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  • Comment un massacre d’Algériens à Paris a été dissimulé

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    « C’est un miracle que je n’aie pas été jeté dans la Seine », se souvient l’Algérien Hocine Hakem à propos d’un massacre tristement célèbre mais peu connu dans la capitale française il y a 60 ans.

    Environ 30 000 Algériens étaient descendus dans les rues de Paris pour protester pacifiquement contre un couvre-feu et réclamer l’indépendance, près de sept ans après le début de la guerre contre la domination française en Afrique du Nord.

    La police a tué des centaines de manifestants et des dizaines d’autres ont été jetés dans la Seine, ce qui en fait l’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale mouvementée de la France.

    M. Hakem avait 18 ans à l’époque et il a raconté son histoire au journal L’Humanité des décennies après l’événement, qui a été peu rapporté à l’époque. Il faisait partie des quelque 14 000 Algériens arrêtés pendant l’opération.

    Le gouvernement de l’époque a censuré l’information, détruit de nombreuses archives et empêché les journalistes d’enquêter sur cette histoire. Les bulletins d’information contemporains font état de trois morts, dont un ressortissant français. L’affaire n’a pas été couverte par la presse internationale.

    Brigitte Laîné, qui était conservatrice aux archives parisiennes, a déclaré en 1999 que certains documents officiels avaient survécu, révélant l’ampleur des meurtres. « Il y avait beaucoup de corps. Certains avec le crâne écrasé, d’autres avec des blessures de fusil de chasse », a-t-elle déclaré.

    Une photo illustre les sentiments effrayants de l’époque, montrant des graffitis griffonnés le long d’une section de la berge de la Seine, disant : « Ici, on noie les Algériens. »

    C’est le titre du nouveau livre de l’historien français Fabrice Riceputi, qui raconte comment un homme – le chercheur Jean-Luc Einaudi – a cherché inlassablement à recueillir des témoignages, publiant son récit 30 ans après le massacre policier.

    On estime aujourd’hui qu’entre 200 et 300 Algériens ont été tués ce jour-là.

    Au total, 110 corps ont été rejetés sur les berges de la Seine au cours des jours et des semaines qui ont suivi. Certains ont été tués puis jetés, tandis que d’autres ont été blessés, jetés dans les eaux froides et abandonnés à la noyade.

    La plus jeune victime était Fatima Beda. Elle avait 15 ans et son corps a été retrouvé le 31 octobre dans un canal près de la Seine.

    Racisme anti-arabe

    L’une des premières descriptions de l’événement a été publiée en 1963 par l’écrivain afro-américain William Gardner Smith dans son roman Stone Face – bien qu’il s’agisse d’un récit romancé, qui n’a jamais été traduit en français.

    Elle témoigne du racisme anti-arabe de l’époque.

    M. Riceputi estime que l’État français refuse toujours de faire face à cet héritage raciste.

    À l’approche du 60e anniversaire de la tuerie, les relations souvent tendues entre la France et l’Algérie – qui avaient fait l’objet d’un lent rapprochement – ont une fois de plus fait tache d’huile.

    La querelle a commencé le mois dernier lorsque la France a réduit le nombre de visas accordés aux Algériens, accusant son ancienne colonie de ne pas reprendre ceux qui se sont vu refuser un visa.

    Mais c’est une audience du président Emmanuel Macron avec de jeunes descendants de ceux qui ont combattu pendant la guerre d’Algérie qui a suscité le plus de colère.

    Il a demandé si la nation algérienne existerait sans les colonisateurs français.

    Cette question a peut-être été posée dans un esprit de débat, mais elle a provoqué une réaction brutale de la part des Algériens qui y voient un symptôme de l’insensibilité de la France et de la dissimulation des crimes coloniaux.

    Pas d’excuses

    En ce qui concerne le massacre de Paris, l’État a fait très peu.

    En 2012, François Hollande a reconnu que le massacre avait eu lieu – c’était la première fois qu’un président français le faisait.

    Dans une déclaration à l’occasion du 60e anniversaire du massacre, le président Macron a déclaré que les crimes commis sous l’autorité du chef de la police étaient « inexcusables ».

    Pourtant, ces deux déclarations n’ont pas répondu aux attentes de ceux qui ont demandé des excuses et des réparations, et aucune n’a reconnu le nombre de morts ou le rôle de l’État.

    Les partis de gauche français, qui étaient dans l’opposition à l’époque, ont également été critiqués pour ne pas avoir condamné le massacre. Ils ont été considérés comme complices de la dissimulation, étant donné qu’ils ont intenté une action en justice contre la police pour avoir ouvert le feu sur des manifestants anti-guerre, principalement français, tuant sept personnes quelques mois plus tard, tout en restant silencieux sur le massacre des Algériens.

    M. Riceputi affirme que la nature raciste de l’opération ne peut être ignorée – toute personne ayant l’air algérienne était visée.

    La campagne menée contre les Algériens à Paris était officieusement appelée la « ratonnade », qui signifie « chasse aux rats ».

    La recherche d’Algériens s’est poursuivie pendant plusieurs jours après le 17 octobre, la police procédant à des arrestations dans les transports publics et lors de perquisitions.

    Selon certaines informations, les Marocains ont dû apposer le signe « Marocain » sur leurs portes pour éviter d’être harcelés par les descentes de police répétées.

    Des travailleurs immigrés portugais, espagnols et italiens aux cheveux bouclés et au teint foncé se sont plaints de contrôles et de fouilles systématiques, la police les prenant pour des Algériens.

    Les chercheurs affirment également que la police et les forces de sécurité n’ont pas été les seules à prendre part à l’opération : des pompiers et des groupes d’autodéfense y ont également participé.

    Des milliers de personnes ont été expulsées illégalement vers l’Algérie où elles ont été détenues dans des camps d’internement alors qu’elles étaient des citoyens français.

    Une réputation effrayante

    À l’époque, le président Charles de Gaulle est en négociations avancées avec le Front de libération nationale (FLN) d’Algérie pour mettre fin à la guerre et accepter l’indépendance. La guerre prend fin cinq mois plus tard et l’indépendance suit en juillet 1962.

    Mais en 1961, les tensions sont vives et le 5 octobre, les autorités parisiennes interdisent à tous les Algériens de sortir de chez eux entre 20 heures et 5 h 30.

    La marche est organisée pour protester contre le couvre-feu. Les organisateurs ont voulu s’assurer qu’elle soit pacifique et les personnes ont été fouillées avant de monter dans les trains et les bus de la banlieue délabrée pour se rendre dans le centre de Paris.

    Les instructions exactes données aux forces de sécurité n’ont pas encore été établies, mais le chef de la police parisienne de l’époque, Maurice Papon, avait une réputation notoire.

    Il avait servi à Constantine, dans l’est de l’Algérie, où il avait supervisé la répression et la torture de prisonniers politiques algériens en 1956.

    Il a ensuite été condamné par les tribunaux français pour avoir supervisé la déportation de 1 600 Juifs vers les camps de concentration nazis en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était un haut responsable de la sécurité sous le gouvernement de Vichy.

    C’est ce procès, qui s’est déroulé entre 1997 et 1998, qui a permis de lever le voile sur certaines archives classées secrètes relatives au massacre du 17 octobre et d’ouvrir la voie à des recherches approfondies sur cette extraordinaire dissimulation.

    Des enquêtes officielles préliminaires sur les événements ont été menées – et un total de 60 plaintes ont été rejetées.

    Personne n’a été jugé, le massacre étant soumis à l’amnistie générale accordée pour les crimes commis pendant la guerre d’Algérie.

    Pour M. Riceputi, l’espoir est que ce 60e anniversaire contribuera aux efforts visant à établir la vérité et à déterminer les responsabilités dans l’un des massacres policiers les plus sanglants de l’histoire de France.

    Par Ahmed Rouaba

    BBC News, 16/10/2021

  • Un crime d’Etat : imprescriptible

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    Les massacres du 17 octobre 1961 et des jours suivants à Paris perpétrés par la police française contre les manifestants algériens qui protestaient pacifiquement contre l’instauration d’un couvre-feu envers eux seuls, demeurent pour la mémoire collective algérienne et de tous les hommes libres dans le monde, un crime d’Etat imprescriptible.
    Le couvre-feu a été décidé par un conseil interministériel du gouvernement de Michel Debré, fervent partisan de l’Algérie française, à la suite duquel le préfet de police d’alors, le criminel de guerre Maurice Papon, rend public un communiqué dans lequel « il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement entre 20h 30 et 5h 30 du matin. » La police parisienne qui réclamait l’instauration de cette mesure, allait substituer à l’expression « il est conseillé… », le vocable « il est obligatoire… », pour accentuer la répression envers les Algériens, relancée depuis début octobre de cette année-là. 
    Cette mesure discriminatoire et raciste pousse les ressortissants algériens, hommes, femmes et enfants, à l’appel du FLN, à sortir de nuit, sans armes, manifester leur opposition pacifiquement, en ce 17 octobre 1961, qui allait être tragique pour une bonne partie des manifestants. Quelque 30.000 Algériens de la région parisienne sont sortis pour protester contre la mesure discriminatoire les empêchant de circuler de nuit. La police les attendait sur ordre du préfet Papon qui avait dès le matin de ce jour-là, dit à ses troupes qu’« il s’agissait de mener une guerre et non pas de rétablir l’ordre républicain ». Les manifestants ignoraient ce qui les attendait. 
    Les renseignements généraux français avaient dans un rapport, estimé que « la Fédération de France du FLN est en train de sacrifier ses 20 000 militants des deux wilayas de Paris (…) Pour accepter la perte de tels cadres et un démantèlement de l’organisation à Paris, où elle était toute puissante, il faut que la Fédération de France considère la partie engagée comme décisive ». Les milieux colonialistes en France justifiaient la répression engagée par la police française contre les manifestants algériens désarmés par ce qu’ils ont appelé les attentats contre des policiers et des harkis durant ces années-là. 
    Selon ces milieux, la police française était « remontée » contre les éléments nord-africains, c’est pourquoi, ses membres attendaient l’occasion pour « se venger ». Et l’occasion est venue. Aussitôt sortis défiler dans les principales artères parisiennes, nos compatriotes étaient accueillis par des groupes de policiers en armes qui n’ont pas hésité à les utiliser. Et la chasse aux Arabes commença. 
    Durant la nuit du 17 octobre et les jours suivants, il y eut des centaines de morts et de blessés et une centaine d’autres parmi nos compatriotes disparus, jetés dans la Seine. Les plus chanceux, soit plus de 11.000 manifestants, étaient mis aux arrêts, dans des centres d’internement, brimés, insultés, torturés. Tous avaient été assimilés au FLN. 
    Après la tempête, les médias évoquaient quelques tués et blessés comme le leur avait dicté le sanguinaire préfet Papon. On a parlé d’ « affrontements » entre manifestants et forces de répression, alors qu’il s’agissait d’un massacre de civils qui voulaient fuir la police déchaînée contre eux.
    Quelques jours plus tard, un conseiller municipal de Paris, Claude Bourdet, avait interpellé en plein conseil, Papon, lui demandant la vérité sur des écrits dans la presse concernant le repêchage dans la Seine de 150 cadavres d’Algériens, noyés lors des manifestations. « J’en viens d’abord aux faits. Il n’est guère besoin de s’étendre. Parlerai-je de ces Algériens couchés sur le trottoir, baignant dans le sang, morts ou mourants, auxquels la Police interdisait qu’on porte secours ? Parlerai-je de cette femme enceinte, près de la place de la République, qu’un policier frappait sur le ventre ? Parlerai-je de ces cars que l’on vidait devant un commissariat du quartier Latin, en forçant les Algériens qui en sortaient à défiler sous une véritable haie d’honneur, sous des matraques qui s’abattaient sur eux à mesure qu’ils sortaient ? », s’était-il demandé. 
    Le conseiller qui disait disposer de « témoignages de Français et des témoignages de journalistes étrangers », évoquait en outre « cet Algérien interpellé dans le métro et qui portait un enfant dans ses bras ». Il ajoutait que « comme il ne levait pas les bras assez vite, on l’a presque jeté à terre d’une paire de gifles ». 
    Pour lui, il s’agit de faits qui, s’ils sont vérifiés, « ne peuvent pas s’expliquer par une réaction de violence dans le feu de l’action. Ce sont des faits qui méritent une investigation sérieuse, détaillée, impartiale, contradictoire ». Bien entendu, il n’aura aucune réponse à ces questionnements. La chape de plomb jeté officiellement sur ces massacres se prolonge pour des années encore ! Ce n’est que dans les années 1990 qu’on commença en France à évoquer ces massacres dans les médias. 
    L’actuel président français, François Hollande, rendait public en 2012, un communiqué dans lequel il expliquait que « le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. » Cependant, il évite de donner des chiffres sur les massacres. S’il rendait hommage aux « victimes de la tragédie », il ne présente pas aux familles des victimes et aux Algériens en général, les excuses de l’Etat français. 
    Les Algériens eux, n’oublient pas cette journée du 17 octobre 1961, ni les nombreuses autres journées noires du colonialisme français, en Algérie.
    La Patrie News, 17/10/2021
  • Ouest Tribune : Une mémoire honteuse

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    Les dérapages historiques du président français sur la colonisation et l’existence d’une nation algérienne avant l’invasion française rappelle que la nostalgie pour une ère révolue n’est pas une affaire d’extrême droite dans ce pays. Cette célébration du crime contre l’humanité qu’a été la colonisation française en Afrique est donc une affaire d’élite toute tendance idéologique confondue. Il serait injuste de mettre toute l’intelligentsia française dans le même sac, mais disons-le clairement, Emmanuel Macron est dedans sans nuance aucune. Mais ce petit-fils spirituel de Le Pen et les autres affidés de l’Algérie-française est bien embêté tous les 8 mai et les 17 octobre de chaque année. Il ne peut invoquer des faits de guerre, ni une hostilité armée de manifestants. Dans les deux cas, c’est du pur crime d’Etat.

    En cette date anniversaire du 17 octobre 1961 de l’abject assassinat de centaines d’Algériens, souvent de la manière la plus barbare, commis par la police française, les personnalités en vu de l’establishment français n’éprouve pas de honte particulière à se bousculer sur twiter et les chaînes de radio et de télévision pour apostropher les historiens qui disent la vérité et sortir des sornettes sur la prétendue responsabilité algérienne dans la guerre de libération nationale. Comme si l’acte colonial lui-même était, à l’origine, une demande de protection de l’Algérie.

    En cette date-anniversaire, les responsables politiques de l’Hexagone qui protègent leur gagne-pain mémoriel ne savent, en réalité, pas sur quel pied danser.

    L’institutionnalisation de la torture, le déplacement des populations, l’usage du napalm et les bombardements de villages durant la guerre d’Algérie et, plus loin dans l’histoire, les emfumades et les dépossessions des terres des Algériens sont autant de faits historiques. Et tout cela remonte à la surface chaque 17 octobre et 8 mai 45.

    Tout le monde en France, de l’extrême gauche à l’extrême droite en reconnaît la véracité, documents à l’appui. En réalité, personne n’est dupe. Les dernières gesticulations du président Macron n’ont d’autres objectifs que celui de répondre à l’appel des nostalgiques de l’Algérie française.

    Ces derniers, qui faut-il le souligner, perdent du terrain d’année en année et vont droit vers une autre défaite après celle de leur guerre coloniale, ont fait un deal crasseux avec un homme faussement républicain. Dans ce combat d’arrière garde, Macron et consorts ne cherchent pas la vérité historique et encore moins le salut de la République française.

    Par Nabil G.

    Ouest Tribune, 17/10/2021

  • Le Midi Libre : Afin que nul n’oublie !

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    60e anniversaire des massacres du 17 octobre 1961 à Paris:Afin que nul n’oublie !
    17 Octobre 2021
    ll y a 60 ans, des Algériens étaient massacrés, le 17 octobre 1961 à Paris, par la police française au cours d’une manifestation pacifique, pour l’indépendance de l’Algérie en pleine guerre de Libération.

    Ce jour-là, les Algériens de Paris et sa banlieue, hommes, femmes et enfants, avaient décidé de braver le couvre-feu appliqué uniquement aux Maghrébins. Préparée par la Fédération du Front de libération nationale de France, la manifestation pacifique a connu une répression des plus sanglantes au moment où des négociations entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et le gouvernement français se déroulaient en Suisse. Des milliers d’Algériens ont été tués et blessés, dont un nombre important a été jeté dans la Seine par la police française. Concernant ces crimes, la seule réaction officielle des gouvernements français qui se sont succédé a été celle du Président François Hollande, en 2012, qui a reconnu « avec lucidité », au nom de la République, la « sanglante répression au cours de laquelle ont été tués des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ». Une épuration ethnique Des chercheurs de l’université d’Oran spécialisés dans l’histoire de la glorieuse guerre de Libération considèrent que les massacres perpétrés par la police française contre une manifestation pacifique, le 17 octobre 1961 à Paris, est une « épuration ethnique » à l’encontre des Algériens.

    A l’occasion du 60e anniversaire de ces massacres, M. Bendjebbour, du département d’histoire de l’université Oran 1 Ahmed-Ben- Bella, a souligné, à l’APS, que la police française, lors de sa répression sanglante des manifestations pacifiques organisées par des émigrés, a commis un véritable massacre considéré comme « un crime d’État et un crime contre l’humanité ». L’universitaire a indiqué que ces « manifestation pacifiques ont été organisées par la Fédération de France du Front de libération nationale pour protester contre le couvre-feu injuste décrété par les autorités françaises à compter du 6 juin 1961 contre les Algériens ».

    Les organisateurs ne s’attendaient pas à ce que des manifestations pacifiques soient réprimées avec une telle violence. Le chercheur a relevé qu’après la désignation de « Maurice Papon comme préfet de police de Paris, il y a eu une mobilisation de plus de 7.000 policiers et 1.500 gendarmes pour réprimer les mouvements des émigrés, en plus d’autres éléments de différents dispositifsdes services de sécurité ». Des centaines de victimes De son côté, l’enseignante Hassam Soraya, de la même université, a indiqué que ce jourlà, plus de 60.000 Algériens, dont des femmes et des enfants, sont sortis dans les rues parisiennes, tous venus des banlieues de Paris, ignorant le sort funeste qui les attendait. Elle a indiqué que la police française, sur ordre du préfet de police Maurice Papon, a fermé les issues des stations de métro, notamment au niveau de la place de l’Opéra, lieu de rendez-vous des manifestants pour poursuivre leur marche de protestation dans les rues de Paris.

    Les forces de police ont attaqué les manifestants usant de balles réelles, tuant des dizaines d’entre eux dans les rues, les stations de métro, et jetant dans la Seine des dizaines de manifestants, dont les corps flottaient à la surface de l’eau. Selon « les historiens et des témoins de ces atrocités, l’utilisation de la force par l police française a fait plus de 300 morts et plus de 1.000 blessés, en plus de l’arrestation de plus de 14.000 Algériens, a qui de graves supplices ont été infligés ayant entraîné la mort de plusieurs d’entre eux », a ajouté Mme Hassam.

    La répression était des plus barbares, selon les historiens britanniques, Jim House et Neil McMaster, qui ont décrit dans leurs ouvrages Les Algériens et La République et la terreur de l’Etat, la violente répression que les Algériens ont subi le 17 octobre 1961, la décrivant comme « la plus violente répression contre une manifestation en Europe de l’ouest de l’histoire contemporaine ».

    Les historiens ont souligné que ce massacre s’est déroulé sous un blocus médiatique, les journaux français du lendemain des massacres ayant seulement fait part de l’organisation de manifestations pacifiques par les Algériens sans rien divulguer sur la répression sanglante. Malgré l’embargo médiatique, le « 21 octobre, des étudiants et des professeurs de la Sorbonne se sont rassemblés pour dénoncer le couvre-feu imposé aux Algériens et la répression contre les manifestants », ont-ils rappelé, ajoutant que le « 23 du même mois, des manifestations en solidarité avec les Algériens, organisées par des étudiants français, ont sillonné le quartier latin et Montparnasse, en plein coeur de la capitale française ». Les chercheurs ont relevé que les « manifestations du 17 octobre 1961 sont l’une des étapes importantes dans l’histoire de la guerre de Libération nationale et font partie également des contributions de la communauté algérienne, qui a consenti de grands sacrifices pour l’indépendance de l’Algérie ». Ils ont également exigé que les centres des décisions français soient tenus politiquement et juridiquement responsables de crimes d’état perpétrés avec préméditation, exigeant des excuses officielles et le dédommagement des victimes et de leurs proches.

    Rahima Rahmouni

    Stora veut que la France reconnaisse « un crime d’État »

    L’historien Benjamin Stora veut que la France reconnaisse le massacre des Algériens du 17 octobre 1961 comme une « tragédie inexcusable. Il y a une responsabilité de l’État », a-t-il déclaré ce 16 octobre sur les ondes de la radio Europe1.

    Alors que le chef de l’état français s’apprêtait à commémorer la journée en déposant une gerbe de fleurs sur le pont de Bezons, à Paris l’historien Benjamin Stora auteur du rapport sur la mémoire, invité de Jean-Pierre Elkabbach, sur Europe 1, a appelé, lui, « à regarder en face la réalité de ce drame. Il faut que la France reconnaisse cette tragédie comme une tragédie inexcusable ». Le chef de l’état français se contentera de déposer sa gerbe de fleurs et d’observer la minute de silence. Un texte sera diffusé par la suite, selon l’ AFP qui devrait aller plus loin que les quelques mots de l’ancien Président François Hollande. On croit savoir que Emmanuel Macron devrait reconnaître « une vérité incontestable ».

    Une « responsabilité de l’État français »

    Le 17 octobre 1961, 30.000 Algériens étaient venus manifester pacifiquement à Paris, avant de subir une violente répression. Le bilan officiel de l’époque, 3 morts et une soixantaine de blessés, est très loin de la réalité selon les historiens, qui l’estiment aujourd’hui à au moins plusieurs dizaines de morts. Au total, quelque 12.000 manifestants avaient été arrêtés cette nuit-là. »Il y a une responsabilité de l’État, sous l’autorité de Maurice Papon », insiste l’historien, qui appelle dans les colonnes du journal français Libération à reconnaître les crimes du 17 octobre « comme un crime d’État. L’application de l’ordre qui a été mis en euvre l’a été sous la conduite du préfet de police de Paris ». Et Benjamin Stora, de poursuivre : « Quand on dit crime d’État, c’est aussi la possibilité d’identifier qui a fait cela ».

    Une porte-parole de de Gaulle et une archiviste confirment

    En 2017, Des notes de Louis Terrenoire, ministre français de l’Information et porteparole du général de Gaulle entre 1960 et 1962, ont été publiées par sa fille Marie- Odile Terrenoire dans un ouvrage intitulé Voyage intime au milieu de mémoires à vif. Selon Gilles Manceron, historien français spécialiste du colonialisme dans un texte publié sur MediaPart, ces témoignages montrent comment Michel Debré, alors Premier ministre hostile à la paix avec le Front de libération nationale (FLN) et partisan de « l’Algérie française », planifiait ce massacre depuis plusieurs mois pour « lancer une guerre à outrance contre la Fédération de France du FLN ». Feue Brigitte Lainé, l’archiviste qui a révélé les preuves du massacre du 17 octobre 1961, avait accepté de témoigner en faveur de l’historien Jean-Luc Einaudi dans son procès face au sanguinaire Maurice Papon. Son témoignage a été déterminant, il attestait de l’existence de preuves officielles du massacre. Elle a témoigné avec son collègue et ami Philippe Grand que les archives du parquet de Paris confirment la thèse de l’historien sur le massacre prémédité. Brigitte Lainé avait examiné les archives judiciaires de septembre à décembre 1961 et affirmé au procès que « 103 dossiers d’instruction concernant 130 personnes ont été ouverts et que 32 dossiers pour 44 décès ont été classés sans suite ». L’archiviste a aussi cité un réquisitoire définitif du 30 octobre, « relatif à la mort de 63 Nord-Africains, dont 26 n’ont pu être identifiés ». Elle avait expliqué que l’amnistie de 1962, a mis un point final à toutes les instructions encore en cours. Ce témoignage, corroboré par celui de Philippe Grand, permettent à l’historien de gagner son procès et de gagner son procès.

    Chahine Astouati

    Le Midi Libre, 17/10/2021

  • Le Soir d’Algérie: Un 17 Octobre bien particulier

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    L’Algérie commémore, demain, le 60e anniversaire des évènements tragiques du 17 Octobre 1961. L’anniversaire de cette année intervient dans un contexte de crise sans précédent entre la France et l’Algérie qui a rappelé son ambassadeur à Paris depuis plusieurs jours.

    Karim Aimeur – Alger (Le Soir) – Le 17 Octobre 1961, soit moins d’une année avant la proclamation de l’indépendance du pays et de la fin de la colonisation, des Algériens venus manifester pacifiquement à Paris contre un couvre-feu qui visait les Maghrébins, ont été réprimés dans le sang par la police française. Des historiens affirment qu’il s’agit de la plus violente répression enregistrée à Paris depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

    Des centaines de manifestants ont été blessés et des dizaines de morts ont été déplorés, dont plusieurs ont été jetés à la Seine. Pendant longtemps, l’État français a entretenu le mensonge et le déni autour de ce massacre.

    En 2012, à l’occasion de la célébration de l’anniversaire des massacres, l’ancien Président François Hollande a reconnu «avec lucidité» la «sanglante répression» au cours de laquelle ont été tués «des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance».
    60 ans plus tard, l’évènement et la question mémorielle continuent de nourrir la tension entre les deux pays.

    Cette année, la commémoration des massacres du 17 Octobre 1961 intervient dans un contexte inédit où couve une crise sans précédent entre l’Algérie et la France suite à des déclarations du Président français faites le 30 septembre où il a qualifié le système algérien de «politico-militaire», accusant les dirigeants du pays de vivre de la «rente mémorielle» et affirmant que la réduction du nombre des visas visait la classe dirigeante.

    La réaction de l’Algérie ne s’est pas fait attendre. Après avoir dénoncé sans détour des «déclarations irresponsables» et «une grave erreur», l’ambassadeur algérien à Paris a été rappelé pour consultations alors que l’espace aérien a été fermé aux avions militaires français qui l’utilisaient dans le cadre des opérations au Mali.

    Les gestes d’apaisement et les déclarations rassurantes du Président de la France et de son ministre des Affaires étrangères n’ont pas suffi pour calmer la colère d’Alger qui exige de l’ancien colonisateur d’oublier que l’Algérie est une ancienne colonie et que désormais la souveraineté du pays doit être respectée.

    Jusqu’à aujourd’hui, l’ambassadeur algérien en France est toujours à Alger. Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a conditionné son retour à Paris par «le respect total de l’État algérien» par la France.

    La commémoration de cette date historique marquera certainement un autre tournant dans les relations entre les deux pays. Aussi bien du côté français que du côté algérien, des discours officiels et peut-être des annonces sont attendus.
    Emmanuel Macron, qui a multiplié les gestes à l’égard des harkis ayant choisi la voie de la France durant la Révolution algérienne (1954-1962), est attendu, selon certaines sources, à nouveau sur la question de la mémoire ce 17 octobre à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire des massacres.

    Après la tension qu’il a provoquée, Macron a tempéré ses propos, exprimant son souhait à ce qu’il y ait un apaisement parce que, a-t-il expliqué, dans un entretien à France Inter, « je pense que c’est mieux de se parler et d’avancer ». Son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a exprimé, de son côté, le respect des autorités de son pays au peuple algérien, ajoutant que c’est à eux « de décider de leurs choix et de leur débat politique».

    Des observateurs s’attendent à des gestes forts de Macron à cette occasion. Macron va-t-il revenir sur ses propos face à la gravité de la crise provoquée ? Va-t-il franchir un nouveau pas en reconnaissant officiellement la responsabilité de l’État français dans les massacres du 17 Octobre 1961 ?

    Dans son éditorial d’hier, le journal Le Monde a écrit qu’un acte manque encore pour dépasser les traumatismes vécus par les survivants du massacre et transmis à leurs descendants : «La reconnaissance officielle par l’État de sa responsabilité, de celle des hauts dirigeants et de la police de l’époque.»

    Karim Aimeur

    Le Soir d’Algérie, 17/10/2021

  • Le Courrier d’Algérie: Paris évoque le crime, pas ses auteurs

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    Du 17 octobre 1961 au 17 octobre 2021, la mémoire historique transmise de générations en générations d’Algériens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, a fait qu’ils n’ont cessé d’exiger, de l’État Français, la reconnaissance du crime crapuleux et barbare commis en cette nuit glaciale par les autorités françaises, contre des centaines de milliers d’Algériens, manifestant pacifiquement à Paris contre la décision française d’imposer un couvre-feu à leur encontre de 20H à 5H30.

    Dès le matin du 17 octobre 1961, la préfecture de police de Paris a réquisitionné le Parc des expositions, ce qui montre, affirme l’historien Emmanuel Blanchard, qu’elle ne se plaçait pas dans une logique de « maintien de l’ordre » mais qu’elle « préparait une rafle gigantesque » pour assassiner les dizaines de milliers d’Algériens manifestant pacifiquement au cœur de Paris, pour la liberté et la dignité d’un peuple en lutte pour son Indépendance. « Les Algériens étaient sortis à coups de poing des cars, ils se ramassaient par terre et là, passaient entre une haie de policiers qui les recevaient à coups de pieds, de poings, de bâtons, de bottes », la violence, témoigne un homme « est arrivée à un point que je n’arrivais pas à imaginer » dira-t-il, alors qu’il était en ce temps un jeune étudiant. Le monde et bien avant lui l’opinion française ont découvert, avec les centaines de corps d’Algériens, femmes, enfants, vieux, jeunes et moins jeunes jetés à la Seine de Paris, par les autorités policières françaises, non seulement la cruauté des pratiques du système colonial français en Algérie, qui a été jusqu’à exterminer les Algériens, en ce 17 octobre 1961, sous les cieux de Paris, qu’ils pensaient être la capitale des droits de l’Homme et des lumières. La chasse à l’homme lancée suite à des instructions émanant des plus hautes autorités de l’État français de l’époque, à la présidence, le Général De Gaulle, à la tête du gouvernement Michel Debré,- son fils Jean-Louis Debré a été l’instigateur de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 qui enjoignait aux enseignants de faire état du rôle positif de la colonisation française, et le préfet de police, n’était autre que Maurice Papon, qui était avec son appareil policier répressif, seul criminel présent sur la scène du crime qui a duré plusieurs heures, voire des jours, en plein cœur de Paris.

    Si les milliers d’Algériens qui n’ont pas connu le sort tragique de leurs frères, sœurs et enfants morts noyés dans la Seine, dont des corps ont été retrouvés des jours après, du côté de Rouen, comme le rappellent souvent les enfants des victimes et des historiens étrangers et français, des milliers d’Algériens sont restés entassés dans les locaux de police, au Palais des Sports, à Vincennes, ou au stade Coubertin, sans soins, ni assistance mais soumis, durant plusieurs jours, à des tortures, physiques et psychiques, de leurs bourreaux, les autorités policières de France. Si ce n’est qu’en 1991, que la voix étouffée des Algériens noyés dans la Seine commençaient, à peine, de raisonner dans la capitale française, notamment par des collectifs d’Associations, le travail remarquable de l’historien chercheur, Jean-Luc Einaudi, qui a mis la lumière sur les crimes des autorités françaises contre les Algériens en cette nuit du 17 octobre 1961.

    Des assassinats d’Algériens par des policiers qui se sont aussi appuyés sur la complicité, dans ce crime de français partisans « de l’Algérie française », usant de tous les moyens : matraques, couteaux, manches de pioches ou des crosses de fusils .. « Ici on noie les Algériens » a rattrapé la politique des autorités françaises, imposant un rideau de fer sur la pire répression sanglante et barbare d’une manifestation qu’a connu, non seulement la scène Française, depuis la révolution de France, mais aussi européenne, comme le soulignent des historiens notamment des occidentaux, dont des français.

    À ce jour, l’opinion française ainsi que les générations d’Algériens à l’intérieur et à l’extérieur de la France s’interrogent sur l’absence de toute information relative à l’identification du criminel, dans les textes portés sur les plaques commémoratives érigées en France, dont à Paris. La mémoire aux victimes des massacres du 17 octobre 1961 est inscrite, mais par qui ces meurtres ont été commis, n’y figure nulle part et ce n’est nullement un hasard. Dans une de ses déclarations, le défunt historien, Jean-Luc Einaudi, avait eu à affirmer que « la position de l’État français reste celle de Maurice Papon, il y a 50 ans », indiquant que la France officielle refuse de reconnaître ses crimes contre l’humanité, notamment, ceux commis en cette nuit du 17 octobre 1961, mais aussi ceux que son système colonial a perpétré contre les peuples, dont le peuple algérien.

    Il est à rappeler qu’après cette nuit de massacres d’Algériens en plein Paris, les Algériens ont continué les jours suivant à être violentés, torturés, pourchassés et aussi expédiés en Algérie dans des camps d’internement, inspirés des pratiques du fascisme hitlérien. Le préfet de police de Paris, en poste depuis 1958, Maurice Papon, a continué d’occuper cette fonction, des années après la nuit de ses massacres contre les Algériens, pour ne le quitter qu’en 1967. Il a été condamné à dix ans de réclusion criminelle en 1998, non pour ces crimes contre les Algériens en cette nuit du 17 octobre 1961, ou ceux qu’il a commis bien avant et après cette date, mais pour «complicité de crimes contre l’humanité », en raison de son rôle dans la déportation de 1 690 juifs de Gironde.

    La France officielle continue, à ce jour, 60 ans après, à fuir ses responsabilités engagées, dans ce qui a été son passé de colonisateur. Le défunt historien Jean-Luc Einaudi a chiffré à plusieurs centaines le nombre d’Algériens tués le 17 octobre 1961, alors que la France officielle occultait encore ce crime et, forcée par moment, avançait qu’ils n’étaient que près d’une quarantaine de victimes.

    Dans son livre « la Bataille de Paris », Einaudi écrit, « jetés dans la Seine, tués par balle ou morts, le crâne fracassé par des manches de pioche ou des crosses de fusils: 50 ans après, (2010), une chape de silence officiel pèse toujours sur la sanglante répression d’une manifestation d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris ».

    Karima Bennour

    Le Courrier d’Algérie, 17/10/2021

  • Horizons: 17 Octobre 1961, un jour sang pour les Algériens

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    Jamais l’Histoire coloniale n’a été aussi fortement convoquée que durant ces derniers temps. Campagne électorale présidentielle française oblige, l’ancienne puissance coloniale remet au goût du jour ses missions civilisatrices dans les guerres impérialistes et coloniales qu’elle a fait subir notamment aux peuples du continent africain. Le président Macron a ouvert le feu dans une volte-face mémorielle jetant un froid inédit sur les relations algéro-françaises et donnant le LA à presque toute la classe politique de l’Hexagone. Et c’est, bien sûr, par l’Algérie que les candidats de l’extrême-droite puis de la droite ont entamé leur surenchère révisionniste. C’est que le «joyau» perdu de la France est resté en travers de la gorge des partisans de l’Algérie française. Une question se pose : marqueront-ils une pause dans leurs propos haineux à l’occasion de ce 17 Octobre ? Peut-être. Il faut juste leur rappeler que c’est Maurice Papon, celui qui a pris soin de déporter des milliers de juifs durant la Seconde Guerre mondiale vers les camps de concentration nazis, qui a été chargé par l’Etat français de mater coûte que coûte la marche pacifique des Algériens de Paris en 1961.
    Alors que les relations diplomatiques entre l’Algérie et la France sont toujours tendues et au bord d’une rupture jamais égalée, et pour cause, les dernières déclarations du président français Emmanuel Macron sur la nation algérienne, une date et un massacre viennent rappeler à la France ses «œuvres» coloniales et à l’Algérie son combat pour la liberté, ses souffrances et ses martyrs.

    Une date, le 17 Octobre 1961, une oppression des plus violentes, des Algériens tués et d’autres jetés vivants dans la Seine, avait remis en cause la France des «droits de l’homme ». Le tristement célèbre 17 Octobre est une tache des plus noires dans l’histoire coloniale de la France. A ce jour, la France ne se regarde pas en face et ne reconnaît que timidement ce qui s’est passé ce jour-là. Elle tente d’occulter cette terrible date et d’autres sinistres dates dans sa conquête de l’Algérie.

    Après les années de l’indépendance de l’Algérie, il était impossible et inadmissible pour l’Etat français d’accepter le rappel de ces évènements, ou la commémoration de cette date sous quelques formes possibles. De Charles de Gaulle à Valéry Giscard d’Estaing, ces terribles événements sanglants ont été sciemment occultés pour préserver la nouvelle France et le fameux slogan «Liberté, égalité, fraternité».

    Quand Octobre noir nous remet dans l’histoire !

    Les Algériens de France de l’époque, à travers la Fédération de France, ne faisaient que remémorer dans un cadre restreint cette date de l’histoire du combat de l’Algérie. Il faut se rappeler qu’en ces temps troubles des années 1960 et 1970, les relations entre l’Algérie et la France, ancienne colonie «non repentie» encore, étaient tumultueuses. Nos immigrés sur la terre de Jean-Paul Sartre étaient la cible quasi quotidienne des groupes racistes et des «défenseurs» de «l’Algérie française». Des Algériens résidant en France étaient agressés et même «assassinés» dans les rues obscures, dans le métro à leur retour du travail le soir. Des Algériens partis pour travailler et gagner le «pain» de leurs familles restées en Algérie ont fait les «beaux jours» des mines françaises et ont fait tourner la machine chez Peugeot et Renault. Certains revenaient dans des cercueils.

    L’avènement et la montée du socialisme en France, avec l’investiture de François Mitterrand en 1981, allaient atténuer un peu cette «haine» française envers les Algériens. Les relations entre les deux pays prennent un envol prometteur. Mais tout était d’ordre politique, diplomatique et économique. La mémoire, elle, devait attendre encore. Durant le règne de Mitterrand, rien de concret n’a été fait pour reconnaître ce 17 Octobre encore moins d’autres dates sanglantes de la guerre d’Algérie et du colonialisme français.

    Durant ces années de l’après-indépendance de l’Algérie, les écrits d’historiens, algériens et français, ont permis d’entretenir la mémoire et mis à mal l’histoire de la colonisation. Les socialistes de Mitterrand, pris entre leurs «valeurs sociales et humanistes» et la position parfois «tiède» et souvent «froide» de leur leader Mitterrand vis-à-vis de l’histoire coloniale et la guerre d’Algérie, ne pouvaient vraiment aller de l’avant. L’histoire retient que Mitterrand était ministre de l’Intérieur de juin 1954 à février 1955 sous le gouvernement Pierre Mendès France.

    Un révélateur, le procès Papon

    Le président français le plus proche de l’Algérie et le plus à l’écoute de l’histoire commune est sans doute Jacques Chirac. C’est bien lui qui a fait le premier pas, lors de son 2e mandat, pour se rapprocher de l’Etat et du peuple algériens et aussi de l’histoire. C’est durant son règne que les Algériens ont pu ouvertement célébrer et commémorer les sanglants événements du 17 Octobre 1961. Finalement, c’est la droite qui a bousculé les choses dans le contexte politique des années 1990.

    Et il fallait attendre le procès de Maurice Papon pour que les événements tragiques du 17 Octobre 1961 deviennent publics. Et attendre l’année 2012, quand, à l’occasion du 51e anniversaire de la manifestation, le président François Hollande «reconnaît avec lucidité», au nom de la République, la «sanglante répression» au cours de laquelle ont été tués «des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance».

    Avant lui, il y a eu Sarkozy qui avait soufflé le chaud et le froid dans les relations entre les deux pays, tout comme le fait aujourd’hui le président Macron. Entre-temps, et entre les passages des présidents français, les Algériens n’ont jamais oublié ce qui s’est passé ce 17 Octobre, il ya de cela 60 ans. Chaque année, ils sont fidèles au rendez-vous de l’histoire et de la mémoire, ils se mettent sur les bords de la Seine pour rendre hommage aux martyrs de ce jour…quand des Algériens, lors d’une marche pacifique, seront tués en plein Paris et sous le regard de la France et du monde. Sur plus de 200 morts, des dizaines seront jetés dans la Seine…

    Fayçal Charif

    Horizons, 17/10/2021

  • 17 octobre 1961, la manifestation la plus réprimée de l’histoire

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    Qu’il pleuve ou qu’il vente, la ‘’Ville-Lumière’’ ne rompt jamais avec son exercice de prédilection : captiver et tenir en haleine la trentaine/quarantaine de millions de touristes qui, bon an, mal an, déambulent entre les deux rives de la Seine.
    Au rythme des croisières des Bateaux Mouches, la ville des ‘’démons et des anges’’ bat le rappel de tout ce qu’elle compte comme séducteurs pour se raconter et se portraiturer avec cette art de la narration dont elle s’enorgueillit. A tout seigneur, tout honneur, Edith Piaf, Léo Ferré, Charles Aznavour, Jean Ferrat, Claude Nougarou donnent au ballet des Bateaux Mouches des allures d’escapades “lune de miel’’.

    Slalomant entre rive gauche-rive droite, Paris by Seine déroule son ‘’storytelling’’. Les guides touristiques accrédités auprès de l’Office de tourisme de la mégalopole parisienne font œuvre d’histoire et de mémoire. Et tous azimuts. Tout y est. Histoire d’abord : comment, à partir de l’île de la Cité, puis de l’île Saint-Louis, ‘’baris’’ s’est construite et comment, chemin faisant, elle a tissé, sa toile architecturale, une singularité patrimoniale devenue un corpus académique pour les écoles d’architecture du monde entier.

    La ‘’Mecque’’ des touristes en quête d’escapades à multiples facettes raconte tout. Elle ouvre ses pages ‘’Lumières’’ – cafés littéraires, Quartier latin et ses maisons d’édition, Comédie française, Théâtre de l’Odéon, Opéra, Louvre, Institut Pasteur – et ne rechigne pas à étaler ses épisodes sombres : la Commune, Jean Valjean et les Misérables, la famine, la peine capitale, la livraison de Paris au III Reich, l’antisémitisme, le Vél’d’Hiv’, Drancy, ‘’Paris ! Paris outragé ! Paris brisé 1 Paris martyrisé ! mais paris libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France’’, dixit le général de Gaulle.

    Aux touristes venus se détendre et enrichir leur ‘’capital savoir et culture générale’’, Paris raconte tout. Tout ? Pas tout à fait. Le Paris sanglant de la soirée du 17 octobre 1961 brille par son absence dans la narration de la ‘’Ville Lumière’’ et la ‘’capitale des droits de l’homme’’. De la ‘’Journée portée disparue’’, les ‘’guides historiens’’ embarqués par la société ‘’Bateaux Mouches’’ pour éclairer la lanterne des touristes n’en soufflent pas le moindre mot.

    Au rythme des croisières entre le Champ de Mars/Tour Eiffel et d’Austerlitz, la Seine se raconte avec force détails mais se garde d’évoquer les dizaines et dizaines de corps d’Algériens jetés, depuis les ponts de Saint-Michel, Neuilly, Bezons. En témoigne, pour l’Histoire et la postérité, un cliché omniprésent sur la Toile, un graffiti en cinq mots qui, clandestinement, avait bariolé un des quais de la Seine : ‘’Ici, on noie les Algériens’’ ! De Google à Yahoo en passant par AOL et le chinois Baidu, les principaux moteurs de recherche déploient le visuel sous les yeux de l’internaute à la moindre requête ‘’17 octobre 1961’’.

    Soixante ans après les faits, l’autre 17 octobre — ‘’Le 17 octobre des Algériens’’ pour reprendre le titre du livre de Marcel et Paulette Péju – souffre toujours d’une chape de plomb multiforme : médiatique, mémorielle et politique. Il y a soixante ans jour pour jour, par une nuit parisienne pluvieuse, les Algériens de Paris et ses banlieues subissent – dans leur chair — ‘’derniers feux de la folie coloniale’’, selon la formule de Gilles Manceron, l’un des historiens qui, depuis le début des années quatre-vingt-dix, n’en finissent pas de bousculer la chape de plomb qui pèse sur la ‘’journée portée disparue’’. C’était cinq mois avant les accords d’Evian et le cessez-le-feu.

    Le ton martial Papon

    Le 6 octobre 1961, le préfet de police, Maurice Papon, signe un communiqué avec une sémantique au ton martial. Adressé à l’ensemble des rédactions, le texte est rédigé à l’encre de la mise en garde. ‘’Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rue de Paris et de la banlieue parisienne de 20h30 à 5h30 du matin’’.

    De surcroît, Papon et sa police recommandent ‘’très vivement’’ aux Algériens de ‘’circuler isolément, les petits groupes risquant de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police’’. Last but not least, ‘’les débits de boissons tenus et fréquentés par des français musulmans doivent fermer chaque jour à 19 heures’’. Représentée en France par la Fédération de France du FLN (FF-FLN) – la ‘’7eme Wilaya’’, selon la formule imagée de Ali Haroun –, la direction de la révolution ne l’entend pas de cette oreille. ‘’C’est inacceptable’’, réagit-elle à la mesure du couvre-feu. La FF-FLN appelle à manifester dans les rues de Paris.

    Pour avoir lu et relu les documents de la Fédération de France, pour avoir discuté avec nombre de ses responsables, le journaliste et éditeur Renaud de Rochebrune et l’historien Benjamin Stora soulignent à grand trait la motivation de la FF-FLN. La manifestation dans Paris était dirigée ‘’contre cette mesure attentatoire à la liberté fondamentale d’aller et venir, mais surtout discriminatoire et pour tout dire raciste’’.

    Dans leur livre ‘’La guerre d’Algérie vue par les Algériens’’ (Paris, Denoël 2016), de Rochebrune et Stora remettent en perspective la manifestation du 17 octobre 1961 et la revisitent au miroir des manifestations du 11 décembre 1961. ‘’Entre décembre 1960 et octobre 1961, à Alger et à Paris, les +masses algériennes+, comme on disait volontiers à l’époque, vont faire irruption sur le devant de la scène, et +faire+ l’Histoire.

    Dans les deux capitales, de la métropole coloniale et de l’Algérie encore française, ce sont les ouvriers et les étudiants, les sans-droits et les chômeurs qui vont tenter de s’emparer du centre de ces grandes villes d’où ils sont exclus. Prendre possession des espaces citadins, pour les Algériens, ce n’est pas anodin, c’est déjà accéder à une forme de modernité, vouloir peser sur les décisions politiques, utiliser les villes comme des caisses de résonance pour faire valoir sa cause et ses frustrations. Cela marque aussi une date car, alors, la révolution est de retour dans les centres urbains où, sauf exception comme dans le Constantinois en août 1955 puis dans la capitale fin 1956, début 1957, elle était peu présente au début de la guerre et encore moins depuis la fin de la bataille d’Alger’’.

    Des manifestants pacifiques et disciplinés

    La décision de la Fédération de France du FLN d’en appeler à la mobilisation pacifique de la rue a effrayé les autorités. Le ministre de l’Intérieur Roger Frey et le préfet de police décrètent une alerte sécuritaire sans précédent. CRS, gendarmes et policiers des Renseignements généraux se déploient en grand nombre aux portes de Paris, sur les ponts qui traversent la Seine, aux grands carrefours et sur les grandes artères haussmanniennes.

    La FF-FLN fait montre d’un sens remarquable de l’organisation et apporte la preuve qu’elle jouit d’une écoute auprès de l’immigration. Émises via les militants, les instructions de la Fédération de France sont respectées à la lettre. Disciplinés, les manifestants se sont prêtés de bonne grâce aux fouilles des organisateurs FLN.

    Venus des bidonvilles de l’ouest et du nord-ouest parisiens – Nanterre, Levallois, Genvilliers – mais aussi de la Seine-Saint-Denis, les manifestent convergent surtout sur les Grands Boulevards – côté métro Bonne Nouvelle et le cinéma le Grand Rex – avant de marcher vers l’Opéra et traverser la Seine en direction du Quartier latin et du boulevard Saint-Germain. Singularité de cette manifestation – les photos en attestent –, on ne relève ni slogans, ni banderoles, ni drapeaux. Les 20.000 à 30.000 marcheurs – 40.000 à en croire la Fédération de France – manifestent pacifiquement. ‘’L’action de la Fédération de France du FLN, au cœur de Paris, frappe l’opinion française qui voit, brusquement, la ville vivre une situation de guerre, notent de Rochebrune et Stora.

    Permettant à la presse internationale de témoigner de ce combat des Algériens pour leur liberté, cette manifestation de masse montre la puissance d’engagement des immigrés aux côtés du FLN. Et leur maturité politique, car aucun manifestant n’est armé’’.

    Onze jours après avoir atterri dans les rédactions, le communiqué au ton martial de Maurice Papon se traduit à l’épreuve du terrain. Une répression en règle s’abat sur les manifestants dès le début de soirée. Des rafales d’armes automatiques se font entendre dans les secteurs des boulevards Poissonnière, Bonne-Nouvelle et Montmartre. Des victimes sont signalées. Chargés sans ménagement, des manifestants se réfugient à l’intérieur des stations de métro. Ils sont rattrapés par les forces de polices qui ne lésinent pas sur la matraque.

    Tout au long de la nuit, les 9e et 10e arrondissements se transforment en lieu de rafles massives. Répression oblige, le palais des Sports de Paris change de vocation. Programmé depuis des mois pour abriter un concert du chanteur et musicien américain Ray Charles, le lieu a fait l’objet d’une réquisition et sans autre forme de procès. Il sera, des semaines durant, un lieu de détention des manifestants raflés dans Paris et sa banlieue. Cette ‘’nuit portée disparue’’ verra l’entrée en lice des ‘’harkis à Paris’’ comme le racontera, plus tard, la journaliste Paulette Péju, épouse de Marcel Péju, compagnon de Jean-Paul Sartre, secrétaire des ‘’Temps modernes’’ et signataire du ‘’Manifeste des 121’’ sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.

    A l’heure des bilans pour les besoins – contraints – de la communication officielle, Préfecture de Police et ministère de l’Intérieur parlent de deux morts, soixante-quatre blessés et 11 538 arrestations. Dans la foulée de la répression, la Fédération de France du FLN évoque 200 morts et 400 disparus. Plus tard, à l’heure de la sortie en France de son livre ‘’La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France’’ (Paris, Le Seuil 1986), Ali Haroun, membre du Comité fédéral de la Fédération de France dira : ‘’La Fédération a été dans l’incapacité de fixer le nombre (des victimes) de manière précise, d’autant que, parmi les éléments recensés +disparus+, il devait se trouver nécessairement des militants transférés en Algérie et dont on ne retrouve plus la trace.

    Cependant, la synthèse des rapports militants sur le cas précis des tués, le 17 octobre et les jours suivants, par balles, matraquages, noyades et autres moyens, permet de les chiffrer approximativement à 200 et les blessés à 2300’’. Résolument engagée en faveur de l’indépendance algérienne, ‘’Les Temps modernes’’ – revue animée par le trio Sartre- Claude Lanzmann et Péju – avait cité à l’époque une autre estimation officieuse de l’Inspection générale de la police, un organe rattaché au ministère de l’Intérieur : 140 morts.

    Dans ‘’La Bataille de Paris, 17 octobre 1961’’ (Paris, Le Seuil 1991) – livre qui a fait rejaillir la tragédie dans le débat médiatique –, le chercheur Jean-Luc Einaudi avait parlé de 150 morts avant de réviser le bilan à la hausse (200 morts). Auteurs d’un travail académique fondateur et très documenté sur le sujet – ‘’Paris 1961/ Algerians, State Terror dans Memory’’ (Oxford University Press 2006), les historiens britanniques Jim House et Neil Mac Master livreront une estimation de l’ordre d’une ‘’centaine’’.

    Mais, au-delà de cet indicateur, le travail des deux anglo-saxons aura le mérite de souligner la ‘’terreur d’Etat’’ de la France coloniale à l’heure et de la répression sanglante du 17 octobre 1961. Et de la situer au miroir de répressions urbaines qui ont marqué l’Histoire. ‘’Le 17 octobre des Algériens’’ (dixit Marcel et Paulette Péju) a été la répression ‘’la plus violente et la plus meurtrière qu’ait jamais subie une manifestation de rue désarmée dans toute l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale’’.

    Par S. Raouf

    Le Jeune Indépendant, 17/10/2021

  • El Moudjahid : Le 17 octobre 1961, un crime d’Etat

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    Le 17 octobre 1961, l’Etat français, drapé de la toge des droits de l’Homme, commettait un crime contre des Algériens qui manifestaient pacifiquement pour leur indépendance et contre un couvre-feu discriminatoire.

    Crime d’État, en ce sens qu’il a été perpétré par des forces de police qui relevaient de l’autorité souveraine de la France et ordonné en haut lieu. Soixante ans après, aucun coupable n’a été jugé ni condamné. Une censure impitoyable a été orchestrée pour empêcher la vérité d’apparaître au grand jour et pour que les instigateurs de cette forfaiture ne soient pas inquiétés.
    Comment était-il possible que la police française tue plusieurs dizaines de personnes, en plein cœur de la capitale, sans que cela suscite un scandale de grande ampleur ?
    Une police aidée dans cette sanglante chasse aux Algériens par des supplétifs.

    Un bilan officiel, minimaliste à souhait, ajouta le mépris au crime et au déshonneur. Il fallut attendre 1991 et l’ouvrage de Jean-Luc Einaudi La Bataille de Paris, 17 octobre 1961, pour que le voile soit levé de façon décisive sur une violence instrumentalisée au plus haut sommet de l’État. Les prétoires furent aussi des lieux où la parole vint déliter un mensonge d’État, ébranlé par l’accumulation de témoignages, de travaux d’historiens… Du côté des acteurs algériens, le livre d’Ali Haroun sur la Fédération de France du FLN en 1986, a apporté d’autres éléments.

    Le temps de l’occultation s’érode, des brèches sont ouvertes dans ce mur du silence.
    Il faut saluer la probité d’un Pierre Bourdieu qui déclara : «J’ai maintes fois souhaité que la honte d’avoir été témoin impuissant d’une violence d’Etat haineuse et organisée puisse se transformer en honte collective.» L’eau a donc fini par user la pierre.

    Plus que jamais, les revendications d’une reconnaissance des crimes de la police du sinistre Maurice Papon, actionné par les plus hautes sphères de la décision du régime gaulliste, sont d’actualité non seulement de la part des descendants des victimes de ces atrocités, mais aussi à la faveur d’une mobilisation citoyenne en France et en Algérie. Soixante ans après ces évènements tragiques, les chefs d’Etat français persistent dans une politique de dénégation qui exclut toute reconnaissance officielle. Pire, Macron remet même en cause l’existence de la nation algérienne avant la colonisation. N’est-ce pas là l’expression la plus abjecte du déni raciste ?

    La France doit impérativement reconnaître et condamner les crimes commis contre des manifestants algériens pacifiques, mais aussi tous les crimes commis en Algérie depuis 1830.

    Il importe de faire comprendre que les Algériens ne sauraient exister en dehors de l’histoire et du traitement des dossiers de la Mémoire qui ne sauraient faire l’objet d’aucune renonciation. C’est dans cet esprit que le président Tebboune a affirmé le «souci ferme de traiter les dossiers de l’Histoire et de la Mémoire, sans complaisances, ni compromissions et avec le sens aigu des responsabilités que requiert le traitement impartial et intègre, loin des engouements et de la prédominance de la pensée colonialiste arrogante sur des lobbies incapables de s’affranchir eux-mêmes de leur extrémisme chronique».

    L’attachement de l’Algérie à l’exigence d’un règlement global du dossier mémoriel reposant sur la reconnaissance définitive, par la France, de ses crimes contre le peuple algérien est une position de principe qui fait l’unanimité auprès de la nation tout entière.

    EL MOUDJAHID, 17/10/2021

  • Une « sanglante répression » contre des Algériens à Paris

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    Il y a 60 ans, le 17 octobre 1961, 30.000 Algériens, venus manifester pacifiquement à Paris subissent une violente répression. Bilan officiel : trois morts et une soixantaine de blessés, très loin de la réalité selon les historiens. Nous sommes six mois avant que les accords d’Evian ne scellent l’indépendance de l’Algérie, encore française. Les « Français musulmans d’Algérie » affluent depuis leurs bidonvilles en banlieue ou les quartiers populaires parisiens où ils vivent.

    A l’appel de la branche du Front de libération nationale (FLN) installée en France, les manifestants ont bravé l’interdiction décrétée par le préfet de police, Maurice Papon (qui sera plus tard condamné pour complicité de crimes contre l’humanité, dans les années 1990, pour son rôle dans la déportation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale). Ces manifestants vont subir la répression la plus meurtrière en Europe de l’Ouest depuis 1945, selon l’historien Emmanuel Blanchard. Quelque 12.000 manifestants sont raflés ce jour-là par la police. Des cadavres criblés de balles ou marqués par les coups seront repêchés dans la Seine les jours suivants. Bien plus que le bilan officiel. En 1988, Constantin Melnik, conseiller au cabinet du Premier ministre Michel Debré pendant la guerre d’Algérie, estimera que les « exactions » de la police ont fait une centaine de morts, tandis qu’un rapport au gouvernement en 1998 en comptabilisera 48.

    Difficiles à établir précisément, les bilans avancés au fil des ans par les historiens vont d’une trentaine à plus de 200 morts. Aujourd’hui, ils s’accordent sur « au moins plusieurs dizaines de morts » du fait de la police le 17 octobre, selon M. Blanchard.

    Une gigantesque rafle planifiée

    En 1961, la Guerre d’Algérie dure depuis sept ans et les « Français musulmans d’Algérie », qui vivent depuis des mois les rafles et contrôles intempestifs de la police ou les « ratonnades » meurtrières d’escadrons clandestins favorables à l’Algérie française, sont soumis depuis le 5 octobre à un couvre-feu à Paris. Le 17 octobre, les manifestants veulent à la fois protester massivement contre ce couvre-feu et témoigner en nombre leur solidarité aux Algériens qui se battent au pays pour l’indépendance. Depuis le début de l’année, plusieurs policiers ont de leur côté trouvé la mort dans des attentats isolés attribués au FLN en région parisienne, « au moins cinq au cours du mois de septembre et début octobre », selon M. Blanchard. Pour le Premier ministre Michel Debré, le couvre-feu vient opportunément empêcher le FLN de collecter le soir des fonds destinés à son combat. Dès le matin du 17, la préfecture de police a réquisitionné le Parc des expositions de Paris, ce qui montre qu’elle ne se plaçait pas dans une logique de « maintien de l’ordre », mais qu’elle « préparait une rafle gigantesque », explique M. Blanchard.

    En quelques heures, des milliers d’Algériens sont brutalement entassés dans des cars de police ou des bus réquisitionnés et rassemblés dans plusieurs lieux de Paris ou de la proche banlieue où leur identité va être vérifiée. Mais avant, les coups pleuvront. Jacques Simonnet, alors étudiant, a raconté en 1999 devant la justice ce qu’il avait lui-même vu au Palais des sports: « Les Algériens étaient sortis à coups de poing des cars, ils se ramassaient par terre et là, passaient entre une haie de policiers qui les recevaient à coups de pieds, de poings, de bâtons, de bottes. La violence est arrivée à un point que je n’arrivais pas à imaginer ». La majorité des blessés ne sont pas dirigés vers des hôpitaux. Une fois identifiés, certains sont expulsés vers l’Algérie, d’autres internés dans des camps et les derniers, renvoyés chez eux.

    « Répression coloniale »

    Dès les premiers manifestants engagés sur le pont de Neuilly, à l’ouest de Paris, des coups de feu mortels sont tirés par des membres de la Force de police auxiliaire (FPA), mais aussi par des gardiens de la paix, sur une foule calme, endimanchée et parfois venue en famille, et surtout non armée, rappelle M. Blanchard.

    La violence des policiers se déchaîne à l’écoute de messages radio mensongers de la police annonçant à tort la mort par balles de collègues. Tirs et charges ont lieu aussi dans plusieurs lieux de la capitale, comme sur les Grands boulevards, où un badaud aura les cervicales brisées par des coups de matraques.

    « De nombreuses victimes sont mortes sous les coups de bidules (matraques, NDLR) portés par les agents, des dizaines d’autres furent jetés dans la Seine, plusieurs périrent par étouffement après avoir été jetés à terre et recouverts par des amas de corps », détaille le Musée de l’Histoire de l’immigration sur son site internet.

    « Ce que les historiens montrent aujourd’hui, c’est que la violence de la répression le 17 octobre dépasse les techniques de maintien de l’ordre classique et qu’elle est à mettre en regard avec les techniques de répression coloniale qui ont cours dans l’Empire », explique-t-il. Il faudra attendre 2012 pour qu’un président, François Hollande, rende « hommage aux victimes » d’une « sanglante répression » qui s’abattit sur ces hommes manifestant pour « le droit à l’indépendance ».

    L’Est Républicain, 15/10/2021