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  • Lakhdar Brahimi: La France n’a pas perdu la guerre d’Algérie

    Lakhdar Brahimi: La France n’a pas perdu la guerre d’Algérie

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    Lakhdar Brahimi considère que la France n’a pas perdu la guerre d’Algérie.

    Il remet en cause les sacrifices de nos valeureux martyrs.

    « On devrait élever une statue au silence. » Thomas Carlyle avait bien raison. En effet, souvent, vaut mieux ne rien dire que de sombrer dans les stupidités.

    Lakhdar Brahimi, l’ancien diplomate aurait pu faire de même, si c’était pour remettre en cause, un combat de tout un peuple pour le recouvrement de son indépendance nationale.

    Dire dans un entretien à un média…français, Le Monde, que la France n’avait pas été défaite (militairement et politiquement) en Algérie, et «préférer » ainsi plier bagages après 130 longues années de colonialisme barbare, c’est tout simplement renier l’Histoire des siens, des nôtres.

    Lakhdar Brahimi ne connait-il pas vraiment l’Histoire de son pays ?

    Pour le diplomate « chevronné », qu’il est, la question ne se pose pas. Sauf que là, comme lui, comme beaucoup d’autres, c’est fait exprès d’occulter des vérités avérées et vérifiées, d’autant que les Français, eux mêmes reconnaissent le fait qu’ils n’ont pas été «suppliés» pour quitter l’Algérie. Ils ont été contraints à le faire. Au prix fort d’ailleurs.

    Dans ce cas, Lakhdar Brahimi se rendra sans nul doute, que même Charles Gaulle avait dévoilé, le 14 juin 1960, sa préférence explicite pour une «Algérie algérienne», puis le 4 novembre suivant, pour une «République algérienne».

    Après le référendum du 8 janvier 1961, où le oui à l’autodétermination l’emporte à 75,2%, il décide alors de reprendre contact avec le FLN, comme seul interlocuteur pour négocier l’avenir de l’Algérie.

    Quelle mouche a donc piqué Lakhdar Brahimi ? On ne le saura peut-être jamais. Ce qui est par contre sûr et même certain, c’est que l’ancien diplomate, ancien ministre des AE qui ne maîtrise aucunement le langage algérien, a été là pour les Algériens, mais pour blanchir l’image de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, avant que ce dernier ne soit emporté par la contestation populaire en avril 2019.

    « Abdelaziz Bouteflika jouit de toutes ses facultés mentales et intellectuelles », avait-il affirmé dans l’une de ses déclarations.

    Il sera chassé lui aussi par ce peuple dont il semble ne rien connaitre.

    Y.O

    Algérie Breve News, 05/09/2021

  • La trahison du Maroc confirmée par une lettre de l'Emir Abdelkader

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    Une lettre de l’émir Abdelkader le confirme : La trahison est innée chez la famille royale marocaine !
    Chacun de nous connaît sans doute la résistance héroïque et homérique du peuple algérien sous la direction éclairée de l’émir Abdelkader.
    Mais ce que l’opinion connaît sans doute beaucoup moins, c’est la trahison ; et le poignard dans le dos dont nos vaillants guerriers ont été victimes de la part du palais royal marocain. Celui-ci, dirigé en 1844 par le sultan Abderrahmane, avait conclu un accord avec la France coloniale et envahissante.
    Celui-ci, dénommé « traité de Tanger », qualifiait de «hors-la-loi« et de « bandit » l’ensemble des braves résistants algériens.
    L’émir Abdelkader, littéralement poignardé dans le dos, s’est retrouvé acculé par les forces envahissantes françaises d’un côté et l’armée traitresse marocaine de l’autre.
    Ce que voyant, l’émir Abdelkader, pour éviter un bain de sang, et épargner des vies, a préféré se rendre à la France, sous conditions précises, plutôt qu’au félons marocains.
    Dans une lettre adressée aux prestigieux ulémas égyptiens, il y déplore la trahison, la couardise, la servilité et la versatilité du régime alaouite.
    L’émir Abdelkader, dans une prosodie belle à couper le souffle, s’en prend vertement au sultan marocain. Il y écrit clairement que « Moulay Abderrahmane a pris fait et cause pour les mécréants envahisseurs, affaiblissant par là-même les troupes et les forces musulmanes, serviteurs du Tout Puissant créateur de l’univers. Historiquement parlant, la famille royale marocaine s’est donc rendue coupable dès cette époque d’ « apostasie » et de « trahison suprême », à l’égard de toute a « oumma musulmane ».
    Il ne s’agit rien moins que d’un acte inqualifiable, imprescriptible et impardonnable. Cette honteuse trahison poursuit jusqu’à ce jour la famille de Mohamed qui, au lieu de tenter de se racheter, n’a fait que s’enfoncer, au même titre que son défunt père Hassan II.
    Objectif face à l’adversité, et sachant sagesse garder, l’émir Abdelkader loue les mérites du peuple marocain, voisin et frère.
    Celui-ci, en effet, n’est absolument pas représenté par cette famille qui porte en son sein les germes de la trahison. Il est en effet honteux pour ce peuple d’être dirigé par des traitres, désormais amis et alliés officiels du lobby sioniste.
    L’histoire secrète et honteuse de cette famille usurpatrice vient prouver que la pratique de la trahison, ne fois acceptée, devient carrément une seconde nature chez ses adeptes.
    Félons de pères en fils…
    Là encore, des preuves abondant dans ce sens existent à profusion. Que l’on en juge. Mohamed VI, de même que ses aïeux, qui prétendent que leur lignée généalogique remonterait au prophète Mohamed (QSSL), ne sont en fait que des menteurs, des manipulateurs et de vulgaires usurpateurs.
    L’histoire, cette science exacte qui n’accorde jamais au vaincu le droit d’en réécrire les chapitres infâmes et infâmants, accable de la manière la plus imparable qui soit la famille régnante au royaume chérifien.
    Elle doit e effet sa richesse et son pouvoir au maréchal Hubert Lyautey, premier résident général du protectorat français au Maroc durant les guerres d’invasion coloniale. Loin d’être séculaires, ses racines ne remontent en effet qu’au siècle dernier. Autant dire qu’elles sont carrément usurpées.
    C’est ce maréchal qui a véritablement constitué ce royaume, tel que connu présentement en 1925. C’est, du reste, ce que nous avait déjà déclaré Mustapha Adib, l’ancien officier dissident des FAR (forces armées royales), actuellement réfugié à Washington.
    Plus grave encore, c’est l’élimination de Moulay Hafid, hostile à l’occupation française, au profit de Hassan 1er, qui a permis, en 1917 à peine l’érection de cette dynaste, et la confection du drapeau marocain.
    Hassan 1er, est-il besoin de le préciser ici, était ami et allié de l’occupant français. Et c’est également de la troupe dite « Garde Léo Morgan », qui a également composé l’hymne national marocain. Artificiel de par son essence et sa naissance même, ce royaume usurpateur et faux, doit donc son existence et sa survie à la France.
    Partant, l’on comprend dès lors beaucoup mieux pourquoi il porte en lui-même les germes de la trahison, du crime et de la perfidie.
    C’est la principale raison pour laquelle l’émir Abdelkader, trahi et poignardé dans son dos, a fini par déposer les armes, épargner la vie de ses hommes et de son peuple, et éviter un bain de sang. Il avait été trahi et poignardé dans son dos par Moulay Abderrahmane en 1844 suite à la conclusion du traité de Tanger.
    Considérant qu’il a été trahi par un proche, de surcroît musulman, l’Émir se rendit à la France sous des conditions bien précises, comme il le dit lui-même : « La lutte est finie, Dieu en a décidé ainsi. J’ai combattu pour ma religion et mon pays…Nous devons nous rendre à l’évidence.
    Que puis-je faire encore dans ce pays alors que la cause est perdue ?…Quand nos citoyens rejoignirent les chrétiens, je me suis mis du côté du sultan marocain parce que nous étions tous musulmans. La seule question qui reste à trancher est la suivante : «Faut-il se soumettre aux chrétiens ou au sultan du Maroc. Vous pourrez choisir ce qui vous paraît convenable. Quant à moi, mon choix est fait. J’ai décidé de négocier avec mon ennemi que j’ai combattu et à qui j’ai infligé bien des défaites, plutôt que de me soumettre à un musulman qui m’a trahi… ».
    La série de trahisons marocaines est loin de s’arrêter là puisque même le terrible débâcle des troupes arabes face à l’armée sioniste en 1967 durant la guerre des six jours n’a été rendu possible que parce-que Hassan II avait remis aux agents du Mossad les enregistrements des discussions tendues qui avaient eu lieu entre certains dirigeants arables avant le déclenchement de ce conflit armé.
    Et, comme si cela ne suffisait pas, force est de supposer que la famille Moulay « traficote» avec les juifs, et les sionistes aussi. Un sursaut salvateur du peuple marocain doit impérativement se produire. Il y va de son honneur et de sa dignité. Avis
    Mohamed Abdoun
    La Patrie News, 30/08/2021
  • « De notre Mémoire », un projet sur l’histoire de l’Algérie 1830-1962

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    Lancement du projet « De notre Mémoire » sur l’histoire de l’Algérie 1830-1962

    Le ministère des Moudjahidine et des Ayants-droit a annoncé, lundi, le lancement du projet « De notre Mémoire » en coordination avec le ministère de la Communication, dans l’objectif de faire connaître l’histoire de l’Algérie de 1830 à 1962.

    A l’occasion du double anniversaire de la journée du Moudjahid (20 août 1955 – 20 août 1956), le ministère a indiqué qu’il procédera à l’élaboration d’un dossier sur l’histoire de l’Algérie qui sera publié par la presse écrite au regard de son rôle central dans la communication des valeurs et des principes de la révolution du 1er Novembre et de la Mémoire nationale.

    Le ministère des Moudjahidine a affirmé qu’il œuvre à travers ce projet à « préserver la Mémoire nationale et à promouvoir le sens historique auprès du lecteur pour l’accoutumer à suivre la rubrique histoire dans la presse et les médias nationaux ».

    Le chef du cabinet du ministère des Moudjahidine, Fouad Benslimane a déclaré que ce projet sera lancé à l’occasion de la journée du Moudjahid, ajoutant qu’une conférence « importante » sera organisée mercredi prochain après approbation du Comité national chargé de la célébration des journées et des fêtes nationales pour permettre d’exposer le programme national dans les médias et de « transmettre notre histoire glorieuse à la génération montante ».

    Dans le cadre des démarches du ministère à préserver et à vulgariser la Mémoire nationale, la sous-directrice du patrimoine historique et culturel du ministère, Salima Thabet a, de son côté, mis en avant « le rôle majeur » des médias dans la diffusion des principes de la guerre de libération et la consécration des fondements de la personnalité nationale auprès des générations montantes.

    MH

    Le Réveil d’Algérie, 16/08/2021

  • Complots «historiques» au Sahara occidental – Etude historico-militaire

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    Par le colonel Salah Guerfi
    Les origines historiques du colonialisme espagnol remontent à la conférence de Berlin qui portait sur le partage du continent africain entre les puissances coloniales européennes. Après avoir posé pied en territoire sahraoui, l’Espagne allait tenter, dès 1934, d’imposer son protectorat sur ce territoire. Jusqu’à la deuxième Guerre mondiale, la domination coloniale du Sahara occidental se limitait aux Frontières de la bande littorale
    Face à cette occupation, les populations du Sahara occidental mènent plusieurs formes de résistances pour faire échec à de nombreux complots «historiques» par tous les moyens et méthodes légitimes et légaux auxquels ont recours les mouvements de libération à travers le monde. 
    L’occupation espagnole 
    Les grandes tribus du peuple sahraoui se sont soulevées contre l’occupant espagnol de manière intermittente mais ferme, à chaque fois que les conditions de résistance ont été propices. Les grandes révoltes (intifada) contre le colonialisme ibérique remontent, en fait, à 1957 avec l’offensive «d’Ifni», au cours de laquelle une force sahraouie avait pris d’assaut le poste colonial espagnol de la région. 
    Pour l’histoire, les grandes tribus et communautés sahraouies avaient également soutenu la Révolution algérienne. Cette solidarité révolutionnaire et les frappes des militants sahraouis menées contre le centre colonial hispanique de Bir Moghrein, en janvier 1958, sont les raisons qui ont amené les autorités coloniales françaises à lancer une opération militaire importante, le 8 février1958, soit au même moment où a eu lieu la terrible agression de Sakiet Sidi Youcef, aux Frontières algéro-tunisiennes. L’occupation française avait baptisé «Ecouvillon» l’opération déclenchée à partir de Tindouf, aux Frontières algériennes avec le Sahara occidental, et ce, en coordination avec les autorités coloniales espagnoles qui, pour leur part, ont lancé l’opération «Ouragan», à partir du triangle Laâyoune – Boujdour – Dakhla, régions littorales. Les forces royales marocaines ont également pris part à cette alliance militaire pour permettre à Madrid de conserver la colonie du Sahara occidental. L’échec de cette campagne militaire conjointe a suscité une réaction du colonisateur espagnol qui a promulgué un «décret» stipulant que Saguia El Hamra et Oued Ed Dahab étaient, à fortiori, une «province espagnole»! 
    Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies, entre 1965 et 1968, notamment celles relatives à l’indépendance des colonies, ont affirmé le droit du peuple sahraoui à s’exprimer librement et demandé aux autorités coloniales espagnoles de prendre les mesures politiques et sécuritaires nécessaires à même d’ouvrir la voie au processus leur permettant de «mettre fin à leur occupation du Sahara occidental et entamer des négociations sur la question de l’indépendance de ces territoires». Ces résolutions onusiennes soulignent que la question de l’indépendance du Sahara occidental s’inscrit dans le cadre des efforts visant à l’organisation d’un référendum permettant au peuple sahraoui de s’exprimer librement et en toute transparence sur son droit à l’autodétermination. Mais les autorités coloniales espagnoles ont ignoré toutes ces résolutions. 
    Le mépris par l’occupant du droit international et coutumier s’est confirmé une nouvelle fois. Les intentions et la cupidité de l’occupant s’étaient révélées au grand jour lorsque les autorités madrilènes ont décidé d’exploiter les richesses minières, notamment de Boukraâ, une région qui compte d’importantes réserves de phosphate dont la production rapporte des milliards de dollars. Face au mépris de l’occupation coloniale, les héros de la première génération de révolutionnaires, dignes fils du Sahara occidental, ont opté pour la résistance, afin de se libérer et d’arracher l’indépendance sous la bannière du Front de libération du Sahara (FLS), dont la création a été annoncée par les militants sahraouis, en 1968. 
    Le peuple sahraoui sera ainsi mobilisé, le 17 juin 1970, pour l’une des plus grandes manifestations organisées à Laâyoune, revendiquant des autorités coloniales espagnoles, leur droit légitime à l’indépendance. Cette manifestation pacifique sera réprimée et ses meneurs arrêtés, à leur tête Mohamed Sid Brahim Bassiri qui succombera à la torture. La grande intifada populaire de Zemla a permis de mobiliser le peuple sahraoui autour de sa juste cause et de faire entendre sa voix sur la scène internationale, notamment aux Nations unies qui ont exprimé, à travers les résolutions de l’Assemblée générale, adoptées entre 1969 et 1972, leur attachement à la légitimité de la lutte du peuple sahraoui, et prôné la solution à travers l’organisation d’un référendum au Sahara occidental. 
    L’Algérie œuvrait et continue d’œuvrer à apaiser le climat politique au Maghreb, à travers des démarches de rapprochement, à l’exemple de la signature, le 15 juin 1972, du traité de Rabat qui a valeur de reconnaissance officielle de l’invalidité des revendications marocaines sur certaines régions frontalières avec l’Algérie, la question a été définitivement résolue. La résistance sahraouie s’est trouvée renforcée avec l’avènement, le 10 mai 1973, du Front Polisario et de l’armée de libération du peuple Sahraoui qui ont engagé le combat sur le terrain contre les forces d’occupation espagnoles, à l’exemple de la bataille menée dans la région d’El Khanga, le 20 mai 1973, date de la déclaration de la lutte armée. Une résolution a été adoptée cette même année réaffirmant la pertinence des résolutions précédentes et définissant les responsabilités des Nations unies à l’égard de cette question, qu’elles considèrent avant tout comme une question de décolonisation. Le Maroc et la Mauritanie ont d’ailleurs voté ladite résolution, outre le fait que l’Espagne avait reconnu solennellement la juste cause du peuple sahraoui et son droit à l’autodétermination. 
    L’intifada populaire sahraouie et la reconnaissance onusienne du juste combat du peuple sahraoui ont poussé le gouvernement colonial espagnol, après avoir échoué dans sa tentative d’annexer les territoires occupés à l’Espagne, à lancer le projet «Eté 1974», dans le but de faire échouer la résistance sahraouie et désamorcer la révolution du peuple par le projet d’«autonomie interne» au Sahara occidental, avancé surtout pour contrecarrer le Front Polisario. Par la suite, les autorités coloniales espagnoles se sont engagées, devant les Nations unies, à organiser un référendum au plus tard au milieu de l’année 1975. Les autorités marocaines et mauritaniennes n’ont pas attendu l’année 1975 pour dévoiler leurs vraies intentions quant au partage des territoires du Sahara occidental. 
    En effet, le Maroc n’a pas hésité à employer les mots «fraude et fraudeur» dans des documents relatifs à une consultation déposée auprès de la Cour internationale de justice à propos de ses revendications sur le Sahara occidental. Ceci n’est guère surprenant, sachant que le royaume marocain avait déjà prétendu à un droit sur le territoire mauritanien et revendiqué certaines de ses parties, et n’a reconnu l’Etat mauritanien qu’en 1970. Dans les faits, le Maroc se préparait à envahir le Sahara occidental, vers la fin des années 1974, soit la veille de l’annonce par les autorités espagnoles de mettre fin à son occupation du Sahara occidental, le 14 novembre 1974. 
    Le complot pour le «partage» maroco-mauritanien 
    La campagne d’invasion par l’occupant marocain des territoires sahraouis a été lancée à compter du 31 octobre 1975 dont les troupes se sont infiltrées au sud, dans la région de Tifariti. Les unités marocaines ont engagé des batailles sanglantes à l’intérieur du triangle Haouz – Farsia – Jdriya, soutenues par les autorités coloniales espagnoles qui leur ont permis d’entrer dans la ville de Smara, au titre d’un accord bilatéral dans lequel la carte Ceuta et Melilla, les réserves de phosphate de Boukraâ et les ressources halieutiques avaient joué un rôle primordial, de sorte à servir les desseins et intérêts stratégiques impérialistes dans la région, représentés à l’époque par l’axe Rabat-Madrid-Paris. Ceci expliquerait que les autorités coloniales espagnoles aient annoncé leur volonté de se retirer du Sahara occidental, en novembre 1975, la veille de l’invasion effective du territoire sahraoui par le Maroc. 
    Le complot a vu sa mise en œuvre à travers «la marche verte», suivie, quelques jours plus tard, par l’accord de Madrid (14 novembre 1975), en vertu duquel il a été conclu que le Maroc et la Mauritanie se partageraient les territoires sahraouis. Ainsi, l’armée sahraouie se battait, simultanément, sur deux Fronts distincts, le 28 novembre 1975, l’élite révolutionnaire sahraouie a tenu sa réunion historique à Galtat Zemmour dans le but d’unifier les rangs. A partir de décembre 1975, le Front Polisario a entamé le combat contre l’occupant marocain au Nord comme il a pris d’assaut les postes de l’armée mauritanienne au sud, au moment où Nouakchott tentait de «mettre à genoux le Sahara occidental pour permettre à son allié, le Maroc, de l’achever». 
    Le Commandement révolutionnaire sahraoui annonce, le 27 février 1976, la création de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd), à Bir Lahlou, en couronnement de la grande victoire obtenue par les révolutionnaires la veille, avec la prise et la restitution de la ville d’Amgala. Le premier gouvernement sahraoui a été constitué sous le commandement de Mohamed Lamine Ahmed et le défunt Mohamed Abdelaziz, président du Conseil de la révolution sahraoui. Du 7 au 9 juin, l’armée sahraouie a déclenché d’importantes frappes. L’offensive audacieuse menée par El Ouali Mustapha Sayed fut, en effet, l’une des plus violentes et audacieuses opérations militaires. Elle a eu lieu à 2000 km des bases arrière sahraouies et défia, ainsi, sur son propre territoire, les troupes Mauritaniennes, menaçant la capitale Nouakchott, après avoir ciblé le bureau du président mauritanien, Mokhtar Ould Daddah. 
    Le bombardement aérien mené par l’envahisseur marocain a poussé la population locale des villes de Smara, Jdriya et Haouza à fuir vers les zones sud du Sahara. Pris de panique et de terreur, les Sahraouis, femmes, enfants et personnes âgées ont fui vers la région frontalière d’Oued Draa, près de Tindouf. Les opérations militaires de l’armée sahraouie ne se sont pas arrêtées avec le décès d’El Ouali Mustapha Sayed, tombé au champ d’honneur le 6 juin 1976, mais se sont plutôt intensifiées avec la grande offensive «El-Ouali Mustapha Sayed», déclenchée le 1er mai 1977 à Zouérat. 
    Les opérations d’usure menées inlassablement par le Front Polisario contre, simultanément, les forces marocaines et mauritaniennes, ont amené les deux pays «alliés» à signer l’accord de défense commun. Ceci outre les renforts militaires sollicités par les autorités marocaines auprès de la France, à partir d’octobre 1977. Cette demande de renfort servira de prétexte à la France pour faire son entrée dans le conflit du Sahara occidental, avec une armada exceptionnelle. La vision floue de la situation stratégique mauritanienne, ajoutée à l’usure du trésor public, ont fini par jeter le doute sur la capacité de l’armée mauritanienne à résister plus longtemps. Ces facteurs objectifs ainsi que l’isolement du régime mauritanien sur les plans régional et international ont conduit à une détérioration de la situation en Mauritanie couronnée, le 10 juillet 1978, par le renversement du président Moktar Ould Daddah, auquel a succédé le colonel Mustapha Ould Salek. 
    En réaction, le Front Polisario annonça une trêve unilatérale, exprimant ainsi sa bonne foi pour le rétablissement de la paix avec les nouvelles autorités en place en Mauritanie. Les groupes révolutionnaires sahraouis ont opté pour la guerre d’usure et œuvré à l’épuisement tactique de l’ennemi, comme en témoigne l’offensive «Houari-Boumediene», exécutée par des unités du Polisario en janvier 1979. L’opération a visé la zone minière de Boukraâ, la base logistique marocaine de Tan-Tan et le nord d’Ouarkziz, une région supposée hors d’atteinte, étant au cœur même du territoire marocain ! L’effort militaire mauritanien fut un échec en raison des opérations et fini par user l’armée mauritanienne qui a failli s’effondrer. 
    D’autre part, le commandement mauritanien n’a pas tardé à prendre conscience que la destitution du président Ould Daddah n’était pas, à elle seule, suffisante pour améliorer la situation en Mauritanie au bord d’une grave crise sociale, en raison de l’existence de forts liens tribaux entre la Mauritanie et le Sahara occidental, de Nouakchott à Laâyoune. Ces liens démontrent le poids des relations sociales et spirituelles et l’impact que le Polisario pouvait exercer sur la Mauritanie profonde et sur l’ensemble du pourtour politique de la région. Aussi, les autorités de Nouakchott ont préféré la paix en signant avec leurs homologues sahraouis «L’accord d’Alger pour la paix», le 5 août 1979, la veille de l’adoption, par l’Organisation des Nations unies, d’une des plus importantes résolutions qui reconnaissait le Front Polisario comme représentant légitime du peuple sahraoui. 
    Par ailleurs, le Front Polisario a pu contrôler les deux tiers des terres sahraouies. L’année 1979 a été un véritable désastre pour les forces marocaines : les forces sahraouies avaient pris le contrôle de la base marocaine de Lebouirate, le 24 août, lancé une offensive sur Smara et occupé la région de Mahbes, le 14 octobre 1979. Les offensives sahraouies se sont poursuivies à travers la grande offensive «Houari-Boumediene», qui a pris l’aspect d’une guerre de positions, menée dans les régions de Smara, Mahbes, Jdriya et Amgala et d’autres régions que la République sahraouie a pu libérer après avoir neutralisé des centaines de soldats marocains. 
    Les forces d’occupation marocaines ont été forcées de se retrancher à l’intérieur du triangle Hagounia – Smara – Boujdour, maintenant leur emprise sur les grandes villes sahraouies qu’elles ont isolées dans le but d’en faciliter le contrôle et de resserrer l’étau sur les citoyens à l’intérieur de ces villes, dans l’espoir de les couper de la Révolution. Pour ce faire, les autorités marocaines ont également fait construire des «murs de séparation», en terre ou en sable, servant d’obstacles et de lignes de défense pour les unités du Makhzen. Le commandement militaire marocain a cherché à lancer une opération d’envergure, sauf que les troupes engagées sont tombées dans une embuscade tendue par l’armée sahraouie. Pas moins de 200 militaires marocains ont été faits prisonniers et les détachements d’intervention rapide se sont retrouvés coincés aux sommets des montagnes Ouarkizaz et Oued Draâ, aux mois d’avril et mai de l’année 1980. 
    En parallèle, les efforts du commandement politique sahraoui ont porté leurs fruits. En décembre 1980, les autorités espagnoles ont fini par reconnaître le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. L’offensive surprise menée par l’armée sahraouie contre les positions et les postes de l’occupant ont été profitables, mettant en échec le plan de ratissage que les forces marocaines ont tenté d’exécuter, restées figées dans leurs positions et forcées de se retrancher derrière la première ligne de défense, en février 1981. L’isolement politique et diplomatique du royaume chérifien, notamment au sein de l’Organisation de l’Unité africaine, l’ont poussé, lors de la tenue du sommet de Naïrobi, en juin 1981, à accepter, en apparence, le référendum au Sahara occidental et le règlement pacifique de la question. Les offensives sahraouies ont ciblé plusieurs points forts du «mur de séparation», construit par l’occupant. Les unités du Polisario ont frappé avec force au cours du mois de juillet 1982 et les opérations ont connu également une nette recrudescence en 1983, à l’intérieur de «la ceinture de défense» entourant les villes de Laâyoune, Smara et Boukraâ. 
    Le complot du royaume marocain 
    Face à l’échec militaire cuisant des forces d’occupation au cœur du Sahara occidental, suivi de certains bouleversements qui ont secoué le palais royal, avec cette tentative de renversement conduite par le général Dlimi, la diplomatie du royaume a décidé d’opter, en matière de politique étrangère, pour la désinformation et la manipulation, dans une tentative de faire croire à l’opinion publique internationale que le fond du conflit résidait dans la rivalité entre le Maroc et l’Algérie, nourri par un prétendu litige frontalier et le problème du traçage des Frontières entre les deux pays ! Les manipulations politiques marocaines visaient à semer la discorde et la division entre les membres de l’Organisation de l’Unité africaine, notamment lors des rencontres de Nairobi et de Tripoli, et ce, jusqu’à la tenue, en juin 1983, du sommet d’Addis-Abeba où l’organisation panafricaine a clairement reconnu qu’il s’agissait d’un conflit opposant deux parties : le royaume chérifien et le peuple sahraoui. 
    Pour les membres de l’OUA, cette perception du problème devait conduire au règlement du conflit opposant le Maroc à la RASD. La diplomatie algérienne avait eu un grand mérite dans la clarification des faits à l’opinion publique continentale et internationale comme elle a œuvré, à travers certains contacts avec le royaume chérifien (notamment la rencontre au sommet entre le roi Hassan II et le président Chadli Bendjedid en février 1983), à unifier et à consolider la cohésion maghrébine, à écarter les causes de la discorde et de la division entre les frères. Notre pays a prouvé à maintes reprises qu’il était très loin de vouloir entrer en conflit avec ses voisins, que ce soit pour des raisons frontalières ou autres. 
    La reconnaissance internationale de la République arabe sahraouie démocratique (Rasd) s’est poursuivie et les démarches politiques africaines vont être couronnées par la Résolution de juin 1983 appelant le Polisario et le royaume marocain à s’asseoir à la table des négociations. Sur le terrain, les forces du Makhzen ont œuvré pour que «la deuxième ligne de défense» s’étende d’Amgala à Khribichet. Les travaux ont été achevés en février 1984, date à laquelle la Mauritanie a fini par reconnaître officiellement le Front Polisario. Puis «la Troisième ligne de défense», protégeant les villes stratégiques de Jdriya et Haouza, a été érigée à partir de mai 1984, à la veille de l’offensive du Polisario sur le port et les infrastructures minières de Laâyoune. Le royaume a tenté de mette fin à son isolement politique sur les plans régional, continental et international, à travers l’axe Rabat-Tripoli et le «traité d’union», signé à Oujda, en août 1984. 
    En réponse à ces actions provocatrices et démarches expansionnistes, y compris au nord-ouest du Sahara occidental, le Polisario a lancé une offensive historique, baptisée «L’offensive du Maghreb arabe», le 13 octobre 1984, qui durera plus de deux ans. Le commandement militaire marocain s’est alors attelé à construire «la quatrième ligne de défense», dans le but de resserrer l’étau sur les unités et les forces sahraouies et les obliger à reculer vers les Frontières algériennes et mauritaniennes. Ceci, la veille de la décision de l’Organisation de l’Unité africaine d’entériner l’adhésion de la République arabe sahraouie et de l’accueillir en tant que 51e membre, le 12 novembre 1984. Le royaume a alors entrepris la construction d’un autre mur, comme si les troupes marocaines étaient destinées principalement à déployer leur énergie à de pénibles missions de travaux publics ! L’année 1985 s’est achevée par la condamnation par les Nations unies de l’invasion marocaine du Sahara occidental. L’Assemblée générale des Nations unies a adopté le plan de paix soumis par l’OUA, qui a considéré que la question sahraouie était une lutte de libération s’inscrivant dans le cadre de la décolonisation du continent africain. Les offensives de l’armée sahraouie se sont poursuivies à l’exemple de l’attaque d’envergure menée en février 1987, qui coïncidait avec le 11e anniversaire de la création de la République arabe sahraoui démocratique. 
    Lors de cette offensive, l’armée du Polisario a réussi à détruire des points d’appui, occuper certaines de ces zones et neutraliser d’autres. La République arabe sahraouie démocratique continue de s’imposer sur les scènes et les tribunes internationales. En 1988, 71 Etats l’avaient reconnue. En août de la même année, les autorités marocaines ont été amenées à accepter le plan de paix UA-ONU portant instauration du cessez-lefeu et qui impose une période de transition, durant laquelle les territoires sahraouis devaient être placés sous le contrôle des Nations unies. Le Maroc a exprimé «sa volonté» de coopérer avec M. Pérez De Cuellar, alors secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, pour faire aboutir les démarches de l’organisation onusienne, en coordination avec l’Organisation de l’Unité africaine, et étudier les propositions pour entamer les pourparlers du cessez-le-feu et l’organisation du référendum. 
    Le défunt Mohamed Abdelaziz, secrétaire général du Front Polisario et président de la République arabe sahraouie démocratique, s’est exprimé sur la teneur des contacts établis entre le Front Polisario et le Maroc, lors de «la rencontre de Marrakech». Il en a expliqué le contenu et résumé les principaux objectifs attendus avec le Maroc. Rabat se trouvait devant deux options, soit des pourparlers sur les conditions du référendum, y compris le retrait de l’armée, l’administration marocaine et le statut des ressortissants marocains, soit des négociations portant sur le règlement lui-même, bien que les garanties de consultation électorale demeuraient la question axiale de ces rencontres et pourparlers. 
    Le Front Polisario a prouvé les bonnes intentions politiques et diplomatiques de la République sahraouie à travers son initiative unilatérale de libérer un premier groupe de prisonniers marocains de 200 personnes. Il a fait preuve également de volonté à négocier et à arriver à un règlement pacifique et juste de la question, en exhortant les autorités marocaines à avancer dans le processus de paix qui, effectivement, s’est achevé avec le cessez-le-feu annoncé par le général canadien Armand Roy, dans la ville de Laâyoune, le début du déploiement des Casques bleus et leur arrivée aux positions du Polisario à Bir Lahlou et Tifariti, dans le cadre d’une mission des Nations unies pour l’organisation du référendum au Sahara occidental (Minurso). 
    Les premières années de la décennie 1990 ont été marquées une nouvelle fois par les tergiversations du royaume marocain, qui s’ingénia à multiplier les obstacles et des différends sur l’identification et l’inscription des électeurs. Ces manœuvres ont fini par geler le référendum au Sahara occidental, un fait confirmé par l’ancien secrétaire général onusien, Boutros Ghali, qui a souligné dans son rapport soumis au Conseil de sécurité que ces difficultés étaient: «liées particulièrement au fait que les autorités marocaines s’opposaient à la participation d’observateurs de l’Organisation de l’Unité africaine dans l’opération d’identification du corps électoral sahraoui.» Le royaume marocain ne s’était pas contenté de cette arrogance mais il alla jusqu’à se lancer dans des campagnes étranges à l’encontre de l’Algérie, qui a toujours montré son attachement au principe du droit des peuples à l’autodétermination. Pis encore, il a imposé des visas aux Algériens désirant visiter le Maroc, un acte qui a conduit à la fermeture des Frontières entre les deux pays. Le Front Polisario a accompagné les différentes initiatives pacifiques, dans le respect des principes et des textes de la communauté internationale, et a défendu avec fermeté sa position concernant le référendum populaire d’autodétermination et l’avenir du peuple sahraoui, et ce, conformément au plan de règlement initié, au temps de Pérez De Cuellar, et devant aboutir en 1996 à l’autodétermination du Sahara occidental. Mais le Maroc a œuvré à faire échouer cette initiative, en poursuivant sa politique d’atermoiements, notamment au sujet de la question du recensement et de l’identification de la population sahraouie. 
    Les pourparlers directs entre le Maroc et le Front Polisario ont eu lieu à Houston (Texas), au cours du mois septembre 1997. Cependant, ils ont échoué, une nouvelle fois, à cause de l’entêtement de la partie marocaine. Le Front Polisario a réalisé une avancée vers le règlement pacifique de la question sahraouie, après la reprise des négociations, suspendues pendant plusieurs années. Toutefois, l’euphorie sera de courte durée, la démission inattendue de l’envoyé spécial des Nations unies, Kohler, aura paralysé l’initiative onusienne, renvoyant aux calendes grecques le règlement du conflit ainsi que la prorogation de la mission onusienne au Sahara occidental. Le Maroc a profité de la résistance pacifique du Sahara occidental pour sauvagement réprimer la résistance des Sahraouis à Assa, au sud du Maroc, en septembre 1992 et 1993, mais aussi en 1997, dans la région de Lamsid, dans les environs de Tan-Tan, jusqu’à l’insurrection de 1999 et d’autres formes de résistance pacifique, auxquelles l’occupant a répondu par le massacre, l’expulsion, les enlèvements, la torture, les déplacements… 
    La campagne expansionniste et d’occupation marocaine s’est achevée par la récente offensive de Guerguerat sur laquelle, ironie du sort, le commandement sahraoui n’a eu de cesse d’alerter la communauté internationale depuis 2015. L’invasion par le Maroc de la région de Guerguerat, située en dehors du mur de séparation, est une violation de l’accord militaire N° 01 entre la Minurso et les deux parties en conflit. Cet accord «fixe les attitudes et les procédures devant être respectées par les deux parties» dans le cadre de l’application des dispositions du cessez-lefeu, entrées officiellement en vigueur le 6 septembre 1991. L’accord militaire avait défini des restrictions à l’activité militaire à l’intérieur des régions et à l’ensemble des activités soumises à l’accord des autorités de la Minurso aux régions à restrictions définies, sauf que le Maroc n’a guère respecté ses engagements et a poursuivi ses actions expansionnistes aux frontières sahraouies afin de modifier le statu quo et réduire à néant les efforts pacifiques. Ce que le président de la RASD, Brahim Ghali, avait confirmé dans un courrier adressé, le 15 août, à M. Ban Ki-moon, alors secrétaire général de l’ONU, pour mettre un terme aux violations marocaines de l’accord par son invasion de la région de Guerguerat.
    El Djeïch n° 697, août 2021
  • Essais nucléaires: Macron reconnait «la dette» de la France à l’égard de la Polynésie

    Reconnaissant que ce dossier sensible affectait «la confiance» entre Papeete et Paris, le Président Macron a annoncé que les victimes de ces essais, dont certains souffrent de cancer, devaient être mieux indemnisées.

    Emmanuel Macron a affirmé le 27 juillet a Papeete que la France avait «une dette» a l’égard la Polynésie française pour avoir réalisé près de 200 essais nucléaires dans le Pacifique pendant 30 ans, jusqu’en 1996.

    «J’assume et je veux la vérité et la transparence avec vous», a affirmé le chef de l’Etat en s’adressant aux responsables polynésiens au dernier jour de sa première visite dans l’immense archipel.

    Reconnaissant que ce dossier sensible affectait «la confiance» entre Papeete et Paris, il a notamment annoncé que les victimes de ces essais, dont certains souffrent de cancer, devaient être mieux indemnisées.

    «La nation a une dette a l’égard de la Polynésie française. Cette dette est le fait d’avoir abrité ces essais, en particulier ceux entre 1966 et 1974, dont on ne peut absolument pas dire qu’ils étaient propres», a-t-il déclaré, applaudi par l’assistance.

    Après avoir mené 17 essais nucléaires au Sahara, la France avait transféré en 1966 son champ de tir en Polynésie française, sur les atolls de Mururoa et Fangataufa, où elle procéda en 30 ans a 193 nouveaux essais, d’abord atmosphériques, puis souterrains. Le dernier a eu lieu le 27 janvier 1996 après la décision du Président Jacques Chirac de reprendre les tirs malgré le moratoire décidé trois ans plus tôt par son prédécesseur, François Mitterrand.

    «Je veux vous dire clairement que les militaires qui les ont faits ne vous ont pas menti. Ils ont pris les mêmes risques», a estimé Emmanuel Macron.

    Mais, a-t-il ajouté, «je pense que c’est vrai qu’on n’aurait pas fait ces mêmes essais dans la Creuse ou en Bretagne. On l’a fait ici parce que c’était plus loin, parce que c’était perdu au milieu du Pacifique».

    Il a cependant déclaré «assumer pleinement» et défendu le choix fait par le général de Gaulle puis poursuivi par ses successeurs de doter la France de l’arme nucléaire, notamment pour protéger la Polynésie française.

    Dans son discours, le Président n’a pas prononcé le mot de «pardon» qui était réclamé par des associations de victimes ou le chef indépendantiste Oscar Temaru, a l’initiative d’une manifestation ayant réuni plusieurs milliers de personnes dans les rues de Papeete le 18 juillet. «Il n’y a aucune avancée dans ce discours, que de la démagogie (…) Les mensonges d’Etat continuent», a regretté le père Auguste Uebe-Carlson, président de l’association 193, sur la chaîne Polynésie 1ere

    Mais le président de la Polynésie, l’autonomiste Edouard Fritsch, s’est félicité qu’Emmanuel Macron veuille «enfin que la vérité soit mise sur la table» après «25 ans de silence».

    Emmanuel Macron décoré de nombreux colliers de fleurs et de coquillages a son arrivée sur l’atoll de Manihi en Polynésie française

    «Il y a plein de filles ici!»: un Polynésien taquine Macron, venu dans le Pacifique sans son épouse

    Sur la question sensible des indemnisations, Emmanuel Macron a annoncé une amélioration du traitement des dossiers alors que le nombre de personnes indemnisées pour avoir contracté des maladies radio-induites reste «particulièrement faible», selon le ministre des outre-mer Sébastien Lecornu.

    Echourouk online, 28/07/2021

    Etiquettes : France, Polynésie, essais nucléaires, colonisation,

  • France-Algérie: archives, sort des disparus, mémoire…

    France-Algérie: archives, sort des disparus, mémoire…

    Alors que les Algériens poussent la France à ouvrir ses archives coloniales, la famille d’un homme disparu depuis longtemps attend des réponses.

    ALGER – Au moment de son arrestation, Slimane Asselah n’a laissé derrière lui qu’une valise rectangulaire marron. À l’intérieur se trouvaient un costume à carreaux gris, deux brosses à cheveux, divers documents administratifs et une photo d’identité montrant son visage pensif.

    Pendant des décennies, ces quelques effets personnels ont offert aux enfants d’Asselah, Rachid et Samia, un rare aperçu de la vie de leur père. Les jumeaux avaient à peine deux ans en 1957 lorsque les troupes françaises ont capturé Asselah, alors âgé de 33 ans, dans le cabinet médical où il travaillait dans la casbah d’Alger. Il n’est jamais rentré chez lui.

    Dans les années qui ont suivi, sa famille a lancé un appel pour obtenir des informations sur son sort, mais en vain. Plus récemment, un historien a découvert en France une enquête vieille de plusieurs décennies sur son cas, mais elle n’a pas révélé son sort.

    Les Asselahs pensent que certaines réponses pourraient se trouver dans les archives conservées en France, et la semaine dernière, les législateurs français ont adopté une loi controversée qui, selon les responsables gouvernementaux, facilitera l’accès à certaines archives. Les familles de milliers d’Algériens qui ont disparu pendant la guerre d’indépendance espèrent que ce type de mouvement pourrait leur offrir une lueur d’espoir.

    Après que le gouvernement du président Emmanuel Macron a récemment pris des mesures pour reconnaître plus complètement les abus commis par la France pendant le conflit colonial, les Asselahs sont impatients d’en savoir plus sur l’affaire qui hante leur famille depuis des générations.

    « C’est ce que nous voulons savoir : Qu’ont-ils fait de son corps ? » Rachid a déclaré lors d’une récente interview dans la maison de sa famille dans la capitale algérienne. « L’ont-ils assassiné ? L’ont-ils jeté à la mer ? »

    Un responsable français a déclaré que le gouvernement a « mis en place des outils tels qu’un guide numérique sur les disparus, en français, anglais et arabe, pour faciliter les recherches des familles qui peuvent ensuite demander des copies de documents par une simple lettre écrite. »

    Mais certains historiens affirment que la nouvelle législation pourrait en fait resserrer l’accès à certains documents d’archives, dont certains liés à la guerre d’indépendance algérienne. « Nous ne gagnons pas de terrain ici », a déclaré Malika Rahal, une historienne basée en France qui co-dirige 1000autres.org, un projet qui a recueilli des informations sur les disparus d’Algérie, dont Asselah.

    Les chercheurs soulignent également que la navigation dans ces immenses archives est difficile, même pour les historiens professionnels, et que, malgré les espoirs de nombreuses familles, il est peu probable qu’elles contiennent des révélations majeures sur des cas spécifiques. Selon plusieurs experts, les fonctionnaires français n’ont probablement pas enregistré régulièrement des preuves d’événements tels que des exécutions extrajudiciaires, par exemple.

    Si de tels enregistrements existent quelque part, ils peuvent se trouver dans les notes privées d’anciens responsables militaires, et pas nécessairement dans des archives officielles – ce qui rend ces documents très difficiles à obtenir.

    Néanmoins, « on ne peut pas exclure le miracle » que quelque chose apparaisse dans les archives, a déclaré Rahal. L’alternance « entre l’espoir et le désespoir », dit-elle, « fait partie de la condition d’avoir une disparition forcée dans sa famille ».

    Reconnaissance officielle

    En mars, Macron a rencontré les petits-enfants d’Ali Boumendjel, éminent avocat et indépendantiste algérien, et a reconnu qu’il avait été « torturé puis tué » par les troupes françaises en 1957. Les autorités françaises ont longtemps prétendu qu’il s’était suicidé.

    La déclaration de Macron sur Boumendjel – associée à un récent rapport très médiatisé qu’il a commandé sur l’Algérie – a contribué à donner le sentiment que la France pourrait enfin être prête à affronter sa conduite dans la guerre d’Algérie.

    Mais beaucoup de ceux qui ont disparu pendant le conflit étaient beaucoup moins connus que Boumendjel et leurs cas moins célèbres, comme Asselah.

    Il est né en janvier 1924 dans un village situé à environ 85 miles d’Alger. Son père a vendu des terres appartenant à la famille pour payer son éducation, a dit Rachid, et Asselah a finalement déménagé à Alger, où il a obtenu un diplôme en médecine. Asselah a été l’élève du célèbre psychiatre et philosophe politique martiniquais Frantz Fanon, et ses recherches universitaires ont porté sur les rêves.

    En 1954, l’année où la guerre éclate, il épouse sa cousine Baya. Elle a donné naissance aux jumeaux l’année suivante.

    Alors que les révolutionnaires algériens s’éteignent, l’emblématique poseur de bombes du Milk Bar regarde en arrière sans regret.

    Asselah avait été politiquement actif dans les années d’avant-guerre et, une fois le conflit déclenché, il a commencé à soigner discrètement les membres blessés de la branche armée du mouvement indépendantiste, le Front de libération nationale (FLN), selon le récit de sa famille.

    Au début de 1957, alors qu’il transportait un militant du FLN blessé à l’arrière d’une voiture, selon sa famille, il a vu des gendarmes français installer un barrage devant lui. La voiture les a dépassés, mais les militaires français ont par la suite établi un lien entre lui et l’incident. Il est devenu l’un des nombreux Algériens arrêtés dans la capitale pendant la période brutale connue sous le nom de « bataille d’Alger ». Selon sa famille, il a été enregistré à un moment donné comme ayant été libéré, mais il n’est jamais réapparu.

    Un destin non résolu

    Le mystère entourant le sort de leur père a jeté une ombre sur l’éducation des jumeaux, ont-ils dit. Leur mère a connu des difficultés financières alors qu’elle vivait avec leur grand-père. Finalement, après qu’Asselah a été déclarée morte, elle s’est remariée. Mais elle n’a jamais pu tourner la page dans cette affaire.

    « Le problème, c’est que nous ne l’avons jamais enterré », a déclaré Rachid. « Nous n’avons pas pu faire le deuil de sa mort ».

    Des années après sa disparition, leur mère a croisé le chemin d’une infirmière qui avait travaillé dans le même cabinet médical que son mari. L’infirmière a inopinément rendu sa valise marron à la famille, expliquant qu’elle l’avait gardée après son arrestation.

    Lorsqu’ils l’ont ouverte, son odeur s’est répandue et ils ont trié ses affaires en pleurant. « C’est tout ce que nous avons gardé », a dit Rachid à propos des objets contenus dans la valise. « Il n’y avait rien d’autre. »

    Les deux enfants sont devenus médecins, « voulant suivre son chemin », dit Samia. Lorsque la femme de Rachid a finalement donné naissance à un fils, ils l’ont appelé Slimane, en l’honneur de son grand-père disparu.

    Bien que des décennies se soient écoulées depuis l’arrestation de leur père, les Asselahs, comme de nombreux Algériens dont les proches ont disparu pendant la guerre, restent troublés. Jusqu’à présent, Macron n’a reconnu la responsabilité française que pour les décès de Boumendjel et de Maurice Audin, un mathématicien et figure indépendantiste qui a été torturé et a disparu en 1957.

    Dans la perspective d’une élection nationale l’année prochaine en France, « Macron n’a aucun intérêt à aller très loin » dans le traitement de la conduite française en Algérie, a déclaré Fabrice Riceputi, l’historien qui co-dirige 1000autres.org avec Rahal et a découvert l’ancienne enquête sur le cas d’Asselah. Revenir sur les abus de l’époque coloniale reste très sensible en France et le sujet a déjà irrité les opposants politiques de Macron.

    Reconnaître la responsabilité de la mort de Boumendjel était « un bon pas dans la bonne direction, mais vraiment un tout petit pas », a déclaré Riceputi.

    Il a offert peu de satisfaction aux Algériens, qui considèrent largement le conflit comme « vécu collectivement », a déclaré Natalya Vince, qui enseigne les études nord-africaines et françaises à l’Université de Portsmouth en Angleterre. « Il y a des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont disparu et dont personne n’a plus jamais entendu parler », a-t-elle ajouté.

    Rachid a déclaré qu’il voulait que « tous les Algériens disparus … soient reconnus ».

    Dans sa famille, le sort non résolu de leur père signifie vivre avec un sentiment constant de malaise, a déclaré Rachid.

    « Nous sommes toujours en train d’attendre quelque chose. . . . Attendre une révélation, attendre la vérité », dit-il. « Ce qu’est devenu notre père. . . . Y a-t-il un endroit où il est enterré ? On ne le sait pas. Et c’est là le problème. »

    The Washington Post, 25/07/2021

    Etiquettes : Algérie, France, colonisation, archives coloniales, mémoire,

  • Frantz Fanon et la violence révolutionnaire

    Le président de Cuba a appelé le peuple à descendre dans la rue pour défendre la révolution. Les marionnettes de l’empire l’ont accusé d’encourager la violence, mais Fanon l’a défendu.

    Le 20 juillet 1925, dans la Martinique, alors colonie française, naissait Frantz Fanon, militant du tiers-monde et l’un des plus grands intellectuels du XXe siècle. Citoyen du monde, Fanon a vécu avec la plus grande intensité, combinant engagement intellectuel et militantisme politique comme peu d’autres, et a été un exemple unique de l’union du radicalisme théorique et de la praxis décolonisatrice.

    Dès son enfance et sa jeunesse dans les Caraïbes, il a vécu de près la double dimension du colonialisme – matérielle et subjective – et a été touché par des événements à l’échelle mondiale, comme la Seconde Guerre mondiale, qui ont aiguisé sa conscience des liens entre violence coloniale, racisme et exploitation économique.

    En 1942, lorsqu’il s’engage dans l’armée française et est envoyé au Maroc, Fanon commence son pèlerinage autour du monde. Après avoir participé à la campagne victorieuse d’Aimé Césaire pour la mairie de Fort-de-France, il s’installe à Lyon en 1947, où il entame des études de psychanalyse légale. À la suite de cette période, il publie en 1952 son premier grand classique, Peau noire, masques blancs, un ouvrage indispensable pour comprendre les effets subjectifs du colonialisme.

    Dans Peau noire, masques blancs, Fanon décrit comment l’entreprise coloniale crée une épidermisation du monde, dans laquelle la « race » en vient à définir la place, la position et le degré d’humanité des individus. Ainsi, prenant pour présupposé l’objectivation et la réduction de l’humain à un signe, un stéréotype ou un flou, le racisme, en déshumanisant, perturbe le processus de reconnaissance et fracture le processus communicationnel. En d’autres termes, la « race » est aussi une colonisation du langage, qui dénature son potentiel humain. Cette notion, nous le verrons bientôt, est centrale dans la construction ultérieure de la stratégie révolutionnaire de Fanon.

    Comme exprimé dès les premières lignes du livre, la base marxiste permet à Fanon de comprendre comment cette subjectivité pathologique du colonialisme s’enracine dans les conditions matérielles. Comme il le dira dans Les Damnés de la Terre : « dans les colonies, l’infrastructure économique est aussi une superstructure. La cause est la conséquence ». En posant en ces termes l’économie politique coloniale, face cachée du développement des « sociétés civilisées », Fanon explicite comment le capital a toujours dépendu et dépendra toujours de l’accumulation primitive et de la soumission des peuples et des territoires, qui ne peuvent être considérés comme des phénomènes périphériques, marginaux ou de simples imperfections du capitalisme. Ils font partie de sa sombre constitution : d’une part, le capital produit la course qui produit la mort ; d’autre part, la possibilité permanente de la mort signifie la course qui étalonne le profit capitaliste. Voici le moulin satanique qui génère des pathologies et des exterminations.

    En 1953, Fanon s’installe à Blida en Algérie, alors colonie française, où il prend la direction de l’hôpital psychiatrique. L’année suivante, la guerre d’indépendance algérienne éclate. Les conditions de ségrégation et de violence se sont intensifiées. Ce fut un tournant fondamental dans la vie de Fanon : le contact direct avec la brutalité du régime colonial lui fit éprouver une répulsion irréversible envers la France, tout en générant en lui un sentiment d’identification totale avec le peuple arabe.

    En 1956, il démissionne de l’hôpital et intensifie son activité secrète au sein du Front de libération nationale (FLN), l’une des principales organisations nationalistes algériennes. En première ligne du conflit, il va, au cours des années suivantes, mener entre l’Afrique du Nord et la France un intense travail révolutionnaire, propageant la cause de la décolonisation, apportant une aide médicale à la guérilla algérienne, participant à des événements internationaux (comme les Ier et IIe Congrès des artistes et intellectuels noirs) à la recherche de soutien à la lutte anticoloniale. Tout cela sans interrompre ses recherches sur la psyché des sujets colonisés.

    Sur la base des connaissances accumulées dans l’expérience révolutionnaire, Fanon a écrit son dernier classique, Condamné de la Terre, publié à titre posthume en 1961. Comme le souligne la traduction anglaise de 1973, il s’agit d’un livre de poche sur la révolution dans le tiers monde. De plus, grâce à sa solide théorisation de la réalité coloniale et de la lutte de libération, il est devenu une lecture essentielle pour les mouvements anti-impérialistes, insurgés et d’égalité sociale du monde entier. L’un des thèmes centraux de l’œuvre est la question de la violence. Le contexte concret dans lequel les Condamnés de la Terre ont été écrits a conduit Fanon à sortir sa théorisation de la violence du domaine de la moralité abstraite et à la formuler dans le cadre d’une critique du colonialisme, de la stratégie et de la praxis de la libération.

    Le double de la violence coloniale

    La violence est toujours vue sous un double angle. D’abord, il y a la violence coloniale elle-même, qui apparaît comme une apparition inaugurale. Avec ses mitrailleuses, ses uniformes, ses grenades, ses napalms, ses baraquements, ses barbelés, ses checkpoints, ses viols et ses prisons, elle constitue un monde. Cette violence crée également le colonisé, qui est invariablement un être constitué de l’extérieur, la cible d’un désir et le transfert des propres névroses du colonisateur. Comme le souligne Achille Mbembe dans la Pharmacie de Fanon, le colonialisme est une « pratique de décivilisation » perpétrée par le crime et la terreur, constituée d’un côté jour (la guerre) et d’un côté nuit (le camp et l’extermination). Dans sa logique concentrationnaire, elle déclare inutile une partie de l’humanité et formule un projet de division des individus par l’occupation, l’expulsion, la déportation et l’élimination.

    Le colonialisme multiplie les situations extrêmes, banalise l’indifférence, banalise les actes répugnants et habitue au sadisme. Au nom de la civilisation, de l’ordre et des valeurs libérales, cette violence rend stérile toute forme de communication basée sur la reconnaissance réciproque. Il intériorise ainsi le désir de ne rien savoir, de ne pas être impliqué et de manquer d’empathie. Une violence atmosphérique et universelle, qui se ressent dans la colonne vertébrale, dans la tension musculaire et dans l’étouffement de la respiration, qui comprime et resserre le colonisé, et finit par devenir le seul langage de la colonisation.

    C’est là que l’autre côté de la violence apparaît comme un double. Le colonisateur enseigne au colonisé que le seul discours qui est compris est celui de la violence. Les opprimés décident alors de s’exprimer à travers elle, opérant une inversion : c’est maintenant le colonisé qui dit aux colonisés qu’ils ne comprennent que le langage de la force. Cette inversion découle d’une compréhension plus large, à savoir que « la colonisation et la décolonisation sont simplement un rapport de forces ». La violence est donc une méthode de libération face à une réalité d’absence de la dialectique de la reconnaissance.

    Mais il y a plus. Tout d’abord, la violence anticoloniale est un scandale qui interrompt : elle suspend le monde connu jusqu’alors. La réalité du colonialisme introjecte chez le colonisé une mentalité refoulée, dans laquelle la seule perspective de changement est de s’installer à la place du colonisateur ; le persécuté qui rêve constamment de devenir le persécuteur. Les colonisés adoptent un comportement d’évitement, ne voulant pas voir que leur liberté dépend de la destruction du colonisateur, qu’ils aiment et désirent souvent ; mais ils vivent aussi avec une rage intérieure, qui est constamment déversée entre égaux ou canalisée dans différents types de fatalisme (moral, institutionnel, spirituel). En ce sens, étant un scandale, la violence contre-coloniale signifie un mouvement de désintérêt et de rejet absolu des mensonges et des distractions créés par le colonialisme, stimulant ainsi les opprimés à ne plus se raconter de fables : « les colonisés découvrent le réel et le transforment dans le mouvement de leur praxis, dans l’exercice de la violence, dans leur projet de libération ».

    En ce sens, la violence contre-coloniale, fondée sur un désir et une force contre le colonisateur, sert de critique au volontarisme aveugle, aux pacifistes, aux légalistes et aux partis de l’ordre, ceux qui se présentent comme des interlocuteurs légitimes de la population et du mécontentement ; ceux-là mêmes qui agissent comme des vendeurs de douleur et profitent de la souffrance des autres dans les tapis verts et les institutions du monde libéral. En même temps, il fait ressortir dans le langage la nécessité d’un renversement radical du système, sans remèdes.

    La décolonisation apparaît comme un processus historique de désordre absolu et de création de nouveaux peuples, avançant à travers tous les obstacles qu’il rencontre sur son chemin. Il s’agit donc d’un scandale contre l’ »hibernation » des intellectuels et des partis qui ne font que critiquer le système colonial mais ne croient pas qu’il puisse être renversé. C’est un scandale qui réveille de cette thérapie du sommeil, en redirigeant la colère des colonisés des salons, des bureaucrates et des chefs pâles vers leur propre libération. La violence contrecoloniale a un effet profondément désaliénant et démystifiant ; elle réveille et crie : « nos morts comptent aussi » et cela ne se résout pas dans les règles du jeu.

    La solidarité a fonctionné dans le sang et la rage

    C’est ici qu’apparaît le deuxième élément de la violence insurrectionnelle : la création et l’utilisation de l’antagonisme politique comme une praxis libératrice. Il maintient et renverse le manichéisme de la domination. S’il y a un binarisme dans le colonialisme, en revanche, il n’y a pas de vérité. Avec la violence contre-coloniale, ce manichéisme ne se dilue pas, le colon reste l’ennemi du colonisé, le sujet à massacrer, mais en inversant la  » normalité  » pathologique de la colonie, cette violence rétablit la vérité et délimite un antagoniste politique. C’est le bien (ou la vérité) qui afflige le colon. Les masses colonisées deviennent la proie d’une « folie de la vérité » lorsqu’elles réalisent qu’elles ont été dépouillées de tout et que seule cette folie peut mettre fin à leur mécontentement latent et les libérer de l’oppression coloniale. Ainsi, si tous les colonisés sont égaux aux colonisateurs, les colonisés répondent : tous les colonisateurs sont égaux. Si le colonisé était considéré comme le mal absolu, le colonisateur est maintenant considéré comme le mal absolu. Le manichéisme continue à se reproduire invariablement dans la lutte de libération.

    En tant que positivité formatrice, ancrée dans la relation d’antagonisme, la violence contre-coloniale génère une reconnaissance chez les colonisés. Elle articule une histoire et un destin communs. Elle permet également d’envisager un autre avenir. Elle construit le mortier de la solidarité « travaillée dans le sang et la rage ». C’est un moment affirmatif, presque « solaire », comme dirait Mbembe. Après le processus de déshumanisation créé par le monde colonial, c’est un moment fondateur/constitutif et un geste inaugural du sujet politique, qui rejette la soumission et établit la volonté de détruire et de dévaster. Pour transformer violemment l’univers en rien. Ainsi, non seulement elle rétablit l’humanité perdue de l’opprimé, qui devient ainsi un nouveau sujet, mais elle reconstruit les liens de reconnaissance réciproque entre les colonisés, qui en viennent à se considérer comme des humains parmi tous les autres.

    En ce sens, le colonisateur se libère dans et par la violence, qui fonctionne comme un moteur dialectique. Cette violence dialectique est la praxis absolue qui agit comme une véritable médiation, un élément d’agrégation et une rupture avec l’établi. Et en brisant l’interdiction discursive, la violence est un présupposé organisationnel de la lutte pour la décolonisation : elle permet aux colonisés de surmonter leurs différences, de se reconnaître, de transformer la haine en économie politique et de canaliser l’instinct en un surmoi politique. Dans ses effets constitutifs, transformateurs et inventifs, elle transforme le peuple en sujet historique dans sa lutte pour la libération. Et en créant et délimitant l’antagonisme, elle permet la construction, la composition, l’articulation d’alliances au sein de l’hétérogénéité des opprimés.

    Un chemin vers l’origine du futur

    Ceci nous amène au dernier aspect de la violence anticoloniale : elle est curative. Pour citer à nouveau Mbembe, la lutte permet aux opprimés de détendre leurs muscles et de respirer à nouveau. La possibilité d’un autre monde fait la fête à l’imagination. Violence and Insurgent Aesthetics est un travail intense sur le langage possible, qui ne se limite pas à l’institutionnalité coloniale et bourgeoise. Dans cette œuvre, le monde perd son caractère maudit. Les anciennes sédimentations culturelles sont brisées et la voie vers l’origine du futur est ouverte. En niant le monopole de la maladie et de la mort, elle recrée la possibilité du lien, de la reconnaissance, du rétablissement de l’opprimé dans son être et dans ses relations avec le monde. La violence anticoloniale est une thérapie qui génère une complicité et des intentions créatives avec un potentiel de guérison. Et en mettant en lumière ce qui a été refoulé, elle réunit les conditions de l’inévitable confrontation avec ce qui a traumatisé les colonisés.

    En ce sens, la violence contre-coloniale agit contre la matérialité du système colonial et l’esprit inhibé du colonisé à trois niveaux : comme scandale interruptif, comme créateur d’antagonisme politique et de réseaux de solidarité entre les opprimés, et enfin comme guérison. Enfin, Mbembe prévient que la violence présente toujours une dimension incalculable et imprévisible, et peut être soit un pont vers le salut, soit une ouverture dangereuse. Cependant, la théorie de Fanon met en évidence la confiance dans la violence révolutionnaire comme moyen de créer du nouveau, un instrument de résurrection régénérateur et décolonisateur, capable de faire la sourde oreille à l’ordre répressif.

    C’est là que réside l’une des contributions les plus précieuses de Fanon au monde contemporain, même si les conditions qu’il a décrites ne sont pas entièrement applicables aux différentes réalités de notre époque. Si, d’une part, il existe un sentiment généralisé de ressentiment, de mécontentement et de souffrance dû à des conditions de vie de plus en plus précaires, d’autre part, l’inévitabilité d’alternatives politiques est propagée dans une institutionnalité stérile au changement politique énergiquement démocratique. Dans ce contexte, la question de la violence est réduite à une discussion sur la supériorité morale ou monopolisée par les populismes conservateurs de toutes sortes, tous deux ancrés dans un rejet des transformations radicales.

    Un imaginaire politique pour la tradition des opprimés

    Fanon nous aide ainsi à élargir notre imaginaire politique et à donner un autre statut philosophique et politique à la violence, plus conforme à la tradition des opprimés. De cette manière, il nous apprend à retrouver la radicalité de la stratégie socialiste en période de morbidité tactique. Comme il le souligne lui-même dans Les condamnés de la terre, la violence révolutionnaire n’est pas une simple spontanéité. Elle doit se concrétiser dans la lutte contre l’individualisme, dans l’engagement dans des processus collectifs. Par conséquent, il fait partie du mouvement de considérer son problème comme le problème de tous, sans avoir le droit à l’indifférence, à l’ignorance et à la dissimulation. Décoloniser, c’est se collectiviser en désorganisant un monde et en en organisant un nouveau. Se mélanger au-delà de soi-même et s’immerger dans l’organisation populaire, ce qui permet de canaliser l’énergie et la volonté d’anéantir l’ennemi.

    Pour l’intellectuel et le militant insurgé, c’est une nécessité, car, comme le dirait un autre théoricien du peuple, le chanteur brésilien Chico Science : « Je peux partir d’ici pour organiser, je peux partir d’ici pour désorganiser, qu’en organisant je peux désorganiser, qu’en désorganisant je peux organiser ». De la boue au chaos comme condition d’un autre avenir.

    jacobinlat.com via La Haine, 25/07/2021

    Etiquettes : Frantz Fanon, violence révolutionnaire, colonialisme, colonisation, guerre de libération,

  • Dossiers de la mémoire: Beaucoup reste à faire

    par Abed Chérifi

    La célébration du 59ème anniversaire du recouvrement de l’indépendance nationale, une autre occasion de mettre au-devant de la scène le dossier épineux de la mémoire et la relation avec l’ex-puissance coloniale. Le ministre des Moudjahidine et des Ayants droit, Tayeb Zitouni, a affirmé, dans un entretien accordé à l’agence APS, que les relations algéro-françaises avaient connu, ces derniers temps, «un progrès remarquable» en termes de suivi des dossiers de la mémoire. Tayeb Zitouni a également indiqué que la question de la mémoire, «de tout temps au centre des discussions entre l’Algérie et la France, est traitée avec sérieux et pondération loin des reliquats du colonialisme». «Ces dossiers doivent être traités dans le cadre d’un dialogue d’Etat avec Etat loin des personnes, des groupes et des autre cercles influents», ce qui exige, a-t-il dit, «une véritable lecture objective de l’Histoire sous tous ses volets».

    Le ministre des Moudjahidine a estimé que le dossier Mémoire «étant une démarche permanente ne saurait être divisé en étapes ou haltes de la période de la colonisation française de l’Algérie qui s’étale de 1830 jusqu’au 5 juillet 1962», a-t-il souligné. «Une période marquée par des crimes imprescriptibles et dont les effets de certains subsistent à ce jour à l’instar des explosions nucléaires dans notre Sud et le dossier des disparus ainsi que les stigmates des lignes de Challe et Morice, les mines et les victimes du napalm, et autres crimes», a encore rappelé le ministre, ajoutant qu’à ces crimes «s’ajoutent la question des déportés de la Calédonie et Guyane et autres colonies françaises en sus des lois iniques promulguées par le colonisateur français pour confisquer les biens des Algériens (terres et biens immobiliers) pour les redonner aux colons outre l’argent, les biens et les documents historiques précieux volés de l’Algérie, a détaillé Tayeb Zitouni.

    Ce dernier a assuré que les efforts se poursuivent «pour insuffler un élan aux relations bilatérales entre l’Algérie et la France basées sur des fondements garantissant l’intérêt commun et le respect de la spécificité et la souveraineté des deux pays». «Les dossiers liés à la mémoire sont toujours au cœur des pourparlers entre l’Algérie et la France dans le cadre du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français (CIHN), des commissions ad hoc et les groupes conjoints regroupant plusieurs secteurs ministériels œuvrent constamment dans une optique globale sur les dossiers de la récupération des archives ainsi que la poursuite de la restitution des crânes de nos chouhada et notre patrimoine gardé en France outre le dossier d’indemnisation des victimes des explosions nucléaires au désert et sa dépollution des déchets nucléaires en sus du dossier des disparus de la révolution nationale», a-t-il indiqué.

    Quant aux dossiers des archives nationales et des disparus, Tayeb Zitouni a indiqué qu’ils «n’ont pas connu d’évolution, ce qui requiert de la partie française de s’engager et de répondre à la demande de l’Algérie, en lui permettant de récupérer ses archives nationales et de fournir les informations suffisantes relatives aux disparus algériens et aux lieux où ils se trouvent». Il a également rappelé que les services de son secteur, en coordination avec plusieurs départements ministériels chargés de ce dossier, «ont entamé un examen approfondi de tout ce qui est disponible comme données à ce propos», sachant «qu’il a été procédé au recensement de plus de 2.000 martyrs disparus, dont le lieu de leur enterrement n’est pas connu».

    Déchets nucléaires : la France refuse de remettre les cartes topographiques

    Au sujet des explosions nucléaires dans le Sahara algérien, le ministre des Moudjahidine a affirmé que la partie française «refuse de remettre les cartes topographiques qui permettent de déterminer les lieux d’enfouissement des déchets polluants, radioactifs ou chimiques non découverts à ce jour», a-t-il déclaré. «La partie française n’a mené techniquement aucune initiative en vue de dépolluer les sites et la France n’a fait aucun acte humanitaire en vue de dédommager les victimes», a encore indiqué le ministre, ajoutant que ce dossier est «le plus sensible de ceux de la mémoire qui font l’objet de consultations au sein des commissions compétentes, ce qui nécessite des mesures pratiques urgentes et un règlement et un débat autour de ce dossier en toute objectivité». Avec la parution du décret exécutif portant création de l’Agence de réhabilitation des anciens sites d’essais nucléaires et d’explosions nucléaires français dans le Sud algérien, ajoute Tayeb Zitouni, l’Algérie «aura renouvelé son engagement permanent en matière d’interdiction des armes nucléaires, en tant qu’acteur actif sur la scène diplomatique internationale, ainsi que ses efforts visant à empêcher la prolifération des armes nucléaires dans le monde».

    S’agissant de l’indemnisation des victimes d’explosions nucléaires, le même responsable a précisé que les conditions «rédhibitoires prévues dans la loi Morin du 5 juillet 2010 n’avaient permis aux Algériens de bénéficier d’aucune indemnisation jusqu’à ce jour, malgré le fait que ces essais nucléaires français constituent une catastrophe environnementale et humanitaire qui, après 55 ans, causent des maladies cancéreuses et des malformations physiques», a-t-il souligné. Le ministre a enfin réaffirmé que les autorités françaises «insistent encore sur le fait de traiter le dossier des essais nucléaires dans le plus grand secret, en dépit des nombreuses tentatives de juristes et d’associations de victimes des essais nucléaires français en Algérie, qui ont œuvré à ouvrir l’archive, propriété des deux pays, au moins pour déterminer les sites et le champ d’essais».

    Le Quotidien d’Oran, 05/07/2021

    Etiquettes : Algérie, France, Mémoire, colonisation, déchets nucléaires, essais nucléaires,

  • Il y a 86, décès du fondateur du Maroc

    Aujourd’hui marque le 86e anniversaire de la mort du résident général français Hubert Lyautey. Le Français est considéré comme le fondateur de ce qui est aujourd’hui le Maroc.

    Le souhait d’Hubert Lyautey était d’être enterré dans l’État qu’il avait créé, le Maroc. Son corps a donc été rapatrié de France et enterré à Rabat. En 1961, son corps est retourné en France où il a été enterré pour la deuxième fois.
    Dans le livre « Du Protectorat à l’indépendance, Maroc, 1912-1955″, Georges Spillmann déclare ce qui suit: Le but de ce grand homme était de restaurer l’unité de l’ »Empire Chérifien » et de permettre à l’État alaouite de prendre les choses en main, après avoir été menacé par les mouvements de rébellion des Imazighen ».
    Hubert Lyautey est aimé des panarabistes et des partisans des Alaouites car il a vaincu et désarmé les Imazighen ce qui a permis d’intensifier l’arabisation et la marocanisation des Imazighen.
    En 1922, Hubert Lyautey tombe malade. Lorsque la nouvelle de sa maladie se répandit à Fès, les chefs religieux et les notables descendirent dans les rues pour implorer à Dieu sa guérison. Ils ont parcouru les rues de Fès les mains levées vers Allah pour qu’Hubert Lyautey soit guéri. 
    Le Français a notamment été appelé « le bien-aimé des musulmans » et « le maréchal de l’islam et des musulmans ». Les chefs religieux et les notables demandent à Hubert Lyautey de se rendre sur la tombe de « Moulay Driss » pour être guéri. Après avoir subi une opération et avoir été guéri, Hubert Lyautey se rend sur la tombe d’Idriss en 1924 où il s’adresse à ses disciples marocains.
    Son nom a été donné au plus grand établissement d’enseignement français au monde (hors France métropolitaine) qui se trouve à Casablanca. Son buste trône sur le bureau du proviseur, tout comme son portrait, peint sur le mur du bâtiment K de philosophie, dominant ainsi les 8 hectares de cour du lycée.
    Etiquettes : Maroc, Maréchal Lyautey, colonisation, protectorat, France,
  • Algérie française : le caractère destructeur d’une colonie « mixte »

    La situation précoloniale est celle du Maghreb avant la prise d’Alger en 1830. Quelles sont les caractéristiques de l’Algérie précoloniale, mais aussi du Maghreb ?

    Le Maghreb avant la prise d’Alger

    La première caractéristique correspond aux nombres humains. Vers 1830, le Maghreb comptait environ 10 millions d’habitants, tandis qu’à la même époque l’Inde britannique comptait environ 120 millions d’habitants. Le Maghreb est plus densément peuplé que l’Amérique, mais sa densité est loin d’atteindre celle des grands empires asiatiques.

    Au moment de la prise d’Alger, l’Algérie comptait 3 millions d’habitants, le Maroc, qui est encore plus grand en termes de population, est peut-être 7 millions, tandis que la Tunisie a une densité de population d’environ 1 million. Les 3 millions semblent être très peu par rapport à sa future métropole, la France. L’Algérie apparaît, vue de l’hexagone, comme un territoire peu peuplé.

    A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, le Maghreb était dans une mauvaise passe, grevé par la peste, les épidémies de variole et les événements climatiques qui ont conduit à des pénuries alimentaires et des famines. Les populations de l’Ancien Régime sont soumises à des phases de mortalité. La croissance démographique est faible voire nulle, mais cela va changer, notamment pour l’Algérie coloniale, en étant même inattendu.

    Le rapport entre la population de la colonie et de la métropole en 1930 est de 1 à 11, c’est une illusion d’optique : la France semble très peuplée par rapport à l’Algérie qui apparaît comme un désert démographique.

    En 2010, le ratio est passé de 1 à 2. L’image qui prévaut aujourd’hui est celle d’un Maghreb, et plus particulièrement d’une Algérie qui souffre d’une surcharge démographique, alors qu’à la veille de la colonisation française la situation était inverse en termes de la perception.

    La deuxième caractéristique est une société qui manque de cohésion ; la troisième caractéristique repose sur l’agriculture et l’élevage.

    L’Algérie précoloniale et le Maghreb précolonial se caractérisent par une répartition de la propriété foncière très égalitaire entre ceux qui importent et détiennent la terre, et cela va changer au cours de la période coloniale.

    Avant 1830, la répartition de la propriété foncière semble avoir été assez égalitaire. En revanche, les techniques de production ne sont pas très avancées, ce qui reflète le niveau de développement économique.

    Nous avons affaire à des économies qui vivent au ralenti dans un « équilibre de stagnation ».

    Il faut se rappeler qu’avant l’occupation française il y avait l’occupation des Arabes. Les populations maghrébines ont été islamisées à partir du VIIIe siècle, l’occupation a duré de 755 à 1516, suivie d’une occupation ottomane de 1516 à 1830. Ce sont deux occupations bien plus longues que la présence française.

    Il faut comparer l’occupation ottomane et l’occupation française pour avoir un terme de comparaison.

    Quand on parle d’occupation et de colonisation ottomanes en Algérie, il faut ouvrir la voie et avancer comme si on était sur un terrain miné. Autant pour la France, il n’y a pas de problème, mais il y a une différence, quelle est la différence ?

    Les Turcs ottomans sont une oligarchie militaire turque à la tête du territoire algérien actuel qui ne contrôle pas tout le pays. Il suffit d’occuper militairement certaines parties du territoire algérien et au fond, cette oligarchie militaire s’intéresse aux villes côtières, tandis que l’arrière-pays est laissé aux chefs locaux qui disposent d’une grande autonomie.

    La volonté du pouvoir central ottoman, qui est le sultan de Constantinople, n’est pas de s’étendre à l’ensemble du pays ou de s’imposer à tout le monde, il en résulte que les structures en place ne sont pas modifiées. Le Turc ottoman laisse en place ce qu’il trouve.

    L’occupation sert à lever des impôts, c’est la seule règle obéie par tous les sujets consistant en la reconnaissance à la figure du sultan du paiement d’un impôt.

    L’autre caractéristique de la société algérienne est son émiettement dans les villes côtières. Dans les villes américaines, il y a le milieu naturel, il y a des éléments qui se conjuguent pour nous donner la situation de départ et puis il y a le poids des hommes.

    Dans l’Algérie précoloniale, il y a des invasions et des migrations qui font des villes côtières des lieux de brassage entre les différents éléments, sans pour autant faire disparaître une hiérarchie entre les groupes. Il est à noter que le Maroc n’a jamais reconnu la suzeraineté ottomane.

    Les Turcs sont au sommet, numériquement faibles sont les dominants considérant le reste de la population comme inférieur. Même sentiment au sommet chez les andalous qui sont les descendants des Maurs qui ont été expulsés d’Espagne et qui trouvent asile au Maghreb, au Maroc, en Tunisie et en Algérie, puis plus bas il y a les noirs, parfois soldats ou domestiques dans le caravanes du Sahara qui approvisionnent les marchés formant le commerce transsaharien.

    Au bas de l’échelle, il y a les juifs méprisés au Maghreb et surtout au Maroc. En réalité, la condition des Juifs est inégale :

    Les juifs indigènes sont en Algérie depuis très longtemps, ce sont les plus humbles.
    les juifs de Livourne forment un amalgame de juifs d’origine ibérique ou italienne engagés dans le commerce international, pour la plupart expulsés de la péninsule ibérique, aisés, tournés vers une Europe désireuse de s’adapter au changement. Ils font partie de la communauté juive ouverte sur le monde, engagée dans le commerce international et avec un héritage qui les distingue des juifs indigènes.
    L’effondrement est dans les villes où la fragmentation est évidente, mais dès qu’on franchit les frontières des villes l’effondrement des Juifs, des Turcs et des Noirs s’estompe devant les millions d’Arabes et de Berbères. Ce qui distingue les Arabes et les Berbères, c’est la langue et la culture.

    Tous ces éléments contribuent à entraver l’intégration de la société. La Tunisie est le pays du Maghreb le plus totalement arabisé, le plus islamisé et le moins fragmenté géographiquement, offrant plus d’homogénéité que le Maroc et l’Algérie.

    Le secteur primaire domine, les richesses actuelles, c’est à dire l’activité dont l’Algérie tire le plus de revenus aujourd’hui, sont les hydrocarbures, mais ces gisements ne sont exploités qu’à la fin des années 1950. Nous avons une économie où l’élevage et la culture céréalière dominent.

    L’une des caractéristiques du système socio-économique en place est le caractère relativement égalitaire de la propriété foncière.

    En Algérie, il y a des régions où la population est sédentaire, dans d’autres régions il y a des nomades qui cultivent aussi la terre, et enfin il y a des propriétaires terriens qui ne cultivent pas la terre, donc il y a des paysans sans terre.

    Les régions sédentaires sont des propriétés morcelées qui sont directement exploitées par le propriétaire paysan et sa famille. Les parcelles et terres arables, directement exploitées par un paysan propriétaire de la terre, sont de petites exploitations familiales.

    La situation des nomades est plus compliquée. Il existe des groupes tribaux, chacun ayant son propre territoire, ces terres tribales sont vastes, leurs possessions sont reconnues. Chaque tribu possède un territoire dont la possession est reconnue par les autres tribus et le souverain qui est le sultan.

    Dans les zones où dominent les populations nomades, tout le monde appartient à une tribu dont l’appartenance donne le droit d’utiliser les terres de la tribu. Cependant, ces terres ne sont pas collectives, chaque famille possède des parcelles qu’elle peut cultiver, il n’y a pas de titre de propriété qui prouve les droits de chacun, mais la part familiale des parcelles cultivées est légitimée par le travail devenant possession continue et héréditaire.

    Autrement dit, il y a une paysannerie sédentaire qui possède la terre et chez les nomades ce système qui permet à chaque membre de la tribu et sa famille de cultiver et c’est le travail sur la terre qui légitime le titre de propriété devenant continu et héréditaire .

    Il existe de grands domaines que leurs propriétaires n’exploitent pas, comme les terres cédées aux mosquées, les terres du souverain et des familles nombreuses, mais aussi les propriétés des citadins. L’existence de ces différents types de propriété implique l’existence de paysans non propriétaires.

    Afin de retrouver la caractéristique sur laquelle nous insistons, les paysans pauvres sans terre qui échappent à une partie de leurs profits sont pourtant en Algérie coloniale en nombre limité. Autrement dit, dans l’Algérie précoloniale et le Maghreb précolonial, il y a un personnage qui n’apparaît pas dans le cadre social qu’est le prolétaire rural.

    Ce qui domine, c’est la petite ferme, la petite propriété et la petite ferme familiale sur lesquelles pèse principalement la pression fiscale.

    Il existe de grands domaines, des familles puissantes avec des pouvoirs de commandement, des familles nombreuses parviennent à imposer des corvées à leurs dépendants, mais cela ne conduit pas à une féodalisation de la société maghrébine. Le processus n’est pas assez poussé pour changer les rapports sociaux, les paysans algériens sont capables de garder leurs terres jusqu’à la période coloniale.

    Cette répartition de la propriété, la taille des exploitations et les modes d’exploitation reflètent l’équilibre de la société maghrébine précoloniale : ce sont des sociétés démographiquement peu peuplées, en général, elles manquent d’homogénéité et se stabilisent à un niveau technique assez bas.

    Le Maghreb ne se compare pas à l’Europe occidentale à cet égard. Il existe un environnement naturel ingrat, les variations thermiques sont importantes au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la mer, les précipitations sont irrégulières. Face à cet environnement naturel ingrat, le paysan maghrébin peine à innover en termes de méthodes agricoles et d’outils agraires. Il n’y a pas d’association étroite entre l’agriculture et l’élevage, ce qui est une issue pour une culture caractérisée par un faible développement.

    La charrue est une charrue très simple dite  » araire  » qui n’est pas capable de retourner la terre de manière à emmagasiner les pluies irrégulières qui ne font que gratter le sol pour enterrer la graine. Pour les troupeaux, il y a le manque de réserves fourragères fragilisant les troupeaux.

    Les cas de jachère avec une pratique de rotation des cultures sont très rares, il existe des situations où la terre est abondante et les hommes plutôt rares encourageant une rotation plutôt rare, mais sans périodicité fixe.

    Est-ce que les choses changent dans les zones où il y a une occupation intensive ?
    Même dans ces régions, on note l’inertie des méthodes et des instruments de culture. Phase la plus souvent choisie pour faire ce diagnostic précolonial, l’Europe d’alors est en voie d’industrialisation précédée d’un schéma classique de révolution agricole.

    Comparé à l’Europe ainsi engagée dans l’industrialisation, le Maghreb semble vivre au ralenti, c’est-à-dire « un équilibre de stagnation ». Les sociétés maghrébines, et notamment algériennes, trouvent un équilibre. L’important est que la colonisation casse cette routine et violemment.

    Échec du règlement agricole européen

    Si l’on considère le deuxième empire colonial français, l’Algérie apparaît comme quelque chose de très particulier. La France entreprend de faire de ce territoire une colonie de peuplement payant le prix du sang et le coût financier de la conquête.

    Si l’objectif est atteint, l’Algérie devra être peuplée d’Européens et principalement de Français qui viendraient s’installer sur le territoire.

    Dans le cadre du deuxième type de colonisation française des années 1850 – 1860 – 1870 il existe un autre type d’expérience de peuplement qui est la Nouvelle-Calédonie.

    La colonisation peut d’abord apparaître comme un projet, l’Algérie apparaît d’abord comme un territoire peu peuplé, la conservation de l’Algérie peut justifier la conquête et le prix du sang et de l’argent. Une population européenne est envoyée pour contenir la résistance des Arabes.

    On considère que la conquête de l’Algérie se termine en 1870 dans le cadre de l’industrialisation de la France.

    Les difficultés sont nombreuses pour fixer le début de la révolution industrielle en France. On considère que les années 1830 – 1840, qui sont le début de l’industrialisation, ont apporté des difficultés sociales. L’idée est apparue de faire de l’Algérie une sorte de débouché pour le surplus de la population française et surtout de régler la question du coût social de l’industrialisation.

    La Grande-Bretagne, à l’heure où elle connaît des changements structurels fondamentaux, a la possibilité d’envoyer un surplus de population comme une sorte de soupape.

    C’est un plan de colonisation comme il est apparu à beaucoup « La France a une population surabondante, ses frontières sont devenues trop étroites, et le désert démographique algérien est à ses portes ». Cependant, assez rapidement, des années 1850 aux années 1860, à travers les recensements de population, les démembrements et les enquêtes diverses, la France se découvre un pays de faible fécondité, un pays d’immigration et non d’émigration.

    En réalité, la France n’a ni besoin de peupler l’Algérie, ni les moyens de le faire, et cela s’est manifesté dans les derniers jours de la conquête de l’Algérie.

    Le résultat est que la France va vouloir peupler l’Algérie. A partir du moment où, dans les années 1850-1860, on s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas, ce sont des arabophiles, dont certains fonctionnaires connaissant bien les réalités algériennes, qui ont avancé l’idée de changer sa politique démographique.

    Ces milieux ont pris conscience de la situation et ont réussi à convaincre Napoléon III qu’un changement de politique et de cap était nécessaire, et qu’il fallait détourner la politique de colonisation. Napoléon III recevra de ses adversaires le titre d’Empereur des Arabes, qui voudront attacher les Arabes au sol en leur donnant des titres de propriété plutôt que de laisser les Arabes garder leur terre et la leur donner au lieu d’en apporter quelques milliers impropres colons dans le pays.

    Cette politique suscitera une très forte opposition, car les partisans de la colonisation illimitée sont très nombreux en Algérie, notamment parmi les grands colons. A partir des années 1850 – 1860, il y a une première répartition des terres.

    Le poids des intérêts coloniaux, des arguments patriotiques, ce poids sur les milieux politiques français allait faire ce qui était une grande idée de Napoléon III, qui rétrospectivement avait raison.

    Cette idée avait le grand mérite de prendre en compte ce que l’on appellerait les conditions initiales, dont le poids des hommes. Cette idée avait le mérite de prendre en compte le fait que la population musulmane était et resterait largement majoritaire en Algérie.

    A partir des années 1870, la politique algérienne de la France reprend son orientation initiale en privilégiant la colonisation européenne avec des résultats mitigés.

    Tout dépend du terme de comparaison que l’on choisit. Soit on reste dans le domaine colonial français auquel cas l’Algérie apparaît comme une expérience qui se démarque des autres, soit on reprend les expériences réussies de colonisation des peuplements des Amériques et du Pacifique auquel cas l’Algérie en est très loin.

    Par rapport à d’autres possessions en Asie et en Afrique, l’Algérie peut revendiquer le statut de colonie de peuplement. En 1880, il y avait 400 000 Européens installés tandis que les Européens étaient noyés dans les masses indigènes en Asie et en Afrique subsaharienne, cependant, en Algérie cela correspond à 10 % de la population totale. Si l’on regarde l’évolution du nombre de femmes européennes par rapport à la population dite musulmane algérienne, les européennes constitueront une fraction de la population maximale au début du 20ème siècle avec 14%. C’est le record atteint en Algérie.

    L’Algérie ne ressemble pas à presque toutes les colonies d’Asie et d’Afrique, mais pour autant ce n’est pas une expérience comparable à ce qui va se passer en Amérique du Nord et dans le Pacifique, en fait, l’Algérie est entre les deux, c’est pourquoi elle est caractérisé comme une colonie mixte.

    La colonie mixte regroupe deux populations numériquement inégales, mais les Européens constituent une forte minorité ; d’un bout à l’autre, les Européens ne réussissent pas à gagner.

    Une colonie mixte est similaire à l’Algérie, à savoir l’Afrique du Sud, où la population blanche est une minorité plus forte, mais néanmoins minoritaire. Selon le dernier recensement de la population générale d’Afrique du Sud, les couleurs étaient plus nombreuses que les Européens blancs.

    Ces expériences n’atteignent jamais l’objectif de dépasser la population indigène. Au contraire, les privilèges des minorités européennes sont voués à disparaître à terme face aux revendications de la masse des peuples indigènes. C’est pourquoi nous avons en Algérie à la fin de la période coloniale le rapatriement des européens d’Algérie et pourquoi en 1991 il y a le démantèlement de l’apartheid, ce n’est pas tenable.

    La formule mixte de la colonisation est une situation explosive, c’est la suprématie blanche sans la main-d’œuvre.

    La formule de colonisation mixte est beaucoup plus inégale en Afrique du Sud. L’un des signes est que la minorité blanche d’Afrique du Sud monopolise une fraction beaucoup plus importante des terres qu’en Algérie, 87 % des terres cultivées aux mains des Européens, alors qu’en Algérie on estime que 25 % des terres cultivées sont aux mains des Européens. mains. Au-delà de ces petites différences, l’Algérie et l’Afrique du Sud sont du même type colonial en raison de la répartition inégale des populations et des richesses.

    Une fraction minoritaire de la population possède une trop grande partie de l’importance numérique de sa richesse.

    Afin de faire le lien avec la typologie américaine, la colonisation mixte crée une situation d’extrême inégalité qui n’est pas sans rappeler les deux premières catégories de colonies américaines.

    Le fait que la colonisation française se termine par une guerre qui dure longtemps, coûte cher et fait de nombreuses victimes n’est pas si surprenant lorsqu’il est présenté de cette manière.

    L’écart se situe entre le projet de faire de l’Algérie une colonie de peuplement et un type de peuplement qui ne rappelle pas du tout le projet initial.

    Les résultats de la politique de colonisation sont mitigés, au départ les objectifs sont atteints, mais très vite la population européenne atteindra un pic.

    La population comptée comme française en Algérie dans un premier temps, selon les chiffres du recensement, a plus que décuplé entre les recensements de 1856 et 1954.

    À première vue, c’est quelque chose d’assez spectaculaire ou efficace. Cette augmentation est due moins à l’immigration et à l’accroissement naturel des Français venant de France qu’à l’assimilation des étrangers européens et des juifs algériens.

    Nous nous dirigeons vers une communauté européenne en Algérie qui sera composée de Français d’origine française, d’Européens non français comme les Espagnols, les Italiens, les Maltais, les Allemands, mais aussi les Suisses, il y a aussi les juifs algériens.

    En 1880, les émigrés d’Espagne, d’Italie et de Malte formaient une population plus importante que les Français, car poussés par la pauvreté, alors que les Français étaient les exclus de la révolution industrielle.

    C’était une situation sans précédent. Dans les années 1880, les émigrants européens non français étaient plus nombreux que les émigrants français. La question de la souveraineté française sur l’Algérie se pose.

    Afin d’assurer sa souveraineté, on imaginera une législation qui fera des Européens non français des Français et des Juifs algériens français.

    Une loi de 1889 a ordonné la naturalisation automatique de tout étranger né en Algérie s’il ne revendiquait pas la nationalité d’origine de son père à sa majorité. Selon la loi du pays, on peut être naturalisé automatiquement s’il ne revendique pas la nationalité d’origine de son père.

    Dans le même temps, la catégorie des Français est gonflée par un décret à partir de 1870 qui naturalise collectivement les Juifs d’Algérie. En 1870 ils sont 30000 et en 1954 ils sont 140000. Les juifs algériens vont, au fil du temps, s’occidentaliser remarquablement en tant que citoyens français. Ils parleront français, s’habilleront à l’européenne, enverront leurs enfants à l’école de la République.

    En 1962, au moment de la retraite, les Juifs français d’Algérie naturalisés iront en masse dans la quasi-totalité de la France et non en Israël.

    A partir de 1896, ce processus d’assimilation est un fait et un succès, une communauté française va naître en Algérie. A partir de 1896, le nombre de Français nés en Algérie dépasse le nombre d’immigrés, et un peuple émerge qu’on appelle à l’époque un « peuple nouveau » appelé « les pieds noirs ».

    Cette communauté d’Européens d’origine française ou étrangère fera la même chose que les émigrants britanniques en Amérique du Nord qui s’appelleront dorénavant Américains. Ces Français d’Algérie s’appelleront Algériens.

    Un sentiment d’identité se dégage au sein de cette communauté d’Européens, mais il ne pourra pas se transformer en un patriotisme indépendantiste, même s’il y avait avec le patriotisme pied-noir une certaine volonté de se séparer de la France.

    En 1954, près de 80 % des Européens sont nés en Algérie. Autrement dit, le terme accepté de rapatriement en 1962 est inapproprié puisqu’il ne s’agit pas au fond de ramener dans leur patrie des Français nés en France, mais de déplacer des populations nées pour la plupart en Algérie, il s’agit d’un déracinement et d’un exilé.

    L’Algérie ne peut donc pas avoir le même destin que les treize colonies nord-américaines, c’est encore une fois la démographie : la faiblesse numérique de ce peuple dit pied-noir par rapport à la majorité musulmane rend impossible toute séparation d’avec la métropole à moins que la formule sud-africaine ne soit choisie.

    La voie radicale est le développement séparé, mais en Afrique du Sud les Européens sont deux fois plus nombreux que les Européens en Algérie.

    La colonisation européenne en Algérie va plus loin que dans une colonie typique d’exploitation en Asie et en Afrique. Cette colonie va moins loin qu’en Afrique du Sud, et il n’y a aucune comparaison avec les colonies d’Amérique du Nord et du Pacifique. En fait, la population dite européenne, c’est-à-dire les Européens naturalisés français ou non français, les Juifs algériens, mais aussi les Européens non naturalisés, tous ces groupes constituent la catégorie des Européens.

    Ces Européens n’ont grandi que plus rapidement que les indigènes musulmans pendant les quarante premières années de la présence française. De 1830 à 1870, nous sommes dans un processus qui aurait effectivement augmenté le nombre d’Européens.

    A partir des années 1870, c’est le contraire qui s’est produit ; il y a eu un changement dans la relation démographique entre les communautés, mais pas le changement attendu. L’accélération de l’accroissement naturel de la population musulmane fait que la population européenne ne dépassera jamais le taux maximum de 14 % atteint au début du XXe siècle et tombera ensuite à moins de 10 % en 1962 avant l’exode définitif.

    La raison sous-jacente de l’échec de la colonisation européenne doit être comparée à des expériences réussies telles que les treize colonies nord-américaines. C’est à la lumière de ce succès que s’explique son échec en Algérie.

    On ne retrouve pas la même situation de départ en Algérie qu’en Amérique du Nord, ça ne pouvait pas marcher. Si on s’en tient à cela, cette politique européenne de colonisation agricole était vouée à l’échec en Algérie.

    La colonisation agricole des treize colonies nord-américaines a eu lieu aux 17e et 18e siècles, et non au 19e siècle. L’essentiel de l’immigration européenne date d’après les années 1840, mais dès lors, les immigrants se concentrent dans les centres urbains.

    L’arrivée des Européens donne lieu à deux types d’implantations différenciées :

    Colonies du Nord basées sur la colonisation agricole européenne.
    les colonies du sud basées sur la plantation et l’esclavage.
    L’ambition française était de faire de l’Algérie une colonie à l’image des colonies américaines au nord et plus précisément des colonies du milieu au nord-est de la côte atlantique.

    Qu’est-ce qui explique le succès d’un cas et marque les différences pour l’Algérie ?
    C’est une région qui n’offre pas certaines possibilités. Il n’offre pas la perspective du pillage des métaux précieux et ne permet pas l’établissement d’une colonie de plantations esclavagistes basée sur des produits tropicaux très rentables.

    Le climat tempéré des parties nord et centre de la côte atlantique de ce qui est aujourd’hui les États-Unis offre quelque chose de particulier à l’immigration européenne, offrant des conditions propices à l’installation de colons accompagnés de leurs familles et permettant ainsi une économie basée sur l’agriculture familiale et orientée vers la diversification les activités agricoles, également appelées activités de type tempéré telles que la céréaliculture et l’élevage, se développent.

    Le poids des hommes permet l’implantation agricole européenne dans les colonies du nord, mais la croissance et le succès de ce type d’implantation sont dus à un facteur particulier.

    En Amérique du Nord, il y a un manque de cohabitation entre les populations autochtones et immigrées. Cette absence est facilitée en Amérique du Nord par deux facteurs qui ont beaucoup moins d’influence en Algérie :

    très faible densité de population.
    les populations amérindiennes sont victimes du choc microbien.
    Les immigrants européens arrivant en Amérique du Nord trouvent une place nette, ce qui n’est pas le cas en Algérie. Le tragique de l’expérience algérienne est qu’il s’agit d’une colonie d’un certain type qui suppose qu’il n’y a pas coexistence d’une population existante et d’une population d’immigrés, alors qu’en Algérie il y en a une.

    Les densités de population sont très différentes. A l’arrivée des premiers Européens, la population des Etats-Unis actuels est estimée à 3,5 millions d’habitants, soit une densité de 3,8 habitants au kilomètre carré, ce qui facilite grandement l’installation des Européens souhaitant s’installer.

    En Amérique du Nord, il y a de la place pour refouler les gens, alors qu’en Algérie il n’y a pas de place pour les refouler.

    Au moment de sa conquête coloniale, quelle était la densité de population en Algérie ?
    Lorsqu’on utilise ce critère ou indicateur de densité de peuplement, on tombe sur des niveaux. Les densités de peuplement étant très différentes, il ne s’agit pas de structures en place et similaires.

    Le territoire algérien compte, vers 1830, 3 millions d’habitants, mais il faut distinguer l’Algérie dite « utile » où les gens peuvent vivre, travailler la terre, obtenir leurs moyens de subsistance, qui est la densité de population sans le Sahara et le Sahara.

    Dans la bande nord bordant la Méditerranée, la densité de population s’élève à près de 14 habitants au kilomètre carré. C’est un seuil qui nous met en présence d’une économie agricole plutôt que, comme en Amérique du Nord, une économie de chasseurs, de cueilleurs et accessoirement d’agriculteurs.

    La population indigène d’Algérie est confrontée à une avancée de la colonisation européenne. Entre 1830 et 1870, la population européenne croît à un rythme plus rapide que la population algérienne, mais cette dernière est confrontée à l’avancée de cette dernière coincée entre le désert saharien et le littoral méditerranéen, sans espace de fuite, contrairement aux Indiens, qui pourrait trouver des territoires alternatifs au centre et à l’ouest de ce qui est maintenant les États-Unis.

    L’échec de la colonisation des colonies européennes est dû au fait que l’Algérie n’est pas un territoire vide ou très peu peuplé toujours prédisposé à recevoir des colons, contrairement aux treize colonies nord-américaines et surtout les colonies du nord. D’autre part, cet échec de la colonisation en Algérie s’explique aussi par le fait que les colons, en s’installant dans l’agriculture, sont en concurrence directe avec les producteurs indigènes.

    A l’époque de la conquête de l’Algérie, il n’était pas concevable d’adopter une politique visant le massacre à grande échelle des populations indigènes ou leur expulsion systématique de leur lieu d’existence habituel.

    Napoléon III a renoncé à cette politique d’extermination et de refoulement, prenant position sur cette question dans sa lettre sur la politique de la France en Algérie publiée en 1865 : dans le désert à l’instar des nord-américains envers les indiens.

    Pour l’Empereur des Arabes, nous devons donc vivre avec les Arabes, à qui nous allons prendre la meilleure terre.

    L’absence de coexistence entre les populations européennes et indigènes sur le continent nord-américain a une conséquence positive pour le colon blanc, c’est-à-dire qu’il ne se trouve pas en situation de concurrence avec les populations indigènes et l’agriculture indigène.

    Le coût de la production indigène en agriculture est plus bas, les agricultures indigènes sont capables de produire la même chose, mais moins cher. Pour que les agriculteurs européens conservent la terre, ils ont besoin d’une intervention qui leur donne des avantages.

    L’Etat interviendra et paiera, dans la formule de la colonisation mixte où il y a une minorité d’européens sur une superficie démesurée. Le maintien de la colonisation européenne nécessite l’intervention de l’État car sinon ils ne peuvent pas concurrencer les producteurs indigènes : c’est l’adoption de mesures favorables à l’agriculteur européen.

    L’Etat intervient au profit de l’agriculteur européen, mais discrimine la population indigène, c’est une solution qui crée des tensions, c’est une bombe à retardement.

    Dans une colonie comme l’Algérie, s’il n’y a pas assez d’Européens, s’ils veulent mettre la main sur des terres disproportionnées, ils ont besoin de main-d’œuvre. L’agriculture européenne, pour se maintenir et se développer, a besoin d’une main-d’œuvre indigène relativement abondante et bon marché.

    Dans ce type de colonie, il y a une dépendance économique vis-à-vis des Européens, de la main-d’œuvre indigène. C’est un trait distinctif non seulement de l’Algérie coloniale, mais d’autres territoires que l’on peut qualifier de colonies mixtes, comme l’Afrique du Sud, le Kenya, mais aussi l’ancienne Rhodésie du Sud.

    Les Européens sont en concurrence directe dans le secteur de la production agricole avec la main-d’œuvre indigène. Si les Européens sont en concurrence directe dans le secteur agricole, alors les Européens devront être favorisés d’une part, mais aussi discriminer la majorité, marginalisant en quelque sorte la majorité de la population.

    L’exemple kenyan fait référence à la question du café. Dans certaines régions du Kenya, à partir d’un certain point, à partir de la Première Guerre mondiale, les colons européens ont commencé à cultiver du café et à l’exporter. L’Etat colonial intervient et interdit aux producteurs africains d’entrer dans cette branche lucrative réservée aux blancs. C’est un résultat typique de la formule de mélange.

    La représentation des colons dans un corps législatif renvoie à l’existence d’un relais politique permettant la défense de leurs intérêts auprès des métropoles. S’agissant d’une minorité protégée, cette petite communauté européenne a la possibilité, en étant représentée dans un organe législatif, de défendre ses intérêts non seulement sur place, mais aussi en métropole. A partir de 1848, les citoyens français d’Algérie ont été autorisés à élire quatre députés à l’Assemblée nationale.

    Les colons étaient très rares en Algérie. Au début des années 1950, il y avait environ 1 million d’Européens, mais parmi ces Européens, il y a très peu de colons qui sont des propriétaires terriens d’origine européenne.

    Au début des années 1950, en Algérie, sur 1 million d’Européens, il y a 19 400 colons qui avec leurs familles représentent environ 75 000 personnes, soit 7 % du nombre total d’Européens.

    Les Européens sont minoritaires, mais ils ne vivent pas en milieu rural. Dans presque tous les cas, les Européens sont des ouvriers spécialisés, des fonctionnaires, des employés, des chauffeurs de taxi, des garagistes, des chefs de gare, des infirmières, des ingénieurs, des commerçants, etc.

    Le règlement européen échoue dans le contrôle de l’espace algérien. L’écart est un gouffre béant entre ce qui était initialement imaginé et ce qui est réalisé, sur le terrain la distance est très grande. On imaginait que des immigrés venus de France s’installeraient sur des terres, dont le nombre augmenterait au fil du temps au point d’accabler la population indigène.

    Selon le rêve de certains milieux coloniaux français, il n’y aurait pas une petite ou moyenne paysannerie française enracinée, la grande majorité de la population européenne resterait une population urbaine. En 1871, la population urbaine française était à 60 % européenne, en 1954 cette proportion était de 54 % avec une forte concentration à Alger et Oran.

    Cette population urbaine est en croissance car avec le temps on assiste à un phénomène de concentration foncière. La propriété foncière sera entre les mains d’un petit nombre de propriétaires, ce qui entraînera un déclin de la population rurale européenne qui se regroupe dans les villes.

    En 1954, environ 6 000 grands propriétaires terriens possédaient à eux seuls 87 % des terres visées par le règlement. C’est un processus de constitution de grands domaines.

    Accaparement des terres

    La politique de colonisation échoue, mais l’accaparement des terres réussit. On est arrivé à une situation où la formule mixte conduit à de très grandes inégalités.

    C’est une minorité de la population qui parvient à mettre la main sur une part disproportionnée des richesses.

    Entre 1830 et 1954, les Européens ont mis la main sur 2,7 millions d’hectares, soit environ ¼ des terres cultivées, tant de l’Etat que de particuliers ou de grandes entreprises capitalistes, dont la société genevoise de Sétif.

    Au Zimbabwe, plus de 85 % des terres sont aux mains des Européens. Il existe des expériences de colonisation où ce processus de spoliation des terres va très loin.

    En Algérie, c’est le plus souvent la meilleure terre sur laquelle le blé est cultivé, puis à partir des années 1880 la vigne sert à faire du vin.

    De 1860 à 1917, l’essentiel des terres passa aux mains des Européens, et l’appropriation eut lieu soit :

    par confiscation : a lieu quand il y a des rébellions sourdes. Pour punir la population, la terre des « rebelles » a été confisquée. Ce fut notamment le cas lors de la rébellion de 1871, qui fut suivie de la confiscation des biens à titre de punition. Il y eut aussi la confiscation des biens destinés à l’entretien des mosquées et des terres occupées par les Ottomans. Les biens du domaine public sont également confisqués.
    par prélèvement : a lieu sur les territoires tribaux.
    par de nouvelles lois : favoriser la constitution de la propriété individuelle et aussi favoriser les transactions privées.
    Il y a une politique coloniale, dans le cas de cette politique, la colonisation européenne échoue, en revanche, la reprise des terres achevées.

    Les Français s’emparent d’environ 25% des terres, mais pour certains auteurs ce serait 1/3. Comparé au cas sud-africain, cela peut sembler peu, puisqu’en Afrique du Sud 87% des terres sont aux mains des Européens.

    Il faut signaler que les colons, très peu nombreux, ne représentent que 2% de la population agricole totale en 1950.

    Au fur et à mesure que la période coloniale avançait, il y avait une tendance à l’augmentation de la propriété européenne d’une part, et une diminution de la propriété indigène de l’autre. L’écart sera grand, en 1950 il dépassera le ratio de 10 pour 1.

    Du côté européen, la tendance était à la concentration des terres entre les mains d’un petit nombre de propriétaires, tandis que les paysans musulmans voyaient leurs terres se rétrécir, incapables de rivaliser à armes égales avec les colons voisins puisque plus de 70 % des indigènes possédaient moins de 10 hectares.

    C’est une des explications de la performance, qui est différente si l’on considère les agriculteurs européens d’une part et les indigènes d’autre part. Les Européens font beaucoup mieux parce qu’ils ont des superficies beaucoup plus grandes, ils sont mieux dotés, leurs domaines sont mieux équipés, ils ont beaucoup plus de crédit et, en fin de compte, ils produisent et commercialisent une grande partie des produits agricoles. En 1950, les 2/3 de la production agricole algérienne étaient produits par des agriculteurs européens et plus de 90 % de son vin.

    Une des caractéristiques de la colonie mixte se retrouve dans ce type d’habitat, compte tenu du fait que les agriculteurs européens sont en concurrence avec les agriculteurs autochtones qui peuvent produire autant, mais à moindre coût, nécessitant une intervention de l’État.

    L’Etat intervient dans la reprise de la terre, dans la répartition de la terre, dans les outils, les équipements, le crédit et dans toute une gamme de soutiens accordés aux agriculteurs européens.

    Quand les historiens intéressés par le bilan coûts-bénéfices de la colonisation de l’Algérie insistent sur le fait que ce territoire coûte cher, car l’Etat intervient pour soutenir une fraction de la population minoritaire afin de pouvoir faire la comparaison.

    La démographie doit être considérée en conjonction avec la structure des terres. Si l’on a la situation et les caractéristiques de la formule mixte, si une minorité de la population détient la majorité des richesses et si cette richesse est constituée par la terre, alors il faut considérer l’évolution des effectifs : il y a Européens et indigènes.

    A partir d’un certain point, ces indigènes qui voient les meilleures terres passer aux mains des Européens, qui voient leurs parcelles se rétrécir, puis leur nombre augmenter contre vents et marées.

    A partir des années 1870, non seulement il y a un renouvellement de la population dite musulmane algérienne, mais elle croît aussi à un rythme élevé : en 1860 la population musulmane est de 2,7 millions, il y a un déclin démographique temporaire qui ne ressemble pas à celui des Américains. ou précédent océanien, en 1920 cette population passe à 4,9 millions et en 1954 elle s’élève à 8,7 millions.

    Le fait que les Européens mettent la main sur une partie excessive des terres, combiné à ce que certains ont appelé une explosion démographique ou un boom démographique, conduira à ce qu’on appelle habituellement dans la lecture spécialisée la prolétarisation de la masse indigène.

    La croissance accélérée de la population musulmane réduit inexorablement la surface disponible par habitant et par famille, de sorte que la production de l’agriculture indigène a tendance à stagner ou à diminuer en raison d’une baisse de rendement ou d’une dégradation des sols.

    A partir de 1860, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, la part du blé produit en Algérie par la paysannerie arabe passe de 80 % à 20 %.

    Il s’agit d’une situation dans laquelle la majorité de la population active agricole et indigène allait être de moins en moins performante en termes de production ou de rendements céréaliers. Une partie de la population active ne possède pas un terrain suffisamment grand. A ces paysans s’ajoutent un plus grand nombre de non-propriétaires, de métayers et d’ouvriers agricoles non-propriétaires permanents ou temporaires.

    Une grande partie est sous-employée ou au chômage : au début des années 1950, il y avait un grand nombre de chômeurs dans les zones rurales, avec près d’un million de chômeurs ruraux en 1954. C’est une masse de paysans « piétinés » qui, à partir du moment ils perdent leurs moyens de subsistance en milieu rural, ont plusieurs choix :

    se faire embaucher dans les grands domaines.
    Ils ont plusieurs choix : * se rendre dans les villes ou sur les chantiers de travaux publics ; c’est un phénomène d’exode rural des paysans appauvris qui vont vers les villes.

    De 1914 à 1954, 2 millions d’Algériens sont restés en France soit comme soldats soit comme ouvriers.

    Inégalités et colonisation « mixte »

    Avec le processus de colonisation apparaît dans le paysage algérien quelqu’un qui était auparavant absent : le prolétaire rural. C’est pourquoi nous avons souligné son absence au début.

    D’autre part, la prolétarisation n’affecte pas l’ensemble de la société indigène. Certains des membres de cette société réussissent soit à conserver leur patrimoine, soit à le renforcer.

    Mais pour la grande majorité, c’est une situation qui se dégrade. Dans une grande partie du pays, les colons possèdent la plupart des terres fertiles.

    Les Européens sont dans les secteurs agricoles et non agricoles, les principaux employeurs, mais il existe des disparités à la fois entre Européens et non-Européens et au sein du groupe européen ainsi que parmi les Algériens musulmans.

    Il faut résister à la tentation de présenter les Européens comme une classe dominante et tous les musulmans comme une masse indifférenciée de prolétaires et de sous-prolétaires. Les deux sociétés ont leurs groupes favorisés ou défavorisés.

    Pour la population européenne, les écarts sociaux sont les plus importants à la campagne. A côté de vastes domaines, il y a des petits exploitants, parfois au bord de la pauvreté, qui n’ont pas été absorbés par le processus de concentration des terres.

    En ce qui concerne la population algérienne musulmane, les écarts apparaissent dans les villes, en milieu urbain il y a des classes moyennes musulmanes dont le niveau de vie est proche de celui de la population active européenne, qui sont majoritairement des salariés et des petits commerçants.

    Il convient de noter les inégalités en termes de statut juridique et politique ; en d’autres termes, dans ce type d’habitat, il existe des inégalités économiques, mais elles sont aggravées par des inégalités de statut juridique et politique. Cette inégalité tend à séparer très nettement ces deux entités, qui sont diversifiées.

    D’un point de vue juridique, il y a le code indigène, qui est un arsenal réglementaire qui ne s’applique qu’aux peuples indigènes ; c’est un système juridique répressif qui ne s’applique qu’aux peuples autochtones. Il est appliqué par l’administration en violation des principes de la séparation des pouvoirs, tandis que le code de l’indigénat prévoit des sanctions collectives en violation du droit français. C’est un régime d’exception établi partout dans l’empire français sauf au Maroc et en Tunisie.

    Vous pouvez être puni si vous désobéissez aux ordres, la punition peut être collective, mais vous pouvez aussi être puni, sachant que pendant la période coloniale il n’y avait pas de libre circulation des personnes si vous êtes pris sans autorisation en dehors de votre quartier, ce qui est soumis à la loi du code de l’indigénat.

    L’inégalité de statut politique est la situation dans laquelle les musulmans autochtones en tant qu’habitants d’un territoire annexé par la France sont des ressortissants français. En 1848, l’Algérie est proclamée partie intégrante du territoire français, constituant trois départements et envoyant des députés à l’Assemblée nationale. Les indigènes musulmans ont la nationalité française depuis 1865, mais pas la nationalité française, tandis que les indigènes israélites, naturalisés collectivement en 1870, bénéficient d’une assimilation légale qui n’est pas soumise au code de l’indigénat.

    Les musulmans indignes peuvent-ils obtenir la nationalité française ? C’est possible, à condition d’en faire la demande, car l’accession à la nationalité française n’est pas un droit, mais une faveur accordée par le colonisateur de manière dissuasive : il faut renoncer à la loi coranique ou aux coutumes berbères. Au final, un très petit nombre d’indigènes musulmans ont accédé à la nationalité française pendant la période coloniale.

    Les Français d’origine autochtone constituent une catégorie qui continue à être discriminée : ils ont des difficultés à accéder à la terre et ne peuvent pas non plus occuper de postes administratifs.

    La colonisation française a bouleversé la société musulmane, ce qui n’était pas le cas de l’occupation ottomane, de la paysannerie, des cadres de la société musulmane algérienne et des élites urbaines. De manière générale, la formule de colonisation mixte est destructrice et génère de fortes inégalités.

    En Afrique du Sud et au Zimbabwe on retrouve les mêmes caractéristiques où la domination européenne se termine toujours par une violence extrême ou tardive. La guerre au Zimbabwe a pris fin en 1980, le démantèlement de l’apartheid a eu lieu en 1990, etc. La domination européenne du Zimbabwe est encore extrêmement violente ou tardive.

    C’est un bouleversement qui concerne en premier lieu la paysannerie, qui est victime de dépossession des terres et qui s’appauvrit.

    Un autre impact de la colonisation est l’éclatement de l’aristocratie musulmane, les grandes familles, les chefs de tribu, la bourgeoisie des grandes villes, qui presque tous disparaissent sous le choc de la colonisation.

    Dans les zones urbaines, il y a comme un renouveau dans le sillage de la colonisation. Les élites urbaines se reconstituent très lentement à partir des années 1900 et surtout après la Première Guerre mondiale. Cette reconstitution des élites urbaines s’opère sous une forme nouvelle, celle des musulmans sécularisés et francisés.

    Les meilleurs représentants de cette élite urbaine qui après l’indépendance s’installent pour une fraction en France sont les écrivains algériens francophones. Cette production littéraire commence à partir du moment où les élites se reconstituent.

    La colonisation mixte attribue à une majorité une part minoritaire des richesses et du pouvoir.

    Ce qui complique le calcul des écarts de revenus dans l’Algérie coloniale, c’est la présence européenne : il faut considérer le revenu individuel moyen de l’agriculteur européen en Algérie, qui en 1954 était 35 fois supérieur à celui de l’agriculteur musulman.

    A la même date, mais cette fois de manière générale pour toute l’Algérie, le revenu moyen d’une famille européenne est 8 fois supérieur à celui d’une famille algérienne. Les trois quarts des Français d’Algérie ont un revenu qui est de 15 à 20 % inférieur à celui de la France métropolitaine, l’écart de revenu entre la France et l’Algérie musulmane était en 1950 proche de 8 voire 8,5.

    A titre de comparaison, en 1950, l’écart de revenu moyen entre les pays occidentaux industrialisés et le bloc alors appelé Tiers Monde était en moyenne de 5,7. L’écart entre la France et l’Algérie est plus important.

    En Algérie, il y a la coexistence économique et sociale de deux communautés. Cette coexistence est ressentie pour les plus humbles comme une Algérie « européenne », moderne, évolutive et enrichissante, d’autre part, coexistant avec cette Algérie il y a une Algérie « traditionnelle » engagée dans un processus d’appauvrissement.

    Cette prise de conscience va transformer la juxtaposition de cette société, les différences deviennent inégales et injustes.

    Qu’aurait-il fallu pour que la colonisation en Algérie ne conduise pas à la guerre ? Qu’aurait-il fallu pour que près d’un million de femmes européennes n’aient pas été obligées de partir ? Qu’est-ce qui aurait empêché l’Etat indépendant d’Algérie de mettre la main sur le patrimoine, la terre et la propriété des Européens ?
    Il aurait fallu quelque chose que ni le gouvernement français ni les pieds-noirs ne voulaient : des réformes en faveur de la majorité. Seules des réformes auraient empêché la radicalisation des luttes nationalistes et le renversement brutal de l’ordre colonial. Aucun gouvernement français ne se montrerait capable de mettre en œuvre des réformes par crainte du mécontentement d’un colon blanc intransigeant.

    Colons européens, les Pieds-Noirs ont une part de responsabilité dans le drame algérien qu’est notamment la guerre d’Algérie de 1954 à 1962 faisant du côté européen près de 35 000 morts et du côté musulman de 300 000 à 350 000 morts.

    Le peuple français d’Algérie a obstinément refusé toute réforme conduisant au déracinement définitif du peuple européen d’Algérie. Cet exode s’est déroulé dans des conditions tragiques, en trois mois de mai à juillet 1962, 800 000 Pieds-Noirs ont quitté l’Algérie, la ressentant comme un exil et un déracinement.

    Le Front de Libération Nationale a été fondé au Caire en 1954, œuvrant à éliminer pendant la guerre et après toutes les autres formations nationalistes concurrentes qui se sont imposées comme le seul parti du gouvernement algérien établi en 1962. Après l’indépendance, le FLN a tendu le front algérien les jeunes et les forces algériennes, et l’exclusivisme a conduit à une guerre civile qui ravage le pays depuis 1992.

    Après l’indépendance et la récupération des richesses nationales, au détriment des anciens colons, donne lieu à l’immigration algérienne vers la métropole, qui se poursuit et s’intensifie en raison de la myopie démographique, mais surtout en raison de l’inefficacité économique de l’ère de l’Etat postcoloniale.

    Dans une telle perspective et au-delà de l’appréciation des responsabilités individuelles ou collectives, l’histoire de la colonisation française en Algérie révèle que, bien que vaincus, dépouillés et humiliés, la grande majorité des musulmans algériens n’a jamais baissé les bras.

    Annexes 

    Références 

    1. ↑ Etemad Bouda – SSP UNIL
    2. ↑ Bouda Etemad (auteur de Empires illusoires) – Babelio
    3. ↑ Publications de Bouda Etemad | Cairn.info
    4. ↑ Bouda Etemad | Armand Colin
    5. ↑ Bouda Etemad – Données BNF
    6. ↑ Bouda Etemad – BiblioMonde

    Baripedia

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