chaos.

    Blog de Daniel Bougnoux, 23 avril 2021

    Etiquettes : Pédophilie, pédocriminalité, inceste, #metoo, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, La Familia grande,


  • Inceste : La fin de la banalisation

    Édouard Durand, juge pour enfants, a été nommé copilote de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, dont les travaux doivent durer deux ans. Avec Ernestine Ronai, il a dirigé l’ouvrage Violences sexuelles – En finir avec l’impunité (Dunod, 2021).


    Une enquête Ipsos de fin 2020 indique qu’un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste. Comment appréhender ce chiffre ?

    L’inceste est un fait social massif, par le nombre et par la gravité de l’impact traumatique sur les victimes. Le nombre n’est pas complètement inattendu. Les faits étaient certainement sous-­estimés. Nous savions que les victimes parlaient peu. Ce qui est nouveau, c’est l’attention sociale apportée à cette réalité. Aujourd’hui, la société prend conscience de la gravité de ces faits, de la souffrance des victimes et se sent collectivement responsable de l’aide qui doit être apportée.

    Pourquoi la société change-t-elle ?

    D’abord, grâce à la libération de la parole des victimes, due à un mouvement associatif puissant, à des livres au fort écho social, comme ceux de Camille Kouchner et Vanessa Springora, et à des affaires judiciaires. Tout cela a créé une chaîne de solidarité entre les victimes. Ensuite, grâce à l’accumulation de connaissances, notamment sur le psychotrauma [les conséquences psychologiques d’un traumatisme] et la mémoire traumatique. Le coût personnel pour chaque victime et le coût social pour la société est extrêmement élevé. Cela nous interdit de sous-estimer la gravité des conséquences de violences sexuelles sur le plan individuel et collectif. La société ne peut plus banaliser, minimiser.

    Dans votre livre, vous dites que l’on va plus croire une victime de vol qu’une victime de viol. Beaucoup craignent encore les faux témoignages ?

    Oui. Il y a des mécanismes puissants en faveur du silence. On dit : « Ça n’existe pas ; les personnes qui disent qu’elles ont été victimes mentent ; c’est trop risqué de les croire. » Autrement dit : ne changeons rien. Parmi les hypothèses pour expliquer ces mécanismes de déni : la sidération collective. C’est tellement violent, tellement insupportable à penser qu’il est moins coûteux de dénier. La violence fait peur, y compris aux tiers.

    Quel est le rôle de la Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, que vous copilotez avec Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru ?

    C’est une réponse politique qui doit incarner la considération de la société à l’égard de la parole des victimes, la connexion entre la parole des victimes et la conscience collective. Il faut organiser le recueil de la parole, qui ne doit pas tomber dans les réseaux sociaux sans être prise en compte, avec une plate-forme, sur le modèle de ce qu’a fait la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. Il faut également accroître les connaissances par des enquêtes épidémiologiques et renforcer la culture de la protection. Si les personnes adultes éprouvent le besoin de dire les violences sexuelles et l’inceste, c’est aussi pour qu’aujourd’hui et demain les enfants soient mieux protégés.

    Qu’est-ce que la culture de la protection ?

    La loi doit déjà être mise en œuvre par les juges, les policiers, les assistantes sociales, les journalistes, autrement dit par tout le monde, d’une manière qui soit protectrice des enfants. Puis, il y a la formation et l’expérimentation, comme le protocole d’audition des victimes. On ne parle pas à un enfant comme on parle à un adulte. Les policiers et gendarmes augmentent leurs compétences, pour bien poser les questions, poser les bonnes questions, dans un contexte adapté au développement d’un enfant. À l’hôpital, il faut pouvoir donner des soins en psychotrauma et ne pas soigner autre chose.

    Les lois vont-elles dans le bon sens ?

    Les textes débattus actuellement proposent d’élever le seuil de l’âge en dessous duquel il ne peut être question d’un éventuel consentement à 15 ans pour les violences sexuelles, et à 18 ans en cas d’inceste. Ce sont des avancées réelles, positives, qui traduisent la capacité de voir l’asymétrie entre un adulte et un enfant, de comprendre que l’acte sexuel ne pourrait avoir eu lieu sans être imposé par l’adulte à l’enfant. Autre point intéressant en discussion : la prescription glissante. Lorsqu’un agresseur est jugé et qu’il a commis des violences sexuelles contre plusieurs victimes, si les délais de prescription sont atteints pour certains de ces actes mais pas pour d’autres, les premiers seront automatiquement déclarés non prescrits. Ce qui est important, c’est de ne pas figer le débat mais de voir en quoi cela peut répondre à une aspiration sociale légitime et à une manière plus adaptée de rendre la justice. Il ne faut pas avoir peur d’organiser un procès. Ce qui garantit la paix sociale, c’est d’abord le fait de rendre justice.

    Propos recueillis par Sarah Boucault.

    Témoignage chrétien, 22 avr 2021

    Etiquettes : Pédophilie, inceste, banalisation, Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, libération de la parole des victimes,  mouvement associatif, victimes, Camille Kouchner, Vanessa Springora, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, #Metoo,


  • Pédophilie : nouvelle loi en France

    Après des mois de débat, une nouvelle loi est entrée en vigueur, qui comble une lacune devenue inacceptable à la lumière d’affaires récentes.

    En France, une nouvelle loi contre la pédophilie et l’inceste est entrée en vigueur. Elle comble un vide législatif devenu inacceptable à la lumière des nombreux rapports d’abus qui se sont accumulés ces derniers mois. Le sommet a été atteint avec le cas d’Olivier Duhamel, un politologue influent longtemps à la tête de la prestigieuse école « sciences po » de Paris et contraint à la retraite après des révélations sur le viol d’un beau-fils.

    Bien que ces violences soient prescrites, elles ont alimenté un débat public et parlementaire qui a débouché sur une nouvelle législation offrant enfin une protection solide aux victimes mineures de crimes sexuels.

    Aujourd’hui, tout adolescent de moins de 15 ans est considéré comme non consensuel pour tout type de rapport sexuel avec un adulte. Un seuil limite porté à 18 ans pour l’inceste condamné à 20 ans de prison en cas de viol et à 10 ans pour l’agression même par des adultes qui ne sont pas des parents proches exercent une autorité de droit et de fait sur les mineurs.

    Le délai de prescription peut aller au-delà de 30 ans pour les infractions sexuelles commises par des récidivistes. Enfin, la nouvelle législation permet de protéger les amours adolescentes grâce à la clause dite « Roméo et Juliette », qui préserve les relations libres et consentantes si la différence d’âge avec le mineur concerné ne dépasse pas 5 ans.

    RSI News, 23 avr 2021

    Etiquettes : Pédophilie, loi, âge de consentement, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, #Metoo,

  • Selon un média polonais, il y avait en France un « Front pour la Libération des Pédophiles » (FLIP)

    La France accepte que les adolescents ne peuvent pas donner leur consentement éclairé pour des relations sexuelles

    Arthur Troost

    Il est vrai que la France dispose depuis longtemps d’une catégorie de « mineurs sexuels », mais ce n’est que maintenant que la République a décidé d’établir un âge réel de consentement de 15 ans. Aussi choquant que cela puisse paraître, il n’y a pas si longtemps, sur la Seine, les relations sexuelles entre adultes et adolescents n’étaient pas un secret, et des intellectuels de premier plan ont même demandé leur dépénalisation totale. D’où viennent de telles attitudes et pourquoi sont-elles (à juste titre) devenues une chose du passé ?

    L’évolution du destin de Gabriel Matzneff en dit long à cet égard. Il fut un temps où il était l’un des écrivains français les plus lus. Aujourd’hui, il a été mis au ban de la société, ses livres ont été mis à l’index et il est lui-même menacé de poursuites judiciaires. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, ils n’étaient pas si nombreux à protester lorsque, dans ses livres, il admettait ouvertement préférer les écoliers et avoir des relations sexuelles avec des jeunes de 14 ans.

    En 1990, alors que Matzneff était l’invité d’une émission sur la littérature, l’animateur a demandé en plaisantant à l’intellectuel, alors âgé de 53 ans, de parler de ses aventures avec des adolescents. La seule personne qui a réagi négativement à cette décision est l’écrivain canadien Denise Bombardier. Elle a vivement critiqué son collègue professionnel, lui faisant remarquer que séduire des mineurs et leur faire du mal ne peut s’expliquer par l’art.

    La réaction du monde littéraire parisien est une attaque contre la Canadienne, et la presse, défendant Matzneff, la dénigre. Certains commentateurs ont été très amusés de constater qu’en 1990, quelqu’un pouvait considérer comme une mauvaise chose le fait que des adolescents aient des rapports sexuels avec des hommes ayant 30 ans de plus (« eh bien, la belle affaire ! »). Bombardier était en avance sur son temps en émettant une telle opinion dans ce qui était alors la France. Dans les décennies qui ont suivi, cependant, ce sont ses vues sur les relations sexuelles avec des mineurs qui sont devenues la norme, et leur prévalence a influencé les récents changements législatifs.

    Que signifie le fait que le consentement à une relation sexuelle soit éclairé ?

    La loi actuellement débattue au Parlement vise à fixer officiellement l’âge du consentement à 15 ans. Auparavant, la loi interdisait les contacts sexuels avec des mineurs de cet âge, mais ils n’étaient pas considérés comme des viols et ces transgressions étaient punies de manière extrêmement légère.

    Par exemple, en 2017, un tribunal a acquitté de viol un homme adulte qui avait fécondé une fillette de 11 ans, car aucune violence, menace ou tromperie n’a été constatée. Les scandales de ce type se sont multipliés ces dernières années, et beaucoup d’entre eux ont été mis en lumière grâce à ce que l’on appelle la deuxième vague de #MeToo, au cours de laquelle de nombreuses victimes de pédophiles se sont manifestées.

    Un rapport d’une organisation gouvernementale a révélé qu’environ 20 pour cent. Un rapport d’une organisation gouvernementale a révélé qu’environ 20 % des femmes françaises avaient subi une agression ou une tentative d’agression sexuelle, et que pas moins de 60 % des victimes de violences sexuelles avaient moins de 18 ans.

    Les scandales qui ont suivi, ainsi que la pression croissante de l’opinion publique (notamment des féministes), ont finalement conduit à des modifications juridiques et à une action parlementaire sur la question, attendues depuis longtemps. Le Parlement avait initialement proposé de fixer l’âge du consentement à 13 ans, ce qui aurait été l’un des plus bas du monde, mais après l’intervention du gouvernement, il a été porté à 15 ans. En vertu de la nouvelle loi, un mineur sexuel est considéré comme incapable de donner son consentement éclairé à des relations sexuelles, de sorte que le fait pour un adulte d’avoir des rapports sexuels avec lui sera considéré comme un viol. Il existe une clause selon laquelle la différence d’âge doit être d’au moins cinq ans afin de ne pas juger, par exemple, un jeune de 18 ans pour des relations sexuelles avec un jeune de 14 ans comme pédophile.

    La principale motivation de cette loi est de protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle, et la seule chose surprenante à son sujet est qu’elle n’entrera pas en vigueur avant 2021.

    Les relations sexuelles avec des mineurs, un acte de liberté personnelle

    Pour comprendre la réticence des Français à renforcer les lois protégeant les mineurs de la pédophilie, il faut remonter à l’époque de la révolution sexuelle, qui a eu un impact particulier en France.

    Les idées de liberté sexuelle ont trouvé un terrain fertile, qui s’est manifesté pendant mai 1968 et s’est répandu dans les années suivantes, souvent sous une forme radicale. Les mouvements de protestation contre la moralité bourgeoise dominante gagnent du terrain, les minorités sexuelles commencent lentement à lutter pour l’égalité, les féministes deviennent de plus en plus audacieuses dans leur opposition au patriarcat, et des phénomènes tels que l’utilisation de la contraception et les relations sexuelles extraconjugales deviennent normalisés pour les Français en général.

    D’ailleurs, sur ce dernier point, l’exemple vient d’en haut, car avant Macron, chacun de ses prédécesseurs à la présidence de la République (à l’exception, semble-t-il, de De Gaulle) avait notoirement des liaisons à côté, ce qui ne posait généralement aucun problème aux électeurs. Mais il y a encore un long chemin à parcourir entre la liberté sexuelle et l’approbation de la pédophilie. Alors pourquoi un tel saut dans la réflexion ?

    L’un des principaux motifs de mai 1968 était le rejet de la pruderie bourgeoise et la remise en question du droit de l’État à réglementer la vie sexuelle de ses citoyens. Ces attitudes ont favorisé les changements positifs mentionnés ci-dessus, mais dans l’atmosphère de libération sexuelle, certains ont commencé à considérer les restrictions légales imposées aux relations sexuelles avec les mineurs comme une autre manifestation du pouvoir répressif des autorités. Même des organisations comme le Front de Libération de la Pédophilie [sic !] Il s’agissait de manifestations extrêmes du consentement à des relations sexuelles avec des enfants, mais des points de vue similaires sont devenus courants et ont été promus par des intellectuels de premier plan.

    Plusieurs dizaines d’entre eux ont signé un appel au parlement en 1977 pour dépénaliser les relations sexuelles consenties avec des mineurs, et Michel Foucault a fait valoir que le fait d’impliquer l’incapacité d’un enfant à consentir à des relations sexuelles constituait une violation inacceptable de la liberté individuelle par l’appareil d’État. Des arguments similaires sont apparus dans les pages des grands quotidiens français et n’ont pas été indifférents à l’apologie croissante des contacts sexuels entre adultes et enfants.

    L’influence des opinions se livrant à la pédophilie était également visible dans le monde culturel. Après avoir été accusé de viol sur mineur, Roman Polanski a trouvé un havre de paix en France, où les accusations contre le réalisateur étaient considérées comme un signe de la pudibonderie américaine. À son tour, en 1984, Serge Gainsbourg, célèbre scandaleux et l’un des chanteurs français les plus remarquables, a composé et interprété en duo avec sa fille de 12 ans une chanson intitulée Lemon Incest, faisant directement référence à l’inceste et à la pédophilie, en les montrant de manière plutôt positive. Malgré la tempête médiatique (et probablement en partie grâce à elle), la chanson est devenue un succès et, bien que les artistes aient admis plus tard avoir été intentionnellement provocateurs, il est difficile d’imaginer que, dans la réalité d’aujourd’hui, quiconque serait tenté de sortir une chanson aussi controversée, même avec le statut d’une icône telle que Gainsbourg.

    Mieux vaut tard que jamais

    Trop de scandales de pédophilie et d’inceste ont été rendus publics ces dernières années pour que les Français acceptent aujourd’hui une telle chanson. Ces derniers mois, le public a appris, entre autres, que l’influent juriste et politologue Olivier Duhamel avait abusé de son beau-fils de 13 ans, et une vague d’accusations de violences sexuelles incestueuses, touchant la grande majorité des enfants, a déferlé sous la bannière #MeTooInceste. Les recherches suggèrent que jusqu’à 10 pour cent. Les recherches suggèrent que jusqu’à 10 % des hommes et des femmes français (principalement ces derniers), soit près de 7 millions de personnes, pourraient en avoir été victimes.

    De plus en plus de cas de ce genre sont mis au jour en raison d’un changement de mentalité. Fini le consentement silencieux et la dissimulation des abus sexuels sur les enfants. Le mouvement #MeToo, lancé il y a quelques années, a révélé l’ampleur de la violence à l’égard des femmes, et aujourd’hui sa deuxième vague fait de même, en exposant en plus l’étendue de phénomènes tels que la pédophilie et l’inceste. C’est précisément pour les combattre que la nouvelle loi prévoit également que les rapports sexuels avec pénétration entre un adulte et un parent de moins de 18 ans sont considérés comme un viol.

    Dans le débat sur l’âge du consentement, personne n’utilise plus d’arguments idéologiques sur la moralité bourgeoise ou le caractère oppressif de l’État – l’accent est mis sur le bien-être des enfants, leurs droits à l’innocence et à la sécurité, comme il se doit. L’établissement de l’âge de consentement représente une victoire du bon sens, obtenue grâce à la pression croissante de l’opinion publique au fil des ans et en plaçant le bien-être des mineurs au cœur de la question.

    La France a changé au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, Matzneff ne peut plus se vanter de ses aventures avec des écolières, Gainsbourg (malgré son penchant pour les scandales) ne sortirait pas une chanson sur l’inceste, prêcher des idées foucaldiennes sur le sexe avec des mineurs serait unanimement ridiculisé, et Roman Polanski ne devrait plus compter sur la compréhension.

    L’État français a enfin reconnu que la protection des enfants (et des autres) contre les abus passe avant la liberté sexuelle. Cette démarche s’inscrit dans une tendance générale d’écoute des témoignages des victimes de violences sexuelles dans le monde. Il reste encore beaucoup à faire, mais comme vous pouvez le constater, au moins parfois et quelque part, le changement pour le mieux arrive, même s’il est attendu depuis longtemps.

    Krytyka Polityczna, 17 avr 2021

    Etiquettes : France, pédophilie, Gabriel Matzneff, Olivier Duhamel, Camille Kouchner,#Metoo,



  • Olivier Duhamel avoue à la police qu’il violait régulièrement son fils adoptif de 14 ans

    Olivier Duhamel, professeur français de sciences politiques de gauche de 70 ans, de renommée mondiale, a été emmené au poste de police pour être interrogé sur le viol de son fils adoptif. La fille adoptive de Duhamel avait publié un livre détaillant les horreurs commises par son père adoptif dans les années 1980. Olivier Duhamel a d’abord disparu, s’est caché, a tout nié, mais a craqué au commissariat. Il n’a pas encore été arrêté.

    Comme le rapporte Origo, Camille Kouchner a publié en début d’année un livre intitulé La grande famille. L’avocate a raconté comment son frère jumeau était régulièrement violé par son père adoptif. Il a torturé le garçon pendant deux ans alors qu’il n’avait que 14 ans.

    La famille n’est pas étrangère à cette affaire, puisque la victime, âgée de 30 ans à l’époque, avait été interrogée par la police en 2011. Mais ils ne l’ont pas crue, et la mère a pris le parti de son mari, le violeur, et le professeur de sciences politiques qui avait abusé du garçon n’a même pas été interrogé.

    La mère, Evelyne Pisier, célèbre professeur de droit de gauche, est décédée il y a trois ans. Le père est Bernard Kouchner.

    M. Kouchner était l’un des hommes politiques socialistes les plus populaires, un médecin, l’un des fondateurs de Médecins Sans Frontières et un ministre dans les gouvernements de gauche de Bérégovoy et Jospin. Il a également été membre du gouvernement de droite de François Fillon lorsque, comme promis lors des élections, le gouvernement français conservateur a élu un membre de gauche après 2007. Bernard Kouchner devient ministre des affaires étrangères, mais il échoue après moins d’un an.

    Olivier Duhamel, politologue de gauche de renommée mondiale, était président de Sciences-Po – où sont formés les politologues français. Peu de temps après, le PDG de Sciences-Po a démissionné, et il s’est avéré qu’il connaissait également le passé d’Olivier Duhamel. Elisabeth Guigou a également dû démissionner : elle avait une position assez étrange. Elle a présidé la commission parlementaire chargée d’enquêter sur l’inceste… Guigou est également un homme politique de gauche bien connu et un ancien ministre socialiste.

    Olivier Duhamel a été licencié de la radio Europe 1, où il faisait régulièrement non seulement de la politique mais aussi de la morale.

    Il y a quelques semaines, il est apparu que Michel Foucault, philosophe de la gauche française décédé dans les années 1980, avait violé des garçons de 8, 9 et 10 ans en Tunisie. Et le cas de Jack Lang, le ministre socialiste français de longue date, a été évoqué à nouveau : il a été soupçonné de violer de jeunes garçons à de nombreuses reprises, mais a toujours échappé aux poursuites.

    ORIGO, 14 avr 2021

    Etiquettes : Olivier Duhamel, Camille Kouchner, Victor Kouchner, pédophilie, inceste, viol, Sciences Po,


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  • Il reconnaît ses agressions sexuelles : Olivier Duhamel passe aux aveux

    Le politologue français Olivier Duhamel a été entendu ce mardi par la police française et avait reconnu les faits d’agressions sexuelles sur le garçon Victor Kouchner, quand il était mineur, rapportent ce mercredi, les médias français.

    Olivier Duhamel avait été dénoncé par sa belle-fille Camille Kouchner, la sœur de la victime, dans un livre intitulé La familia grande, sachant que ces actes d’inceste sont aujourd’hui prescrits.

    Algérie54, 14 avr 2021

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  • The New York Times : Les hommes de pouvoir tombent, l’un après l’autre, dans le #MeToo retardé de la France

    Depuis le début de l’année, des hommes connus dans divers domaines ont été accusés d’abus sexuels et placés sous enquête.

    PARIS – Lorsque Sandra Muller a lancé la campagne #MeToo sur les médias sociaux en France en 2017, des dizaines de milliers de femmes ont répondu à ses appels à « #ExposeTonPorc ».

    Mais le retour de bâton a été écrasant. Certaines des femmes les plus en vue du pays, menées par Catherine Deneuve, ont dénoncé le mouvement dans une lettre qui est venue définir la réponse initiale de la France à #MeToo. En 2019, Mme Muller a perdu un procès en diffamation contre un ancien cadre de télévision qu’elle avait exposé sur Twitter, la France semblant immunisée contre les forces mondiales plus larges qui remettent en cause la domination des hommes.

    La semaine dernière, Mme Muller a gagné son appel. Bien qu’il n’y ait pas eu de nouveaux faits, une décision importante de la cour d’appel a souligné combien les choses ont changé au cours des deux dernières années.

    « Avant l’arrêt, je pensais qu’il y avait des remous », a déclaré Mme Muller lors d’un entretien téléphonique depuis New York, où elle vit désormais. « Maintenant, j’ai l’impression qu’il y a eu un bond en avant ».

    Depuis le début de l’année, une série d’hommes puissants issus de certains des domaines les plus en vue en France – politique, sport, médias, université et arts – ont fait face à des accusations directes et publiques d’abus sexuels, à rebours de la plupart des années de silence. Dans le même temps, face à ces affaires très médiatisées et à l’évolution de l’opinion publique, les législateurs français s’empressent de fixer à 15 ans l’âge du consentement sexuel – trois ans seulement après avoir rejeté une telle loi.

    Les récentes accusations n’ont pas seulement donné lieu à des enquêtes officielles, à la perte de postes pour certains hommes et au bannissement pur et simple de la vie publique pour d’autres. Elles ont également entraîné une remise en question de la masculinité française et de l’archétype du Français séducteur irrésistible, dans le cadre d’une remise en question plus large de nombreux aspects de la société française et d’une réaction conservatrice contre les idées sur le genre, la race et le postcolonialisme prétendument importées des universités américaines.

    La journaliste Sandra Muller à Paris en 2019. La semaine dernière, Mme Muller a gagné son procès en appel dans une affaire de diffamation avec un ancien cadre de télévision qu’elle avait dénoncé sur Twitter.
    La journaliste Sandra Muller à Paris en 2019. La semaine dernière, Mme Muller a gagné son procès en appel dans une affaire de diffamation avec un ancien dirigeant de télévision qu’elle avait dénoncé sur Twitter.

    « Les choses vont tellement vite que parfois ma tête tourne », a déclaré Caroline De Haas, une militante féministe qui a fondé en 2018 #NousToutes, un groupe contre les violences sexuelles. Elle s’est décrite comme « super optimiste ».

    Mme Haas a déclaré que la France traversait une réaction retardée à #MeToo après une période de « maturation » au cours de laquelle de nombreux Français ont commencé à comprendre les dimensions sociales derrière les violences sexuelles et le concept de consentement.

    C’est notamment le cas, selon Mme Haas, après le témoignage, l’année dernière, d’Adèle Haenel, la première actrice très médiatisée à s’exprimer sur les abus, et de Vanessa Springora, dont les mémoires, « Consentement », ont documenté les abus qu’elle a subis de la part de l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff.

    « Le début de l’année 2021 a été une sorte de contrecoup », a déclaré Mme Haas. « Ce qui est très clair, c’est qu’aujourd’hui en France, on n’a pas du tout la même réaction qu’il y a quatre, cinq ans face à des témoignages de violences sexuelles sur des personnes connues. »

    Le mois dernier, Pierre Ménès, l’un des plus célèbres journalistes sportifs français de la télévision, a été suspendu pour une durée indéterminée par son employeur après la sortie d’un documentaire dénonçant le sexisme dans le journalisme sportif, « Je ne suis pas une salope, je suis un journaliste. »

    Il y a encore quelques années, rares étaient ceux qui lui reprochaient des comportements qu’ils n’osent plus défendre en public, notamment embrasser de force des femmes sur la bouche à la télévision et, devant le public d’un studio en 2016, soulever la jupe d’une journaliste féminine – Marie Portolano, la productrice du documentaire.

    « Le monde a changé, c’est #MeToo, on ne peut plus rien faire, on ne peut plus rien dire », a déclaré M. Ménès dans une interview télévisée après la sortie du documentaire. Il a dit ne pas se souvenir de l’incident de la jupe, ajoutant qu’il ne se sentait pas lui-même à l’époque en raison d’une maladie physique.

    La liste des autres hommes en vue est longue et ne cesse de s’allonger. Il y a Patrick Poivre d’Arvor, le présentateur de journal télévisé le plus célèbre de France, qui fait l’objet d’une enquête sur des allégations de viol d’une jeune femme et qui s’est défendu à la télévision en disant qu’il appartenait à une génération pour laquelle « la séduction était importante » et incluait « des baisers dans le cou ». Il a nié les accusations de viol.

    Il y a Georges Tron, un ancien ministre du gouvernement, qui a été blanchi en 2018 du viol d’une employée mais qui a été condamné en février à cinq ans de prison dans un arrêt de la cour d’appel qui, selon Le Monde, reflète le fait que la société « a incontestablement changé sa compréhension du consentement. »

    Georges Tron, à gauche, au palais de justice de Paris en janvier. Ancien ministre du gouvernement, il a été blanchi en 2018 pour le viol d’une employée mais a été condamné en février à cinq ans de prison.
    Georges Tron, à gauche, au palais de justice de Paris en janvier. Ancien ministre, il a été blanchi en 2018 pour le viol d’une employée mais a été condamné en février à cinq ans de prison.

    Il y a Gérard Depardieu, la plus grande star du cinéma français, et Gérald Darmanin, le puissant ministre de l’Intérieur, également mis en examen dans des affaires de viols rouvertes l’an dernier. Tous deux ont déclaré qu’ils étaient innocents.

    Olivier Duhamel, un intellectuel de premier plan, et Richard Berry, un acteur célèbre, ont tous deux été récemment mis en examen après des accusations d’inceste par des membres de leur famille. M. Berry a nié les accusations ; M. Duhamel n’a pas commenté les accusations portées contre lui.

    Claude Lévêque, artiste de renommée internationale, fait l’objet d’une enquête pour soupçon de viol sur mineur et a été publiquement accusé pour la première fois en janvier par une ancienne victime. Il a nié ces accusations.

    Dominique Boutonnat, un producteur de cinéma que le président Emmanuel Macron a nommé président du Centre national du cinéma l’année dernière, a été mis en examen en février pour tentative de viol et agression sexuelle sur son filleul et a déclaré qu’il était innocent.

    « Cette vague récente en France, c’est une réaction différée à l’affaire Matzneff », a déclaré Francis Szpiner, l’avocat représentant Mme Muller, ajoutant que la chute de l’écrivain pédophile et de M. Duhamel a fait prendre conscience aux gens que les hommes puissants en France n’étaient pas « intouchables ».

    En 2017, dans le sillage immédiat des révélations #MeToo impliquant le magnat d’Hollywood Harvey Weinstein, Mme Muller, une journaliste, a lancé #ExposeTonPorc – #BalanceTonPorc en français – en France. Dans un message sur Twitter, elle a raconté comment, lors d’un festival de télévision à Cannes, un cadre lui a dit : « Vous avez de gros seins. Vous êtes mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ».

    L’intellectuel français Olivier Duhamel à l’école de Sciences Po à Paris en 2016. M. Duhamel a été placé sous enquête récemment après des accusations d’inceste.
    L’intellectuel français Olivier Duhamel à l’école de Sciences Po à Paris en 2016. M. Duhamel a été mis en examen récemment après des accusations d’inceste.Crédit…Stephane De Sakutin/Agence France-Presse – Getty Images
    Le cadre, Eric Brion, n’a pas nié avoir tenu de tels propos. Mais comme les deux ne travaillaient pas ensemble, M. Brion a soutenu que les commentaires ne constituaient pas du harcèlement sexuel et a poursuivi Mme Muller pour diffamation. Un jugement rendu en 2019 qui condamnait Mme Muller à payer 15 000 euros de dommages et intérêts, soit environ 17 650 dollars, a été annulé la semaine dernière.

    En 2019, le tribunal avait déclaré que Mme Muller avait « dépassé les limites acceptables de la liberté d’expression, car ses commentaires descendaient en une attaque personnelle. » Cette fois, les juges ont estimé que Mme Muller avait agi de bonne foi, ajoutant que « les mouvements #balancetonporc et #MeToo avaient attiré beaucoup d’attention, avaient été salués par divers responsables et personnalités et avaient contribué positivement à laisser les femmes s’exprimer librement. »

    Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe de premier plan, a déclaré qu’il était significatif que les hommes faisant désormais l’objet d’une enquête soient des leaders dans une diversité de domaines. Les révélations qui les entourent ont mis à mal les mythes des Français comme grands séducteurs et d’une culture romantique raffinée où « nous, Français, dans notre jeu de séduction, savons interpréter les signes non verbaux et nous avons cet art de la séduction, un doux commerce entre les sexes », a-t-elle dit.

    « Ce sont des hommes qui incarnent tous, d’une certaine manière, le vieil ordre patriarcal des choses – des hommes de pouvoir et des hommes qui ont usé et abusé de leur pouvoir pour exploiter sexuellement le corps des autres, qu’il s’agisse de femmes ou de jeunes hommes », a déclaré Mme Froidevaux-Metterie, ajoutant : « Nous vivons peut-être le premier véritable choc de ce système. »

    Certains intellectuels conservateurs considèrent la liste toujours plus longue d’hommes éminents accusés comme la preuve de la contamination de la société française par les idées américaines sur le genre, la race, la religion et le postcolonialisme.

    Pierre-André Taguieff, historien et principal critique de l’influence américaine, a déclaré dans un courriel que « les idéologues néo-féministes et néo-antiracistes dénoncent l’universalisme, en particulier l’universalisme républicain français, comme une fraude, un masque trompeur de l’impérialisme, du sexisme et du racisme. »

    L’acteur français Gérard Depardieu fait également l’objet d’une enquête dans une affaire de viol. M. Depardieu a déclaré qu’il était innocent.

    Bien que M. Taguieff n’ait pas commenté les spécificités des affaires récentes, il a déclaré que cette nouvelle vague de #MeToo représente un « sexisme misandrique et androphobe qui encourage une chasse aux sorcières d’hommes blancs sélectionnés sur la base de leur célébrité ou de leur renommée, afin d’alimenter l’envie sociale et le ressentiment envers les élites blanches/masculines ». M. Taguieff a récemment aidé à fonder « The decolonialism watchdog », un groupe menant la charge contre ce qu’il décrit comme la menace intellectuelle des États-Unis.

    La première réaction de la France à #MeToo a été de le rejeter comme une déformation américaine du féminisme, de la même manière que les conservateurs français essaient maintenant de rejeter les idées sur la race et le racisme comme des concepts américains non pertinents, a déclaré Raphaël Liogier, un sociologue français qui enseigne à Sciences Po Aix-en-Provence et qui a récemment été un chercheur invité à l’Université de Columbia.

    Alors que Mme Deneuve et d’autres femmes en 2017 dénonçaient #MeToo comme un produit du « puritanisme » et une menace pour la « liberté sexuelle », les conservateurs ont riposté en affirmant que les femmes américaines étaient sexuellement réprimées et en fait moins libres que les femmes françaises, a déclaré M. Liogier.

    « Donc, en fait, en France, notre ligne de défense consistait à dire : « Ce n’est pas nous, ce sont les Américains », a-t-il dit, ajoutant : « Aujourd’hui, cette ligne de défense s’est effondrée. »

    The New York Times via La Nacion, 10 avr 2021

    Etiquettes : France, #Metoo, #Metooinceste, inceste, pédophilie, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, Sciences Po,


  • Comment l’élite française confond esprit libre et violence sexuelle

    En France, les victimes de pédophilie rompent leur silence après des décennies. Les auteurs sont des figures littéraires connues, des artistes, des intellectuels. Comment est-ce que ça a pu en arriver là ?

    Tobias Haberkorn

    Paris – Un salon littéraire français sur le thème de la « fidélité ». Parmi les invités, un homme d’une cinquantaine d’années en costume à pinces, sourcils finement dessinés, crâne rasé. Il a l’air plus jeune, sans âge. Son sourire discret est tantôt amical, tantôt moqueur ; il n’est peut-être pas capable de faire la différence lui-même. Le modérateur le présente comme un « véritable éducateur sexuel », comme quelqu’un qui enseigne volontairement et « en utilisant son propre corps ». Toutes ses affaires sont de véritables histoires d’amour, souligne Gabriel Matzneff. « Ce n’est que lorsqu’on aime et qu’on est aimé de soi que l’amour est une grande aventure. » Selon son livre, il peut s’occuper de douze maîtresses à la fois.

    Mais comment se fait-il qu’il se spécialise dans les mineurs, veut savoir le présentateur. « C’est aussi réciproque », dit l’écrivain français. En outre, dit-il, les jeunes filles sont tout simplement « plus gentilles » et pas encore aussi « endurcies » par la vie, « même si elles seront bientôt aussi hystériques et folles que toutes les autres femmes. » Hilarité générale dans le studio. Seule une écrivaine québécoise est dérangée par l’homme à côté d’elle, le qualifiant de pathétique, sa littérature d’alibi. Des amis de l’écrivain la qualifieront plus tard de « nouille stupide » et d’ »épouvantail mal gef***** ». La carrière littéraire de Denise Bombardier en France est définitivement compromise.

    Matzneff a poussé un jeune de 14 ans à avoir des relations sexuelles anales.

    C’est ce qui s’est passé en 1990, lorsqu’une Canadienne a osé dénoncer Gabriel Matzneff comme pédophile. Les romans et les journaux de Matzneff sont, depuis les années 1970, truffés d’éloges intellectuels-aristocratiques du sexe avec des enfants. Il a un jour qualifié les Philippins de dix ans d’ »épice très rare ». Pas dans le contexte d’une fiction, mais comme un récit factuel. Ces provocations, mêlées à des réflexions sur son propre péché, sa foi chrétienne orthodoxe et le moralisme débile de ses concitoyens, lui ont longtemps conféré une aura d’avant-garde littéraire. En 2013 encore, il a remporté le prix littéraire national Renaudot.

    L’homme de plus de 80 ans n’a été mis sous pression qu’avec la publication, il y a un an, du livre « The Consent » de Vanessa Springora (publié en allemand par Blessing). Dans ce document, la jeune femme, aujourd’hui âgée de 49 ans, décrit comment Matzneff, une jeune fille de 14 ans en proie au doute, l’a d’abord piégée avec des lettres, puis l’a surprise physiquement, l’a poussée à avoir des relations sexuelles anales et, enfin, a mis à profit sa réputation et son expérience pour lui faire percevoir sa relation avec lui comme une sublime société secrète. Après deux ans, Springora s’est séparée. Dans les livres de Matzneff, son moi de 14 ans a vécu pendant des années sous le nom de « V ».

    Le récit de Springora est une vengeance arrachée à sa propre survie pour cette exploitation littéraire. C’est la destruction d’un mythomane obsédé par les corps prépubères avec sa propre arme, la littérature psychologique. À cette fin, l’ouvrage propose une déconstruction puissante de la notion de « consentement » sur laquelle l’éthique sexuelle contemporaine s’appuie à nouveau si fondamentalement. « Comment peut-on admettre avoir été abusé si dans le même temps on ne peut pas nier avoir été consentant ? ». Matzneff ne peut plus être légalement poursuivi pour ses relations avec elle. Même si un tribunal français qualifiait aujourd’hui les faits de viols, ils seraient prescrits en vertu du droit français.

    Le centre sombre d’une enfance

    La violence sexuelle à l’encontre des enfants existe en France dans toutes les classes sociales et dans tous les contextes ; tout récemment, la conférence des évêques français a approuvé un fonds d’indemnisation pour les victimes d’abus commis par des prêtres. Mais le livre de Springora et une série d’autres révélations donnent une image particulièrement mauvaise d’un milieu et d’une époque : la bourgeoisie intellectuelle parisienne des années 1980 et 1990. Les deux cas les plus marquants de ces derniers mois concernent l’artiste Claude Lévêque et l’avocat Olivier Duhamel. Tous deux sont soupçonnés d’avoir manipulé des mineurs pendant des années à des fins d’abus sexuels. M. Duhamel, aujourd’hui âgé de 70 ans, était, il y a quelques semaines encore, l’un des intellectuels les plus influents du pays dans le domaine des médias, ainsi qu’un professeur de droit et le principal collecteur de fonds de l’université d’élite Sciences Po.

    Duhamel a démissionné de toutes ses fonctions après la publication du livre-exposition de sa belle-fille Camille Kouchner. Dans « La familia grande », l’auteure, fille biologique de l’ancien ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, dresse un panorama de son enfance dans un milieu de la haute bourgeoisie qui parle constamment de révolution, mais dont la seule pratique véritablement transgressive semble résider dans une sexualisation de plus en plus obsessionnelle de la vie de loisirs. Le fait que le beau-père se laisse gratifier oralement par le frère jumeau de Camille et utilise tout son charisme et sa confiance parentale pour ériger un château du silence autour de lui et des jumeaux est le centre sinistre de cette enfance.

    Le pire, c’est le silence collectif.

    Mais c’est loin d’être le seul aspect sous lequel Duhamel, sa mère Évelyne Pisier et tout leur entourage apparaissent comme une bande de lâches égoïstes. La « familia grande » désigne l’élite politico-médiatique de Saint-Germain-des-Prés, au sein de laquelle Duhamel et Pisier opèrent en tant que réseauteurs alpha depuis les années 1980. Lorsque la mère, elle-même professeur de droit public, apprend l’inceste en 2011, elle protège son mari et accuse les jumeaux. Après tout, il n’y a eu que du sexe oral, ce qui n’est pas vraiment un viol. De plus, le frère aurait pu se défendre à tout moment. En lisant « La familia grande », on peut difficilement éviter une conclusion : La libération sexuelle a certes réduit de nombreuses répressions, mais dans le même temps, elle a aussi ouvert quelques voies de justification pour les pédocriminels dans la sensibilité morale d’une élite prétendument de gauche, ce que rien ne peut excuser.

    Claude Lévêque, qui a représenté la France à la Biennale de Venise en 2009, appartient à la même génération que Duhamel, mais a un milieu social beaucoup plus modeste et un habitus plus introverti. Dès le début des années 80, il engage des garçons pubères comme assistants, convaincant leurs parents des privilèges d’une initiation artistique précoce, réalisant des œuvres d’art sur eux ou avec eux. Maintenant, un de ses anciens assistants a porté plainte. Le plus grand scandale, malheureusement, n’est pas les allégations d’abus en soi. Encore plus difficile à saisir est le silence qui a entouré la pédophilie en série présumée de Lévêque pendant des décennies. L’artiste emmenait ses enfants assistants partout, dormait avec eux dans des chambres d’hôtel, les présentait lors de vernissages dans les plus grandes institutions culturelles françaises.

    Les étapes de l’émancipation

    Tout le monde dans le milieu de l’art savait, disent-ils maintenant. Mais personne ne veut s’immiscer dans la vie privée de Lévêque. L’artiste se met en scène comme le coupable et le perdant ; ses œuvres thématisent l’enfance comme un traumatisme et un refuge à la fois. Les jeunes sensibles n’étaient-ils pas alors ses compagnons logiques ? Il a écrit à son accusateur qu’il regrettait que les joies et les aventures d’une époque devenue « inexprimable » se soient transformées en douleur et en morosité. De quelle « époque » parle-t-on ? Que veulent dire les délinquants sexuels lorsqu’ils évoquent les années 80 comme un âge d’or ?

    Un peu d’histoire des idées permet de mieux comprendre la genèse de ces affaires. En effet, les années 1970 ont vu un énorme changement non seulement dans la moralité publique, mais aussi dans la législation et la pratique juridique. Les rapports récemment mis à jour selon lesquels Michel Foucault aurait prostitué des mineures lors d’un séjour de professeur invité en Tunisie à la fin des années 1960 appartiennent également à ce contexte temporel. Néanmoins, il serait trop simpliste d’assigner les écrits de théorie sexuelle et l’engagement politique d’auteurs comme Foucault ou Guy Hocquenghem au même camp que Matzneff, qui s’est livré à une apologie à peine dissimulée de la maltraitance des enfants. De nombreuses préoccupations du mouvement, telles que l’égalité des homosexuels en matière de droit pénal sexuel obtenue en 1982, constituent des jalons d’émancipation. Il a fallu douze ans de plus à la République fédérale pour y parvenir.

    Un amendement juridique est en préparation en France

    Ce qui a également émergé dans l’ombre d’une décennie qui a exagéré le principe de plaisir et remis en question toute autorité, c’est une éthique machiste et hédoniste de la liberté individuelle, dans laquelle les alphas sexuels se sentaient appelés à détruire même les « derniers tabous de la bourgeoisie » – l’inceste et la pédophilie – en secret ou en semi-public. Un document clé de cette période est une lettre publiée par le quotidien français Le Monde en janvier 1977, dans laquelle 69 intellectuels – dont Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Gilles Deleuze et Roland Barthes – demandent la libération de trois hommes accusés par un tribunal de Versailles de « comportement indécent » envers un groupe d’adolescents de 13 et 14 ans.

    Les enfants n’ont subi aucune violence et ont volontairement cédé aux avances sexuelles des hommes, précise la lettre. En outre, le droit pénal français des mineurs considère que les enfants de 13 ans sont déjà capables de commettre des crimes. Comment pourrait-on leur refuser le droit et la capacité à l’autodétermination sexuelle ? À quel point une société doit-elle être coincée pour condamner la prise de photos de nudité tendre d’enfants curieux qui suivent leur instinct ? Le tribunal a très bien conclu que les enfants avaient subi des pressions psychologiques et des contraintes sexuelles. Comme cela n’a été rendu public qu’en 2013, Gabriel Matzneff était l’auteur de la lettre. De nombreux signataires ont par la suite présenté leurs excuses pour leur partialité irréfléchie.

    Il existe également un âge de consentement en France, qui criminalise généralement les actes sexuels commis par des adultes. Depuis 1982, cela fait 15 ans. Mais le fait que les cas suspects fassent l’objet de poursuites et, le cas échéant, pour quelle infraction – les agressions sexuelles, la contrainte ou le viol diffèrent énormément en termes de niveau de sanction – dépend, depuis une réforme du droit pénal en 1994, encore plus qu’auparavant du comportement de la victime. L’idée que même des enfants de onze ou douze ans consentent de leur propre chef à des actes sexuels est encore possible dans cette pensée juridique. L’argument utilisé par Matzneff pour réclamer l’impunité peut être utilisé pour réduire les peines dans l’immédiat. Un amendement juridique visant à exclure cette possibilité, au moins pour les moins de 13 ans, est actuellement en cours de préparation.

    Tobias Haberkorn, né en 1984, est un spécialiste de la littérature et le traducteur allemand de Didier Eribon. Son essai «  » sera publié en mai par Leesmagazijn Verlag.

    Ce texte est paru dans l’édition du week-end du Berliner Zeitung – chaque samedi en kiosque ou ici au .

    Berliber Zeitung, 11 avr 2021

    Etiquettes : France, pédophilie, inceste, #metoo, #metooinceste, Olivier Duhamel, Camille Kouchner,

  • Sciences Po Paris: Laurence Bertrand Dorléac choisie pour la présidence de la FNSP

    Laurence Bertrand Dorléac devrait prendre la présidence de la FNSP, alors que Sciences-Po avait été secoué par un scandale lorsque son ancien président, Olivier Duhamel, a été accusé de viols sur mineur.

    La candidature de Laurence Bertrand Dorléac a été retenue pour la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), a annoncé son président par interim Louis Schweitzer, nommé en remplacement d’Olivier Duhamel visé par une enquête pour viols sur mineur. Le comité de recherche a procédé vendredi à l’audition des deux candidats qui étaient encore en lice, Bertrand Badie et Laurence Bertrand Dorléac.

    « Après en avoir délibéré, il a décidé à l’unanimité de proposer au Conseil d’administration, lors d’une nouvelle réunion informelle le 15 avril prochain, la candidature à la Présidence de la FNSP de Mme Laurence Bertrand Dorléac », indique M. Schweitzer dans un communiqué. « Si cette candidature y est validée par les deux tiers des participants, la candidate sera nommée fondatrice et cinq nouveaux membres fondateurs seront par ailleurs désignés », explique-t-il. »Une réunion formelle du conseil d’administration sera alors convoquée avec les nouveaux membres fondateurs le 28 avril, afin de désigner le Président de la FNSP et les autres membres du bureau ».

    Les révélations sur Olivier Duhamel

    Mme Bertrand Dorléac enseigne l’histoire de l’art à Sciences-Po. Ce renouvellement à la tête de la FNSP intervient après l’affaire qui a éclaté début janvier avec les révélations de Camille Kouchner. Dans son livre « La Familia grande », elle a dénoncé les agressions incestueuses qu’aurait imposées son beau-père Olivier Duhamel à son frère jumeau quand il était adolescent, à la fin des années 1980.

    Après ces révélations, M. Duhamel avait annoncé sa démission de la tête de la FNSP qui chapeaute Sciences Po. L’ex-patron de Renault Louis Schweitzer avait été élu provisoirement à sa place en janvier. Cette affaire a également coûté son poste à Frédéric Mion, qui a démissionné en février de ses fonctions de directeur de Sciences Po Paris. Celui-ci avait été informé dès 2018 des accusations visant M. Duhamel.

    Challenges, 10 avr 2021

    Etiquettes : Sciences Po, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, Laurence Bertrand Dorléac,

  • Pascal Perrineau : « Sciences Po vit des heures sombres »

    Depuis la démission d’Olivier Duhamel, les départs se succèdent à la tête de Sciences Po Paris et le processus de désignation d’un nouveau directeur s’enlise, signe d’un profond malaise au sein de la prestigieuse institution de la rue Saint-Guillaume.
    La crise succède à la crise. Les pétitions aux tribunes et contre pétitions. « Sciences Po vit des heures sombres », analyse Pascal Perrineau, une des « figures enseignantes » de la rue Saint-Guillaume. Depuis la démission en janvier d’Olivier Duhamel de la présidence de la Fédération nationale des sciences politiques (FNSP), après qu’il a été accusé d’inceste, les départs se sont succédé. Celui de Marc Guillaume, l’ancien Secrétaire général du gouvernement, puis de Frédéric Mion, le directeur de l’école, pris en flagrant délit de mensonge. Nommé par intérim, Louis Schweitzer, ancien PDG de Renault, a pour mission de mettre en place une relève à la hauteur.

    Mais le processus improvisé pour auditionner les candidats ne fait pas l’unanimité. Convocations en urgence du jour pour le lendemain, cooptation confuse, règles non dites… Un profond malaise s’installe. Pascal Perrineau, 70 ans, enseigne à Sciences Po depuis 40 ans. Professeur émérite des universités, président de Sciences Po Alumni, l’association des anciens élèves, il a logiquement posé sa candidature à la succession d’Olivier Duhamel. « J’ai tenté de proposer un projet », confie-t-il. En vain. « Profondément déçu » par ce qui se trame aujourd’hui en coulisses, Pascal Perrineau se confie à Marianne. Un récit alarmant sur les coulisses d’une institution qui se veut pourtant exemplaire.

    Marianne : La colère gronde à Sciences Po. Une pétition circule même pour demander la démission de Louis Schweitzer, actuel président par intérim. Allez-vous la signer ?

    Pascal Perrineau : Je ne signe que très peu de pétitions, même si celle-ci exprime les inquiétudes et la colère de nombre d’enseignants, d’étudiants et d’anciens élèves. Je connais cette maison Sciences Po depuis longtemps. Je suis sorti diplômé en 1974 et j’y enseigne depuis plus de quarante ans. Je n’ai jamais connu de situation aussi confuse et aussi trouble. Toutes les inquiétudes d’aujourd’hui sont légitimes, tant sur l’avenir de notre institution que sur les procédures actuelles de désignation d’une nouvelle équipe. Sciences Po vit des heures sombres.

    Personne n’y comprend rien, avec d’un côté la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), dont Olivier Duhamel était président et de l’autre l’IEP (Institut d’études politiques) dirigé par Frédéric Mion, qui lui aussi a démissionné. Quel est le rôle du comité de recherche mis en place par Louis Schweitzer, le président par intérim de la FNSP ?

    On ne comprend plus très bien. Au départ, l’idée était de former un comité, composé à parité de cinq membres du collège des fondateurs et de cinq enseignants, qui avait pour but de trouver des candidats susceptibles de venir rejoindre le conseil d’administration de la FNSP, où il faut remplacer six membres du conseil d’administration. Dans les statuts, c’est le conseil d’administration de la FNSP, aux deux tiers, qui élit le président sur proposition du collège des fondateurs. Il s’agit donc d’une élection par cooptation. Mais le comité de recherche, sautant d’une certaine façon une étape, a cherché un candidat unique à la présidence de la FNSP susceptible de recueillir les deux tiers des suffrages, et qui serait présenté sans concurrence au conseil d’administration.

    Mais ce comité, qui ne figure dans aucun statut, peut-il à lui seul choisir et coopter le futur président ?

    Effectivement, tout ce processus apparaît un peu opaque. Le comité a été totalement improvisé. On aurait pu imaginer, ce qui eut été plus naturel et finalement logique, que les candidats se présentent directement devant le conseil d’administration, qui les auditionne et vote ensuite sur leur projet. Il est difficile de comprendre pourquoi cela ne s’est pas passé pas comme cela, pourquoi ce comité s’est inventé la mission de présenter un candidat officiel et unique.

    Vous êtes candidat à la présidence de la FNSP. Comment s’est déroulée votre audition devant le comité de recherche ?

    J’ai présenté mon projet en dix minutes, comme ils me l’ont demandé, puis s’en est suivie une discussion d’une demi-heure. On m’a ensuite fait savoir par mail que ma candidature n’était pas retenue. Sans aucun motif argumenté sur le fond de nos projets. Romain Rancière était dans le même cas que moi. De son côté, on lui a donné trois raisons pour rejeter sa candidature : qu’il était un homme, qu’il était trop jeune (il a 50 ans) et qu’il ne connaissait pas suffisamment la maison ! Cette dernière raison est valable, mais les deux autres sont discriminatoires ! Moi, on m’a dit par téléphone que je ferais un très bon président, mais que je n’étais pas une femme ! Là aussi, c’est discriminatoire. À l’un comme à l’autre cela ne nous est pas apparu comme étant conforme aux standards de recrutement qui existent dans les grandes universités internationales. Une institution telle que Sciences Po devrait être exemplaire.

    Serez-vous quand même candidat devant le conseil d’administration ?

    Dans un premier temps, on m’a prévenu que le feu rouge du comité de recherche me l’empêchait. Puis une heure après, on m’a écrit par mail que je pouvais quand même me présenter. Finalement, le comité s’est réuni en urgence ce mercredi 7 avril, et a décidé que Romain Rancière et moi, dont les dix avaient repoussé la candidature, nous ne pouvions pas nous présenter. Si j’ai bien compris, le comité devrait désormais déposer devant le conseil les candidatures de Laurence Bertrand-Dorléac et de Bertrand Badie, qui n’ont pas été encore entendus. Laurence Bertrand-Dorléac, historienne de l’art, vient de démissionner du comité de recherche pour être candidate devant le même comité. Il peut paraître surprenant d’un point de vue juridique et déontologique, de constater que la candidate à l’évidence favorite, puisqu’il « faut » une femme », ait fait partie auparavant du comité qui a écarté les trois candidatures initiales.

    Vous semblez amer…

    Non pas amer, je ne suis pas un mauvais perdant. Par contre, je suis profondément déçu, à titre personnel, de ces pratiques, de ces méthodes, et de cette ambiance. Je ne m’y attendais pas. C’est très violent. Mais je ne vais pas m’acharner et j’ai trop de respect pour cette institution qui ne va vraiment pas bien. Mais surtout, ce qui me désole le plus, est de ne pas avoir pu participer à un débat que j’estime absolument nécessaire. Sciences Po traverse une crise majeure, l’époque est face à des interrogations multiples, nos valeurs démocratiques, notre conception française de la République doivent être plus que jamais défendues, y compris au sein de notre institution et auprès de nos étudiants.

    Certaines attaques graves ont eu lieu sur notre territoire mais aussi sur les campus comme à Sciences Po Grenoble ou encore Sciences Po Bordeaux. Plus que jamais les libertés académiques doivent être défendues. Je vois bien qu’il y a une pénétration idéologique venue de certains campus américains où les questions identitaires acquièrent une prééminence croissante. On écoute de moins en moins ce que vous dîtes, on répond à ce que vous êtes ou supposé être. Alors que le renouvellement des personnes devrait être l’occasion d’un débat sur les valeurs que nous voulons défendre, la place de Sciences Po dans la République, son rôle.

    Quel projet pour Sciences Po avez-vous défendu devant le comité ?

    Au-delà des questio ns de déontologie et de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, que nous devons renforcer, j’ai posé la question des problèmes de gouvernance. Justement, pour sortir à l’avenir de ces questions de désignation, j’ai proposé une réforme de fond, en s’inspirant de ce que font certaines universités, s’appuyant notamment sur leurs réseaux d’anciens élèves. J’ai aussi proposé une remise à plat de la gouvernance intermédiaire. À mon sens, le système pyramidal qui existe depuis tant d’années à l’intérieur de Sciences Po, avec ses mille et une chapelles, devrait être aujourd’hui refondé. Évidemment, j’ai bien vu que cela ne plaisait pas… Enfin, je pense que Sciences Po est une institution parisienne qui a réussi à s’internationaliser mais qui doit désormais se tourner aussi vers les territoires de la République et je n’oublie pas l’Outre-mer. J’ai proposé une décentralisation vers ses six campus en région et certains IEP non-parisiens qui sont déjà sur ce terrain. Nous avons un rôle à jouer, de formation civique, de formation des cadres territoriaux. Tout le monde ne peut pas venir étudier à Paris. Et Paris gagnerait à renouer avec les territoires.

    Vous dites souvent que pendant longtemps, vos meilleurs étudiants de Sciences Po se lançaient en politique et qu’aujourd’hui ce sont plutôt ceux du bas du tableau… Comment expliquez-vous ce phénomène ?

    Oui, on ne peut que le déplorer. C’est probablement lié à la crise que traverse l’appareil d’État et à l’image dégradée de l’activité politique. Et aussi à la réussite de l’internationalisation des études. En troisième année, tous nos étudiants partent à l’étranger. Ils découvrent d’autres horizons que le service public et l’intérêt général « à la française ».

    Aujourd’hui, ils s’orientent largement vers des filières privées. Nous, enseignants, avons probablement notre part de responsabilité dans ce phénomène. Nous avons laissé en déshérence les fondamentaux historiques de Sciences Po. On enseigne moins les institutions, les évolutions de l’appareil d’État, la vie politique tout ce qui a fait pendant des décennies le coeur de notre enseignement. Nous avons perdu le cap.

    Il faut réhabiliter ces enseignements politiques au meilleur sens du terme ne serait-ce que pour restaurer une part de la confiance politique qui ne cesse de s’éroder. Quand l’École libre des sciences politiques a été fondée, au lendemain de la défaite de 1870 face à la Prusse, son but était de mieux former les cadres de la nation. C’était cela le cap, la mission de Sciences Po : former les cadres du pays… C’est un enjeu politique au meilleur sens du terme.

    Emmanuel Macron supprime l’ENA. Signe d’une faillite identique ?

    J’imagine que l’on va trouver un autre nom d’école, une ENA sans l’ENA. Mais peut-être que la question est la m��me que pour Sciences Po aujourd’hui. Quand on prétend former les élites, il faut régulièrement s’interroger : quelles élites ? Formées à quoi ? À quelles valeurs ? Que voulons-nous défendre ? Sommes-nous compatibles avec le modèle américain ? Quelles spécificités de notre République voulons nous défendre ? Dans la crise que nous traversons, ces questions sont essentielles. Or, à Sciences Po aujourd’hui, je n’ai malheureusement pas l’impression qu’elles sont posées avec la vigueur nécessaire…

    Comment se passera ensuite la désignation du directeur de l’école, celui qui remplacera Frédéric Mion ?

    En observant le comité de recherche, nous sommes nombreux à avoir le sentiment d’assister à une opération obscure. J’ai l’impression que l’objectif plus ou moins avoué est qu’il y ait demain à la tête de Sciences Po, la Fondation et l’IEP, une femme et un homme. Apparemment, même s’il n’y a aujourd’hui aucun candidat déclaré au poste de direction, ils sont nombreux à y prétendre en coulisses. Plusieurs noms circulent. Après tout ce qui s’est passé, je pense que l’urgence aurait été de mettre en place des pratiques transparentes et vertueuses plutôt que se fixer de manière obsessionnelle sur le « genre » des détenteurs de pouvoir.

    Vous en appelez à un arbitrage du ministère de l’Enseignement supérieur ?

    Le ministère de tutelle pourrait peut-être veiller au respect des statuts dans la lettre et dans l’esprit. Il y a urgence à rendre les choses lisibles. À sortir de ce qui apparaît comme des cooptations peu lisibles et peu dicibles. À remettre la maison en ordre de marche, ce que d’ailleurs, Bénédicte Durand, la directrice par intérim, fait très bien de son côté. Sciences Po a besoin de règles neuves et claires, d’une concurrence loyale et saine. C’est quand même tout ce que l’on enseigne aux étudiants depuis des années ! Pourquoi, dans nos propres processus de désignation, s’affranchir de ces règles simples à la base de notre propre enseignement ?

    Avez-vous eu des nouvelles d’Olivier Duhamel et pensez-vous, comme le disent certains, qu’il soit à la manoeuvre lui aussi en coulisses ?

    Je n’en ai aucune idée mais parfois, on peut avoir l’impression que cet épisode sombre de Sciences Po ne parvient pas à faire advenir l’avenir clair dont nous avons besoin.

    Marianne, 9 avr 2021

    Etiquettes : Sciences Po, Pascal Perrineau, Olivier Duhamel, Camille Kouchner, Marc Guillaume,  Frédéric Mion, Louis Schweitzer,