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  • Premier colloque maghrébin sur Abdelkrim El Khattabi

    Premier colloque maghrébin sur Abdelkrim El Khattabi

    Maroc, Abdelkrim El Khattabi, Rif, Emir Abdelkader, colonialisme, protectorat, République du Rif,

    Les similitudes du combat qui existent entre les deux révolutionnaires Abdelkrim El Khettabi et l’Emir Abdelkader ont été soulevées, à l’occasion de la première édition du colloque maghrébin autour du parcours de lutte du révolutionnaire marocain, tenue, samedi soir, au siège de la Télévision nationale.

    Plusieurs chercheurs en histoire ont profité de cette occasion pour mettre en avant le parcours du résistant Abdelkrim El Khetabi, modèle de lutte contre El Makhzen. Connu sous le surnom de « Lion du Rif », El Khettabi, « partage avec le père fondateur de l’Etat algérien, bien des caractéristiques », s’est attelé d’expliquer Hassan Kacimi, expert en question sécuritaire.

    L’intervenant fait savoir qu’El Khettabi s’est toujours opposé aux accords Aix-les-Bains de 1955, qui ont abouti en 1956 à l’indépendance du Maroc. En réalité, explique t-il, « les français n’ont jamais accordé d’indépendance au Maroc, qui est malheureusement encore sous protectorat français. »

    [youtube https://www.youtube.com/watch?v=Y97NuJU-7mo&w=560&h=315]

    L’expert en question sécuritaire, précise que les rois du Maroc ont joué un rôle très important pour l’aboutissement de ces accords. Ils ont mis, ajoute-t-il, leur pays « sous la tutelle et le protectorat colonial français ».

    Au denier lieu, M. Kacimi, estime que la révolution du Rif a toujours eu ses successeurs, de la reprise du flambeau par les jeunes, à l’image de Nasser El Zefzafi , un des héritiers de la révolution d’Abdelkrim El Khetabi.

    Radio Algérie Multimédia, 29 mai 2022

    #Maroc #Algérie #AbdelkrimElKhattabi #EmirAbdelkader #Rif

  • Cannes 2022 : Les Harkis

    France, Algérie, Les Harkis, colonialisme,

    19/05/2022 – CANNES 2022 : Philippe Faucon passe à la loupe de son humble maîtrise de l’épure cinématographique la cruelle page d’Histoire des soldats locaux engagés du côté français pendant la guerre d’Algérie

    Il y a deux paniers dans les premières scènes du nouveau film de Philippe Faucon, Les Harkis [+], dévoilé à la Quinzaine des Réalisateurs du 75e Festival de Cannes. Le premier, trouvé par un vieil homme sur le seuil de sa maison d’un petit village algérien, dissimule la tête coupée de son fils. Le second, amené par un fils à son père creusant la terre d’une oliveraie, contient du pain et du lait. C’est précisément à ce croisement à double face de la mort et de la vie, et au carrefour de la grande Histoire prenant les hommes en otage de ses soubresauts, que le cinéaste français a de nouveau décidé de porter son regard cristallin et son style sciemment simple et concis, sec et lumineux.

    Nous sommes le 22 juin 1959 et la guerre d’Algérie dure depuis quatre années. Des officiers supérieurs et le préfet de la région intronisent en grande pompe la Harka 534, un bataillon de soldats algériens (dont le frère du mort du début, mais aussi le père qui creusait et dont la parcelle qu’il exploitait a été reprise par son propriétaire colon et qui n’a pas retrouvé de travail) engagés dans les troupes françaises qualifiées par ses chefs d’ »armée de la pacification » en lutte contre les « terroristes fellaghas » (les indépendantistes). Instruction au tir, séances de torture à la gégène (« il parle ou il crève »), patrouille, ratissage et fouille des villages pour débusquer les ennemis dans d’immenses paysages poussiéreux, rocailleux et désertiques : nos harkis (dont Salah incarné par Mohamed Mouffok) font la guerre sous le commandement des lieutenants français Pascal (Théo Cholbi) et Kravitz (Pierre Lottin) et sous le regard de leurs compatriotes algériens (« tu les fais taire ! »). Mais en 1960, la France engage des pourparlers avec le FLN (Front de Libération Nationale) en vue d’un cessez-le-feu, et jusqu’en 1962, les doutes ne cessent de grandir parmi les harkis : la France leur ment-elle ? Va-t-elle les trahir ? Que vont-ils devenir ? Et leurs familles ? Quelle est leur place, leur identité ? Qui sont leurs frères ? Des questions de vie et de mort…

    En prenant à la fois de la hauteur par rapport à des événements datant d’une soixantaine d’années (mais qui irriguent encore le karma des relations franco-algériennes) tout en se concentrant au plus près des hommes à travers une succession de quelques tableaux (une discussion autour d’un feu de camp ou dans un bureau, des marches, des adieux, etc.) élaguant la chronologie entre 1959 et 1962, Philippe Faucon réussit à illustrer parfaitement toute la complexité d’une page d’Histoire où le mensonge et l’honneur, la confiance et la realpolitik, écartèlent les consciences. Un hurlement, un coup de poignard, un recensement, un convoi, un hélicoptère, des déplacements clandestins, des mauvais pressentiments : en quelques coups de scalpels cinématographiques quasi pointillistes (fruit de sa grande maîtrise de l’épure), le cinéaste crée une œuvre de fiction ramassée et passionnante, à dessein anti-spectaculaire et formellement très aboutie qui est un digne écrin pour une page d’Histoire ayant entrainé la mort de 35 000 à 80 000 morts parmi les harkis et leurs familles, et l’évacuation de 90 000 d’entre eux dans des camps en France où ils ont été contraints de vivre jusqu’en 1976.

    Produit par Istiqlal Films et coproduit notamment par Les Films du Fleuve, Arte France Cinéma, Nord-Ouest Films et Les Films Pelléas, Les Harkis est vendu par Pyramide International.
    Fabien Lemercier
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    Entretien avec Philippe Faucon • Réalisateur de Les Harkis
    « Il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre »

    par Fabien Lemercier

    21/05/2022 – CANNES 2022 : Le cinéaste français touche encore juste avec son film sur les soldats locaux engagés du côté français pendant la guerre d’Algérie

    Pour la troisième fois en vitrine de la Quinzaine des Réalisateurs du 75e Festival de Cannes après Fatima [+] en 2015 et Amin [+] en 2018, le cinéaste français Philippe Faucon a présenté Les Harkis [+] dans lequel il passe à la loupe de sa parfaite et humble maîtrise de l’épure cinématographique la cruelle page d’Histoire des soldats locaux engagés du côté français pendant la guerre d’Algérie.

    Cineuropa : Ce sujet des harkis, vous l’aviez déjà partiellement abordé dans La trahison [+]. Pourquoi avez vous voulu y revenir en vous centrer totalement sur le sujet ?

    Philippe Faucon : Ce sujet est un peu une obsession pour moi parce que j’y suis lié par mon histoire personnelle familiale. Je suis né au moment de la guerre d’Algérie de parents qui l’ont vécue. Ma mère est née en Algérie, elle y a vécu jusqu’à ses 24 ans et elle était très attachée à ce pays. Enfant et adolescente, elle était allée à l’école avec des Algériens qui pour certains se sont retrouvés engagés du côté français et sont devenus harkis, et pour d’autres du côté adverse, chez les indépendantistes. Ce sont des choses dont j’ai entendues parler enfant et je sentais que quelque chose de très compliqué avait été vécu. J’ai notamment entendu parler des gens qui avaient été massacrés. J’avais abordé ce sujet dans La trahison, mais j’étais resté sur le sentiment que j’aurais pu raconter cela plus profondément et autrement, et c’est cela qui est à l’origine des Harkis. Je voulais revenir sur cette période de la guerre d’Algérie en prenant en compte les perdants, ceux qui ont eu tort, tout particulièrement parce que c’est quelque chose qui a été relégué dans l’oubli, mis de côté, et pas tellement abordé au cinéma.

    Pourquoi le choix d’un collectif, cette harki 534, et non d’un ou deux personnages principaux ?

    Parce que c’est une histoire qui n’est pas simple. Les raisons pour lesquelles des Algériens ont fait le choix de devenir harkis étaient diverses. Chacun des personnages incarne l’une de ces raisons. Pour certains, c’est de la survie alimentaire car ils n’ont plus d’autres choix. À cause de la guerre, ils ne peuvent plus vivre de la terre et ils ont des familles à faire vivre. C’est l’une des causes importantes de l’engagement des harkis auprès des Français car dans la situation de pénurie de l’époque en Algérie, ce que gagnait un harki lui permettait de faire vivre plusieurs personnes. Il y a aussi des raisons de traditions familiales car des pères ont fait les guerres de la France, mais également des raisons de pur mercenariat, d’opportunisme, voire des raisons d’adhésion comme pour le sergent-chef Amin qui est le seul personnage du film à être là par conviction : il croit les discours officiels énoncés lors de l’avènement de la Vème République qui disent que les Algériens vont désormais avoir les mêmes droits que les Français et il se méfie à contrario de l’option représentée par le FLN qu’il perçoit comme une aventure.

    Comment avez-vous délimité la chronologie de l’intrigue ?

    Le film se déroule sur les trois dernières années de la guerre. Il commence en 1959 car en septembre le général De Gaulle évoque pour la première fois l’idée de l’autodétermination, donc il commence à changer de langage, un choix qui, pour les gens attentifs, peut conduire à l’indépendance de l’Algérie. Mais en même temps, c’est un moment où l’on fait appel de façon importante à des Algériens qu’on recrute en masse et qu’on arme contre d’autres Algériens parce que les autorités françaises veulent commencer à négocier en position de force avec le FLN. Se met donc en place une grave et très lourde contradiction : tenter de mettre fin à la guerre mais en y impliquant encore des Algériens contre d’autres Algériens.

    Le film évite soigneusement le manichéisme.

    Il ne s’agissait pas de faire un film avec des points de vue simplistes car les choses sont complexes, les personnages eux-mêmes sont animés par des motivations qui peuvent être contradictoires, compliquées. Il n’y a pas les bons d’un côté, les méchants de l’autre. La guerre d’Algérie est une période d’une pratique extrême de la violence, mais des deux côtés. Cette violence est représentée dans le film, pas comme un spectacle, mais elle dit des choses sur les personnages qui soit subissent la violence, soit la pratiquent. On voit par exemple des harkis s’acharner sur des prisonniers mais c’est peut-être parce qu’ils s’acharnent sur une image perdue d’eux-mêmes.

    Comment qualifiez-vous votre style toujours en retenue ?

    Je cherche à approcher les personnages sans les esquisser à traits appuyés et sans forcer l’émotion ou faire appel au spectaculaire, aux facilités. Cette approche des personnages et du récit essaye de trouver d’autres moyens que ceux qui ont trop évidents. Il fallait aussi éviter d’asséner des vérités trop évidentes. Ce n’est pas flou, mais rien n’est d’une seule pièce, d’un seul tenant.

    Cineuropa, 19 mai 2022

    #France #Algérie #Guerre_d_algérie #Harkis #Colonialisme



  • Mali: La Russie dénonce la mentalité « coloniale » des Européens

    Mali, Sahel, France, Russie, colonialisme, Françafrique, Barkhane,

    Le chef de la diplomatie malienne Abdoulaye Diop,reçu vendredi à Moscou par son homologue russe, Sergei Lavrov. Signe du renforcement des liens entre Moscou et Bamako. Une nouvelle donne en marche depuis l’arrivée des militaires au pouvoir au Mali et la perte progressive de l’influence française dans ce pays.

    La France et l’Europe, accusées par la Russie de vouloir maintenir des pays africains sous leur joug.

     » Nous comprenons, mais nous n’apprécions pas les tentatives de la France et d’autres pays de l’UE de revendiquer un rôle dominant en Afrique et dans d’autres régions. « , a déclaré Sergei Lavrov, ministre russe des affaires étrangères.

    Avant d’ajouter :  » Nos collègues français tentent de dicter au Mali avec qui ils peuvent communiquer et avec qui ils ne sont pas autorisés à le faire. C’est inacceptable. »

    Occasion pour Moscou de pousser ses pions. Sergei Lavrov a affirmé que Moscou était prêt à accorder un soutien à Bamako « pour augmenter les capacités de combat des forces armées maliennes », notamment dans la formation des militaires et des policiers. Il a aussi assuré que Moscou allait continuer à livrer au Mali du blé, des engrais minéraux et des produits pétroliers.

    Algérie Medinfo, 20 mai 2022

    #Mali #Russie #France #Colonialisme #Françafrique #Barkhane

  • France: L’anti-impérialisme de Sartre est encore trop radical

    France: L’anti-impérialisme de Sartre est encore trop radical

    France: L’anti-impérialisme de Sartre est encore trop radical – crimes de l’empire, Frantz Fanon, colonialisme, Algérie, Vietnam,

    UNE ENTREVUE AVEC OLIVIER GLOAG

    L’opposition sans concession de Jean-Paul Sartre aux crimes de l’empire en fait une figure taboue de la culture française. Le courant politique français est toujours dans le déni de l’histoire sanglante du colonialisme.

    Le philosophe français Jean-Paul Sartre était l’un des penseurs les plus influents du siècle dernier. Sa mort, en 1980, a laissé de nombreuses personnes en France et dans le monde entier se sentir privées de direction politique.

    L’une des principales questions éthiques et politiques qu’il a abordées dans son travail était la relation coloniale entre les pays occidentaux et les pays du Sud. De la guerre brutale de son propre pays en Algérie à l’invasion américaine du Vietnam, Sartre s’est prononcé avec acharnement contre les crimes de l’empire.

    Oliver Gloag enseigne le français et les études francophones à l’Université de Caroline du Nord et est l’auteur d’ Albert Camus : une très courte introduction . Ceci est une transcription éditée du podcast Long Reads de Jacobin . Vous pouvez écouter l’épisode ici .

    DF- Quand Sartre a-t-il commencé à s’intéresser à la question des colonies françaises et quelles ont été ses premières interventions publiques à ce sujet ?

    OG- La première réaction publique à la guerre coloniale de la France en Indochine est survenue en décembre 1946, après le début de la guerre. C’était un éditorial du Temps modernes . Sartre était le directeur de cette publication, mais l’éditorial n’était pas signé. Il a fait une comparaison entre le rôle de l’armée française en Indochine et le rôle de l’armée allemande en France. C’était une condamnation absolue de l’intervention de la France et une attaque contre son hypocrisie.

    Même si Sartre n’a pas écrit l’éditorial, il a été pointé du doigt par François Mauriac, une figure très importante de la littérature et des milieux intellectuels français, qui était une sorte d’auteur anticolonialiste de droite. Mauriac est extrêmement choqué par la comparaison entre la France et l’armée d’occupation allemande.

    Sartre a répondu avec Maurice Merleau-Ponty dans un autre éditorial, intitulé « SOS Indochine ». Ils prennent position, anticipant l’argument qu’Aimé Césaire fera plus tard dans son Discours sur le colonialisme en refusant de hiérarchiser les massacres et les occupations. Ils ont insisté sur le fait qu’il était légitime de comparer ce que les puissances coloniales ont fait aux peuples et aux pays colonisés avec ce que l’Allemagne a fait en Europe, lorsqu’elle a de facto colonisé la France.

    La première intervention publique en son nom propre intervient au début des années 1950, avec l’affaire Henri Martin. Martin était un marin de la marine française qui avait cru aux affirmations du gouvernement selon lesquelles la guerre en Indochine était une guerre contre l’impérialisme japonais, puis avait découvert que ce n’était pas le cas. À son retour en France, il devient un militant anti-guerre et est arrêté et emprisonné pendant cinq ans.

    Sartre a signé une pétition contre l’emprisonnement d’Henri Martin avec des intellectuels et des membres du Parti communiste français. Finalement, Martin a été libéré sous la pression populaire, en 1953. Il y avait un livre publié cette année-là avec un résumé de Sartre, où il a attaqué l’entreprise coloniale et le système judiciaire français. Je dirais que c’était son premier engagement public à l’égard de l’anticolonialisme

    DF – Quel rapport Sartre a-t-il eu avec le mouvement de la négritude et des personnalités comme Aimé Césaire et le Sénégalais Léopold Senghor ?

    OG- Cela a commencé en 1947, avec une publication intitulée African Presence , qui est devenue la voix principale de la négritude . Dans sa présentation, Sartre a pris à partie l’hypocrisie des Français métropolitains qui se considéraient comme tolérants et compréhensifs parce qu’ils socialisaient avec des hommes noirs dans la métropole. Mais qu’en est-il de ceux des colonies ? Sartre a demandé rhétoriquement. Qu’en est-il de l’exploitation et de la misère là-bas ?

    Il s’est concentré sur l’oppression concrète. Il a parlé des salaires, du prix du boeuf, de la richesse que ces colonies généraient pour la métropole. Il était attentif aux conditions de vie.

    Sartre a déclaré qu’il ne suffirait pas d’accepter simplement quelques Noirs en France métropolitaine dans le cadre d’une tentative de réprimer ou de nier l’oppression et l’exploitation économiques en cours des hommes et des femmes africains dans les colonies. Il a également souligné le fait que le racisme n’était pas le seul aspect du colonialisme : il y avait aussi la classe. C’est devenu un problème théorique important pour Sartre : lequel est venu en premier ?

    Sartre a souligné que les auteurs comme lui ne devraient pas être condescendants en regardant cette poésie naissante. Il ne s’agissait pas d’être à la hauteur de la culture française mais plutôt de tourner la langue française dans des directions différentes, d’injecter du sang révolutionnaire et politique dans cette langue et de lui donner un nouveau sens. Dans African Presence , le romancier Richard Wright était également en tête de mât, il faisait donc le lien entre les Afro-Américains et les auteurs africains francophones. Sartre a contribué au lancement de ce projet et lui a prêté son prestige.

    L’autre grande intervention fut sa préface à l’anthologie de la poésie noire et malgache de Léopold Senghor. Ce fut un grand moment pour Sartre. A l’époque, les guerres de libération nationale n’avaient pas encore pris l’importance qu’elles auraient plus tard. Sartre était un nouveau venu en politique, écrivant dans un paysage où l’indépendance des colonies en Afrique était encore un espoir et pas encore une lutte armée en cours.

    Il a commencé l’essai en défiant l’attente condescendante d’exotisme du lecteur blanc lorsqu’il a ouvert le livre. Il a appelé de manière préventive leur surprise face aux poèmes et leur inconfort à la réalisation que le regard des Blancs était subverti. Ils étaient maintenant l’objet de regards noirs. Avec ce renversement, Sartre s’est moqué de la prise de conscience soudaine du lecteur blanc qu’ils possèdent une race, et qu’eux aussi peuvent être l’objet d’un regard.

    Je vais citer ce qu’il a dit ici : « Voici des hommes noirs debout, qui nous regardent, et j’espère que vous, comme moi, ressentirez le choc d’être vu. Depuis trois mille ans, l’homme blanc jouit du privilège de voir sans être vu. C’était le passage d’ouverture, qui était crucial et qui fondait la perspective de Sartre. Il ne regardait pas cela d’un point de vue paternaliste.

    La préface compare le statut des Européens dans le monde à celui des aristocrates français sous l’ancien régime. Il les qualifia d’ »Européens de droit divin » et annonça prophétiquement que le mouvement culturel de la négritude allait se développer en une force politique qui renverserait l’ancien ordre colonial, tout comme l’institution de la monarchie avait été renversée à travers l’Europe.

    Ce fut un moment crucial. Il a cité quarante-quatre passages de poèmes de personnalités telles que Senghor, Césaire et David Diop, et a donné un aperçu de ce contre quoi la négritude se battait. L’essai allait au-delà d’une description immédiate et d’une dénonciation du racisme. Elle a inscrit la race et le colonialisme dans l’histoire.

    La partie la plus controversée de la préface de Sartre était qu’elle décrivait également l’idée d’une dialectique où, d’une part, nous aurions un racisme blanc et un colonialisme blanc et, d’autre part, nous aurions un « racisme antiraciste ». Dans une troisième étape, les deux finiraient par s’annuler, et nous arriverions à une conscience de classe générale et à la phase ultime de libération universelle.

    On peut comparer cela à Aimé Césaire. Il a exposé cette dialectique, incorporant la violence noire libératrice dans un processus d’émancipation universelle, dans sa pièce de 1958 And the Dogs Were Silent , sur un descendant d’esclaves qui s’est rebellé contre l’autorité coloniale. La marque d’universalisme de Césaire était également présente dans ses travaux antérieurs. En fait, je pense que Césaire a joué le rôle d’intermédiaire entre Sartre et un autre interlocuteur important, Frantz Fanon, très influencé par la négritude.

    DF – Comment Sartre et ses associés ont-ils répondu à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie qui a débuté en 1954 ?

    Cela a commencé par Le Temps modernes . La guerre d’indépendance du peuple algérien débute officiellement à l’automne 1954 et se termine à l’été 1962. Au printemps 1955, paraît un numéro spécial des Temps modernes sur l’Algérie. L’éditorial s’intitulait « L’Algérie n’est pas la France ». C’était une réprimande cinglante et une réplique aux paroles officielles des ministres du gouvernement français tels que François Mitterrand , le futur président, qui avait dit : « L’Algérie, c’est la France ».

    Sartre compare le statut des Européens dans le monde à celui des aristocrates français sous l’ancien régime.
    Tout au long de la guerre, Le Temps modernes devient un espace de voix en faveur de l’indépendance algérienne. Ce fut une fantastique chambre d’écho pour la lutte anticoloniale. Bien sûr, c’était censuré. Je pense que le journal a été saisi six fois au total.

    Il ouvrit ses colonnes à Aimé Césaire, qui prédit la mort des colonies dans un article très important. Il a protesté contre les exécutions. Sartre lui-même a écrit de nombreux éditoriaux et articles, ainsi qu’une préface pour le livre du journaliste Henri Alleg, La Question , sur l’usage systématique de la torture en Algérie.

    Son premier article en 1956 était intitulé « Le colonialisme est un système ». C’était à un moment important, alors que le gouvernement français poussait vraiment, avec le soutien du Parti communiste français, à la guerre contre l’Algérie. Dans cet article très célèbre, Sartre parlait des réalités spécifiques du colonialisme français.

    Il a donné des chiffres en termes de richesse et en termes de terres saisies par le gouvernement français aux Algériens. Il a raconté comment l’agriculture algérienne a été détruite, avec toute la culture du blé supprimée pour faire place à la production de vin. Bien sûr, les musulmans ne boivent pas, et tout cela était destiné à l’exportation.

    C’est aussi le moment de la rupture de Sartre avec le parti communiste. Il signe le « Manifeste des 121 », dans lequel 121 intellectuels et personnalités publiques soutiennent le refus des soldats français de servir en Algérie. Il souhaite explicitement la défaite de l’armée française. Certains journalistes qui ont signé cette pétition sont allés en prison pendant deux ou trois semaines, et beaucoup d’universitaires et d’employés de l’État qui l’ont signée ont été rétrogradés.

    Sartre a écrit un certain nombre d’articles qui reliaient les impératifs économiques derrière le projet colonial. Sa rhétorique n’arrêtait pas de s’intensifier à mesure que l’intensité des combats augmentait. Il a pris à partie l’hypocrisie française dans des passages très célèbres. Dans l’une d’elles, il disait : « Nous, Français, devons faire face à ce spectacle inattendu, le strip-tease de notre humanisme. La voici complètement nue et pas belle. Ce n’était qu’une idéologie illusoire. L’exquise justification du pillage, sa tendresse et son affection, sanctionnaient nos actes d’agression.

    Il s’est adressé à des gens qui ne voulaient pas choisir leur camp et leur a dit : « Vous savez très bien que nous sommes les exploiteurs, vous savez très bien que nous avons pris l’or, les métaux et le pétrole des pays, non sans d’excellents résultats — palais, cathédrales, capitales industrielles. Et puis chaque fois que la crise menaçait, les marchés coloniaux étaient le coussin.

    Cet engagement a culminé lorsqu’il s’est défini comme un « porteur de valises ». Il existait un réseau souterrain de citoyens français, connus sous le nom de porteurs de valises, qui travaillaient avec le Front de libération nationale , les aidant à transporter des armes, des fonds et des communications. Sartre a défié le gouvernement français de l’arrêter. Il a également été témoin dans de nombreux procès, défendant ces porteurs de valises.

    Sartre a participé à de nombreuses manifestations, comme celles qui ont suivi le massacre de Paris en octobre 1961. Il a été présent publiquement de manière très agressive. C’était au grand risque pour sa vie. Il a été la cible de deux tentatives d’assassinat, mais il a continué. Cette période a beaucoup influencé ses écrits : sa Critique de la raison dialectique a été rédigée pendant la guerre d’indépendance algérienne.

    DF- Dans ce contexte plus large, quelle était la relation entre Sartre et Frantz Fanon , dont l’œuvre propre était indissociable de la lutte pour l’indépendance algérienne ?

    OG- Le rapprochement entre Sartre et Fanon peut sembler un peu délicat, car Fanon a critiqué l’essai de Sartre sur la négritude, Black Orpheus , dans son premier livre, Black Skins, White Masks . Il a critiqué l’inclusion de la négritude par Sartre dans une dialectique universelle comme une étape négative qui allait être transcendée. Ce faisant, selon Fanon, Sartre avait relégué l’expérience d’être noir dans de nombreuses colonies françaises à un statut destiné à céder rapidement la place à un autre. Il a dit que le schéma hégélien de Sartre ignorait ou effaçait l’expérience et l’individualité au profit de l’universel.

    Cependant, même dans sa critique d’ Orphée noir , Fanon ne ferme pas complètement la porte à un avenir universel. Il a finalement partagé l’objectif de Sartre. Il y a une citation célèbre à la fin de Black Skin, White Masks : « Le soldat estropié du Pacifique dit à mon frère : ‘Habitue-toi à ta couleur comme je m’habitue à mon moignon — nous sommes tous les deux des victimes’ », a déclaré Fanon. , « De tout mon être, je refuse d’accepter cette amputation. Je sens mon âme aussi vaste que le monde, vraiment une âme aussi profonde que le plus profond des fleuves. Ma poitrine a le pouvoir de se dilater à l’infini.

    Je pense que Sartre et Fanon ont finalement partagé plus que le but final de l’universalisme. Ils étaient tous les deux préoccupés par la façon de transformer les griefs empiriques en une lutte mondiale, et leur dialogue portait sur la meilleure façon de s’y prendre. Si l’on regarde Les Misérables de la Terre , le grand traité de Fanon sur les conséquences du colonialisme et comment le combattre, il écrivait qu’il n’était pas question pour le colonisé de concurrencer le colon : ils voulaient prendre sa place.

    Il a décrit le colonialisme comme une violence nue et a déclaré que la réponse à cela était une plus grande violence – la violence avait une sorte de valeur thérapeutique. Pour Fanon, en effet, la contre-violence du colonisé était rédemptrice. En fin de compte, la violence a créé la reconnaissance de l’ancien esclave en tant qu’être humain, et cela est né de la peur du maître.

    Ce n’était pas un appel insensé à l’abattage, mais plutôt une refonte de la dialectique maître-esclave, l’ancien esclave cherchant à être reconnu par la résistance armée. C’était un approfondissement et une complication de la deuxième étape de Sartre dans Black Orpheus .

    Sartre en a été influencé et l’a synthétisé par une formulation provocatrice dans sa préface aux Misérables de la Terre , où il a dit qu’abattre un Européen faisait d’une pierre deux coups : faire d’une pierre deux coups : faire disparaître à la fois un oppresseur et un opprimé. Ce qui restait était un homme mort et un homme libre. Le survivant, pour la première fois, sentit un sol national sous ses pieds.

    Bien sûr, les gens ont violemment critiqué Sartre pour cela. Je pense que la controverse s’articule autour d’une distinction entre la force et la violence : dans cette compréhension, la force est quelque chose que l’État a le droit d’utiliser, tandis que la violence est par définition illégale et laissée à la classe inférieure ou aux colonisés.

    En fin de compte, Sartre a été profondément influencé par Fanon et a cessé de parler d’universalisme et l’a critiqué à la place. Il s’est retiré de l’accent mis sur l’universalisme et s’est concentré sur la lutte identitaire liée à ce système colonial. Ce fut un grand échange d’influence entre les deux, tout en luttant pour un universalisme subversif, plutôt que l’universalisme du colonialisme et de l’État français.

    DF- Qu’ont dit Sartre et Les Temps modernes de la guerre américaine au Vietnam telle qu’elle s’est progressivement intensifiée au cours des années 1960 ?

    OG- Le Temps modernes est devenu, comme pour l’Algérie, un espace où les intellectuels écrivaient contre la guerre du Vietnam et lançaient des idées comme le Tribunal Russell, un lieu où d’anciens soldats américains pouvaient témoigner des horreurs de la guerre. Des dirigeants et des militants qui ont suivi Ho Chi Minh y ont également publié des articles. Le Temps modernes a poursuivi cette mission courageuse d’être le lieu de contestation intellectuelle de la guerre du Vietnam comme aucun autre espace de la presse française.

    Pour Sartre, il y a eu un durcissement de sa position. À l’époque de la résolution sur le golfe du Tonkin au Congrès américain, Sartre était censé se rendre à une conférence à Cornell et parler de son livre sur Gustave Flaubert. Mais Sartre a alors déclaré qu’il n’y avait plus aucune possibilité de dialogue et a refusé d’aller aux États-Unis. Il a annulé la conférence prévue juste au moment où les États-Unis intensifiaient leurs bombardements sur le Vietnam. Ce fut un moment crucial, et il a généré une énorme polémique.

    Puis, en 1965, dans une série intitulée « Un plaidoyer pour les intellectuels », Sartre a défini le rôle d’un intellectuel comme quelqu’un qui n’était pas seulement un spécialiste dans son propre domaine mais qui était prêt à risquer sa position de spécialiste et à aller dans d’autres domaines, prendre position sur des questions politiques qui ne correspondaient pas au statu quo. Il défiait ce qu’il appelait les intellectuels organiques, des intellectuels qui étaient là pour défendre les intérêts de leur classe sociale. Il a qualifié ces spécialistes de « faux intellectuels ». Le romancier Paul Nizan les appelait « les chiens de garde du système ».

    L’exemple que Sartre a donné était l’intellectuel pacifiste incarné par Albert Camus . Il l’a paraphrasé en disant : « Nos méthodes coloniales ne sont pas ce qu’elles devraient être, il y a trop d’inégalités dans nos territoires d’outre-mer, mais je suis contre toute violence ». C’était, pour Sartre, une approbation de la violence ultime, la violence infligée aux colonisés par leurs gouvernants — exploitation, chômage, malnutrition.

    Pour Sartre, un véritable intellectuel était quelqu’un qui n’était ni moraliste ni idéaliste, et qui allait prendre position sur l’attaque américaine contre le Vietnam. Cela, pour lui, était le test décisif. C’était la définition de Sartre d’un intellectuel :

    Il sait que la seule véritable paix au Vietnam coûtera du sang et des larmes. Il sait que cela commence par le retrait des troupes américaines et la fin des bombardements, donc par la défaite des USA. En d’autres termes, la nature de ses contradictions l’oblige à s’engager et à s’impliquer dans tous les conflits de notre temps, car ils sont tous — conflits de classe, de nationalisme ou de race — des conséquences particulières de l’oppression des défavorisés par les dominants. classe.

    À ce moment-là, pour Sartre, tout d’un coup, la guerre du Vietnam était tout. C’était le combat ultime. Le Tribunal Russell a été organisé pour répondre à la question de savoir si les États-Unis étaient engagés dans une activité génocidaire au Vietnam – une question posée par Lord Bertrand Russell. Il devait se tenir à Paris, mais Charles de Gaulle, le légitimant paradoxalement, a dit qu’on ne pouvait pas avoir ce tribunal en France. Ce n’était pas valable, a-t-il insisté, car la justice est inséparable de l’État. Ils l’avaient en Suède et au Danemark à la place.

    Il y avait toutes sortes de témoins – des Vietnamiens, des soldats américains et des officiels. Cela a pris environ un an. L’accusation de génocide était basée sur la définition des Nations Unies de 1948, qui nécessite essentiellement une preuve d’intention uniquement. C’était une accusation large, avec une norme inférieure à celle de prouver qu’un génocide avait eu lieu. Bien sûr, beaucoup d’allégations de massacres se sont avérées plus tard vraies, avec des cas comme My Lai, où des villages entiers ont été massacrés par des soldats américains, ainsi que les attentats à la bombe autorisés par des politiciens américains comme Henry Kissinger .

    Le verdict de Sartre est sorti sous la forme d’un livre intitulé Sur le génocide . Ce fut aussi un énorme scandale. Son résumé de clôture était crucial. Il a déclaré: «Nous devons faire preuve de solidarité avec le peuple vietnamien parce que son combat est le nôtre, parce que c’est le combat contre l’hégémonie américaine – le Vietnam se bat pour nous – le groupe que les États-Unis veulent intimider et terroriser par le biais de la nation vietnamienne est la race humaine dans son ensemble.

    DF- Les Temps modernes ont publié un numéro spécial célèbre et célèbre après la guerre des Six jours entre Israël et les États arabes en 1967. Quelle était la signification de cela pour le débat sur Israël en France et à l’extérieur également ?

    OG- Pour répondre à cette question, nous devons revenir un peu en arrière sur l’influence de l’occupation allemande de la France et de l’Holocauste sur le développement intellectuel de Sartre. Son premier grand texte sur une forme de racisme est Antisémite et Juif , paru en 1946. Sartre a toujours vu en Israël un lieu de refuge pour le peuple juif, qui avait été opprimé, attaqué et tué à une si grande échelle. , même après le soutien israélien à l’invasion de l’Égypte par la Grande-Bretagne et la France en 1956, qu’il a condamnée. Parallèlement, il s’est engagé dans la lutte contre le colonialisme dans le monde arabe, non seulement en Algérie mais aussi au Maroc et en Tunisie.

    À un moment donné au milieu des années 1960, Sartre a déclaré dans une interview pour un journal égyptien qu’il était déchiré entre des amitiés opposées. Ce sentiment d’être complètement déchiré a été en partie l’impulsion pour créer ce numéro du Temps modernes – environ mille pages. Il a été largement divisé en deux parties, avec des intellectuels israéliens et des intellectuels arabes qui ont discuté de la question de la Palestine et d’Israël. L’idée était d’essayer de favoriser le dialogue entre Arabes et Israéliens.

    Pour se préparer à l’émission, Sartre fait le tour de la région. En Egypte, il rencontre Gamal Abdel Nasser. Il est allé au Liban, en Syrie et en Israël. Il est allé dans des camps de réfugiés palestiniens. Ce fut pour lui une période très difficile en Israël : il refusa de rencontrer des militaires ou des partis politiques de droite, mais il rencontra la presse et la gauche israélienne.

    En fin de compte, la position de Sartre était de soutenir l’existence de l’État d’Israël, mais il voulait aussi un État légitime et une souveraineté pour la Palestine. Cela a enragé les deux côtés et l’a mis dans une position très difficile, même au sein de son propre groupe d’amis. Claude Lanzmann, qui était très proche de Simone de Beauvoir et qui publia alors ses travaux dans Le Temps modernes , partit au milieu du voyage, tant il était furieux des critiques de Sartre contre Israël.

    L’ironie était que ce numéro est sorti juste après la guerre des Six jours en 1967, bien que tout ce qu’il contenait ait été écrit auparavant. Dans son éditorial, intitulé « Pour la vérité », Sartre ne prend pas vraiment position dans un sens ou dans l’autre. Une pétition est sortie en France, juste avant la guerre, dans laquelle des intellectuels français de gauche disaient qu’ils ne voulaient pas assimiler Israël à l’impérialisme américain et qu’ils pensaient toujours qu’Israël devait avoir le droit d’exister. Sartre a signé cette pétition, puis, peu de temps après, la guerre a éclaté.

    Rien de ce que Sartre a fait n’était une approbation de la guerre sous quelque forme que ce soit, mais cela a créé un énorme choc. Le prestige de Sartre dans le monde arabe était sur une énorme trajectoire descendante, peut-être à l’exception des pays du Maghreb – certainement l’Algérie. Il y avait aussi une fracture dans la gauche française. À ce jour, Sartre est toujours attaqué par certains segments de la gauche pour ne pas avoir suffisamment soutenu la Palestine.

    Cependant, je pense que si nous regardons ce que Sartre a écrit et dit, il était pour l’existence d’Israël, mais il n’a jamais reculé sur sa croyance dans les droits des Palestiniens. Cette question est importante car elle nous aide à clarifier le dossier. Sartre était déchiré — il voulait être en faveur des deux côtés ; il voulait une solution à deux États.

    DF – Quel est l’état du discours public en France sur son histoire coloniale ? Où pensez-vous que Sartre et son héritage se situent dans ce débat ?

    OG- Je pense que la façon de commencer cette discussion est de regarder ce que Sartre a dit juste après la guerre d’indépendance en Algérie, qui s’est terminée par une victoire douce-amère :

    Il faut dire que la joie n’a pas sa place. Depuis sept ans, la France est un chien enragé traînant chaque jour une casserole attachée à sa queue, devenant un peu plus terrifié par son propre vacarme. Aujourd’hui, personne n’ignore que nous, la France, avons ruiné, affamé et massacré une nation de pauvres gens pour la mettre à genoux. Ils restent debout, mais à quel prix ? Pendant que les délégations mettaient fin aux affaires de guerre, 2 400 000 Algériens restaient dans les camps de la mort lente. Nous en avons tué plus d’un million. Après sept ans, l’Algérie doit repartir de zéro ; il faut d’abord gagner la paix, et ensuite s’accrocher avec le plus grand mal à la misère que nous avons créée. Ce sera notre cadeau d’adieu.

    Cette citation peut être interprétée comme un appel au règlement des comptes et à la mémoire de l’état des choses. Bien sûr, c’est exactement le contraire de ce qui s’est passé en France après la guerre. Le paysage politique actuel de l’histoire coloniale de la France est un mélange de déni et de manipulation. La guerre d’indépendance algérienne n’a été officiellement considérée comme une guerre qu’en 1999. En 2005, le Parlement français a adopté une loi pour dire que le colonialisme était dans l’ensemble bénéfique au peuple colonisé. Le président de droite de l’époque, Jacques Chirac, a pris un décret pour abroger cette loi.

    En octobre 1961, il y a eu une manifestation contre le couvre-feu des Algériens dans les rues de Paris. Ils sont massacrés par la police : des centaines de corps sont jetés dans la Seine. C’était complètement absent de l’histoire de France. Les livres à ce sujet ne sont apparus que dans les années 80 et 90. Il y a eu deux grands romans, Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx et La Seine était rouge de Leïla Sebbar , en 1983. En 2012, il y a eu une commémoration par François Hollande où il n’a pas pointé du doigt la police comme coupables, et, plus récemment, celle d’Emmanuel Macron en octobre dernier, à l’occasion du cinquantième anniversaire, qui ne s’excusait pas spécifiquement pour les crimes de l’État français.

    Nous sommes dans un endroit très étrange. Macron a récemment eu une querelle publique avec le gouvernement algérien parce qu’il a invité des descendants de colons colonialistes et leurs alliés indigènes au palais de l’Élysée. Au cours de cette réunion, il a essentiellement dit qu’il n’y avait pas de nation algérienne avant que la France n’envahisse l’Algérie en 1830. C’était un sujet de discussion colonialiste d’extrême droite et une tentative de voler la base de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour.

    Aujourd’hui, la France est encore objectivement une puissance impériale. Son contrôle des anciennes colonies en Afrique est plus subtil qu’avant la décolonisation, mais pas de beaucoup. Ces anciennes colonies ont leurs ports et leurs infrastructures majoritairement détenus par des entreprises françaises, bien que la Chine se profile également à l’arrière-plan. Fondamentalement, la monnaie de la plupart des anciennes colonies françaises est contrôlée par la Banque de France : c’est le franc CFA , indexé sur l’euro.

    C’est une situation qui perdure, dénoncée par Sartre lui-même, mais que la quasi-totalité de la classe intellectuelle française ferme aujourd’hui les yeux. Afin de maintenir cet état de déni qui permet la poursuite de l’exploitation des anciennes colonies françaises, il est nécessaire de vilipender le plus grand opposant intellectuel au colonialisme et au néocolonialisme français, qui est ce qu’était Sartre.

    Dans les grands champs politiques et culturels de la France d’aujourd’hui, il y a une forte réticence à accepter le passé colonial et un refus obstiné de condamner le néocolonialisme. Dans ce contexte idéologique, Sartre ne peut pas être largement célébré pour ses écrits politiques ou philosophiques dans la France du XXIe siècle. Il ne peut pas être complètement ignoré – vous pouvez avoir des livres sur sa vie, sa biographie – mais les tentatives infaillibles de Sartre pour relier race et colonialisme rendent impossible de le revendiquer tout en renonçant simultanément à un engagement en faveur d’un changement social radical.

    La quasi-totalité de la classe intellectuelle française et les politiciens du Parti socialiste français ont renoncé de cette façon depuis 1968. Aujourd’hui, nous avons encore ces chiens de garde du système, qui sont attachés à l’ordre néolibéral et doivent donc rejeter Jean-Paul Sartre .

    A PROPOS DE L’AUTEUR
    Oliver Gloag est professeur agrégé d’études françaises et francophones à l’Université de Caroline du Nord, Asheville. Il est l’auteur de Albert Camus: A Very Short Introduction (Oxford University Press, 2020).

    À PROPOS DE L’INTERVIEWEUR
    Daniel Finn est l’éditeur de fonctionnalités chez Jacobin . Il est l’auteur de One Man’s Terrorist: A Political History of the IRA .Jacobin, 24/04/2022

    #France #Colonialisme #Jean_paul_sartre #Crimes #empire #Algérie #Vietnam

  • Les crimes du colonialisme Français ne sauraient tomber dans l’oubli

    Les crimes du colonialisme Français ne sauraient tomber dans l’oubli

    Les crimes du colonialisme Français ne sauraient tomber dans l’oubli – France, Algérie, mémoire,

    Le Président Abdelmadjid Tebboune a qualifié d’ »odieux » les crimes du colonialisme français et rappelé les demandes de l’Algérie relative à la mémoire.

    Nous « célébrons le 60e anniversaire d’une journée nationale historique consacrée par les sacrifices du peuple algérien et de nos innombrables valeureux martyrs en tant que symbole de la victoire et de la libération du joug colonial abject », a écrit le chef de l’état dans un message, publié vendredi 18 mars, à l’occasion de la célébration de la fête de la Victoire le 19 mars, soixante ans après les Accords d’Evian. « L’annonce du cessez-le-feu après les négociations d’Evian, fut une victoire et avait sonné le glas de l’injustice et de la barbarie de l’agresseur bercé par l’illusion de déformer notre identité et d’effacer notre civilisation, notre culture et notre patrimoine mais c’était sans compter sur la volonté d’un peuple libre et déterminé à rester libre et authentique », at- il ajouté. Le 19 mars 1962 est pour le Président Tebboune une journée mémorable qui fut un prélude de la victoire, avec la proclamation du recouvrement de la souveraineté nationale le 5 Juillet 1962.

    Le colonialisme : « une destruction d’une grande ampleur » « Le peuple algérien y a puisé force et détermination pour affronter l’impact et les effets d’une destruction d’une grande ampleur, une destruction massive violente qui témoigne des crimes odieux du colonialisme et qui ne sauraient tomber dans l’oubli ni s’éteindre par la prescription », a noté le chef de l’état. Le chef de l’état a affirmé que la nécessité d’un traitement responsable, intègre et impartial du dossier de la mémoire et de l’Histoire, « dans un climat de franchise et de confiance, est incontournable ».

    A cet égard, je « souligne encore une fois que cette question demeurera au centre de nos préoccupations… nous poursuivrons sans relâche et sans compromis le parachèvement de nos démarches, en insistant sur le droit de notre pays à récupérer les archives, à connaître le sort des disparus durant la glorieuse guerre de Libération et à indemniser les victimes des essais nucléaires et autres questions liées à ce dossier… par fidélité au message de nos valeureux chouhada », a écrit Tebboune. « Préserver la position du pays dans un contexte mondial marqué par des perturbations » Ces dossiers sont en suspens depuis plusieurs années malgré la mise en place de « groupes de travail mixtes ».

    Fidèles au « legs historique de leurs prédécesseurs, les Algériennes et Algériens ont jeté des bases solides sur lesquelles repose aujourd’hui l’état-nation indépendant qui a résisté et triomphé grâce à la Révolution de novembre, face aux épreuves et aux souffrances », a souligné le chef de l’état. Et d’ajouter : « Conscient des mutations profondes sur les plans régional et international, l’état oeuvre en toute sécurité, à préserver la place et la position de l’Algérie dans un contexte mondial marqué par des perturbations et des bouleversements et dans un monde qui ne sera plus régi à l’avenir par les mêmes règles qui ont commandé, des décennies durant, les relations internationales, ni par les mêmes équilibres politiques et économiques mondiaux.

    Alors que nous vivons aujourd’hui, en cette conjoncture particulière et complexe, à l’instar des pays du monde, des mutations décisives sur les plans régional et international, nous tenons à affirmer que notre aspiration à bâtir une Algérie prospère nous impose de réhabiliter la valeur de l’effort et du travail, de veiller au renforcement de notre sécurité nationale dans toutes ses dimensions face à tout imprévu ou urgence, de veiller à l’unité de nos rangs, de conjuguer nos efforts et de renforcer le sens du devoir national, et d’assumer pleinement no responsabilités, dans les différents secteurs et à tous les niveaux, envers notre nation et notre patrie », a conclu le président de la République.

    Par : LAKHDARI BRAHIM

    Le Midi Libre, 20/03/2022

    #Algérie #France #Mémoire #Colonialisme

  • Lyautey, toujours vénéré au Maroc

    Lyautey, toujours vénéré au Maroc

    Lyautey, toujours vénéré au Maroc – Protectorat, Makhzen, Hubert Lyautey, Colonialisme, monarchie alaouite,

    Lyautey, c’est surprenant pour un colonisateur, est toujours vénéré au Maroc. Un grand immeuble d’habitation du centre de Casablanca porta longtemps son nom, il y eut une rue Lyautey derrière la Grande Poste, et sa statue, édifiée dans les jardins du Consulat général de France, est en plein centre-ville, entre la préfecture et le Palais de Justice !

    PROTECTORAT AU MAROC UNE POLITIQUE COLONIALE
    En 1912, la France signe avec l’Empire chérifien le traité de Fès qui établit son protectorat au Maroc, régime qui promeut une politique coloniale particulière tout en permettant à ce pays de vivre selon ses traditions. Une conception que le général Lyautey incarne jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale.
    Le 30 mars 1912 est une date clé de l’histoire du Maroc. Pour la première fois, ce vieil empire dont l’État fut fondé au VIIIe siècle après J.C par la dynastie Idrisside, cède les attributs essentiels de sa souveraineté à une puissance étrangère, la France, qui ne partage ni sa religion, ni ses mœurs. Salué comme une victoire à Paris, cet événement est ressenti comme une humiliation par beaucoup de Marocains qui y voient une forme intolérable d’ingérence. Il faudra tout l’intelligence politique et le tact du général Hubert Lyautey, nommé résident général du Maroc en avril 1912, pour restaurer, non sans soubresaut, ni conflits un climat d’amitié entre la France et le Maroc, qui malgré les aléas et les violences de la décolonisation, perdure encore aujourd’hui. Historiquement, il est incontestable que cette relation de confiance a été facilitée par le caractère original d’un protectorat qui, s’il institue une situation coloniale de fait, en évite les aspects les plus brutaux en permettant à la monarchie marocaine de maintenir sa personnalité. Comme le stipule l’article 1re du traité signé entre le gouvernement français et le sultan du Maroc Maoulay Abdel Hafid : Le gouverneur de la République française et sa Majesté le Sultan sont d’accord pour instituer au Maroc un nouveau régime comportant des réformes administratives, judiciaires, scolaires, économiques, financières et militaires que le Gouvernement Français jugera utile d’introduire sur le territoire marocain.

    Mais l’article précise aussitôt : Ce régime sauvegardera la situation religieuse, le respect et le prestige traditionnel du Sultan, l’exercice de la religion musulmane. L’article II stipule que sa majesté le Sultan admet dès maintenant que le Gouvernement Français procède après avoir prévenu le Maghzen (l’administration marocaine), aux occupations militaires du territoire marocain qu’il jugerait nécessaires au maintien de l’ordre et de la sécurité des transactions commerciales et ce qu’il exerce toute action de police sur terre et dans les eaux marocaines. En outre, et c’est ici que la notion de protectorat prend son sens, l’article III affirme Le Gouvernement de la République prend l’engagement de prêter un constant appui à sa majesté Chérifienne contre tout danger qui menacerait sa personne ou son trône ou qui compromettrait la tranquillité de ses États. En réalité ce protectorat, qui perdure jusqu’en 1956, est l’aboutissement d’une longue évolution qui va faire de ce pays un enjeu entre des puissances européennes qui considèrent leur expansion en Afrique comme légitime.

    L’Angleterre et l’Espagne, tout au long du XIXe siècle, mais aussi la France et l’Allemagne, vont exercer leur influence sur un Maroc tiraillé entre un désir d’ouverture, en particulier à travers les villes côtières ou le commerce avec l’Europe se développe, et à une aspiration à préserver son identité Berbère traditionnelle nourrie d’un islam rigoriste. La signature du protectorat avec la France intervient donc dans la durée. Depuis la conquête de l’Algérie, la France considère que l’Afrique du Nord est sa zone d’influence naturelle. Ainsi, n’hésite-t-elle pas à combattre l’émir Abdel Kader, qui fut le fer de lance de la rébellion contre la colonisation.

    C’est dans le cadre de cette pacification qui a aussi pour vocation de protéger l’Algérie des prétentions hégémoniques du Maroc que le général Bugeau écrase les troupes marocaines lors de la fameuse bataille de l’Isly en 1844. Initiée sous la monarchie de Juillet, la politique de la France au Maroc se poursuit et même s’intensifie sous la IIIe République, comme l’illustre la conférence de Madrid qui en 1880, voit l’Espagne, la France et l’Angleterre convenir de leurs prérogatives respectives dans cette région. Alors que l’Angleterre concentre ses ambitions sur l’Égypte, la France et l’Espagne, laquelle exerce sa souveraineté sur une partie du Nord marocain, affirment leur volonté de s’implanter dans un pays de plus en plus indépendant économiquement d’une Europe dont il a besoin pour des produits qui, tel le sucre et le café, sont devenus consommation courante. Au début du siècle dernier, le sultan Abdel Aziz voit son pouvoir se restreindre. Sa légitimité est contestée par les secteurs les plus traditionnels de la société marocaine qui le mettent en garde contre les dangers de la pénétration occidentale.

    C’est dans ce contexte tourmenté qu’intervient la célèbre crise de Tanger. Celle-ci éclate le 30 mars 1905 quand Guillaume II envoie sa flotte devant le port et traverse la ville à cheval pour se poser en défenseur de l’intégrité marocaine. Provoquant ainsi la réaction indignée d’une France désireuse d’instaurer son protectorat au Maroc, comme elle l’a fait en Tunisie, avec le traité de Bardo en 1881. Après une forte tension, où certains voient poindre la menace de guerre, la crise se conclut par le traité d’Algésiras, signé en août 1906, qui promeut les bases d’un protectorat français au Maroc. Il institue la surveillance, par la France et l’Espagne, de la sécurité urbaine des ports marocains, la création d’une banque d’État, dans laquelle les banques françaises détiennent un tiers des fonds, l’établissement à Tanger d’une commission nationale chargée notamment de la construction des nouveaux ports de Casablanca et de Safi qui vont être financés par des entreprises françaises. En 1908, écrit Michel Abitbol, orientaliste et auteur d’une Histoire du Maroc, qui fait référence, plus de 50% des échanges extérieurs du Maroc s’effectuaient déjà avec la France qui dépassait ainsi pour la première fois l’Angleterre et les autres puissances européennes commerçant avec le royaume chérifien. Approuvé le 18 juin 1906 par le sultan Abdel Aziz, l’acte d’Algésiras provoque l’émoi d’une population qui considère celui-ci comme indigne de porter le titre de Prince des Croyants!

    Il est accusé par les nationalistes de livrer son pays aux étrangers, Ironie de l’histoire, à la tête de ce courant se trouve son demi-frère Moulay Abdel Hafid qui quelques années plus tard signe le traité de protectorat avec la France! Peu de temps avant sa signature, l’Allemagne provoque un incident en envoyant devant le port d’Agadir, en juillet 1911, une canonnière pour exprimer son refus de se voir évincée des affaires marocaines. Après que la crise se soit résorbée et en compensation de son renoncement à exercer son influence sur le Maroc, l’Allemagne obtient un accroissement de son domaine colonial au Congo. Si la France a la voie libre au Maroc, elle n’a pas la partie facile. Quelques jours après la signature du protectorat entérinant la domination française sur le Maroc, des émeutes éclatent, notamment à l’encontre des communautés juives, accusées d’être favorables à la tutelle française. C’est dans un pays en ébullition que Lyautey va devoir gouverner. S’il n’hésite pas à réprimer les fauteurs de troubles il se met à l’écoute des autorités traditionnelles à commencer par celle du Sultan Moulay Youssef qui comprend que le catholique fervent qu’est Lyautey n’est pas un ennemi de l’islam. « J’ai écarté soigneusement de lui toutes les promiscuités européennes, les automobiles et les dîners en campagne », affirme celui-ci. « Je l’ai entouré de vieux marocains rituels. Son tempérament de bon musulman et d’honnête homme a fait le reste, il a restauré la grande prière du vendredi, il a célébré les fêtes de l’Aïd Seghir avec une pompe et un respect des traditions inconnus depuis Moulay Hassan ».

    Tout à coup; il prend une figure de vrai sultan. Mais l’action de Lyautey, résident jusqu’en 1925, n’est pas que symbolique. Elle s’accompagne d’une œuvre considérable, aussi bien sur le plan économique et social que sur celui des infrastructures et des communications, notamment ferroviaires. Mais aussi au niveau du développement de villes, comme Rabat ou Casablanca dont Lyautey met en valeur l’architecture originale. Le Résident général marque ainsi de son œuvre un pays qui, aujourd’hui encore, cultive sa mémoire, comme le montrent les statues et effigies qui lui sont consacrées.

    #Maroc #Hubert_Lyautey #Protectorat #Monarchie_Alaouite

  • Jacques Julliard et l’Algérie: L’aveuglement devant l’histoire

    Jacques Julliard et l’Algérie: L’aveuglement devant l’histoire

    Jacques Julliard et l’Algérie: L’aveuglement devant l’histoire – France, colonialisme, Mémoire,

    Depuis les années 1960 et le désaveu cinglant du pouvoir en Algérie par Simone de Beauvoir, c’était après le renversement d’Ahmed Ben Bella par le colonel Boumediene, plusieurs intellectuels français, qui ont soutenu l’insurrection anticoloniale, sont revenus dans des autocritiques, parfois pathétiques, sur leur engagement en faveur d’une Algérie libérée de l’aliénation coloniale française. C’était, ces dernières semaines, celle de Jacques Julliard, écrivain, professeur d’Université et éditorialiste du magazine parisien « Marianne », de Natacha Polony et du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, qui n’a absolument aucune parenté avec celui de Jean-François Kahn – même s’il a conservé les mêmes habillages et personnels.

    Jacques Julliard s’émeut-il de voir son pays rejeté partout dans le monde, principalement par ses alliés, notamment américains qui lui tondent la laine sur le dos dans un contrat militaire pharamineux avec l’Australie. Et, aussi, l’Allemagne qui « fait bande à part ». L’éditorialiste peut même piquer un fard : « La France entretient à l’heure actuelle des relations détestables avec d’autres pays, au premier chef l’Algérie, mais aussi la Turquie, le Mali, l’Afghanistan » (1). Il s’en prend, spécialement, à l’Algérie après le conflit mémoriel provoqué par le président Macron (2) et reproche à son pays de faire des « génuflexions » devant le pouvoir algérien, qu’il traite en ces termes : « Dans le cas de l’Algérie, la naïveté et la maladresse d’Emmanuel Macron, dépourvu de toute expérience en la matière, y sont pour beaucoup. Comment imaginer un gentleman’s agreement avec un gouvernement corrompu, incompétent, qui ne se maintient que par la force militaire, comme l’ont démontré les révoltes populaires du Hirak. » (3). Et, le coup de grâce, cette tardive contrition : « Je suis de ceux qui ont combattu de toutes leurs forces le colonialisme français et la sale guerre d’Algérie quand il le fallait, mais nos prosternations répétées, non suivies d’effets, devant des potentats aussi cyniques, aussi méprisables, ne sont pas un acte de justice, mais une absurde humiliation volontaire. » (4).

    La France et la carte de l’islamisme

    Il n’est jamais tard pour battre sa coulpe pour de bonnes raisons. Mais Jacques Julliard en a-t-il sur l’Algérie indépendante ? Il reste dans le sillage d’un de ses maîtres d’antan, le socialiste François Mitterrand, président de la France, de 1981 à 1995, qui a appuyé dans les années 1990 la terrible guerre islamiste contre l’État algérien, son pouvoir et son peuple. C’est ce président, connu pour son infamie pendant la guerre d’Algérie (« L’Algérie, c’est la France »), qui a ouvert le territoire de la France, son droit d’asile et ses centres d’accueil aux islamistes. À Paris, sous la protection de la France, Mourad Dhina, membre de l’instance de commandement du FIS à l’étranger et porte-parole des groupes islamistes, égrenait quotidiennement devant la presse internationale la litanie des morts infligées au peuple algérien. En ces années 1990, chaque jour d’Algérie correspondait à dix « Bataclan », car, partout dans le monde, les victimes innocentes de la barbarie islamiste méritent le même respect et la même foi, particulièrement en Algérie et en France. Des civils, hommes et femmes de toutes conditions, ont été tués et des nourrissons jetés dans des fours à chaux par les groupes islamistes armés. Et, à l’ombre des mihrabs, des tribunaux islamistes collationnaient des listes d’Algériens dont le sang était licité. En France, le pouvoir politique, qui était scrupuleusement informé de la réalité du terrain et de ses victimes civiles, les élites et les médias ont fait le choix de l’islamisme contre le peuple algérien – convient-il de le rappeler ? Nos morts leurs étaient indifférents.

    Parmi ceux qui criaient le plus fort, Jacques Julliard et une presse française sans honneur. Ils ont monté contre l’Armée nationale populaire (ANP), l’ultime recours de l’Algérie et des Algériens contre les tueries islamistes et l’anéantissement de leur pays, l’accusation odieuse du « Qui-tue-qui ? ». Dans cette guerre, la France a joué la carte de l’islamisme pour châtier un gouvernement républicain, de surcroît indépendant des partis. Cette crapulerie politique, à l’enseigne du socialisme, restera.

    Les Français n’ont jamais surmonté le traumatisme de la guerre et de l’indépendance de l’Algérie et, surtout, le morne ressentiment envers ses pouvoirs issus du FLN, qui a conduit le combat pour la libération du pays. Relativement à l’Algérie, en près de soixante années d’indépendance, la France, dans toutes ses nuances politiques, persiste dans la même et immuable hypocrisie. Ses responsables politiques, dans les gouvernements et dans les partis, maintiennent coûte que coûte le contact avec les gouvernants algériens pour préserver les intérêts économiques et commerciaux de leur pays, mais ses élites peuvent leur « taper » dessus à l’envi. Une distribution de rôles scélérate.

    Dans ce sordide arrangement, Julliard tient sa partition. Mais, sur le fond, qu’en sait-il de l’histoire présente de l’Algérie ? Est-il un indiscutable spécialiste de ce pays, comme il l’est du champ politique français ? Il reprend, certes, l’image dysphorique de l’Algérie et de ses régimes politiques, largement répandue dans les médias et dans l’intelligentsia de son pays. Mais la France est-elle le comptable ad vitam aeternam du destin de son ancienne colonie ?

    En 2021, comme sous le règne de François Mitterrand, rien n’aura donc changé pour la France concernant l’Algérie : un soutien sans limite à toute opposition déclarée. Dans tous les domaines. Ainsi, dans le champ culturel, lorsque l’Académie française attribue contre ses propres principes, en 2015, son grand Prix du roman à un fatras islamophobe de Boualem Sansal, écrit d’une plume de tâcheron, très vite entré dans l’oubli (5). Mais le sinistre individu, porte-parole du sionisme international, dépiautait l’Algérie sur tous les plateaux de radios et de télés de France. Cette manière de casser l’Algérie et les Algériens reste l’ordinaire des médias français. Une passion triste.

    Jacques Julliard peut se réclamer du hirak et de ses « révoltes populaires », qu’il ne connaît pas. Simplement, parce que ce hirak est contre le gouvernement d’Alger : l’ennemi de mon ennemi… Vieille ritournelle. Faisons de la pédagogie pour ce professeur d’histoire politique sans discernement. Aux mois de février et de mars 2019, des manifestations de rue, vite dénommées « hirak » sur le modèle de celles qui ont enflammé le Rif marocain, ont précipité la chute du président Abdelaziz Bouteflika, démissionnaire le 2 avril 2019, et de son clan corrompu, régnant sans partage sur le pays pendant vingt ans (1999-2019). Mais, il est difficile, aujourd’hui, pour un historien de reconnaître et de décrire les raisons de la chute d’un pouvoir d’airain, soutenu par plusieurs puissances mondiales, entre autres la France et les États-Unis.

    Au-delà des marches, aux attentes souvent débridées, quels ont été les acteurs de la confrontation, ouverte dès l’installation d’un pouvoir intérimaire chargé, selon les dispositions constitutionnelles, d’officialiser l’élection présidentielle, confiée à un organisme indépendant ? Si la Russie et la Chine se sont cantonnées dans une position d’observateurs neutres, les États-Unis d’Amérique avaient déjà leurs pions dans la partie feutrée qui s’annonçait. C’est un de leurs conférenciers, coutumier des arcanes de la NED (National Endownent for Democracy), ordonnatrice de la « démocratisation » du Grand Moyen Orient, le Français Lahouari Addi, qui imposera, en l’absence de toute délibération des marcheurs, une feuille de route du hirak : une présidence collégiale de l’Algérie, dévolue aux avocats Mustapha Bouchachi, Zoubida Assoul, présidente de l’UCP, un parti agréé, et de l’activiste Karim Tabbou, agents de l’agit-prop formés et financés par la NED (6). Cette présidence collégiale devait coopter une Assemblée constituante et nommer un gouvernement. Il s’agissait, alors, de refuser toute voie démocratique et de privilégier le coup de force. Le pouvoir chancelant d’Alger n’avait d’autre ressource que de remettre les clés de la Mouradia, siège de la présidence de la République, au triumvir désigné par les Américains. Cette solution était fermement soutenue par les bobos algérois, clients de la France et de ses « services » à Alger.

    Dans quelle mesure, cet objectif de rupture radicale engagé par des acteurs politiques structurés dans une opposition clairement fomentée par « la main de l’étranger » pouvait-il recueillir l’adhésion des marcheurs, notamment dans les villes et villages de l’intérieur, traditionnellement attachés au pouvoir central ? De fait, leurs slogans en appelaient à l’ANP, incontournable gardien de la sécurité du territoire et, surtout, de la cohésion nationale. Le « khawa-khawa », nettement doctrinal, confortant le lien entre le peuple et son armée, entonné par des centaines de milliers de marcheurs, de Tlemcen à Souk-Ahras, d’Alger à Tamanrasset, marquait un tournant dans le hirak algérien. Le haut-commandement de l’ANP, mettant au premier plan le général Ahmed Gaïd Salah, chef de l’État major, vice-ministre de la Défense, n’excédait pas les recommandations de la Constitution en vigueur, précisément un retour aux urnes. Son premier effet, le plus perceptible dans les marches du vendredi, était une notable dispersion des marcheurs. Les familles algériennes qui leurs ont imprimé leurs couleurs d’espoir ont choisi leur camp. Il est vrai, aussi, que les Algériens ne marcheront jamais contre leur armée, avec laquelle ils ont partagé dans l’effroyable adversité islamiste des années 1990 les épreuves et la solidarité. Le hirak originel du 22 février 2019, dévoyé, perdait la légitimité populaire.

    Les amis algériens de Jacques Julliard

    Le 12 décembre 2019, l’élection dans une compétition régulière et légale de M. Abdelmadjid Tebboune, sixième président de la République algérienne démocratique et populaire depuis l’indépendance, en 1962, devait marquer la fin du hirak. Mais dans un néo-hirak, qui va tirer ses cartouches à la veille de l’élection présidentielle, qu’il appelle à boycotter, un nouveau groupe s’impose, celui des islamistes emmenés par Rachad, succédant au FIS-dissous avec les mêmes cadres et les mêmes desperados harnachés de tenues afghanes et d’épées, recevant ses ordres de sa direction domiciliée à Londres et Genève, où l’ancien porte-parole des groupes islamistes armés, Mourad Dhina, reprend du service. Ce néo-hirak, qui prétendait rassembler plus de « trente millions d’Algériens », a refusé les élections présidentielles de juillet 2019, annulée faute de candidats, et de décembre 2019. Lorsqu’on dispose de « trente millions » de marcheurs en âge de voter, on peut contrôler de bout en bout une élection et faire approuver son programme politique par un plébiscite populaire. La « démocratie » du néo-hirak reste celle du gourdin des nervis islamistes, qui recherchent le passage en force : faire tomber le régime – « un cadavre à la renverse », exultaient les bobos d’Alger – sans passer par les urnes. Et, c’est encore le deal aujourd’hui.

    Les marcheurs égaillés du néo-hirak où se distinguaient déjà les islamistes de Rachad, en chefs de file, les agents de la NED et leurs partisans, les bobos dineurs à l’ambassade de France, les communistes du MDS et les trotskystes du PST, partis agréés, font la jonction avec le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK), une ligue séparatiste, soutenue par la France, Israël et le Maroc, qui prône la lutte armée pour la dislocation du territoire algérien et la fin de l’État républicain. Plus que jamais, le néo-hirak, c’est la partition de l’Algérie : une part pour une funambulesque oumma de l’Islam sous la férule du calife Erdogan, l’autre, la Kabylie, en protectorat franco-israélien. La France et ses médias applaudissent. Cependant, M. Tebboune et son gouvernement ne devaient-ils pas faire face à ce mouvement insurrectionnel ? Avec fermeté. Mais, aucun marcheur n’a été ni tué ni estropié, comme en Colombie, au Myanmar et en France. Certes, relevait-on, ici et là, quelques arrestations dans la stricte application de lois civiles.

    La stratégie rouée de Rachad et du MAK met face au pouvoir les forces supplétives des agents américains, des bobos d’Alger et des gauchistes du MDS et du PST. A-t-on jamais entendu parler d’un islamiste de Rachad arrêté et déféré dans la justice ? Ou d’un activiste du MAK ? Dans le pays, durement frappé par la pandémie du coronavirus, où les manifestations de rue sont réglementées, ce sont les néo-hirakistes des grandes cités qui occupent la scène judiciaire dans une rébellion urbaine aux provocations calculées. Des exemples typiques ? Khaled Drareni, correspondant (sans carte) de TV5-Monde, de l’ONG française « Reporters sans frontières » (RSF), fondateur du site d’informations en ligne « Casbah Tribune », chouchou des médias français, a été accusé d’« attroupement non armé » et d’« atteinte à l’unité nationale », condamné à une peine de prison puis gracié par le président de la République. Après chaque marche, il aurait été débriefé par les « services » français, dans les locaux de l’ambassade de France à Alger. C’est du boulot ! À Oran, un trotskyste réputé de l’Université, membre de la Ligue algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH), agitateur doué, a été arrêté et jugé une demi-douzaine de fois. Un journaliste, à Annaba, élisait domicile dans les prétoires. Et, des dizaines d’activistes sortis du néant. Pendant que les bobos et les « gauchos » harcelaient les forces de police, Rachad ramassait de l’argent dans l’arrière-pays et le MAK des armes de guerre.

    Ces trublions citadins se sont comptés, ces derniers jours, à l’occasion du soixante-treizième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de l’ONU et de la Journée mondiale des Droits de l’Homme, le 10 décembre 2021. Ils étaient exactement, d’après un recensement de la presse, cent-cinquante signataires d’une pétition contre l’État algérien adressé aux Nations unies. Il y a même parmi eux de nombreux Français d’origine algérienne, singulièrement une élue du Parti socialiste, qui n’ont aucun lien avec l’Algérie, qui n’est plus leur pays. Que peut un gouvernement contre ces francs-tireurs des beaux quartiers de la capitale et des leurs commanditaires, visibles ou masqués ?

    Derrière les « révoltes populaires » qu’évoque Jacques Julliard, dont l’écho s’est depuis bien longtemps dissipé, il ne reste qu’un mouvement terroriste soutenu par les bobos d’Alger, bien-nés, et leur presse, qui savent faire du bruit à Alger et à Paris. Ces factotums de l’islamisme et du séparatisme kabyle peuvent faire feu de tout bois pour hâter la chute du régime. Ainsi cette veillée d’armes d’opposants au pouvoir d’Alger, vers la mi-octobre 2021, dans l’amphithéâtre de l’Assemblée nationale française, sous la direction de Mme Marie-George Buffet, député du Parti communiste français. Comme au temps de Charles X et de l’expédition contre Alger (7), Mme Buffet a promis à ses convives de lever les chars français, et derrière eux ceux de l’OTAN, contre le pouvoir d’Alger (8). Des bobos d’Alger se voient déjà entrant dans la capitale algérienne sur les chars de l’Occident, qui ont détruit la Libye, pour offrir le pouvoir aux islamistes de Rachad et aux séparatistes du MAK. Il se répète, à Alger, qu’ils ne sont dans le néo-hirak que pour chauffer les tambours de l’islamisme de Rachad. Un de leurs maîtres à penser, un professeur de sociologie de l’Université d’Alger, n’a-t-il pas délivré à l’islamisme de Rachad l’onction démocratique dans les colonnes d’un quotidien francophone d’Alger ?

    Passons, donc. Ce qui est détestable dans la prose de Jacques Julliard, c’est cette arrogance affichée envers les Algériens et leur gouvernement : « un gouvernement corrompu, incompétent, qui ne se maintient que par la force militaire », « des potentats aussi cyniques, aussi méprisables ». Une exécution nocturne en rase campagne. Une morgue foncièrement néo-colonialiste. Un racisme scrofuleux. Une haine suintante. Jacques Julliard se dresse devant l’Algérie avec son casque colonial, ses guêtres et sa cravache. Comme dans les cruelles années 1990, la France de Jacques Julliard soutient ouvertement les ennemis de l’Algérie sans s’embarrasser de ses contradictions. Contre l’islamisme, à Paris, tueur, en 2015, à « Charlie Hebdo », à l’« Hyper Casher », sur les terrasses des restaurants et des brasseries et au « Bataclan », en 2016, à Nice, qui continue à décapiter des Français ; avec l’islamisme à Alger et ses 200000 victimes de la « décennie noire ».

    Lectures à courte vue

    Ce n’est pas la seule fois, ces dernières semaines, où Jacques Julliard s’est exprimé véhémentement sur le pouvoir d’Alger, colligeant un corpus malveillant, emprunté à la terminologie de son opposition islamiste et séparatiste kabyle, nourrie, logée et blanchie par le pouvoir de Paris. Que reproche-t-il aux hauts responsables de l’État algérien ? Que l’on en juge : « […] les raisons du caractère détestable des relations franco-algériennes actuelles sont plus profondes : la vérité est que le gouvernement militaro-autoritaire qui règne sur l’Algérie, par son absence de représentativité, est incapable d’entraîner son pays et ses habitants dans un processus sincère de réconciliation avec l’ancienne puissance coloniale » (9). Reprenons donc les griefs de l’éditorialiste parisien :

    – Un « gouvernement militaro-autoritaire ». Sur quelles données formellement établies, Jacques Julliard fonde-t-il un gouvernement militaire de l’Algérie ? L’Armée nationale populaire, éloignée de la politique politicienne, est une institution républicaine dont les missions ne déparent pas de celles des armées des grandes démocraties mondiales. Cette vaillante armée du peuple, il serait difficile de lui coller une carte de parti, quel qu’il soit, autre que celle de l’Algérie. Le chef de cette armée, comme dans toute démocratie, est un civil, en l’espèce M. Abdelmadjid Tebboune, président de la République, ministre de la défense et chef suprême des forces armées.

    Jacques Julliard a décidé de mettre un militaire derrière chaque Algérien et derrière chaque élu algérien, quelle qu’en soit l’appartenance politique et la charte idéologique. Mais la France, toute proche, de l’Appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle et de l’État de Vichy du maréchal Pétain, n’était-elle pas foncièrement dans une compétition de chefs militaires ? Ne convient-il pas de rappeler à l’insulteur des Algériens et de leur gouvernement que le fondateur de la Ve République française, le général Charles de Gaulle, ne manquait pas de proclamer sa filiation militaire et de revêtir solennellement l’habit en plusieurs circonstances de la vie politique de son pays ? Et, récemment, ce sont des militaires qui ont censuré l’action politique du président Macron dans une sévère pétition publiée par le magazine « Valeurs actuelles ». Dans la France de ce début de XXIe siècle, c’est aussi un militaire, le général de Villiers, qui est pressenti par les Français pour sortir leur pays du déclin. Rien de tel en Algérie, les militaires ne font pas de politique.

    – Une « absence de représentativité ». En termes de représentativité réelle, en dehors des alliances du second tour propres au système électoral français, un président de la République française, rassemble au mieux un quart des électeurs au premier tour. C’était le cas en 2017 pour M. Macron, et, aussi, dans les prévisions actuelles du président-candidat en 2022. En 2019, M. Tebboune, élu au premier tour, réunissait les deux tiers des électeurs participant au vote. Quand à la désaffection des électeurs, elle est du même niveau en Algérie et en France.

    En quoi l’éditorialiste infatué de « Marianne » peut-il donner des leçons à l’Algérie ? La France est-elle plus démocratique et l’Algérie le serait moins ? Toutes les instances représentatives du pays sont élues, ainsi le président de la République, les députés, une partie des membres du Conseil de la Nation (équivalent du Sénat en France), les conseillers de wilaya (département), les conseillers municipaux et les maires.

    – Une « sincère réconciliation ». Il faut en parler. Et, revenir nécessairement à l’éclairage de déchirantes pages d’histoire coloniale française en Algérie. La France entre en Algérie, en 1830, sans y être invitée, procède à une longue et sanglante guerre de conquête (1830-1870), parsemée de génocides, comme dans les enfumades du Dahra dirigées, en 1845, par le lieutenant-colonel Pélissier (10). Pour maintenir la colonisation, elle procède distinctement à des massacres à Sétif, Guelma et Kherrata, en 1945, et tue des centaines de milliers d’Algériens dans une féroce guerre coloniale (1954-1962). La France a déstructuré le pays, son économie, son système de formation, déplacé des centaines de tribus dépossédées de leurs terres. La colonisation française n’a jamais été heureuse pour l’Algérie et les Algériens. Elle a été un facteur de retard et d’effondrement. C’est le Jeune Kateb Yacine qui pariait, en 1948, que l’Algérie sans la France aurait eu le potentiel socio-économique de l’Égypte (11). Ce passif douloureux devrait-il s’effacer par un trait de plume ?

    Quelle réconciliation est aujourd’hui envisageable entre Algériens et Français sur un passé qui divise toujours ? Faudrait-il encore que les Algériens mettent genou à terre devant leur ancien oppresseur pour un « processus sincère de réconciliation » en subissant, chaque jour, les imputations de « rente mémorielle » – des candidats Macron et Zemmour, unis dans leurs fariboles néocoloniales ? Les querelles mémorielles de ces derniers mois entre Paris et Alger ne montrent-elles pas qu’une telle projection reste hâtive ? Ce n’est pas seulement, comme le pense Julliard, une question de gouvernants. Les Français encensent l’exemplaire réconciliation franco-allemande. Or l’Algérie et l’Allemagne face à la France ne sont pas dans la semblable complexité historique. La rivalité de nations européennes chevronnées qu’entretenaient Français et Allemands ne s’inscrivait pas dans une trame coloniale – même si de part et d’autre des territoires étaient convoités. Il est encore tôt, trop tôt pour les Algériens, pour éveiller et rendre possible une réconciliation avec la France selon le protocole franco-allemand.

    Au-delà d’une indécidable « réconciliation sincère » attendue par la France, ce qui dérange désormais les Français, c’est un changement imprévu : l’Algérie possède un président de la République à l’écoute de son peuple, plus que de Paris comme cela était, à juste titre, rattaché à son prédécesseur. L’Algérie n’a pas rencontré ce profil de chef d’État, soucieux de la personnalité et de la dignité de son pays, depuis Houari Boumediene (1965-1978) et Liamine Zeroual (1996-1999) et c’est un très bon signe pour une nation qui affirme son autonomie régionale et internationale. M. Tebboune, parlant au nom des Algériens, a insisté sur le fait qu’Alger ne reprendra ses relations avec Paris, que d’égal à égal, dans un strict respect. Il a aussi insisté sur le fait que l’Algérie, offensée par les propos inconsidérés du président Macron sur son histoire, ne fera jamais le « premier pas ». Le message est sans fioriture et il semble qu’il a été entendu à Paris. Julliard s’inquiète-t-il des « génuflexions » et des « prosternations » des autorités françaises ? C’est ce que vient de faire, ces jours-ci à Alger après la bourrasque mémorielle, Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ? L’éditorialiste de « Marianne » ne se doute-t-il pas que les Algériens auraient pu attendre du haut-représentant de la France plus que des regrets ? L’aman, sûrement, ce vieux rite punitif de la France coloniale en Algérie.

    Dans les chromos de l’Algérie française, ce qui demeure d’une culture coloniale indigente, figurent des images sépia de populations indigènes, le front et les genoux dans le sol boueux, suppliant l’aman à un officier français au-devant de ses mousquetons et de ses canons. Il ne suffisait pas à la France coloniale inhumaine de pourchasser et de tuer les Algériens sans armes, il lui fallait aussi humilier leurs survivants dans cette cérémonie victorieuse de l’aman, le pardon. À Alger, M. Le Drian, autrefois grand mamamouchi socialiste, rapetassé dans une livrée macroniste, n’a pas été soumis à l’aman, il a même été reçu en audience par M. Tebboune, qui a été, en la grave circonstance, singulièrement aimable, qui n’a pas exhumé des reliques de l’histoire commune algéro-française ce sacré éventail du dey Hussein. Dans ce bref contentieux mémoriel avec la France, qui devra bien s’épuiser, rien n’est perdu : l’Algérie a gagné un président patriote et déterminé, qui a rendu aux Algériens leur fierté et leur grandeur de peuple libre dans un État souverain. Contre Jacques Julliard et ses lectures à courte vue, l’Histoire des Algériens en témoignera.

    * Linguiste, écrivain, critique et historien de la littérature

    Notes

    1. Jaques Julliard, « La France seule », « Marianne » (Paris), 12 au 18 novembre 2021.

    2. Réunissant au palais de l’Élysée des jeunes Français d’origine algérienne, le 15 octobre 2021, le président Macron a exprimé son profond scepticisme sur l’existence d’une nation algérienne avant la conquête française. Propos de précampagne électorale qui ont été à l’origine d’une brouille entre les deux pays. L’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris et interdit son espace aérien aux avions militaires français.

    3. « La France seule », art. cité.

    4. Id.

    5. Abdellali Merdaci, « L’indigne compromission de l’Académie française », Afrique-Asie.fr, 30 octobre 2015.

    6. Voir sur cet aspect, l’ouvrage d’Ahmed Bensaada, « Qui sont ces ténors autoproclamés du hirak ? », Alger, APIC Éditions, 2020.

    7. Voir Georges Fleury, « Comment l’Algérie devint française », Paris, Perrin, 2008.

    8. Ahmed Bensaada, « Algérie : les tribulations tartarinesques de Marie-George Buffet (https://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=586:2021-11-17-21-55-07&catid=46:qprintemps-arabeq&Itemid=119).

    9. Jacques Julliard, « De la repentance », « Marianne », 15 au 21 octobre 2021.

    10. Le 19 juin 1845, plus de 700 Algériens ont été asphyxiés dans les grottes du Dahra par les troupes du colonel Pélissier. Ce meurtre collectif a été salué à la Chambre des députés (Cf. François Maspero, « L’Honneur de Saint-Arnaud », Paris, Plon, 1993).

    11. Kateb Yacine, « Abdelkader et l’indépendance algérienne », Alger, En Nahda, 1948.

    Par Abdellali MERDACI

    L’Espoir libéré, 19/12/2021

    #Algérie #France #Histoire #Mémoire

  • Quel est le secret de la déclassification des archives de la révolution algérienne ?

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    La décision des autorités françaises de déclassifier les archives des « enquêtes judiciaires », qui ont eu lieu lors de la révolution de libération contre le colonialisme français, a soulevé plusieurs questions sur le contexte de cette décision, intervenue dans un contexte très sensible.
    La décision française intervient deux jours après la visite du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian en Algérie, après plus de deux mois d’une grave crise diplomatique entre les deux pays, sur fond de déclarations incalculables du Président français, Emmanuel Macron.
    Les observateurs ont lu la démarche française comme une « manœuvre » pour atteindre des objectifs non déclarés, et les milieux spécialisés ont lié cette décision à la course effrénée entre les candidats affiliés à la droite et à l’extrême droite, pour les élections présidentielles en France.
    L’historien algérien Mohamed Amine Belghith, spécialiste des relations historiques entre l’Algérie et la France, a confié à Echorouk ; « La décision française est considérée comme une manœuvre qui doit être traitée avec beaucoup de prudence, en raison de ses objectifs apparemment invisibles, mais en fait, elle est étroitement tissée pour atteindre des objectifs qui servent la France et ne servent pas l’intérêt national de l’Algérie ».
    La ministre française de la Culture, Roselyne Bachelot, a annoncé la décision du gouvernement français de déclassifier les archives des « enquêtes judiciaires ».
    « Je vous annonce l’ouverture des archives des enquêtes judiciaires de la gendarmerie et des forces de police sur la guerre d’Algérie 15 ans plus tôt », a déclaré Bachelot à BFMTV jeudi 9 décembre à propos de la révolution de libération historique et victorieuse de l’Algérie entre 1954 et 1962.
    Si la démarche française apparaît très audacieuse compte tenu du passé colonial criminel des pratiques de l’occupation française en Algérie, tant elle est considérée comme une fenêtre vers la dénonciation des crimes de l’armée coloniale, et « le début de la recherche de la vérité directement », selon le responsable français, cependant, il comporte néanmoins des risques, comme la déformation de certaines icônes révolutionnaires, notamment l’héroïque martyr, Larbi Ben M’hidi.
    Mohamed Amine Belghith a expliqué ; « D’abord, il faut souligner une chose, c’est que la dernière décision française porte sur une question, qui est le suivi judiciaire des patriotes, et cela est étudié par les juges français qui ont vécu cette étape. On suppose que l’ouverture des archives liées au suivi judiciaire des patriotes pendant la révolution algérienne se fera en l’an 2039. Et le dossier des Harkis en 2045… mais pourquoi les autorités françaises ont-elles annoncé l’ouverture des Harkis dossier avant les archives ?”.
    «Ce qui est sûr, c’est que les Français ne prendront aucune décision sauf selon des calculs, donc je pense que la dernière décision n’a d’autre but que de semer la confusion chez les Algériens. Vous savez que depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, deux générations n’ont pas participé à la révolution… », a ajouté l’historien, qui a passé cinq ans à étudier à l’Université française de la Sorbonne.
    L’historien bien connu pense que : « Les Français, par leur dernière décision, veulent gâcher le récit que nous avons à propos de certaines personnalités révolutionnaires qui dans la mémoire des Algériens sont proches du degré de sainteté. Le dossier de Larbi Ben M’hidi dans les archives françaises dépeint le martyr comme une personne pervertie, alors que l’homme était l’une des rares personnes à faire preuve d’intégrité et de constance. Il en va de même pour le combattant de la liberté, Abane Ramdane, qui est mal présenté même si son image est tout à fait opposée ».
    Belghith estime que les autorités françaises, à la lumière de la campagne électorale pour la présidence française, cherchent un moyen de mélanger les cartes des Algériens. J’ai étudié à la Sorbonne et je les connais bien. Ils sont meilleurs pour trier et organiser des fichiers… et ils manipulent des fichiers uniquement pour des raisons de guerre psychologique ».
    L’historien s’est demandé si la récente décision française libérerait les archives des procès du réseau Johnson et des procès de Koudia ; « il faut être prudent, et ensuite être prudent lors de la lecture des documents qui ont été révélés », excluant que la décision vise à permettre aux Algériens des archives de la révolution, sinon les chercheurs ne seraient pas privés de Visas leur permettant d’accéder au archives situées en France.
    Echourouk online, 11/12/2021
    #Algérie #France #Archives #Mémoire #Macron
  • 11 DÉCEMBRE 1960 : L’échec du projet néocolonial français

    11 DÉCEMBRE 1960 : L’échec du projet néocolonial français – Algérie, France, Colonialisme, guerre de libération,

    Les historiens et les observateurs s’accordent sur l’impact décisif des manifestations de décembre 1960 dans la marche du peuple algérien pour son Indépendance.

    En 1960, les manifestations du 10, 11 et 12 puis des journées de décembre qui suivirent ont été le coup d’accélérateur qui a rendu inéluctable l’Indépendance de l’Algérie.
    Durant ces jours d’un hiver particulièrement rigoureux, dans les quartiers « musulmans », la rue a été occupée majoritairement par des femmes, des enfants et des adolescents qui avaient, pour la plupart, dans leurs familles, un ou plusieurs membres ou proches, emprisonnés, ou au maquis, ou tombés au combat. C’est comme s’ils attendaient ce moment. Il était clair qu’en brandissant le drapeau vert et blanc, frappé de l’étoile et du croissant rouges -qui ornera, par la suite, toutes les manifestations pour l’indépendance, organisées en divers points du territoire- et en criant « Algérie musulmane » et « vive le FLN », les manifestants ne voulaient laisser planer aucun doute sur leur revendication – l’Indépendance totale- et leur rejet autant du mot d’ordre des ultracolonialistes, « Algérie française », que de celui, ambigu, de la troisième voie, « Algérie algérienne », suggéré par le général de Gaulle, alors président français. C’est d’ailleurs lui qui offrit cette occasion au peuple algérien par sa tournée en Algérie, espérant gagner les « musulmans » à son projet néocolonial caché derrière le slogan « Algérie algérienne ».

    Le 9 décembre, à Aïn Temouchent, première escale de la visite du général de Gaulle, les manifestants algériens lançaient leur slogan: « Algérie musulmane ». Le lendemain, 10 décembre, en fin d’après-midi, sous une pluie battante, des milliers de personnes, enfants et femmes pour la plupart, encadrés par des adultes, le drapeau de l’Algérie en main, occupent la rue de Lyon (rue Mohamed Belouizdad, aujourd’hui) qui traverse le quartier de Belcourt (aujourd’hui, Belouizdad).

    Le 11 décembre, au matin, à la Casbah, à Belouizdad et à El-Madania, ainsi qu’à Blida, Oran, Chlef, Annaba, Constantine et ailleurs, la foule est sortie, en défiant l’armée coloniale, pour exiger l’indépendance de l’Algérie. Les militaires français et les colons ont tiré sans hésiter visant la tête et la poitrine. Un véritable carnage. Mais l’irruption massive de la population algérienne, en grande partie pauvre, dans la lutte, venait de mettre en échec le plan néocolonial de l’Algérie algérienne imaginée par de Gaulle. Un projet mort-né. En même temps, les «ultras », partisans de l’Algérie française, qui se faisaient l’illusion d’une fraternisation autour du mot d’ordre d’Algérie française, ont été bien obligés d’admettre que les « musulmans », comme les nommaient les autorités françaises à l’époque, étaient déterminés à chasser le colonialisme.

    Un historien allemand qualifia les manifestations de décembre 1960 en Algérie de « Diên Biên Phû politique » pour la France impériale. Quelques jours après, le 14 décembre 1960, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait la fameuse résolution 1514 (XV), qui est la première Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. L’ONU reconnaissait, à tous les peuples coloniaux, le droit à l’autodétermination. Ce droit sera exercé par le peuple algérien en juillet 1962.

    C’était le début de la fin du système colonial dont il ne reste actuellement que deux cas: l’occupation coloniale en Palestine par l’entité sioniste et au Sahara occidental, par le Maroc. Les deux colonisateurs ont conclu dernièrement un accord de coopération militaire et sécuritaire dont le but est évident. La résolution 1514 de l’Assemblée générale de l’ONU, écrite grâce aux sacrifices des peuples, dont le peuple algérien, qui se sont soulevés contre le colonialisme, constitue un atout diplomatique entre les mains des peuples palestinien et sahraoui, en complément des autres formes de lutte qu’ils mettent en œuvre.

    M’hamed Rebah

    Le Courrier d’Algérie, 12/12/2021

    #Algérie #France #Colonisation #11déc1960

  • Le Drian, réussira-t-il à relancer la relation France-Algérie?

    Le Drian, réussira-t-il à relancer la relation France-Algérie?

    Le Drian, réussira-t-il à relancer la relation France-Algérie? Emmanuel Macron, mémoire, colonialisme,

    Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian est en visite mercredi à Alger afin de « relancer la relation franco-algérienne », extrêmement complexe et tendue depuis des mois. Il s’agit d’une « visite de travail, d’évaluation et de relance des relations », a précisé le Quai d’Orsay. Le voyage, tenu secret jusqu’au dernier moment, verra Jean-Yves Le Drian rencontrer son homologue algérien Ramtane Lamamra ainsi que le président algérien Abdelmadjid Tebboune, selon cette source.

    Cette visite intervient alors que les relations entre les deux pays sont au plus bas depuis des mois. Le président Emmanuel Macron a déclenché l’ire d’Alger en octobre en accusant, selon des déclarations rapportées par le quotidien français Le Monde, le système « politico-militaire » algérien de maintenir une « rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance et de la France, ancienne pouvoir, et alors que Paris s’est engagé dans des travaux pour tenter d’apaiser cette question mémorielle en France.

    LE NOMBRE DE VISAS SUR LA TABLE ?
    Selon le quotidien, il s’est également interrogé sur l’existence d’une « nation algérienne » avant la colonisation française, provoquant de vives réactions dans la société algérienne. L’Algérie a alors rappelé son ambassadeur à Paris et interdit le survol de son territoire aux avions militaires français ralliant le Sahel. Le président français a depuis fait part de ses « regrets » face à la polémique générée et s’est dit « fortement attaché au développement » de la relation bilatérale.

    Paris et Alger se sont également opposés après l’annonce par la France début octobre de la réduction du nombre de visas accordés à ses ressortissants, pour faire pression sur le gouvernement algérien, jugé peu coopératif sur la réadmission des Algériens expulsés de France. Alger a alors déploré une décision prise « sans concertation préalable », qui « comprend l’anomalie rédhibitoire d’avoir fait l’objet d’un battage médiatique », avant de convoquer l’ambassadeur de France en Algérie. Mi-novembre, Jean-Yves Le Drian a appelé à une relation « de confiance » et à un « partenariat ambitieux » avec l’Algérie, au-delà des « blessures » mémorielles qui peuvent « parfois » réapparaître. Mais rien ne dit que la question des visas ne sera pas mise sur la table.

    Paris-Beacon, 08/12/2021

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