Étiquette : colonialisme

  • Le Burkina Faso enterre les restes exhumés de Sankara

    Le Burkina Faso enterre les restes exhumés de Sankara

    Tags : Burkina Faso, Thomas Sankara, Blaise Compaoré, colonialisme, corruption,

    La dépouille exhumée de l’ex-président bien-aimé du Burkina Faso, Thomas Sankara, dont le meurtre en 1987 a choqué la nation ouest-africaine, a été inhumée lors d’une cérémonie dans la capitale Ouagadougou jeudi.

    Le révolutionnaire marxiste charismatique, connu sous le nom de « Che Guevara de l’Afrique », a été abattu avec 12 autres personnes lors d’un coup d’État sanglant mené par son ancien allié et successeur Blaise Compaoré. Il avait alors 37 ans.

    Compaoré, qui a régné pendant près de trois décennies, avant d’être renversé en 2014, a été condamné par contumace à la réclusion à perpétuité l’année dernière pour complicité dans le meurtre de Sankara.

    Deux de ses anciens meilleurs associés ont été condamnés à la même condamnation lors d’un procès qui a débuté en octobre 2021. Tous les trois ont nié les actes répréhensibles.

    Sankara et les autres victimes ont été enterrés dans un cimetière civil en 1987. Mais les autorités ont exhumé les restes en 2015 pour les identifier et aider aux enquêtes sur le meurtre de Sankara.

    Ils ont tous été inhumés à nouveau jeudi dans des cercueils drapés du drapeau rouge et vert du Burkina Faso et surmontés de roses rouges.

    Les membres de la famille vêtus de blanc ont défilé devant le cercueil de Sankara pour lui rendre un dernier hommage. Ils ont été rejoints par d’anciens membres de son personnel militaire, des citoyens et des proches d’autres victimes.

    « Nous remercions les autorités qui ont participé à l’écriture d’une page importante de notre histoire », a déclaré Mousbila, l’oncle de Sankara.

    Parmi les participants se trouvait le politicien burkinabé Mayamba Malick Sawadogo, qui était prisonnier au moment du meurtre de Sankara et faisait partie d’un groupe de condamnés forcés d’enterrer le défunt.

    « C’est émouvant de me retrouver ici », a-t-il déclaré à Reuters, retenant ses larmes. « C’est vrai que plus de 30 ans se sont écoulés… mais ce n’est pas facile. »

    Sankara a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 1983 sur des promesses de lutter contre la corruption et les influences néocoloniales.

    Il a publiquement dénoncé les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale, interdit l’excision et la polygamie, et a été l’un des premiers dirigeants africains à sensibiliser le public au VIH/sida.

    Il a gagné le soutien du public avec son style de vie modeste et son admiration demeure, malgré les critiques qui disent que ses réformes ont restreint les libertés et n’ont pas fait grand-chose pour enrichir les gens ordinaires.

    Les victimes de 1987 seront à nouveau enterrées dans un mémorial construit sur le site de l’assassinat de Sankara.

    Reuters

  • Conférence sur El Khattabi – La république du Rif

    Tags : Maroc, Rif, Abdelkrim El Khattabi, protectorat, colonialisme,

    La République indépendante du Rif et la personnalité du leader charismatique Abdelkrim Khattabi ont été au centre d’une conférence animée, hier, par le professeur Hassan Aârab à l’Institut des études stratégiques globales (Inseg). La conférence coïncide avec le double anniversaire de la mort de Abdelkrim Khettabi le 6 février 1963 et la proclamation de la République du Rif un premier février 1923. Une République qui avait fini par être dissoute par la France et l’Espagne coloniales en 1926.

    «La dimension maghrébine du combat de l’émir Abdelkrim Khattabi», tel a été le thème générique de cette conférence organisée par l’Inesg. Photos et documents à l’appui, le modérateur de la conférence estimera que «Khattabi a su réunir tous les attributs d’un État, à proprement dire, dont un territoire, un peuple, un gouvernement avec des ministères, des institutions, un drapeau, une monnaie (le Riffane) et même un hymne national,…», dira-t-il.

    Ce dernier étalera la vision et la pensée de l’émir Khattabi et la portée de sa révolution à l’échelle continentale et celle arabe, et même en Occident et en Asie. Pour étayer ses dires, il fera appel à des exemples tirés de l’Histoire, notamment les témoignages de Mao Tsé-toung qui avait affirmé s’être inspiré de la pensée révolutionnaire de Khattabi. Il évoquera les déclarations des grands révolutionnaires du siècle dernier, dont Ché Guevara, Ho chi Minh, etc… au sujet de la pensée de Khattabi. À ce sujet, il abordera la portée de la vision de cet émir marocain, dont la vision maghrébine était un fait saillant dans sa pensée. «C’était un visionnaire. Sa révolution a précédé celle d’Atatürk et d’autres révolutions dans le Monde arabe», dira-t-il. Pour sa part, le professeur Hassan Aârab a confié que «Khattabi s’est battu pour le Rif… Il n’a jamais cessé de réclamer l’indépendance du Rif qu’il avait inscrit dans une trajectoire maghrébine et pour lequel il avait tracé une perspective moderniste».

    Leader charismatique de la République du Rif, Khattabi avait prôné déjà à la fin de 1915, l’indépendance totale du Maghreb et avait même plaidé pour la résistance et une organisation maghrébine. Le conférencier mettra en exergue la relation étroite entretenue par l’émir Khattabi avec les leaders du Mouvement national algérien et les projets communs qui les animaient. Photos à l’appui, Aârab commentera les contacts permanents noués par Khattabi, à partir de son exil au Caire, avec feu Boudiaf, Ait Ahmed, Khider, Didouche, Ben Bella, Ben M’hidi et même Boumediene. Toutefois, l’un des éléments fondamentaux de l’histoire de la résistance anticoloniale dans la vision de l’émir Khattabi et les accrocs avec le régime du Makhzen, «dont la doctrine reposait sur la traîtrise et la manigance», aura été l’élément fédérateur qu’a été l’Algérie dans le façonnement de cette résistance. Les intervenants, dont des académiciens et chercheurs en histoire, n’ont pas tari d’exemples quant à l’aide et l’apport précieux des leaders algériens, dont l’émir Abdelkader et ses enfants, en l’occurrence Ben Abdelmalek qui avait monté la révolte organisée de 1915.

    «Abdelkrim continue à nous parler du royaume du Makhzen…. Lui qui avait interdit, à cette époque la culture du cannabis, principale rentrée subsidiaire du système économique du Makhzen… Khattabi avait exprimé son dédain du système makhzenien», dira Aârab en évoquant la nature idéologique et doctrinale de l’armée marocaine. «La pensée de Khattabi voulait rompre avec les pratiques et cette tradition du Makhzen qui s’était déjà fondée sur l’esclavagisme, le mercenariat et la traîtrise à cette époque-là», renchérit-t-il encore. Intervenant dans le débat général, le professeur Mustapha Saidj a expliqué que «Khattabi était porteur d’un projet de Maghreb unifié… Il avait réussi à combattre les Espagnols et à unifier les tribus et contribué à fonder un État, sociologiquement, établi… Contrairement aux adeptes du Makhzen dont l’État marocain, a été la création du général Lyautey. Il n’y a qu’à voir la statue qu’ils ont érigée en sa mémoire et le musée qu’ils lui ont dédié. Ils ne s’en cachent pas», dira-t-il. D’autres intervenants ont mis en relief «que le Maroc, constitue, aujourd’hui, un fardeau encombrant pour ses alliés traditionnels».

    Source: L’Expression.

  • La francophonie, un dispositif néocolonial

    La francophonie, un dispositif néocolonial

    Tags : Afrique, France, OIF, colonialisme, colonisation, Françafrique, spoliation, ressources naturelles,

    par Khadim Ndiaye*

    Francophonie : quand la France déploie son empire linguistique
    par Khadim Ndiaye
    Extrait de L’empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, (2021), pages 945 à 955.
    Publié par Afrique XXI, le 22 novembre 2022.

    Une histoire coloniale

    « Je veux une francophonie forte, rayonnante, qui illumine, qui conquiert [!], tambourine le président Emmanuel Macron lors de son discours de Ouagadougou, en novembre 2017. [Le] français d’Afrique, des Caraïbes, de Pacifique, ce français au pluriel que vous avez fait vivre, c’est celui-là que je veux voir rayonner, portez-le avec fierté, ne cédez à aucun discours qui voudrait en quelque sorte renfermer le français dans une langue morte ou combattre le français comme une langue trop chargée par un passé qui n’est pas à la hauteur du nôtre ! » Régulièrement brandie dans la bouche des chefs d’État français comme un symbole de fraternité et d’ouverture aux autres, la francophonie est en réalité étroitement associée à l’histoire coloniale.

    Le mot est employé pour la première fois par le géographe français Onésime Reclus à la fin du XIXe siècle. Promoteur de l’aventure coloniale française, dans son ouvrage Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique, Reclus formule deux interrogations : « Où renaître ? Et comment durer ? » Les réponses apportées par l’auteur s’inscrivent en droite ligne des théories expansionnistes développées à la même époque par les partisans de la colonisation, au rang desquels figurent l’homme politique Léon Gambetta et l’économiste Paul Leroy-Beaulieu. Reclus annonce le « grand destin » qui attend la France après ses déboires militaires face à la Prusse (1870 -1871). Pour lui, il ne fait aucun doute que la renaissance française doit se faire « à moins de deux cents lieues de nous », en Afrique [1]. Et, l’instrument qui permettra d’y assurer une présence durable n’est autre que la langue.

    Telle la Rome antique au temps de sa splendeur qui « triompha des peuples en subtilisant leur âme », la France doit conquérir les peuples africains par sa langue, théorise le géographe. Il s’agit précisément, écrit-il, d’« assimiler nos Africains, de quelque race qu’ils soient, en un peuple ayant notre langue pour langue commune. Car l’unité du langage entraîne peu à peu l’union des volontés. Nous avons tout simplement à imiter Rome qui sut latiniser, méditerranéiser nos ancêtres, après les avoir domptés par le fer. [2] »

    Si, au départ, Reclus entend décrire la communauté linguistique et géographique des « gens parlant français », le concept de francophonie finit par sous-entendre chez lui une idéologie de domination. La politique coloniale d’assimilation par la langue devient le préalable à l’extension de la présence française hors de l’Europe. Cette volonté de rayonnement par la langue n’est pas un dérivé de l’idéologie coloniale : elle est au cœur de son projet hégémonique. Elle persiste aujourd’hui comme toile de fond de la francophonie moderne, en dépit des dénégations de ses promoteurs.

    La base d’une « indestructible influence »

    Le 7 mars 1817, la première école française est ouverte en Afrique subsaharienne à Saint-Louis du Sénégal avec à sa tête Jean Dard. Partisan de l’instruction des indigènes dans leur langue maternelle et militant de la production de « livres écrits en leurs langages naturels », Dard initie un bilinguisme français-wolof pour faire face à la difficulté de compréhension du français de ses élèves. Une initiative couronnée de succès. Il doit toutefois subir les attaques véhémentes du préfet apostolique du Sénégal, l’abbé Guidicelli, qui l’accuse d’instruire ses élèves dans un « jargon informe » [3] au lieu de la langue française.

    Ses thèses étant en déphasage avec l’idéologie coloniale, Dard est vite évincé tandis que le français est imposé comme langue unique d’enseignement. Dans une lettre du 23 mars 1829 adressée au ministre de la Marine, le gouverneur de la colonie Jean Jubelin donne le ton du « nouvel établissement », qui a désormais pour mission l’instruction et la formation d’une élite éduquée à l’européenne. Il s’agit, écrit-il, d’« amener les habitants indigènes à la connaissance et à l’habitude du français et associer pour eux à l’étude de notre langue celle des notions les plus indispensables. Leur inspirer le goût de nos biens et de nos industries. Enfin, créer chaque année parmi eux une pépinière de jeunes sujets propres à devenir l’élite de leurs concitoyens, à éclairer à leur tour et à propager insensiblement les premiers éléments de civilisation européenne chez les peuples de l’intérieur. [4] »

    Un projet « éducatif » appliqué par les gouverneurs coloniaux qui vont se succéder. Louis Faidherbe, grand idéologue de l’occupation de l’Afrique occidentale, comprend que la « mise en valeur » des colonies de l’AOF passe par l’instruction en français. En créant l’École des otages et en y faisant inscrire les fils de chefs et de notables ramenés de campagnes militaires, il associe au contrôle des corps et des territoires un modelage strict des esprits.

    Dans l’ouvrage qu’il consacre à Faidherbe en 1947, Georges Hardy, inspecteur de l’éducation, précise les intentions de l’ancien gouverneur du Sénégal : « L’école, à ses yeux, n’est pas seulement cette banale officine pédagogique où l’on enseigne le b.a.-ba et les quatre règles sans trop se demander où cela conduit, c’est essentiellement un instrument de formation morale, destiné à faire comprendre les intentions du peuple tuteur, à ouvrir pour l’influence française des voies larges et sûres d’où la contrainte est exclue. » Ainsi peut-on procéder à la « conquête morale » de l’Africain et en faire l’« auxiliaire de l’Européen », indique Hardy.

    Le vecteur qui diffuse le projet de conquête

    Quelques années avant sa mort et alors qu’il n’est plus en poste dans les colonies, Faidherbe voit en 1883 son intérêt pour l’éducation coloniale se raviver lors de la création de l’Alliance française dont il devient un des présidents d’honneur. Il en précise l’objectif – « étendre l’influence de la France en facilitant ses relations sociales et ses rapports commerciaux avec les différents peuples par la propagation de sa langue » – et lui fournit en 1884 une série d’observations et de conseils pour une meilleure diffusion de la langue au sein des masses indigènes africaines. Il préside même une réunion des diverses sections africaines de l’Alliance le 21 novembre 1884, à la grande Chancellerie de la Légion d’honneur à Paris, à laquelle prend part l’explorateur Paul Soleillet, auteur en 1876 d’un ouvrage au titre prometteur : Avenir de la France en Afrique [5].

    La langue devient sous le régime colonial le vecteur qui diffuse le projet de conquête dans l’esprit des indigènes parallèle à celui de la répression des corps. Le lieutenant Paulhiac, membre de la Société de géographie de Paris et auteur de Promenades lointaines : Sahara, Niger, Tombouctou, Touareg, résume bien en 1905 la préoccupation de cette période : « C’est dans notre langue que résidera notre force, comme elle sera, plus tard, la base de notre indestructible influence dans les pays que nous aurons façonnés à notre image. [6] »

    En 1920, la création du Service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE) sert aussi cet objectif, mais il faudra attendre les indépendances africaines pour que soient vraiment créées les premières institutions de la Francophonie.

    Contrairement au mythe destiné à les légitimer, la mise en place d’institutions de promotion de la francophonie ne naît pas d’une initiative africaine. Corollaire de la colonisation, elle mûrit dans l’esprit d’officiels français, du général de Gaulle en particulier. « Maintenant que nous avons décolonisé, notre rang dans le monde repose sur notre force de rayonnement, c’est-à-dire avant tout sur notre puissance culturelle. La francophonie prendra un jour le relais de la colonisation ; mais les choses ne sont pas encore mûres », explique le Général à Alain Peyrefitte le 11 septembre 1966. [7]

    « Opération francophonie »

    Obnubilé par le rôle que la France doit jouer dans un monde marqué par la réalité des deux grands blocs de l’Ouest et de l’Est, de Gaulle mesure l’enjeu que les pays francophones représentent pour la France. Dans les années 1960, un débat est lancé sur le concept de « francophonie » [8]. S’agit-il d’un simple patrimoine linguistique commun ? Faut-il rassembler les pays qui utilisent le français dans une organisation commune ? D’abord réticent à l’idée d’institutionnaliser la francophonie, le Général a conscience du potentiel de puissance que la langue peut offrir à la France. C’est ce qu’illustre l’intérêt qu’il porte au Québec, bastion francophone au cœur de l’Amérique.

    Mais, alors qu’il se montre volubile sur la position de la France concernant les francophones du Canada, le Général reste évasif lorsqu’il s’agit des territoires de l’empire colonial français. « La francophonie est une grande idée » selon lui, mais « il ne faut pas que nous soyons demandeurs », précise-t-il en conseil des ministres le 7 mai 1963. Dans son entourage, on s’active donc pour inciter les « amis » africains à prendre l’initiative. « Je suis très favorable à la francophonie, indique le Premier ministre Georges Pompidou à Alain Peyrefitte le 31 août 1967. Je dirais même plus que le Général, qui a peur de provoquer une réaction hostile de la part des pays colonisés. Il répète : “Donner et retenir ne vaut. Il ne faut pas avoir l’air de les recoloniser.” Je n’ai pas ces scrupules. »

    Pompidou lance donc une véritable « opération francophonie » : Matignon se dote d’un « Haut Comité pour la défense et l’expansion de la langue française », dès 1966, et mobilise Léopold Sédar Senghor, ami de jeunesse de Pompidou et grand partisan de la francophonie. C’est en tout cas ce que raconte le diplomate Bernard Dorin, chef du service des Affaires francophones du ministère des Affaires étrangères (1975-1978) et président de l’association Avenir de la langue française (1998-2003), qui précise : « J’ai assez bien connu le président Senghor lorsqu’il était président de la République du Sénégal, car il constituait alors l’une des pièces maîtresses de “l’opération francophonie” lancée parallèlement à tout circuit officiel par quelques jeunes fonctionnaires dont Philippe Rossillon et moi-même. Les deux autres membres du “Triumvirat” étaient […] le président Diori Hamani du Niger et le Président Bourguiba de Tunisie. [9] » Le président Norodom Sihanouk du Cambodge apporte une caution asiatique à l’entreprise.

    Le mythe d’une initiative africaine

    L’idée que les élites colonisées sont à l’origine de la Francophonie en tant qu’institution intergouvernementale va ainsi faire son chemin. La parution en 1962 de l’article de Senghor – « Le français, langue de culture » – dans la revue Esprit est présentée a posteriori comme un événement fondateur. Les défenseurs de la Francophonie « veulent ainsi prouver, observe l’universitaire française Alice Goheneix, que ce sont bien les anciens colonisés, africains et asiatiques – et non l’ancienne métropole – qui décidèrent de faire de la langue française l’objet et le sujet d’une organisation internationale » [10]. L’aspect culturel est volontairement mis en avant. Senghor présente l’ambition linguistique et culturelle mondiale affichée comme un « humanisme intégral qui se tisse autour de la terre » et met en garde ceux qui y verraient « une machine de guerre montée par l’impérialisme français ».

    Sur les fondations posées dans le sillage des indépendances, avec la création en 1960 de la Conférence des ministres de l’Éducation des pays africains et malgache d’expression française (CONFEMEN) et l’installation en 1963 d’un Centre de linguistique appliquée à Dakar, la France consolide l’armature institutionnelle de la francophonie dans la seconde moitié des années 1960, en prenant soin de mettre en avant le « désir » de francophonie de ses alliés africains. En juin 1966 est mis en place un espace politique francophone avec la première conférence à Tananarive des chefs d’État de l’Organisation commune africaine et malgache (Ocam). Le 20 mars 1970, la Conférence de Niamey institue l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) qui deviendra l’Agence intergouvernementale (1998) puis l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, en 2006). Le président François Mitterrand crée en 1984 le Haut Conseil de la Francophonie et, en 1999, l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française devient l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). Consécration de ce processus, un sommet ritualisé biannuel – Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage – est organisé à partir de 1986 pour décider des orientations et de la stratégie de l’institution.

    Des institutions comme l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) et l’Association internationale des maires francophones (AIMF) visent désormais à renforcer la solidarité entre institutions parlementaires et mairies de la communauté francophone tandis que l’Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF) s’active dans la promotion de l’enseignement en langue française. À côté de ces différentes structures dont la liste est loin d’être exhaustive s’illustrent celles qui sont strictement françaises et qui participent de la stratégie d’influence culturelle de Paris. France Médias Monde réunit ainsi France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya (la radio en langue arabe) mais également la filiale Canal France International, une agence de coopération qui, pour le compte du Quai d’Orsay, coordonne l’aide au développement spécifique aux médias. L’Afrique reste évidemment une cible de choix. Elle est « notre respiration », soutient en 2015 [11] la patronne de France Médias Monde, Marie-Christine Saragosse, dont la structure, en partenariat avec CFI, met en œuvre depuis juillet 2020 le projet « Afri’Kibaaru » : une production d’informations en langues locales ciblant les populations de six pays du Grand Sahel, financée par l’Agence française de développement et présentée comme une réponse aux « défis sécuritaires, économiques, sociaux et institutionnels ».

    « Penser français » pour acheter français

    Dès les débuts de la francophonie moderne, la langue est considérée comme un vecteur de débouchés économiques. Lors de son allocution à l’Assemblée nationale française le 23 octobre 1967, Yvon Bourges, secrétaire d’État chargé de la Coopération explique que son « premier objectif […] est de favoriser la pénétration de la langue et de la culture françaises dans les pays d’Afrique et de Madagascar ». Et Bourges poursuit : « Le second objectif que nous proposons est d’ordre économique : le maintien et le développement des intérêts commerciaux et industriels français constituent également une des préoccupations constantes du secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la Coopération. Je le dis sans aucune honte, cela n’a d’ailleurs rien d’illégitime ni de sordide. »

    La juxtaposition de ces deux objectifs par le gouvernement n’a rien de surprenant. La langue ouvre la voie aux marchés, comme le maintien d’une présence culturelle forte participe d’un imaginaire collectif favorable à la sauvegarde des intérêts économiques de Paris, en faisant localement « penser français ». Inversement, le maillage économique hexagonal maintient une influence culturelle, et donc politique, française.

    Cette stratégie a été poursuivie au fil des ans. Ainsi, dans le rapport que lui demande le président François Hollande sur les opportunités économiques qu’offre la francophonie avant le sommet de l’OIF à Dakar, en 2014, Jacques Attali fait plusieurs recommandations. Constatant que le français « perd du terrain », l’ancien conseiller de François Mitterrand propose de renforcer son enseignement, de diffuser des contenus culturels et créatifs francophones, de faciliter la mobilité des étudiants, des chercheurs, des entrepreneurs, et d’organiser des réseaux de personnalités d’influence francophones. Car Attali le sait, les exportations françaises vont de pair avec l’utilisation de la langue. Il existe une « corrélation entre la proportion de francophones dans un pays et la part de marché des entreprises françaises dans ce pays », explique-t-il dans ce rapport [12]. La France doit donc selon lui, via un « altruisme rationnel », réaffirmer son rôle d’intermédiaire incontournable dans le commerce avec les pays francophones, notamment vis-à-vis de la Chine : « Parce que c’est en français, affirme Attali dans un entretien à RFI, qu’on peut le mieux commercer, investir en Afrique [13].

    Mais ses propositions vont plus loin : il propose notamment la mise en place de « politiques industrielles francophones » dans des domaines tels que les technologies numériques, la téléphonie mobile, le secteur pharmaceutique ou encore l’industrie minière. En définitive, il s’agit, par le biais de la langue, d’ouvrir des débouchés aux entreprises françaises et de « transformer à terme l’Organisation internationale de la Francophonie en Union économique francophone ».

    Un « bastion » à défendre

    Un sillon également creusé par différents rapports parlementaires français. Le rapport de la mission d’information sur « la stabilité et le développement de l’Afrique francophone » publié en mai 2015 recommande par exemple de faire du français le principal « vecteur d’influence politique, culturelle et économique » et donc, le premier axe de la politique française sur le continent africain. Dans un entretien accordé en août 2015 à Mondafrique, Jean-Christophe Rufin, ex-ambassadeur de France au Sénégal, abonde dans le même sens. Il plaide pour le renforcement des lycées français en Afrique considérés comme le « dernier vrai bastion sur le continent » [14]. Leur destin conditionne, dit-il, « la formation des élites, les futurs liens économiques, le maintien du français comme langue de référence ».

    En 2018, dans un rapport sur « la diplomatie culturelle et d’influence de la France », deux députés écrivent encore que celle-ci « n’est ni un gadget, ni un moyen de compenser notre puissance déchue, c’est un puissant vecteur de notre politique étrangère ». Tout en appelant à « rompre avec un “universalisme conquérant” », ils rappellent que « la compétition mondiale porte aussi sur la capacité à faire partager ses idées, ses œuvres culturelles, sa vision du monde, ses concepts, sa ou ses langues. Que nous le voulions ou non, nous existons, dans le regard de beaucoup de pays du monde, par la culture et par les œuvres de l’esprit et notre influence dépend aussi de notre capacité à répondre à cette curiosité et à cette attente vis-à-vis de la France, et à les entretenir ». L’enjeu est de « créer les conditions d’un rapprochement profond et sur le temps long, de liens quasi émotionnels, d’une intimité qui peut s’avérer décisive en matière diplomatique » car, rappellent-ils, « si le travail de chancellerie permet d’avoir des “alliés”, la diplomatie culturelle permet de se faire des “amis” ». Et l’amitié, ça paie : « Les Français arrivent avec un quatuor de Debussy et repartent avec une centrale nucléaire », comme le dit un des interlocuteurs interrogés par les députés [15].

    Depuis son élection, le président Emmanuel Macron cherche à son tour à investir et à moderniser le soft power linguistique : nomination de Leïla Slimani comme représentante personnelle du président pour la Francophonie (2017), lancement d’une « stratégie pour la langue française et le plurilinguisme » (2018), etc. « Ne le regardez pas [le français] comme une langue que certains voudraient ramener à une histoire traumatique, explique-t-il lors de son discours à l’Université de Ouagadougou en novembre 2017. Elle n’est pas que cela puisqu’elle est la langue de vos poètes, de vos cinéastes, de vos artistes, vous l’avez déjà réacquise, vous vous l’êtes déjà réappropriée ! »

    Les silences coupables de l’OIF

    Macron, qui affiche une vision « ouverte » de la francophonie, inscrit sa défense de la langue française dans une lutte globale pour le « plurilinguisme » : la francophonie, loin de nourrir un dessein hégémonique, ne serait qu’un élément de richesse culturelle. Un argument déjà utilisé par exemple par le très foccartien Jacques Godfrain, ancien ministre de la Coopération devenu président de la Fondation Charles de Gaulle et de l’Association francophone d’Amitié et de Liaison (fédération qui est membre consultatif de l’OIF depuis 2001), dans un colloque au Sénat en 2016 : « J’ai horreur, pour mettre les pieds dans le plat, de l’idée que le français est une langue impérialiste qui voudrait couvrir le monde entier comme d’autres. […] Je suis comme vous pour la pluralité culturelle et linguistique que nous soutenons. »

    Suscitant de la méfiance, l’offensive d’Emmanuel Macron n’a pas manqué de créer un bouillonnement sur la scène intellectuelle francophone. Invité par le président le 13 décembre 2017 à contribuer aux travaux de réflexion autour de la langue française et de la francophonie, l’écrivain Alain Mabanckou décline l’invitation en rappelant que la francophonie est « perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies ». Pire, « la Francophonie “institutionnelle” […] n’a jamais pointé du doigt en Afrique les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d’expression, tout cela orchestré par des monarques qui s’expriment et assujettissent leurs populations en français. Ces despotes s’accrochent au pouvoir en bidouillant les Constitutions (rédigées en français) sans pour autant susciter l’indignation [de Paris] », observe l’auteur franco-congolais écœuré du soutien français à [Denis] Sassou Nguesso [16].

    Au premier article de sa charte, l’OIF se fixe pourtant comme objectif d’« aider à l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et au soutien à l’État de droit et aux droits de l’Homme ». À ce titre, elle envoie même des observateurs ou des « missions d’information et de contact » lors d’élections dans ses pays membres, sans jamais dénoncer les simulacres en question. Ce laxisme tranche avec l’attitude du Commonwealh qui avait suspendu pour atteinte à la démocratie le Zimbabwe en mars 2002, les îles Fidji en 2009 et proposé en 2013, en réaction aux multiples atteintes aux libertés en Gambie, la création à Banjul de commissions pour les droits humains, les médias et la lutte contre la corruption. Ce qui avait à l’époque suscité l’ire du président gambien et le retrait de son pays de l’institution anglophone.

    Les langues africaines… au service de l’influence française

    La francophonie est également dénoncée au nom de la diversité des cultures. Mabanckou et Achille Mbembe plaident en 2018 pour « l’émergence d’une véritable francophonie des peuples » [17]. Le philosophe Souleymane Bachir Diagne insiste, lui, sur le « pluralisme » et pense que le français ne doit être qu’une langue parmi les autres de l’espace francophone [18].

    Mais cet argument de la diversité, qui fait écho au « plurilinguisme » brandi par le président Macron, n’est pas sans poser quelques problèmes. Les langues africaines restent pour l’essentiel confinées à la périphérie par l’institution francophone qui les emploie pour promouvoir le français. En témoigne le programme « ELAN-Afrique » (École et Langues nationales en Afrique), lancé par l’OIF en 2011 et financé par l’Agence française de développement et le ministère des Affaires étrangères français. À travers ce programme, qui compte en 2021 douze pays africains francophones partenaires, l’OIF cherche à améliorer l’apprentissage du français, mal assimilé, en s’appuyant sur la langue maternelle des élèves. Comme jadis les tirailleurs mis au service d’une armée française défaillante, les langues africaines sont ainsi rabaissées au rang de béquilles pour soutenir la langue de l’ancien colonisateur, dont l’hégémonie à l’école et dans les médias est de plus en plus critiquée.

    Cette situation crée des inégalités car les langues locales servent de faire-valoir et permettent la transition vers le français dont la promotion passe aussi par la formation des enseignants. En effet, à la suite de la publication d’un rapport du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (Pasec) de la CONFEMEN en décembre 2020, qui souligne que plus de la moitié des élèves de quinze pays d’Afrique subsaharienne francophone débutent leur scolarité dans le secondaire sans savoir ni écrire ni lire en français, Paris annonce son intention de former en cinq ans plus de 10 000 enseignants pour relever le défi de la qualité de l’enseignement. Lors de l’inauguration le 1er février 2021 du Centre de développement professionnel (CDP) devant accueillir les enseignants à Abidjan, l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, Jean-Christophe Belliard, parle de « maillon fort de l’enseignement français ». Le discours officiel sur la diversité se traduit ainsi dans les faits par une uniformisation au seul profit du français.

    En marge du sommet de la Francophonie de 2014, une grande voix de la linguistique sénégalaise, Aram Fal, pointait déjà un certain nombre d’insuffisances engendrées par cette promotion du français. Elle dénonçait l’inadaptation de ce vecteur d’enseignement, le complexe d’infériorité engendré par une langue considérée comme un médium de prestige et l’absence des langues nationales dans la sphère officielle. « Aucun pays ne peut se développer lorsque la majorité écrasante de sa population ne comprend pas la langue officielle », relève-t-elle [19]. Ce que résume le linguiste belge Jean-Marie Klinkenberg qui perçoit bien les inégalités inhérentes à cette diversité mal conçue : « La diversité ne réduit pas les inégalités : elle en est le cache-sexe. Elle se contente de les réguler, en adaptant un système fondamentalement inégalitaire à la réalité culturelle du monde globalisé. [20] »

    « Un prolongement de la stratégie coloniale »

    Dans l’univers de la francophonie, le volet linguistique n’est jamais éloigné du volet politique. Aujourd’hui, l’OIF se déploie même sur le terrain militaire avec l’ouverture de l’ère de la « prévention des conflits » rendue possible par la déclaration de Saint-Boniface de mai 2006, laquelle confère à l’institution des « objectifs stratégiques » portant sur la « consolidation de la démocratie, des droits de l’Homme et de l’État de droit, ainsi que sur la prévention des conflits et l’accompagnement des processus de sortie de crises, de transition démocratique et de consolidation de la paix ». Une volonté réaffirmée tour à tour lors des sommets de la Francophonie de 2008 à 2018 et concrétisée entre autres par la création en 2014 du Réseau d’expertise et de formation francophone pour les opérations de paix (Reffop).

    Présentée comme un outil destiné à « favoriser l’usage de la langue française dans les opérations de paix et d’y renforcer la participation des francophones » [21], cette nouvelle ambition francophone doit servir à « multilatéraliser nos interventions », déclarait en 2008 le député Bernard Cazeneuve, tout en s’inquiétant que les actions françaises « autour et sur la base de l’OIF pour favoriser le développement du maintien de la paix soient perçues par nos partenaires comme une manière, détournée, de revenir à une prédominance française » [22].

    Le détournement de l’institution à des fins de soft power pour la France est pourtant une évidence depuis longtemps, comme le rappellent les organisateurs d’un contre-sommet de la Francophonie à Dakar en 2014, qui reprochent à l’OIF, dans une lettre ouverte, d’être « une supercherie et par-dessus tout, un prolongement de la stratégie coloniale destinée à l’exploitation de nos matières premières, la formation d’une élite politique aux ordres de l’Élysée et l’abrutissement de nos peuples ».

    Un « pacte renégocié » de la Françafrique »

    Loin de rompre avec ses prédécesseurs, Emmanuel Macron utilise même l’institution au bénéfice de sa politique de rapprochement avec Kigali, en œuvrant activement à l’élection de Louise Mushikiwabo, ministre rwandaise des Affaires étrangères et de la Coopération comme secrétaire générale de l’OIF. L’élargissement de l’institution à des pays où le français est peu pratiqué, les missions d’observation de processus électoraux, font également de la Francophonie un outil stratégique dont les desseins au niveau international ne peuvent être dissociés de ceux de la France, comme le rappelait si bien Bernard Cazeneuve : « On ne peut pas disjoindre totalement la Francophonie du discours porté par la France au niveau international. »

    Les prétentions à la prévention des conflits, les missions d’observation des élections et la formation en français de soldats de la paix, cachent mal un prolongement de la coopération militaire sur une base multilatérale, une volonté de mainmise politique et la promotion des technologies de défense françaises. La francophonie militaire est en effet créatrice de débouchés, comme le remarque Brice Poulot, spécialiste de l’enseignement du français comme langue militaire : « Il existe un lien réel entre la francophilie d’une armée étrangère (ou du moins de son état-major) et la provenance de son matériel de défense. [23] »

    Cette évolution vers la stratégie de puissance est dénoncée par la philosophe Hourya Bentouhami qui pointe en 2018 dans une tribune le « pacte renégocié » d’une « Françafrique qui rêve de se doter d’un “soft power” capable de faire passer derrière l’usage circonstanciel d’une langue commune les accords économiques de libéralisation des marchés africains ». Une stratégie d’influence que le président Emmanuel Macron déploie en mai 2021 à Kigali à l’occasion de sa visite de rapprochement avec le chef de l’État anglophone Paul Kagame, chantre du néolibéralisme en Afrique, au côté duquel il n’hésite pas à célébrer une « francophonie de reconquête, ouverte, modernisée ».

    *Khadim Ndiaye est historien (UdeS, Québec), diplômé en philosophie. Ses principaux champs de recherche portent sur l’histoire de la colonisation, la problématique culturelle en Afrique, l’histoire des Afro-Américains et le panafricanisme.

    Histoire coloniale et post-coloniale, 17 jan 2023

    #Colonialisme #Colonisation #France #Françafrique #Afrique #Spoliation #Ressources_Naturelles

  • Les racines coloniales de l’Union européenne

    Tags : UE, colonialisme, colonisation, Françafrique, Algérie, Guerre d’Algérie,

    L’un des objectifs majeurs de l’intégration européenne réalisée dans les années 1950 était la préservation des colonies africaines de l’Europe. C’est ce que démontrent les historiens suédois Peo Hansen et Stefan Jonsson dans Eurafrique. Aux origines coloniales de l’Union européenne, publié en suédois en 2014 et récemment traduit en français et publié par les éditions La Découverte. Une lecture essentielle selon François Gèze, dont nous publions ci-dessous la recension, pour décrypter l’actualité politique internationale de l’Union européenne et en particulier ses dérives anti-migratoires.

    Eurafrique : un livre-révélation sur les racines coloniales de l’Union européenne
    par François Gèze

    Il n’est pas fréquent qu’un livre, aussi sérieux que documenté, constitue en lui-même un « scoop ». Tel est le cas pourtant du livre Eurafrique, écrit par les historiens suédois Peo Hansen et Stefan Jonsson et initialement publié en 2014, dont une traduction française actualisée vient de paraître à La Découverte. Sous-titré « Aux origines coloniales de l’Union européenne », il révèle en effet qu’un fondement essentiel du processus d’intégration européenne, institutionnalisé en mars 1957 par le traité de Rome créant la Communauté économique européenne (CEE), a été la volonté de ses États fondateurs de perpétuer sous une forme renouvelée le contrôle de leurs possessions coloniales, principalement africaines. Les auteurs rappellent ainsi la « une » du Monde du 21 février 1957, bien oubliée, qui titrait « Première étape vers l’Eurafrique » un article annonçant le succès des négociations préliminaires au traité de Rome entre les six dirigeants européens.

    Certes, le singulier projet d’Eurafrique a déjà été évoqué et partiellement documenté dans divers ouvrages académiques, toutefois spécialisés et toujours incomplets. Plus récemment, un ouvrage de référence destiné à un public large, Un empire qui ne veut pas finir, a en revanche pour la première fois explicité le rôle majeur de ce projet néocolonial dans la mise en place de ce qui deviendra la « Françafrique » [1]. Mais force est d’admettre avec les auteurs suédois que la puissance du « récit fondateur [des] origines pures de l’Union européenne » a fait depuis « fonction de mythe » (p. 34 et p. 335), mythe qui a totalement éradiqué dans l’histoire officielle de la naissance de l’UE la place pourtant centrale assignée à « l’Eurafrique à édifier » par les décideurs français de l’époque (Guy Mollet, mars 1957 ; p. 309).

    Un impératif à leurs yeux d’autant plus aigu qu’ils étaient alors engagés dans deux guerres coloniales d’envergure, l’une secrète au Cameroun, l’autre ouverte en Algérie (il est significatif que la signature du traité de Rome coïncide avec la phase la plus brûlante de la fameuse « bataille d’Alger » déclenchée trois mois plus tôt par les parachutistes des forces spéciales). Pour autant, l’intrication des objectifs d’intégration européenne et de construction eurafricaine n’a rien d’un concours de circonstance : cette élaboration est le fruit de réflexions politiques développées de longue date. Et c’est d’ailleurs là un apport historiographique majeur de l’ouvrage des historiens suédois, qui documentent dans la longue durée la gestation du concept d’Eurafrique.

    Ils montrent ainsi comment il a été initialement pensé par le mouvement pour une Union paneuropéenne lancé en 1923 par l’historien et homme politique d’origine austro-hongroise Richard Coudenhove-Kalergi. Pour ce dernier et l’économiste de l’organisation Otto Deutsch, le salut économique et géopolitique de l’Europe, face aux États-Unis et à l’Union soviétique, passait par la constitution d’une « zone économique paneuropéenne » adossée à un « effort colonial commun en Afrique […] afin de tirer le meilleur profit de ses ressources » (p. 68). Ce projet « ne tarde pas à recueillir le soutien intellectuel et politique des esprits les plus influents de cette génération » (p. 66), comme le détaillent les auteurs. Il sera toutefois balayé par la Seconde Guerre mondiale, mais dès l’après-guerre, il resurgit comme « courant néo-impérial eurafricain » face à l’affirmation de l’« impérialisme “anticolonial” des nouvelles superpuissances » et aux « mouvements anti-impérialistes issus de ce qu’on commence à appeler le “tiers monde” » (p. 117).

    Dès lors, on lira avec grand intérêt le récit des années 1945-1954, période riche de rebondissements et de tensions, qui voient les États européens (et les forces politiques qui les traversent) s’affronter autour du projet d’Eurafrique et d’intégration européenne. La période est notamment marquée par la déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, « annonçant la démarche conjointe de la France et de l’Allemagne pour réguler de concert l’extraction et la production de charbon d’acier » (p. 177). Laquelle se concrétisera, en avril 1951, par la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), ancêtre direct de la CEE et inspirée des idées de Coudenhove-Kalergi – pour certains auteurs, « l’accord franco-allemand sur le charbon et l’acier n’est que le premier pas d’un processus conduisant à l’exploitation conjointe des ressources africaines » (p. 182). Les auteurs exhument maints documents méconnus ou oubliés, dont l’un des plus révélateurs est le livre de l’écrivain nationaliste et ancien agent du contre-espionnage Pierre Nord, L’Eurafrique, notre dernière chance (Fayard, 1955).

    Surtout, ils expliquent longuement à quel point, pour les dirigeants de la IVe République, toutes les négociations relatives à l’intégration européenne sont indissociables du maintien de la domination coloniale française en Afrique (et en priorité en Algérie) : « L’accord de Paris entre les chefs d’État européens les 19 et 20 février [1957] marque réellement le moment décisif de l’accord colonial de la CEE. Mais […] l’accord de Paris donne aussi naissance à la CEE en tant que telle. De fait, sans accord colonial, il n’y aurait pas d’accord sur l’intégration européenne, et vice versa » (p. 306). Et en effet, c’est en janvier 1957, « au plus fort des négociations sur le projet de CEE » et alors même que d’importants gisements pétroliers viennent d’être découverts dans le Sahara algérien, que la France promulgue la loi créant une « Organisation commune des régions sahariennes » (OCRS), regroupant les territoires du Sud algérien et du nord de l’AOF et l’AEF. Son objectif affiché : « La mise en valeur, l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française. » En 1958, la jeune Ve République reprendra cet objectif à son compte. Et on sait que la volonté farouche du général de Gaulle de garder français le Sahara algérien, pour exploiter ses hydrocarbures grâce à l’OCRS et à la dimension eurafricaine de la nouvelle CEE, l’amènera à prolonger la « guerre d’Algérie » de plusieurs années, alors même qu’il savait inéluctable l’indépendance du pays, survenue en 1962 [2].

    Dès 1960, la majorité des autres colonies africaines de la France était devenues indépendantes et l’OCRS sera liquidée en mai 1963. À partir de cette période, la CEE – devenue Union européenne en 1992 – poursuivra son développement sans que ses « gènes » eurafricains ne soient plus jamais mentionnés. Et pour cause : dans le récit officiel qui allait s’imposer, il était devenu essentiel d’affirmer que la construction européenne était un moyen de tourner définitivement la page de la période coloniale. Alors que c’était précisément l’inverse, comme l’avaient bien compris à l’époque les promoteurs du panafricanisme. Ainsi Frantz Fanon écrivait-il dès 1958 : « La France entend-elle, malgré l’opposition des Africains, donner naissance à cette “Eurafrique” qui doit consacrer le morcellement de l’Afrique en aires d’influences européennes, et pour le seul bien des économies européennes ? » (p. 351). Et le président ghanéen Kwame Nkrumah affirmant en 1961 que le traité de Rome « marque l’avènement du néocolonialisme en Afrique » (p. 352).

    Bien sûr, ces critiques lucides furent ignorées dans les représentations dominantes, ce qui explique la permanence du vieux rêve, qui ressurgit d’ailleurs périodiquement, de façon plus ou moins explicite : dans leur préface à l’édition française, les auteurs soulignent ainsi que la nouvelle Commission européenne entrée en fonction en décembre 2019 « s’engage à faire du partenariat européen avec l’Afrique sa priorité numéro un en matière de politique internationale » (p. 18) ; et que « cette alliance est explicitement présentée comme un moyen d’aider l’Europe à retrouver son lustre d’antan en matière de géopolitique » (p. 20). Et en septembre 2018, The Economist avait déjà titré un article « La renaissance de l’Eurafrique ».

    Face à ces évolutions, accompagnées plus discrètement par un durcissement sans précédent des politiques anti-migratoires de la « Forteresse Europe », on ne peut s’empêcher de s’interroger, comme le fait Étienne Balibar dans sa propre préface à cette traduction, sur la permanence du « racisme systémique dont toute l’idée de l’Eurafrique est comme imprégnée ». L’éclairante enquête historique de Peo Hansen et Stefan Jonsson constitue à cet égard un précieux viatique pour décrypter l’influence des racines profondes de l’Union européenne comme les évolutions récentes de sa politique internationale.

    Peo Hansen et Stefan Jonsson, Eurafrique. Aux origines coloniales de l’Union européenne, traduit de l’anglais par Claire Habart, préface d’Étienne Balibar, La Découverte, mai 2022, 24 €.
    Lire un extrait sur le site de La Découverte

    [1] Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe (dir.), L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Seuil, Paris, 2021 (voir ma recension : François Gèze, « Une somme incontournable sur la construction de la Françafrique », Histoire coloniale et postcoloniale, 28 janvier 2022)

    [2] Voir notamment Hocine Malti, Histoire secrète du pétrole algérien, La Découverte, Paris, 2010.

    Source

    #Afrique #Colonialisme #Union_Européenne #UE #Algérie #Françafrique

  • L’exemple du colonialisme français en Afrique

    Tags : Afrique, France, Etats-Unis, colonialisme, spoliation, ressources naturelles,

    La présence de bases militaires françaises en Afrique sert d’exemple dans le cas de l’Amérique latine et de la projection par les États-Unis des matières premières et des biens communs du continent (lithium, aquifère Guarani, Triple Frontière, Amazonie, ressources de la plate-forme marine, Vaca Muerta, etc.)

    De l’Algérie au Burkina Faso, des débats ont remis en question l’intervention militaire permanente de la France dans la région (un cycle qui a commencé avec la Côte d’Ivoire en 2002), ainsi que sa domination économique continue de 14 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale par le biais d’un ensemble de mécanismes monétaires (notamment l’utilisation du franc CFA comme monnaie, qui était sous le contrôle du Trésor français jusqu’en décembre 2019). Ces dernières années, le Burkina Faso et le Mali – tous deux dirigés par des militaires – ont expulsé les troupes françaises de leurs territoires, tandis que les 8 pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) [1] et les 6 pays de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) [2] se sont efforcés de détacher lentement leurs économies du contrôle français.

    En 2019, l’UEMOA a conclu un accord avec la France pour mettre fin à l’obligation pour les pays d’Afrique de l’Ouest de détenir la moitié de leurs réserves de change dans le Trésor français et pour retirer le représentant français du conseil d’administration de l’union économique, dans le cadre de plans plus larges visant à remplacer le franc CFA par une nouvelle monnaie régionale libellée en éco.

    Les forces armées françaises continuent d’avoir une forte présence en Afrique du Nord, ne s’étant que partiellement retirées de la région du Sahel et maintenant des liens militaires et diplomatiques étroits dans des pays comme le Niger. La France importe principalement du Niger et du Kazakhstan ; une ampoule sur trois en France est allumée avec de l’uranium du Niger, ce qui explique pourquoi les troupes françaises « gardent » la ville d’Arlit, riche en uranium.

    À la suite de la guerre de l’OTAN contre la Libye, la région du Sahel a connu une série de conflits, dont beaucoup ont été alimentés par l’émergence de formes de militarisme, de piraterie et de contrebande. Sous le prétexte de ces conflits et sous l’impulsion de la guerre de l’OTAN, la France et les États-Unis sont intervenus militairement dans tout le Sahel.

    Comme on peut le lire dans le dossier n°42 :  » Défendre notre souveraineté : les bases militaires américaines en Afrique et l’avenir de l’unité africaine  » de juillet 2021, en 2014, la France a créé le G-5 Sahel, un arrangement militaire qui inclut le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger : et a étendu ou ouvert de nouvelles bases à Gao, au Mali ; N’Djamena, au Tchad ; Niamey, au Niger ; et Ouagadougou, au Burkina Faso. Les États-Unis, quant à eux, ont construit en 2016 une énorme base de drones à Agadez, au Niger, d’où ils effectuent des frappes de drones et une surveillance aérienne de tout le Sahel et du désert du Sahara.

    Les troupes françaises étant délogées de la région, les États-Unis et le Royaume-Uni prennent leur place. En 2017, cinq pays d’Afrique de l’Ouest ont créé l’Initiative d’Accra (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana et Togo) pour lutter contre la propagation de la menace islamiste en provenance de la région du Sahel. Deux ans plus tard, en 2019, le pays d’ancrage de l’initiative, le Ghana, a ouvert une base militaire américaine dans son aéroport international appelé WALN (West African Logistics Network) à l’aéroport international Kotoka d’Accra, la capitale ghanéenne. Elle s’ajoute à la participation de la Grande-Bretagne à l’initiative d’Accra, annoncée au Parlement britannique en novembre, et au déploiement de troupes britanniques dans le pays et dans la région.

    C’est l’une des nombreuses bases américaines sur le continent africain. Les États-Unis ont 29 installations militaires connues dans 15 pays du continent, tandis que la France possède des bases dans 10 pays. Bien que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis échangent leur présidence, la militarisation de l’Afrique se poursuit.

    Le pillage des ressources naturelles comme origine et fondement du colonialisme

    L’été dernier, 10 pays ont participé aux exercices militaires African Lion du Commandement central des forces américaines pour l’Afrique (AFRICOM), qui se sont déroulés en partie au Maroc du 20 au 30 juin 2022 dans les régions de Kénitra, au nord du Maroc, et d’Agadir, TanTan, Taroudant et Mahbès, plus au sud en territoire marocain, avec le soutien de 7 500 soldats des Forces armées royales marocaines (FAR). Exercices avec différents secteurs tels que la terre, l’air et la mer, ainsi que d’autres opérations de décontamination face aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Formation pour prévenir et s’entraîner contre d’éventuelles attaques chimiques, nucléaires ou bactériologiques de l’ennemi. Il comprend également la formation des dirigeants et les activités de formation aux opérations contre les organisations extrémistes violentes.

    Les exercices militaires se sont déroulés en partie à Greir Labouhi, la zone limitrophe du Sahara occidental, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest des camps de Tindouf (en territoire algérien) contrôlés par le Front Polisario, Des milliers de réfugiés sahraouis y vivent dans des conditions très difficiles, dans l’attente d’une solution au conflit, ce qui suscite à nouveau des attentes quant au conflit en territoire sahraoui et à l’abandon du gouvernement « progressiste » du Royaume d’Espagne à la cause de la République arabe sahraouie démocratique (RASD).

    Les Etats-Unis ont déjà reconnu l’occupation marocaine du Sahara, en tenant compte de la position du Maroc en tant que puissance occupante, et le gouvernement de Pedro Sánchez a reconnu la proposition marocaine pour le Sahara comme étant « la plus crédible, la plus sérieuse et la plus réaliste » pour résoudre le conflit dans le territoire sahraoui selon les postulats de l’ONU.

    La dépendance énergétique de l’UE

    Face aux besoins pressants en gaz naturel, en juillet, l’ancien premier ministre italien Mario Draghi a conclu un contrat gazier de 4 milliards de dollars avec Alger, en août, Macron s’est rendu en Algérie pour une « visite officielle et amicale », et en septembre, Charles Michel, le président du Conseil européen, s’est rendu à Alger pour augmenter les fournitures à l’Italie avec la possibilité d’augmenter les fournitures de gaz à l’Espagne.

    [1] Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.

    [2] Cameroun, République centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine et Tchad.

    Source

    #Afrique #Colonialisme #France #Etats_Unis #Spoliation #Ressources_naturelles

  • Colonialisme : Un musée de Paris détient 18.000 crânes

    Colonialisme : Un musée de Paris détient 18.000 crânes

    Tags : France, colonialisme, crimes coloniaux, crânes, génocide,

    Europe: Les restes humains «coloniaux» font scandale

    Une vaste enquête du New York Times évoque les 18.000 crânes et ossements en possession du Musée de l’Homme à Paris, tandis qu’une salle d’enchères belge a retiré de la vente trois crânes africains, le 30 novembre, après la parution d’un article dans Paris-Match Belgique.

    « Un musée de Paris détient 18.000 crânes. Il rechigne à dire à qui ils appartiennent ». C’est sous ce titre qu’est parue le 28 novembre une enquête fouillée du New York Times sur les collections coloniales du Musée de l’Homme, à Paris. L’article du quotidien américain dénonce une omerta française sur une quantité de crânes d’Africains, d’Australiens et d’Indiens d’Amérique qui reposent au sous-sol, place du Trocadéro.

    Il a été accueilli par un silence de cathédrale. Ce que Dorcy Rugamba, dramaturge rwandais vivant à Bruxelles, auteur d’une pièce intitulée « Les restes suprêmes » présentée en mai à Dakar, explique par « la persistance d’un véritable tabou : le lien entre colonialisme et nazisme, pourtant mis en évidence par Hannah Arendt et Aimé Césaire, qui met à mal le roman national français ».

    Trois crânes à vendre à Bruxelles

    Coïncidence : le jour même de la publication de l’enquête du New York Times, la salle de vente Drouot, via l’hôtel de ventes Vanderkindere, à Bruxelles, a mis sur le marché trois crânes, coloniaux eux aussi. Michel Bouffioux, un journaliste de Paris-Match Belgique qui enquête depuis 2018 sur les restes humains de l’ère coloniale, a publié le 29 novembre un article qui a eu un impact immédiat.

    Dès le lendemain, les trois têtes proposées à des prix allant de 750 à 1.000 euros ont été retirées. De même que le descriptif qui les présentait, en ces termes : « Lot de trois crânes humains : un crâne de Bangala anthropophage aux incisives taillées en pointe, un crâne du chef arabe Muine Mohara tué par le sergent Cassart à Augoï le 9 janvier 1893 et décoré d’un bijou frontal, un fragment de crâne collecté (…) dans la province de Mongala par le Docteur Louis Laurent le 5 mai 1894. (…) Provenance : ancienne collection du Docteur Louis Laurent à Namur. » En lieu et place, un mot d’excuse a été publié sur le site de la salle de ventes, qui a décidé de racheter les crânes pour les rendre à la République démocratique du Congo (RDC) – sans préciser ce qu’il adviendrait du « chef arabe ».

    Une vente « légale » selon le commissaire-priseur

    Ces regrets sont-ils sincères ? Face au collectif belge Mémoire coloniale, qui va porter plainte pour « recel de cadavres », le commissaire-priseur de Vanderkindere, Serge Hutry, interrogé par RFI, se défend de son bon droit. « En Belgique, il n’y a pas de législation, déclare-t-il. Nous ne sommes pas en tort sur cet aspect. Nous vendons 7 500 lots par an depuis trente ans, et n’avons jamais eu ce problème. À partir d’un moment, on n’a plus pu vendre d’ivoire, et nous sommes restés dans la légalité. Mon sentiment, c’est que des crânes, depuis des années, se vendent à Paris, Londres ou Bruxelles sous forme de vanités. Ce sont des crânes humains transformés avec des brillants, et l’on ne s’en souciait pas plus que ça. Ici, la réaction de la RDC est légale, correcte, qu’ils se débrouillent avec le ministère belge. Nous restituerons ces crânes ».

    Interrogé par la RTBF, Yves-Bernard Debie, avocat de la Chambre des antiquaires, rappelle que « tout l’art médiéval européen est fait de reliques, et ce n’est pas illégal. Il faut néanmoins que les restes humains s’inscrivent dans le cadre de biens culturels, ce qui est discutable ici ».

    Ossements et crânes en Belgique et aux Pays-Bas

    Le tollé suscité par la vente bruxelloise semble contredire sur un point l’enquête du New York Times, qui suggère que la situation est meilleure ailleurs en Europe qu’en France. En Belgique, au moins 300 têtes africaines se trouvent encore aux mains d’institutions publiques comme chez des privés. Le crâne du roi Lusinga, décapité par le général belge Emile Storms en 1884 au Congo belge, puis rapporté comme un trophée de chasse, repose toujours rue Vautier, au Muséum des sciences naturelles. Un groupe d’universitaires congolais demande – en vain – sa restitution pour lui offrir des funérailles. Le projet Human Remains Origins Multidisciplinary Evaluation (HOME) regroupant des scientifiques de sept musées et universités, dont l’AfricaMuseum de Tervuren, a été lancé fin 2019 sur financement fédéral, pour se pencher sur la question. Un rapport assorti de recommandations est attendu pour la mi-décembre.

    De leur côté, les Pays-Bas ont certes rendu en 2009 la tête coupée et conservée dans du formol d’un roi ghanéen, Badu Bonsu II, décapité en 1838 par des colons. Un écrivain, Arthur Japin, avait découvert par hasard la relique dans les collections d’anatomie de la faculté de médecine de Leyde, et ensuite alerté l’ambassade du Ghana.

    D’autres restes n’en demeurent pas moins sur le sol de cette ancienne puissance coloniale, parmi lesquels 40 000 ossements rapportés d’Indonésie à la fin du XIXe siècle par l’anatomiste et médecin néerlandais Eugène Dubois. La calotte crânienne d’un Javanais de l’ère préhistorique, témoin du « chaînon manquant » dans l’évolution du singe à l’homme, est d’ailleurs en train de devenir un sujet de polémique.

    Des restitutions en Grande-Bretagne et en Allemagne

    En Grande-Bretagne, un accord a été passé le 3 novembre, après huit ans de pourparlers, entre le Zimbabwe et le Musée d’histoire naturelle de Londres ainsi que l’université de Cambridge. Les deux institutions sont prêtes à coopérer pour restituer des restes humains, dont trois crânes, que le Zimbabwe suspecte d’appartenir à des meneurs de la première Chimurenga, une révolte des années 1890 contre les colons anglais.

    Le musée Pitt Rivers à Oxford a commencé en 2017 à restituer certains des 2 000 restes humains qu’il détient, dont sept têtes tatouées et momifiées de Maoris rendues à la Nouvelle-Zélande. Les comptes sont loin d’être soldés cependant, puisque le British Muséum garde 6 000 restes humains provenant du vaste empire colonial britannique, le Duckworth Laboratory en a 18 000 et le Natural History Muséum plus de 25 000.

    En Allemagne, des brèches semblent avoir été ouvertes plus facilement. Ont été restitués 20 crânes à la Namibie, en 2011, puis d’autres dépouilles en 2018, emportées d’Afrique australe par les colons après le massacre des Hereros et des Namas. Deux peuples dont Berlin a reconnu les génocides en 2004, et pour lesquels des excuses ont été formulées en 2021.

    Un millier d’autres crânes rapportés des anciennes colonies allemandes font depuis 2017 l’objet d’une étude internationale pour en déterminer l’origine précise. Le quotidien belge La Libre Belgique explique que « ces restes humains avaient été ramenés principalement du Rwanda, mais aussi de Tanzanie et du Burundi, dans l’ancien Empire allemand (1871-1918), par l’anthropologue Felix von Luschan à des fins ‘d’études scientifiques’ ». Les lignes bougent, manifestement, mais pas partout à la même vitesse.

    Echouroukonline, 05/12/2022

    #France #Crimes_coloniaux #crânes #Musée #Colonialisme #Génocide

  • Abd el Krim et l’Ukraine

    Tags : Maroc, Rif, Espagne Abdelkrim El Khattabi, colonialisme,

    Par Carlos Penedo | 05/11/2022 | mensonges et moyens
    Sources : Rébellion

    « Comme je vous l’ai dit verbalement, je réitère par écrit que le Rif ne combat pas les Espagnols et n’éprouve aucune haine envers le peuple espagnol. Le Rif lutte contre cet impérialisme envahissant qui veut lui arracher sa liberté à force de sacrifices moraux et matériels du noble peuple espagnol » (lettres majuscules dans l’original). Ces déclarations surprennent par leur contenu, sans aucun doute, et d’autant plus que leur auteur est le chef du Rif Abd el Krim lui-même, par leur date d’août 1922 et parce qu’elles ont été publiées avec une interview à la une d’un principal journal espagnol.

    À une époque de tension guerrière maximale, avec une partie de ce protectorat du Maroc en armes, des époques de mobilisation, de nationalisme extrême, de combats, de prisonniers et de morts, l’opinion du chef de l’éphémère République du Rif est parvenue aux Espagnols à travers les Espagnols médias, même malgré la censure en vigueur à l’époque ou les limitations techniques du moment, la télématique, l’imprimerie, à de nombreuses reprises les négatifs ont été envoyés et les images ont été révélées dans la péninsule.

    C’est un moment qui permet une réflexion sur la communication, la liberté d’expression et la citoyenneté informée dans un environnement national de guerre, comme ceux d’il y a un siècle ou en ce 2022 en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de l’implication à tous les niveaux – sauf avec des troupes combattantes sur le terrain, à notre connaissance – par l’Espagne et l’Union européenne, alors que nous assistons à des restrictions d’information, à un discours public monotone et même à la fermeture des médias.

    Le calendrier, qui bouge avec la persistance de l’égouttement d’un robinet mal fermé, nous rapproche d’anniversaires qui offrent l’occasion de se plonger, récemment, sur la soi-disant «catastrophe annuelle», le massacre de quelque 12 000 soldats espagnols et dans le service de l’Espagne dans le nord du Maroc entre juillet et août 1921.

    La commémoration ne s’est pas accompagnée en Espagne d’une relecture du colonialisme, du moins d’une analyse critique, présente sous d’autres latitudes et en suspens ici, qui touche à des degrés divers dans la moitié du monde les statues équestres, les collections de musées et dans le meilleur des cas, comme en Belgique, aux rapports d’historiens et de commissions d’enquête ; ce qui est loin d’être un reproche est une fenêtre d’opportunité pour écrire, un encouragement. aux habitants et aux étrangers.

    Les guerres résultant de l’occupation coloniale du Maroc ont non seulement marqué quatre décennies de combats et de désastres au début du XXe siècle (depuis la conférence d’Algésiras en 1906 qui instaure le Protectorat jusqu’après le débarquement d’Alhucemas en 1925), mais elles sont aussi à l’origine le coup d’État et la dictature de Primo de Rivera (1923), le coup d’État de 1936 et 38 ans de dictature de Franco. Comme l’a étudié l’historien Julián Casanova, la violence coloniale européenne s’est terminée dans les métropoles, aussi et surtout en Espagne.

    Le centenaire de ce que l’on appelle le « désastre annuel » est donc une bonne occasion de revisiter certains livres, d’extraire des références telles que les cerises et de découvrir d’authentiques joyaux semi-inconnus.

    Pour commencer, une découverte littéraire, «Imán», le premier roman de Ramón J. Sender, publié en 1930, qui se déroule sans références explicites aux événements d’Annual et reflète les épreuves d’un soldat, la dégradation morale et la brutalité de guerre et de l’occupation coloniale avec la force que souvent seule la littérature peut transmettre. Le titre ne fait pas référence à la religion, mais à la capacité d’attirer les malheurs de l’un des protagonistes. L’auteur était l’un des 200 000 Espagnols qui ont effectué leur service militaire au Maroc au cours de ces années, s’ils n’avaient pas les ressources financières pour l’éviter.

    Ramón J. Sender a cultivé le journalisme en plus et avant le roman, et le dévouement professionnel au journalisme d’hommes politiques de l’époque comme Indalecio Prieto, qui était également au Maroc en tant que chroniqueur de guerre dans les années vingt, est également curieux.

    Le journaliste et écrivain Jorge Martínez Reverte, décédé en mars 2021, a terminé et des mois plus tard «Le vol des vautours. La catastrophe annuelle et la guerre du Rif» (Galaxia Gutemberg, 2021), une chronique de l’histoire romancée avec des sources marocaines intéressantes et même des co-auteurs.

    Dans le domaine de la communication qui nous occupe, « La catastrophe d’Annuel par la presse », d’ Antonio Rubio, paru en juin 2022, réutilisation d’ouvrages antérieurs par l’auteur, est une véritable boîte à surprises et références issues du travail d’un série de journalistes qui écrivent foulant le sol de ces années au Maroc à mi-chemin entre journalisme de guerre et journalisme d’investigation avec un professionnalisme surprenant un siècle plus tard.

    Por las páginas aparecen Manuel Aznar (abuelo de quien fuera presidente del Gobierno), Luis de Oteyza, Víctor Ruiz Albéniz, Rafael López Rienda y muchos otros, generaciones de periodistas que dejaron escrita su calidad profesional y cuya trayectoria en muchos casos se vio truncada tras la guerre civile. De nombreux journalistes qui apparaissent dans le livre ont fini par s’exiler.

    Luis de Oteyza mérite un chapitre à lui , directeur du journal La Libertad et auteur de l’interview faisant référence à Abd el Krim un an après Annuel, lors d’un voyage secret au cours duquel, après pas mal de compliments, il finit par rencontrer le Rif chef et les plus de 300 prisonniers espagnols – dont des généraux – qui s’y trouvaient encore un an après la catastrophe, curieusement nourris par les Espagnols eux-mêmes qui laissaient leur subsistance sur la plage voisine. Oteyza était accompagné de deux photographes, l’un d’eux Alfonso Jr., auteur d’images emblématiques d’Abd el Krim ; a publié l’interview et l’a également racontée en détail dans le livre « Abd el Krim et les prisonniers », publié pour la première fois en 1924 et réédité par Ediciones del Viento en 2018.

    Le livre d’Oteyza, le roman de Ramón J. Sender, sont collés par date de publication et par contenu aux événements, ce qui multiplie leur valeur en n’ayant pas de perspective temporelle. A titre indicatif, la moitié de la population espagnole à cette époque était analphabète et un journal comme La Libertad tirait plus de 200 000 exemplaires par jour.

    Le coup d’État de Primo de Rivera en 1923 soutenu par Alfonso XIII, probablement encouragé à réduire les conséquences politiques et militaires des catastrophes au Maroc, enquêté par le général Picasso, a changé la donne de la presse et du pays.

    Jusqu’à ce moment , les citoyens espagnols étaient assez bien informés sur les circonstances guerrières au Maroc, les théories sur les intérêts économiques qui ont favorisé cette expérience coloniale (exploitation des mines du Rif) ; la corruption de l’administration coloniale, aux mains des militaires pendant la majeure partie de ces années ; le sauvetage des prisonniers espagnols, un armateur basque -Horacio Echevarrieta- qui apparaît à toutes les sauces (rédacteur en chef, nazi et franquiste) paya la rançon de cinq millions de pesetas pour leur libération deux ans après Annuel ; les intérêts de la monarchie,le rôle de la France soutenant les rebelles du Rif jusqu’à ce que la situation devienne insoutenable (la participation de la France sera essentielle à Alhucemas), tout cela apparaît et est discuté dans les médias en temps réel et beaucoup apparaît également dans le rapport du général Picasso.

    UKRAINE

    En revenant du XXe au XXIe siècle, on peut dire que le cadre matériel et mental entre les deux moments ne résiste à aucune comparaison, bien que le traitement informatif de l’invasion de l’Ukraine suscite une réflexion associée.

    « L’enlèvement de publications, d’enregistrements et d’autres moyens d’information ne peut être consenti qu’en vertu d’une décision judiciaire », établit la Constitution espagnole de 1978 dans son article 20.

    C’est-à-dire que l’enlèvement de publications ou d’autres moyens d’information ne peut être ordonné que par décision judiciaire motivée. D’autre part, l’interdiction temporaire de publication ou de diffusion est considérée comme une mesure de précaution visant à éviter une violation grave des droits ou d’autres biens protégés par le système juridique, qui ne peut également être exécutée que par une résolution judiciaire motivée (STC 187/1999 , du 25 octobre ), clarifie le site Internet du Congrès interprétant la Constitution.

    En contradiction apparente avec ce qui précède, l’Union européenne a suspendu en 2022 les activités de diffusion de cinq chaînes publiques russes : Sputnik, Russia Today, Rossiya RTR/RTR Planeta, Rossiya 24/Russia 24 et TV Center International. « Le gouvernement russe a utilisé ces stations comme des instruments pour manipuler l’information et promouvoir la désinformation sur l’invasion de l’Ukraine, y compris la propagande, dans le but de déstabiliser les pays voisins de la Russie et l’UE et ses États membres. » Union.

    Concernant le média le plus connu ici, le Conseil de l’Union européenne a décidé le 2 mars 2022 d’adopter « des mesures restrictives supplémentaires en réponse à l’agression militaire, sans provocation et sans aucune justification, par la Russie contre l’Ukraine ». En vertu de ces mesures, l’UE a suspendu d’urgence les activités de diffusion de Spoutnik et de RT-Russia Today (RT-Russia Today en anglais, RT-Russia Today au Royaume-Uni, RT-Russia Today en Allemagne, RT-Russia Today en France). et RT-Russia Today en espagnol) dans l’UE ou dirigée contre celle-ci « jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine cesse et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de désinformation et de manipulation de l’information contre l’UE et ses membres États’.

    Selon le Conseil, « Spoutnik et Russia Today sont sous le contrôle permanent, direct ou indirect, des autorités de la Fédération de Russie et sont essentiels et décisifs pour promouvoir et soutenir l’agression militaire contre l’Ukraine et pour la déstabilisation de ses pays voisins » .

    Il conclut que « pour justifier et soutenir son agression militaire contre l’Ukraine, la Fédération de Russie s’est engagée dans des actions continues et concertées de désinformation et de manipulation d’informations contre des membres de la société civile de l’UE et de ses voisins, déformant et manipulant gravement les faits ».

    Il est intéressant de préciser quel type d’information l’UE veut empêcher la circulation.

    EUvsDisinfo est une initiative du Service européen pour l’action extérieure qui compile depuis 2015 des campagnes de désinformation russes qui affectent l’Union européenne, ses États membres et ses pays voisins, avec lesquels il a un caractère de registre et curieusement il diffuse le contenu de cette plainte.

    Concernant l’Espagne, EUvsDisinfo a compilé plusieurs campagnes de désinformation en provenance de Russie ces derniers mois et propose une brève réponse aux personnes intéressées.

    Le 17 juin, plusieurs médias ont publié depuis Spoutnik que les États-Unis faisaient pression sur l’Espagne et conditionnaient la tenue du sommet de l’Otan à Madrid à l’envoi d’armes lourdes à l’Ukraine.

    Le 28 juillet, l’information endommagée était que les États-Unis avaient décidé de placer deux nouveaux destroyers sur la base navale de Rota sans consulter l’Espagne.
    Le 22 août, l’UE enregistre la publication d’un contenu affirmant que l’intérêt de l’Allemagne pour l’interconnexion énergétique avec l’Espagne et le Portugal est un exemple de vassalité pour ce dernier.
    Le 8 septembre, le contenu dénoncé est la réponse à certaines déclarations de Borrell qui a qualifié la Russie d’« État fasciste », ces morceaux disent que la personne disqualifiée est le haut représentant lui-même avec ces mots pour soutenir les néo-nazis à Kyiv et doutant de la des références démocrates espagnoles, dont le comportement le rapproche des phalangistes.

    Ce type de contenu est-il une menace pour la sécurité nationale et européenne ?

    L’une des grandes nouveautés de la guerre en Ukraine est le traitement de l’information, de la soi-disant « stratégie du mégaphone » inaugurée les mois précédents, la mise en scène, l’absence dans les médias de preuves graphiques d’affrontements directs, l’activisme des journalistes , analystes et commentateurs qui entravent l’objectif de savoir ce qui se passe, au-delà de leur propre opinion et de la propagande des partis.

    La fermeture de Spoutnik et de Russia Today a fait l’objet d’un recours de la France devant la Cour de justice de l’UE, sans succès. El Tribunal General de la Unión Europea desestimó el pasado 27 de julio el recurso que invocaba cuatro motivos, basados en la vulneración, respectivamente, de los derechos de defensa, libertad de expresión e información, derecho de empresa y principio de no discriminación por razón de La nationalité; La compétence du Conseil pour adopter les actes contestés a également été mise en cause ( voici un lien vers l’arrêt).

    Le dernier chapitre des décisions dans le cadre de l’Union européenne liées au contenu de l’information pourrait être le règlement sur les services numériques publié le 4 octobre 2022.

    « Dans le contexte de la guerre en Ukraine et de ses conséquences en matière de manipulation de l’information en ligne, un nouvel article (il semblerait que ce soit le 36) a été ajouté au texte établissant un mécanisme de réponse aux crises. Ce mécanisme permettra d’analyser comment les activités des très grandes plateformes en ligne et des très grands moteurs de recherche affectent la crise en question et de décider des mesures pour assurer le respect des droits fondamentaux », nous informe le Conseil.

    Le règlement sur les services numériques (version du Parlement européen du 19 octobre) précise textuellement qu’« en temps de crise, il peut être nécessaire pour les très grands fournisseurs de plateformes en ligne d’adopter d’urgence certaines mesures spécifiques (…). Une crise doit être envisagée lorsque surviennent des circonstances extraordinaires susceptibles de constituer une menace grave pour la sécurité publiqueou de santé publique dans l’Union ou dans des parties importantes de l’Union. Ces crises pourraient provenir de conflits armés ou d’actes de terrorisme, y compris de conflits émergents ou d’actes de terrorisme, de catastrophes naturelles telles que des tremblements de terre et des ouragans, ainsi que de pandémies et d’autres menaces transfrontalières graves pour la santé publique. La Commission doit être en mesure d’exiger des très grands fournisseurs de plateformes en ligne et des très grands fournisseurs de moteurs de recherche en ligne qu’ils lancent de toute urgence une réponse à la crise. Les mesures que ces fournisseurs peuvent déterminer et envisager d’appliquer peuvent inclure, par exemple, l’adaptation des processus de modération de contenuet l’augmentation des moyens dédiés à la modération des contenus, l’adaptation des conditions générales, des systèmes algorithmiques et des systèmes publicitaires pertinents, l’intensification de la coopération avec des lanceurs d’alerte fiables, la prise de mesures de sensibilisation et la promotion de la fiabilité de l’information et l’adaptation du design de ses interfaces en ligne ».

    Ce règlement semble être un autre exemple de restriction de la liberté d’information sans aucune intervention judiciaire.

    En temps de crise, nationale, de guerre, on a tendance à prendre des décisions qui finissent par avoir des conséquences dans le temps et qui sont difficiles et lentement réversibles.

    La désinformation est un problème de culture médiatique et numérique, de qualité de la démocratie, c’est un effet secondaire de la communication numérique, c’est le reflet de la crise identitaire et du modèle économique des médias traditionnels, ainsi qu’une menace militaire pour la sécurité, nécessaire prouver et argumenter ce dernier; et dans cette guerre en Ukraine, le monde entier est désinformé, ce qui n’est pas contrecarré par des interdictions mais par un plus grand libre échange d’opinions et d’analyses.

    Aujourd’hui, une interview d’Abd el Krim à la une d’ El País ne serait clairement pas possible en Espagne ; ou une interview de Saddam Hussein sur ABC (c’était possible par Luis Mariñas en 1990 sur Tele5).

    La force de l’Europe et de l’Espagne face à des régimes autoritaires comme la Russie de Poutine n’est pas d’imiter leur comportement restrictif de la liberté d’information, mais de renforcer la libre circulation des opinions, là nous n’aurions pas de concurrence.

    Article également publié sur le blog infoLibre ‘ Al inverse et droit’ .

    Source : Rebelion, 05/11/2022

    #Maroc #Rif #Ukraine #Colonialisme #Guerre_de_libération

  • La Françafrique, c’est quoi -vidéo-

    La Françafrique, c’est quoi -vidéo-

    France, Afrique, Françafrique, Afrique francophone, colonialisme, néocolonialisme, pillage, spoliation, matières primaires,

    La Françafrique n’a jamais servi les intérêts des Africains et ne le sera jamais. Elle garantit à la France son accès aux matières premières stratégiques et surtout des débouchés pour les entreprises françaises.

    La situation précaire de l’Afrique francophone soulève de nombreuses questions. Pourquoi des pays si riches en matières premières peinent-ils autant à se développer? A qui profite l’argent du pétrole, de l’uranium, du diamant, du bois, des minerais? Comment expliquer la présence permanente de l’armée française dans ses anciennes colonies? Pour quelles raisons le gouvernement français reçoit-il réguilèrement, avec tous les honneurs, des dirigeants africains parvenus au pouvoir par des coups d’Etat ou des élections truquées? La réponse se trouve en partie dans un système que l’on nomme Françafrique.

    La Françafrique, c’est quoi?

    Le terme « Françafrique » désigne le système politique et institutionnel ainsi que l’ensemble des réseaux plus ou moins opaques qui permettent à la France de garder la mainmise sur ses anciennes colonies. C’est un système unique au monde. Pourquoi?

    L’avantage pour la France est économique et politique. La Françafrique garantit à la France son accès aux matières premières stratégiques : pétrole, uranium, minerais, ainsi qu’aux cultures de rente: coton, bois, plantations agricoles. La Françafrique permet aussi de préserver des débouchés pour les entreprises françaises.

    Pendant la guerre froide, ce système a permis de garder l’Afrique dans le camp occidental. La Françafrique permet également à la France de maintenir son rang à l’ONU. Enfin, la Françafrique a permis de financer le parti gaulliste par le détournement des rentes africaines, puis par la suite tous les partis du gouvernement ce qu’a révélé notamment l’affaire Elf.

    La Françafrique, depuis quand?

    Ce système a été mis en place au moment des indépendances africaines, donc en 1960, par le sommet de l’Etat français : le Général de Gaulle, avec son conseiller Jacques Foccart. Ce système a accompagné toute l’histoire de la Vème République et ce encore aujourd’hui.

    La Françafrique, quels mécanismes?

    Ce néocolonialisme se traduit par le pillage des matières premières, la corruption, le détournement de l’aide au développement, le soutien aux dictateurs, les trafics en tous genres.

    La raison accordant le droit à la France de faire ou défaire n’importe quel régime en Afrique ce sont les illégitimes accords dits de « coopération et de défense ». Ces accords interdisent durablement à tout pays d’acquérir sa souveraineté et sa liberté d’agir en faveur du bien-être de son peuple.

    #France #Afrique #Françafrique #Nath_Yamb #Colonialisme #Néocolonialisme #Pillage #Spoliation

  • Congo: Il y a 62 ans, coup d’Etat contre Lumumba

    Congo: Il y a 62 ans, coup d’Etat contre Lumumba

    RDC, Congo, Patrice Lumumba, Belgique, Etats-Unis, CIA, impérialisme, colonialisme,

    En ce jour il y a 62 ans, un coup d’État soutenu par les États-Unis a eu lieu pour renverser Patrice Lumumba, le héros congolais de la libération, panafricaniste, et premier dirigeant démocratiquement élu et premier ministre de la République démocratique du Congo indépendante. L’anti-impérialisme de Lumumba et sa vision d’une nation unie ont fait de lui un ennemi à la fois pour la Belgique et les États-Unis. La CIA a ordonné son assassinat, mais lorsqu’ils n’ont pas pu terminer le travail par eux-mêmes, les États-Unis et la Belgique ont secrètement distribué de l’argent et de l’aide aux politiciens rivaux qui ont organisé le coup d’État, emprisonné, torturé.

      Suite à une victoire éclatante aux premières véritables élections auxquelles les Congolais ont participé, Patrice Lumumba est devenu premier ministre du Congo du 24 juin 1960 jusqu’à son renversement et son emprisonnement le 14 septembre de la même année par le militaire Joseph-Désiré Mobutu et ses soutiens. Ce dernier a ensuite dirigé le pays, d’abord en sous-main, puis de manière directe à partir de 1965 jusqu’à son renversement en 1997.

    Le 17 janvier 1961, Lumumba, ce grand combattant pour l’indépendance du Congo, pour la justice sociale et pour l’internationalisme a été torturé puis exécuté, en compagnie de plusieurs de ses camarades, par des dirigeants congolais complices des puissances occidentales ainsi que par des policiers et des militaires belges. Lumumba n’avait que 35 ans et aurait pu continuer à jouer un rôle très important, tant dans son pays, qu’en Afrique et au niveau mondial.

    Comme l’a écrit la journaliste Colette Braeckman :
    « Patrice Lumumba, Premier ministre congolais destitué en septembre, placé en résidence surveillée puis détenu à Thysville, avait été envoyé au Katanga le 17 janvier 1961. Cinq heures après son arrivée sur le sol katangais, il était mis à mort avec ses deux compagnons Maurice M’Polo et Robert Okito »1.

      Parmi les dirigeants congolais qui ont participé directement à la mise à mort de Lumumba, on trouve Moïse Tshombé président proclamé de la province congolaise du Katanga qui a fait sécession le 11 juillet 1960, à peine deux semaines après le début de l’indépendance que le Congo a obtenue le 30 juin 1960. La sécession du Katanga proclamée par Moïse Tshombe fut soutenue par la Belgique et des grandes entreprises privées minières belges très présentes dans cette partie du Congo, voir plus loin, afin de déstabiliser le gouvernement du premier ministre Patrice Lumumba.

      Au moins cinq policiers et militaires belges étaient également présents lors de l’assassinat. Joseph-Désiré Mobutu, un des principaux responsables congolais de l’assassinat de Lumumba, n’était pas présent sur place le jour de l’assassinat qui a eu lieu dans l’Est alors qu’il se trouvait à l’Ouest du pays dans la capitale.
      La responsabilité de la Belgique dans l’assassinat de Lumumba en janvier 1961 a été établie par plusieurs auteurs, notamment par Ludo De Witte dans L’Assassinat de Lumumba, et cela a fait l’objet des travaux d’une commission du parlement belge en 2001-2002. On pourra lire également l’interview donnée par Ludo De Witte au CADTM en 2018. Dans cette interview, Ludo De Witte résume simplement les causes de l’assassinat de Lumumba :

      « Lumumba a été la victime de l’impérialisme. En fait on voulait continuer l’impérialisme au Congo, remplacer un système colonial par un système néocolonial. Un système où il y aurait des noirs, des Congolais, qui seraient des politiciens et des ministres mais, en coulisse, ce serait toujours les pouvoirs occidentaux et leurs grandes sociétés qui domineraient le pays. C’est bien ça le néocolonialisme contre lequel Lumumba voulait lutter et c’est pour cela qu’il a été assassiné. ».

      Il convient de prendre connaissance du discours du premier ministre de la République du Congo, Patrice Lumumba face à Baudouin, roi des Belges. Baudouin avait déclaré dans son allocution :
      « L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique ».

    Lumumba de la prison :
    « L’histoire aura un jour son mot à dire, mais ce ne sera pas l’histoire qui est enseignée à Bruxelles, Paris, Washington ou aux Nations Unies. Mais l’histoire qui sera enseignée dans les pays libérés de l’impérialisme et de ses marionnettes. « 

      Lors de la proclamation de l’indépendance du Congo le 30 juin 1960, le Premier ministre du Congo, Patrice Emery Lumumba, prononce un discours mémorable

      Lumumba dans son discours veut que justice soit rendue au peuple congolais, en voici une version intégrale sous forme vidéo et sous forme écrite :
      Discours prononcé au siège du parlement après ceux du Roi Baudouin et du Président Joseph Kasa-vubu, le jour de la proclamation de l’indépendance de la République démocratique du Congo.
      « Congolais et Congolaises,
      Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux,
      Je vous salue au nom du gouvernement congolais.
      À vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

      Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.

      Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.
      Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », non certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls Blancs ?

      Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres.
      Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même.

      Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les Noirs, qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du blanc dans sa cabine de luxe.

      Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation ?
      Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréé pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini. La République du Congo a été proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique toute entière. Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.

      Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues dans la Déclaration des droits de l’Homme.
      Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudront sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays. Nous allons faire régner non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des cœurs et des bonnes volontés.
      Et pour cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter non seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque fois qu’elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique quelle qu’elle soit. Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé de s’opposer à notre indépendance, est prête à nous accorder son aide et son amitié, et un traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants. Cette coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays. De notre côté, tout en restant vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis.

      Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République, que mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces. Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger.

      Je demande à la minorité parlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques. Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise. Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ; si par contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays. L’indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain.

      Voilà, Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race, mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre indépendance complète et souveraine. Notre gouvernement fort, national, populaire, sera le salut de ce pays.
      J’invite tous les citoyens congolais, hommes, femmes et enfants, à se mettre résolument au travail en vue de créer une économie nationale prospère qui consacrera notre indépendance économique.
      Hommage aux combattants de la liberté nationale !
      Vive l’indépendance et l’Unité africaine !
      Vive le Congo indépendant et souverain ! »

    Source : Mille babords

    Lumumba, combattant internationaliste

      Avant de devenir premier ministre, Lumumba a établi des liens solides avec une série de mouvements et de personnalités anti impérialistes, panafricanistes et internationalistes. En décembre 1958, il est présent à la Conférence des Peuples africains à Accra. Il y rencontre, entre autres, l’ Antillo-Algérien Frantz Fanon, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Camerounais Félix-Roland Moumié 2. Il y prononce un discours dans lequel il déclare :

      « Notre mouvement a pour but fondamental la libération du peuple congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance. Nous fondons notre action sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – droits garantis à tous les citoyens de l’humanité par la Charte des Nations Unies – et estimons que le Congo, en tant que société humaine, a le droit d’accéder au rang des peuples libres. ».

      Il le conclut en ses mots :
      « C’est pourquoi nous crions vivement avec tous les délégués : A bas le colonialisme et l’impérialisme. À bas le racisme et le tribalisme. Et vive la nation congolaise, vive l’Afrique indépendante. »
      À l’issue de cette conférence, Lumumba, est nommé membre permanent du comité de coordination, comme le rappelle Saïd Bouamama dans Figures de la révolution africaine 3. Lumumba était également proche de militants belges anticolonialistes et anticapitalistes comme Jean Van Lierde qui était engagé dans le soutien à la révolution algérienne et qui entretenait des liens étroits4 avec l’hebdomadaire La Gauche et avec son animateur principal Ernest Mandel.

      Quelques semaines après la conférence d’Accra, Lumumba et son mouvement organisent dans la capitale du Congo belge à l’époque, une réunion pour rendre compte des résultats de ce sommet anticolonialiste. Il y revendique l’indépendance du Congo devant plus de 10 000 personnes. Il décrit l’objectif du Mouvement National Congolais en évoquant « la liquidation du régime colonialiste et de l’exploitation de l’homme par l’homme » 5.

      Selon Le Monde diplomatique de février 1959, suite à cette conférence, une émeute éclata à Léopoldville à partir du 4 janvier 1959. Voici ce qu’en dit le mensuel français :
      « Le point de départ de l’émeute est en relation directe avec la conférence panafricaine d’Accra. C’est en effet au moment où les leaders du Mouvement national congolais — au premier rang desquels le président du Mouvement, M. Lumumba — s’apprêtaient à tenir une réunion publique sur ce sujet que les premiers troubles ont éclaté. Avec l’autorisation du gouverneur général du Congo belge, M. Cornelis, une délégation de nationalistes congolais, conduite par M. Lumumba, s’était rendue au Ghana en décembre. Et c’est un compte rendu de son voyage et de ses travaux qu’elle s’apprêtait à faire le 4 janvier, quand la police donna l’ordre aux conférenciers et à ceux qui étaient venus les entendre de se disperser » 6.

      Il faut préciser qu’au cours de l’année 1959, la répression organisée par la Belgique colonialiste a fait des dizaines, voire des centaines, de morts. Un exemple de l’ampleur de la répression : en octobre 1959, lors du congrès national du Mouvement national congolais (MNC) à Stanleyville, les gendarmes ont tiré sur la foule en faisant 30 morts et des centaines de blessés. Lumumba est arrêté quelques jours plus tard, il est jugé en janvier 1960 et condamné à 6 mois de prison le 21 janvier 1960.

      Mais les protestations sont telles qu’à Bruxelles, le pouvoir prend peur et décide de lâcher du lest en convoquant des élections locales auxquelles les Congolais sont invités à participer. Lumumba est libéré le 26 janvier quelques jours après sa condamnation. Finalement, après les élections locales, des élections générales sont organisées en mai 1960, les premières dans l’histoire du Congo belge. Le Mouvement national congolais (MNC) en sort vainqueur et, en conséquence, Lumumba est nommé premier ministre.


    L’enchaînement des évènements qui mène au coup d’État contre Lumumba et à son assassinat

      Suite au discours de Lumumba le 30 juin, le gouvernement belge, la monarchie et les patrons des grandes entreprises belges présentes au Congo décident d’écarter Lumumba et de provoquer la sécession du Katanga, la province la plus riche en matières premières.

      Tout de suite se présentent des complices congolais en la personne de Moïse Tshombé, proclamé président du Katanga le 11 juillet 1960, puis en la personne du président Joseph Kasa-Vubu qui révoque Lumumba en septembre 1960 sans en avoir le pouvoir constitutionnel, et en Joseph-Désiré Mobutu qui dirige quelques jours plus tard un coup d’État et fait arrêter Lumumba alors que ses ministres lui ont confirmé leur confiance et que son parti est le principal parti au parlement. Mobutu, qui a fait une carrière militaire pendant la colonie et est un ancien journaliste dans la presse congolaise pro-coloniale, a réussi à obtenir un poste de colonel dans la nouvelle armée et s’est retourné très vite contre le gouvernement congolais.

      Entretemps la Belgique avait envoyé au Congo dès juillet 1960, 11 000 soldats, ce qui est énorme, dont 9 000 au Katanga. Ces 11 000 soldats belges sont acheminés au Congo en dix jours, précédés par des troupes spéciales de paras-commandos. Cette intervention militaire constitue une véritable agression contre un État désormais indépendant. Il faut souligner que la Belgique, membre de l’ OTAN, a disposé jusque dans les années 1980, en Allemagne de l’Ouest, d’une zone militaire suréquipée s’étendant de la frontière belge au rideau de fer. L’état-major belge avait à sa disposition un arsenal militaire considérable, en partie d’origine américaine, et l’ OTAN lui a permis de déployer avions, transports de troupes et même des navires de la marine de guerre qui ont bombardé des positions congolaises dans l’estuaire du fleuve Congo.

      Le gouvernement des États-Unis et la CIA sont aussi à la manœuvre aux « côtés » de la Belgique, avec qui ils ont décidé d’assassiner Lumumba. Lumumba[fn] The Assassination Archives and Research Center, Interim Report : Alleged Assassination Plots Involving Foreign Leaders, III, A, Congo.

    . De même que la France. Dans un télégramme en date du 26 août 1960, le directeur de la CIA Allen Dulles indique à ses agents à Léopoldville au sujet de Lumumba :
      « Nous avons décidé que son éloignement est notre objectif le plus important et que, dans les circonstances actuelles, il mérite une grande priorité dans notre action secrète » 7.
      Soulignons que le 12 août 1960, la Belgique avait signé un accord avec Tshombé, reconnaissant de facto l’indépendance du Katanga. Les tentatives du gouvernement de Lumumba pour faire face à cette sécession étaient tout à fait légitimes, mais étaient combattues par les grandes puissances occidentales.
      Malgré son arrestation par Mobutu, Lumumba ne capitule pas et il garde le contact avec les ministres qui restent fidèles à leur engagement et avec ses camarades. Un gouvernement clandestin dirigé par Antoine Gizenga s’établit à Stanleyville. Lumumba réussit à échapper à ses geôliers le 27 novembre 1960 et cherche à rejoindre le gouvernement clandestin à Stanleyville, mais il est arrêté quelques jours plus tard en route.

      En janvier 1961, alors que Lumumba est toujours très populaire, Mobutu et les puissances occidentales craignent qu’une révolte populaire aboutisse à la libération du leader et décide de le faire exécuter. L’opération qui mène à l’exécution de Lumumba est directement accompagnée et dirigée par des Belges aux ordres de Bruxelles. De leurs lieux de détention, le 17 janvier 1961, Lumumba, Mpolo et Okito ont été emmené en avion, piloté par un équipage belge, à Élisabethville, capitale du Katanga, et livrés aux autorités locales. Ils ont ensuite été torturés par des responsables katangais, dont Moïse Tshombé, et par des Belges. Ils sont ensuite fusillés le soir même, par des soldats sous le commandement d’un officier belge.

      Selon le témoignage du Belge Gerard Soete, commissaire de police chargé à l’époque de mettre en place une “police nationale katangaise”, les trois corps ont été transportés à 220 kilomètres du lieu d’exécution, et ont été enfouis dans la terre derrière une termitière, en pleine savane boisée.
      L’Agence France Presse qui a recueilli le témoignage de ce commissaire de police belge rapporte que 3 trois jours plus tard, les corps ont de nouveau été déplacés afin de les faire disparaître définitivement. Gerard Soete a affirmé avoir été accompagné d’”un autre blanc” et de quelques congolais, quand ils ont découpé à la scie les corps des trois martyrs avant de les mettre à dissoudre dans de l’acide [9].

    Le soutien de la Belgique à la dictature de Mobutu
      L’armée belge est intervenue à deux reprises au Congo pour aider Mobutu et son régime dictatorial à mettre fin à des actions de résistance d’organisations lumumbistes, la première fois en novembre 1964 avec l’opération Dragon Rouge et Dragon Noir respectivement à Stanleyville et à Paulis. À cette occasion, l’opération a été menée conjointement par l’armée belge, l’armée de Mobutu, l’État-major de l’armée des États-Unis et des mercenaires parmi lesquels des Cubains anti-castrites.

      Dans un discours prononcé à l’assemblée générale des Nations unies en novembre 1964, Ernesto Che Guevara avait dénoncé cette intervention. Il l’a aussi dénoncée dans un discours prononcé à Santiago de Cuba en disant : « aujourd’hui, le souvenir plus présent, plus poignant que tout autre est certainement celui du Congo et de Lumumba. Aujourd’hui, dans ce Congo si éloigné de nous et pourtant tellement présent, il y a une histoire que nous devons connaître et une expérience qui doit nous être utile. L’autre jour, les parachutistes belges ont pris d’assaut la ville de Stanleyville », extrait du Discours de Che Guevara à Santiago de Cuba, le 30 novembre 1964, à l’occasion du 8e anniversaire du soulèvement de la ville mené par Frank País.

      La deuxième intervention de l’armée belge s’est déroulée à Kolwezi au cœur de la région minière du Shaba (Katanga) en mai 1978 en collaboration avec l’armée française et celle de Mobutu. La justice belge n’a toujours pas rendu de jugement sur l’assassinat de Lumumba. L’affaire n’a pas été classée grâce à l’action de tous ceux et de toutes celles qui veulent que justice soit rendue. La famille de Lumumba continue son action pour exiger la vérité. Un juge d’instruction belge est toujours en charge de l’affaire car l’assassinat a été qualifié de crime de guerre pour lequel il n’y a pas de prescription. Et comme le souligne l’avocat de la famille, Christophe Marchand, cité par la RTBF le 23 juin 2011 « les principaux commanditaires sont morts aujourd’hui (…) mais d’anciens conseillers et attachés de cabinet du ministère des Affaires étrangères sont toujours vivants ».

    Lumumba : une figure devenue emblématique
      La figure de Lumumba a traversé l’histoire et constitue encore aujourd’hui un exemple pour tous ceux et celles pour l’émancipation des peuples. Lumumba n’a jamais capitulé.
      Sa popularité était telle sous le régime du dictateur Mobutu que celui-ci a décrété en 1966 que Patrice Lumumba était un héro national. Non content de l’avoir renversé en septembre 1960 puis d’avoir été un des principaux organisateurs de son assassinat, il a essayé de s’approprier une partie de son aura. Le jour de son exécution, le 17 janvier, est un jour férié au Congo-Kinshasa.

      À Bruxelles, suite à des années d’action des militant·es anti-colonialistes, le conseil municipal de Bruxelles-Ville a voté le 23 avril 2018 la création d’une place Patrice-Lumumba, qui a été officiellement inaugurée le 30 juin de la même année, date du 58e anniversaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo.
      Cela est bien peu de chose.
      Au-delà de dire la vérité sur la lutte de Lumumba et d’exiger que justice lui soit rendue, l’important est de prolonger son combat et celui de tous les Congolais et Congolaises qui ont lutté et luttent pour qu’on mette fin à toutes les formes de spoliation, d’oppression et d’exploitation.

      C’est pourquoi, le CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde) considère que les autorités de la Belgique doivent :

    • Reconnaître publiquement et nommer l’ensemble des méfaits et crimes commis par Léopold II et le royaume de Belgique à l’encontre du peuple congolais, et de lui adresser en conséquence des excuses officielles ;
    • Approfondir un travail de mémoire, en impliquant les acteurs concernés, tant dans l’enseignement que dans les activités d’éducation populaire, en passant par les espaces institutionnels ;
    • Procéder à une restitution de l’ensemble des biens culturels congolais ;
    • Soutenir activement une remise en cause de tous les symboles colonialistes dans l’espace public belge ;
    • Réaliser à un audit historique de la dette afin de procéder à des réparations et rétrocessions financières inconditionnelles pour les montants perçus en conséquence de la colonisation du Congo ;
    • Agir au sein des instances multilatérales, Banque mondiale, FMI, Club de Paris, etc., afin que leurs membres procèdent à une annulation totale et inconditionnelle des dettes odieuses de la République démocratique du Congo ;
    • Soutenir publiquement tout moratoire sur le remboursement de la dette qui serait décrété par le gouvernement congolais afin d’améliorer le système de santé public et de faire face à l’épidémie de Covid-19 et d’autres maladies qui provoquent des décès qui sont tout à fait évitables si les dépenses de santé publique étaient nettement accrues.

      Le CADTM apporte son soutien aux différents collectifs qui en Belgique convoquent des actions dans la foulée de Black Lives Matter et tous ceux qui agissent sur le thème de la mémoire coloniale.
      Le CADTM apporte son soutien au peuple congolais pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la crise du Covid-19. Malgré les diktats des créanciers et les graves manquements des gouvernements congolais successifs qui se traduisent par une sévère répression et un déni flagrant des droits humains fondamentaux, les mouvements sociaux congolais résistent. Le CADTM apporte son soutien à ces luttes qui visent à faire triompher la justice sociale.

    Cet article a été publié sur le site du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM).
    Lire hors-ligne :

    Références
    1. Colette Braeckman, « Congo La mort de Lumumba Ultime débat à la Chambre sur la responsabilité de la Belgique dans l’assassinat de Patrice Lumumba Au-delà des regrets, les excuses de la Belgique REPERES La vérité comme seule porte de sortie Van Lierde l’insoumis », publié le 6 février 2002 https://plus.lesoir.be/art/congo-la-mort-de-lumumba-noir-ultime-debat-a-la-chambre_t-20020206-Z0LGFG.html
    2. Félix Roland Moumié (1925-1960), dirigeant de la lutte anti colonialiste et anti impérialiste au Cameroun a été assassiné sur ordre de la France à Genève le 3 novembre 1960.
    3. Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine, La Découverte, 2014, 300 p.
    4. Voir le résumé de l’intervention de Jean Van Lierde lors d’une conférence publique réalisée à Bruxelles en octobre 1995 pour rendre hommage à Ernest Mandel http://www.ernestmandel.org/new/sur-la-vie-et-l-œuvre/article/dernier-hommage-a-ernest-mandel
    5. Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine, La Découverte, 2014, p. 160-177.
    6. Philippe Decraene, « L’Afrique noire tout entière fait écho aux thèmes panafricains exaltés à Accra » in Le Monde diplomatique, février 1959 https://www.monde-diplomatique.fr/1959/02/DECRAENE/22920
    7. Saïd Bouamama, Figures de la révolution africaine, La Découverte, 2014, p. 160-177.

    Source

  • Racisme : Sarah Baartman, « la Vénus noire »

    Racisme : Sarah Baartman, « la Vénus noire »

    Afrique, colonialisme, racisme, exploitation, femme africaine, Afrique du Sud, esclavage

    Aujourd’hui, nous rendons hommage à Sarah Baartman dont l’histoire tragique nous rappelle que l’exploitation du physique féminin noir a commencé il y a de nombreuses années.

    Saartjie « Sarah » Baartman (1789 – 29 décembre 1815) était la plus célèbre d’au moins deux femmes khoikhoi qui ont été exposées comme des attractions de monstres à cause de leurs gros fesses et de leurs lèvres allongées au XIXe siècle E. Europe sous le nom de « Hottentot Venus ».

    Selon l’histoire populaire, Baartman est né en 1789 dans la vallée des Gamtoos en Afrique du Sud. Quand elle avait à peine 20 ans, elle a été vendue à Londres par un médecin écossais entreprenant nommé Alexander Dunlop, accompagné d’un showman nommé Hendrik Cesars. Elle a passé quatre ans en Grande-Bretagne à être exposée. Le fait qu’elle ait des fesses saillantes et des lèvres minora étendues a fait que la société la considère comme cette «femelle sauvage ou sauvage».

    Son traitement a attiré l’attention des abolitionnistes britanniques, qui ont essayé de la sauver, mais elle a affirmé qu’elle était venue à Londres de son propre chef.

    En 1814, après Dunlop’s D. eath, elle a voyagé à Paris. Avec deux showmen consécutifs, Henry Taylor et S. Reaux, elle amusait les spectateurs qui fréquentaient le Palais-Royal.

    Baartman vit dans la pauvreté et meurt à Paris de maladie en décembre 1815 à l’âge de 25 ans. Ceux qui la connaissaient de près en Europe ont dit qu’elle était une femme intelligente avec une excellente mémoire, en particulier pour les visages. En plus de sa langue maternelle, elle parlait couramment le néerlandais, l’anglais passable et un peu de français. Elle était douée pour jouer de la harpe, pouvait danser selon les traditions de son pays et avait une personnalité vivante. Ses épaules et son dos ont été décrits comme étant « gracieux », bras « minces », mains et pieds comme « charmants » et « jolis ».

    Après sa mort, son corps a été disséqué et ses restes ont été exposés. Pendant plus d’un siècle et demi, les visiteurs du « musée de l’homme » à Paris ont pu voir son cerveau, v. Agina et squelette.

    Son crâne a été volé en 1827 et est revenu par la suite quelques mois plus tard. Le squelette et le crâne restaurés ont continué à susciter l’intérêt des visiteurs jusqu’à la fin du 20e siècle, lorsque les plaintes commencent à monter de la part des féministes qui pensaient que l’exposition était une représentation dégradante des femmes. Le squelette a été enlevé en 1974 et le corps a été plâtre en 1976. Son corps a finalement été enterré.

    Salut à une reine déchue : Sarah Baartman

    African History Group