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  • Maroc : La précarité s’élargit

    Tags : Maroc, pauvreté, crise économique, prix, inflation,

    Une association marocaine a prévenu que la précarité qui caractérise le secteur de l’éducation au Royaume du Maroc en raison notamment de l’embauche sur la base de contrats à durée déterminée (CDD), est en passe de s’élargir à d’autres secteurs d’activité.

    Le Réseau Jonction pour la défense des droits des travailleurs marocains a prévenu dans un communiqué que l’oppression dont font l’objet les enseignants contractuels n’est qu’ »un prélude à la voie de la consécration du travail par contrats dans tous les services publics, c’est-à-dire le démantèlement des systèmes qui garantissent la stabilité du travail, et leur remplacement par d’autres formes de travail précaire ».

    Dans le contexte, il exige « l’arrêt de la campagne répressive sous diverses formes, et l’abandon de toutes les poursuites judiciaires et sanctions administratives, ainsi que la campagne médiatique malveillante à l’encontre de cette catégorie d’enseignants ».

    Le réseau affirme en outre que « tous les secteurs de la fonction publique sont visés par les formes de travail précaire et les techniques d’intensification de l’exploitation qui les accompagnent, d’où la nécessité de l’unité pour la défense du droit à la stabilité de l’emploi, au travail et à la vie décente ». Il appelle également à « la suppression du contrat et l’intégration des professeurs contractuels (qui se comptent par dizaines de milliers selon les données officielles) dans la fonction publique ».

    En effet, selon la coordination les représentant, des centaines d’enseignants contractuels marocains sont privés de leurs salaires pour leur participation à des actions de protestation réclamant une réforme de leur statut professionnel. Depuis 2016, le Maroc embauche des dizaines de milliers d’enseignants sur la base de contrats à durée déterminée. Ces enseignants contractuels ont lancé depuis plus de 4 ans un mouvement de grève accompagné de manifestations souvent émaillées de violences policières.

    #Maroc #Crise #Inflation #Prix

  • Maroc-Espagne: Relations consulaires et sociales

    Maroc-Espagne: Relations consulaires et sociales

    Tags : Espagne, Maroc, sécurité sociale, marocains résident en Espagne, mineurs non accompagnés, crise économique,

    I- Données statistiques

    1) Statistiques globales

    888937 ressortissants marocains résidaient en Espagne au 30 juin 2013 selon le Ministère espagnol du Travail et de la Sécurité Sociale ;

    792489 personnes sont effectivement immatriculées dans l’application consulaire du MAEC à la date du 29 janvier 2014.

    2) Statistiques par poste consulaire :

    Poste consulaireNombre d’immatriculés
    Algésiras48673
    Almeria69087
    Barcelone191041
    Bilbao50886
    Gerona9371
    Las Palmas27433
    Madrid127415
    Mallorca17587
    Séville39212
    Tarragona74961
    Valence136823
    Total792489

    *Source : Application consulaire du MAEC à la date du 29 janvier 2014 ;

    II – Principaux problèmes des Marocains résidant en Espagne

    1) Cas des mineurs non accompagnés :

    Selon un rapport sur la migration en méditerranée, réalisé par le CARIM, les statistiques espagnoles indiquent que le nombre de mineurs marocains qui résident d’une manière illégale en Espagne a connu une augmentation importante au cours des dix dernières années.

    Le Maroc a signé le 6 mars 2007, avec l’Espagne, un Accord de coopération dans le domaine de la prévention de l’immigration illégale des mineurs non accompagnés, leur protection et leur retour concerté. Cet accord remplace le mémorandum du 23 décembre 2003. Il a été ratifié par l’Espagne et vient d’être ratifié par le Maroc.

    L’Accord prévoit des mesures de prévention, d’assistance et de protection et se fixe comme objectif de favoriser le retour concerté, sur la base de la préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant, à travers la mise en place d’un dispositif d’accueil et de réinsertion, l’institution d’un comité de suivi et le financement par l’Espagne d’actions de protection et de retour volontaire concerté, ainsi qu’un cofinancement d’actions de prévention.

    Les principales difficultés qui entravent l’application de cet Accord sont :

    – La difficulté rencontrée en matière d’identification des enfants ;

    – Le refus des enfants d’être rapatriés ;

    – La non collaboration des parents qui ont pu être localisés ;

    – La complexité de la procédure d’application.

    En conclusion, si aucun progrès n’a pu être enregistré à court terme en matière de rapatriement des mineurs, le Maroc et l’Espagne ont pu tout de même engager une coopération fructueuse dans le domaine de la prévention qui semble être le seul champ d’action pouvant donner des résultats positifs à moyen et à long terme. Dans ce cadre, des projets visant la construction de 4 centres de réinsertion des mineurs d’âge ont été lancés dont 02 sont menés avec la Communauté de Madrid (à Tanger et à Marrakech) et 02 avec le Gouvernement central (à Nador et à Beni Mellal). Un cinquième centre est en cours de réalisation avec la contribution du Gouvernement de Catalogne, en coopération avec l’Entraide Nationale.

    2) Poursuite et incarcération des délinquants marocains :

    25 % des étrangers incarcérés en Espagne sont d’origine marocaine (4719 personnes en 2012). Le trafic des stupéfiants, le vol et l’immigration clandestine constituent 73 % des délits commis par les détenus de nationalité marocaine.

    3) Problématique du renouvellement des cartes de séjour

    Si, auparavant, la seule inscription dans les bureaux de travail donnait le droit au renouvellement des cartes de séjour, actuellement les autorités espagnoles posent des difficultés énormes pour le renouvellement des autorisations temporaires de séjour, exigeant un contrat de travail en vigueur. Autrement dit, pour pouvoir renouveler sa carte de séjour, avec autorisation de travailler en Espagne, toute personne étrangère doit justifier d’un contrat de travail en vigueur et avoir payé ses cotisations à la Caisse de sécurité sociale.

    4) Impact de la crise économique sur les MRE

    La conjoncture économique très difficile que traverse l’Espagne qui connaît l’un des taux de chômage les plus élevés en Europe (plus de 26 %) affecte directement les communautés étrangères résidant en Espagne.

    Selon l’institut national espagnol (INE), le taux de chômage au sein de la communauté marocaine résidant en Espagne s’élève à 31%. Il touche plus de 80 000 personnes actives sur un total de 270 000 travailleurs réguliers.

    III -Coopération judiciaire

    La coopération judicaire entre les autorités marocaines et espagnoles sont très développées, eu égard aux relations humaines intenses entre les deux pays.

    Au cours de l’année 2013, deux dossiers ont revêtu une importance particulière :

    L’extradition du dénommé Daniel Galvan au Maroc pour purger le reste de la peine à laquelle il a été condamné, suite à l’annulation de la grâce royale en sa faveur. Les autorités espagnoles semblent opter pour une incarcération de l’intéressé en Espagne.

    La requête adressée par les autorités marocaines à leurs homologues espagnoles pour revoir la peine infligée au dénommé Haddou Chahid, incarcéré en Espagne pour enlèvement international de mineurs malgré sa collaboration dans la restitution de ses enfants à leur mère.

    IV- Dialogue sur la migration

    Un groupe migratoire mixte permanent maroco-espagnol, présidée pour la partie marocaine par le Ministre de l’Intérieur, tient des sessions régulières et se réunit également en sous-comités thématiques. La quinzième session devait se tenir en octobre dernier mais a été reportée en raison des nouveaux développements relatifs à la scène migratoire marocaine.

    #Maroc #Espagne #Communauté_marocaine_Espagne

  • Les marocains ont « trouvé » le coupable : Akhannouch

    Les marocains ont « trouvé » le coupable : Akhannouch

    Maroc, Aziz Akhannouch, crise économique, crise sociale, inflation, cherté, carburants,

    Selon Tunisie Numérique, les marocains ont « trouvé » en la personne du chef du gouvernement Aziz Akhannouch le coupable de leurs malheures en ces temps crise. « La ministre de l’Economie promet le rebond pour 2023, avec une croissance qui pourrait se hisser à 4,5% si la conjoncture internationale ne se dégrade pas davantage. En attendant il y a les mauvais chiffres de cette année, notamment cette inflation de plus de 5,3% sur toute l’année qui martyrise les consommateurs. Le coupable est tout trouvé, selon les citoyens du royaume : le Premier ministre, Aziz Akhannouch. Des centaines de milliers de Marocains réclament sa tête », rapporte le média tunisien.

    Il ajoute : « Les réseaux sociaux s’enflamment à la seule évocation du nom de l’homme d’affaires qui était pourtant très bien parti après l’éviction des islamistes aux législatives de septembre 2021. Un des symboles de la colère populaire : La flambée des prix du carburant, 16 dirhams le litre, soit 1,50 euros dans un pays où le salaire moyen est d’à peine 270 euros par mois. Les internautes pointent Akhannouch ».

    Selon la même souce, « le hashtag “#Dégage_Akhannouch” fait fureur sur le web, plus de 600.000 comptes l’ont partagé sur Facebook, à ajouter aux autres réseaux sociaux. A noter que le Premier ministre est le plus gros actionnaire d’Afriquia, qui règne sur le marché marocain des hydrocarbures avec Total et Shell. Donc quand les tarifs du carburant montent Akhannouch s’en met plein les poches. Et ça les Marocains l’ont toléré au début, plus maintenant ».

    D’après Tunisie Numérique, « le Premier ministre est nommément accusé de hausser les prix à la pompe pour gonfler sa fortune. La colère se limite pour le moment à une intense campagne sur la toile et ne s’est pas encore manifestée dans la rue. L’agence de presse officielle du Maroc s’insurge contre “une campagne tendancieuse” rapporte Europe 1 ce lundi 8 août 2022 mais Akhannouch reste étrangement silencieux jusqu’ici ».

    « Rappelons que le gouvernement avait ébruité une aide mensuelle aux défavorisés, mais la promesse n’a pas été tenue. Tous les ingrédients d’une explosion sociale sont réunis dans un pays où environ 500.000 personnes vivotent avec moins de deux dollars par jour », conclue-t-il.

    #Maroc #Akhannouch #Degage_Akhannouch #Carburants #Inflation #Prix

  • Maroc : Le régime du Makhzen va vers l’effondrement

    Maroc : Le régime du Makhzen va vers l’effondrement

    Maroc, Makhzen, crise économique, crise sociale,

    La situation économique et sociale difficile qui prévaut au Maroc, les restrictions, l’oppression et la détérioration des droits de l’homme, sont autant d’indicateurs qui montrent que le régime du Makhzen est menacé dans son existence, et que même «un miracle ne saurait sauver», selon un chercheur marocain.

    Dans une déclaration relayée par des médias, le directeur du Centre marocain d’études sur les réfugiés, Aziz Chahir, a estimé qu’au Royaume du Maroc «tous les voyants sont au rouge, et même un miracle ne saurait sauver le régime du Makhzen». Pour lui, «tous les indicateurs montrent que le Makhzen traverse sa pire crise depuis des décennies, et ce, dans tous les domaines», en référence à la grogne sociale au Maroc (manifestations, protestations et mouvements de grève touchant l’ensemble des secteurs).

    Abordant la situation économique dans le pays, Chahir a indiqué que «la croissance économique du Maroc ne dépasse pas 1%, et les réserves de change ne peuvent couvrir qu’une période de 6 mois d’importations, avec une baisse des investissements directs étrangers».

    L’éminent chercheur n’a pas manqué d’évoquer la question des droits de l’homme notamment avec la hausse alarmante des restrictions et des atteintes, la poursuite des juristes en raison de leurs opinions ainsi que le recours par le régime en place à des accusations à caractère sexuel et à de fausses accusations de blanchiment d’argent et d’espionnage.

    Il a noté que quiconque exprimant son opinion par rapport à la politique du Makhzen est pris pour cible, y compris des journalistes, des juristes et des militants des droits humains, comme l’ont déjà affirmé de nombreuses organisations internationales humanitaires et de défense des droits de l’homme.
    Aziz Chahir a qualifié le Royaume de «pays le plus injuste d’Afrique, en raison de la détérioration de la situation des droits de l’homme», ajoutant que «la misère touche toutes les classes de la société».

    Evoquant la normalisation des relations entre le Royaume du Maroc et l’entité sioniste, largement condamnée par le peuple marocain, le chercheur a souligné que cette politique «n’a pas eu l’écho souhaité» par le Makhzen, dans un pays «au bord de l’effondrement».

    APS

    #Maroc #Makhzen #crise_sociale #crise_économique


  • Crise sociale au Maroc: Mohammed VI absent

    Crise sociale au Maroc: Mohammed VI absent

    Maroc, Mohammed VI, crise économique, crise sociale, Aziz Akhannouch, Afriquia, corruption,

    Aziz Chahir

    Malgré la cherté de la vie qui saigne les Marocains, le gouvernement de Sa Majesté prêche obstinément la résilience socioéconomique et la stabilité d’un régime autoritaire menacé par les protestations

    Alors que la propagande officielle s’évertue en vain à dissimuler la léthargie de l’exécutif, le Maroc sombre dans une crise socioéconomique sans précédent : renchérissement du coût de la vie, accentuation de la sécheresse – la pire de l’histoire du pays depuis au moins 1981 –, explosion de la facture énergétique et des prix des biens à l’import, notamment des produits alimentaires (orge et blé principalement).

    À ces marqueurs, s’ajoutent d’autres indicateurs socioéconomiques inquiétants : le déficit des échanges de marchandises, la dégradation du déficit commercial, l’augmentation du taux de chômage – notamment celui des diplômés, qui est passé de 18,5 % à 19,6 % –, l’augmentation de la dette publique (près de 80 % du PIB), la baisse des réserves de change, ne couvrant que six mois d’importations de biens et services, ainsi que la diminution des investissements directs étrangers – seulement 10 milliards de dirhams (environ 1 milliard d’euros) –, en recul de 7 % comparé à l’année précédente, et la baisse du taux de croissance (1,1 % selon le FMI contre 3 % prévu précédemment).

    Lire aussi : La succession de Mohammed VI au centre de l’attention médiatique

    Il faut voir dans ce constat l’œuvre d’un pouvoir démissionnaire qui continue d’amasser les richesses et de mener un train de vie luxueux pendant qu’une grande partie des Marocains voit son pouvoir d’achat s’effondrer jour après jour.

    Face à cette crise, le chef de l’État ne daigne même pas se manifester et encore moins agir pour atténuer la cherté de la vie. Il est quand même extraordinaire que le monarque continue d’assister en spectateur à la flambée des prix des hydrocarbures qui profite aux professionnels de la distribution, à commencer par le chef du gouvernement, le magnat Aziz Akhannouch, lequel est en même temps le patron de la compagnie pétrolière Afriquia !

    À l’heure actuelle, encouragés par Mohammed VI, premier acteur économique du pays, les affairistes dominent la sphère politique, surtout depuis l’éviction par les urnes des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD).

    Des entrepreneurs politiques gèrent la chose publique, au grand dam des forces démocratiques opposées au régime, réduites au silence par les sécuritaires qui craignent la montée des protestations.

    La généralisation de la couverture sociale, un « cache-misère »

    Alors que dans les pays démocratiques, le chef de l’État intervient en période de crise pour rassurer les citoyens et tenter d’apaiser le marasme économique et social qui se sclérose, dans le royaume chérifien, le monarque alaouite, disparu des radars depuis déjà un bon bout de temps, semble avoir abandonné la vie politique à tel point que l’on commence sérieusement à se poser la question de savoir qui gouverne réellement le pays à l’heure actuelle ?

    À l’exception de quelques très rares inaugurations à la sauvette de projets publics, comme en avril lors du lancement d’une opération de solidarité nationale pour le Ramadan, le roi Mohammed VI communique très peu, surtout en phase de crise. En revanche, il est le premier à réagir pour féliciter une équipe de football pour avoir remporté un match ou un athlète pour avoir décroché une médaille ! La qualification de l’équipe nationale à la Coupe du monde de football est-elle plus importante que l’amélioration du pouvoir d’achat des Marocains défavorisés ?

    Lire aussi : Média italien : Qui est vraiment Mohammed VI?

    Selon un rapport de l’ONG Oxfam datant d’avril 2019 , le Maroc est le pays le plus inégalitaire d’Afrique du Nord. Et la pandémie a accentué les écarts de richesses, l’injustice fiscale, les inégalités de genre et celles relatives à l’accès à l’éducation, à la santé ou au travail.

    Certains pourraient argumenter que les « chantiers royaux » sont là pour endiguer la crise sociale, à commencer par le projet de généralisation de la couverture sociale, notamment médicale. À ceux-là, on pourrait répliquer que ce projet « cache-misère » ne peut avoir l’impact escompté, en raison du manque patent d’infrastructures hospitalières et de personnel médical suffisant et qualifié.

    Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que le budget du secteur de la santé au Maroc ne dépasse pas 6 % du budget général de l’État, alors qu’il est de 12 % en Algérie, aligné sur les recommandations de l’OMS (15 %).

    À ceux qui se gargarisent de la volonté royale providentielle de généraliser la couverture médicale, on serait tenté de demander pourquoi le souverain a-t-il attendu un peu plus de deux décennies pour lancer un tel « projet social » et, surtout, pour quelles raisons choisit-il de partir se soigner à l’étranger s’il a vraiment confiance dans le système de santé marocain ?

    Immobilisme sidérant de l’exécutif

    Dans un contexte marqué par les incertitudes géopolitiques et économiques mondiales, l’exécutif affiche un immobilisme sidérant face à la montée de la crise sociale.

    En l’absence d’un plan de sortie de crise, les autorités tentent vigoureusement d’étouffer les contestations, comme ce fut le cas avec l’interdiction, fin mai, d’une marche nationale de protestation. Celle-ci avait été initiée par le Front de l’action sociale (FAS) afin de dénoncer « la cherté de la vie, la répression des libertés et la normalisation avec Israël ».

    Inutile de rappeler à cet égard la régression sans précédent des droits de l’homme au Maroc, comme l’a si bien rappelé l’Association marocaine des droits humains (AHDH) dans son rapport de 2021.

    Dans une économie rentière à l’agonie, le régime continue de compter sur la manne des transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE), les recettes fiscales nettes et l’endettement public.

    En l’absence d’une stratégie d’action, l’actuel gouvernement espère amortir la crise grâce notamment à un rebond éventuel des recettes de voyages et du tourisme, sachant que l’activité est encore loin des niveaux enregistrés à la même période en 2021 (- 22 %).

    Le pouvoir ne dispose d’aucune vision à même de contenir la crise socioéconomique qui s’abat sur le pays.

    On peut même s’interroger sur l’utilité du fameux rapport rendu par la commission spéciale désignée par le roi pour réfléchir au « nouveau modèle de développement ». Comment expliquer qu’aucun plan d’action n’ait été dévoilé par l’actuel gouvernement pour asseoir les axes de ce modèle sur les plans social, économique, culturel et environnemental, à part un énième projet de réforme du système éducatif national (2022-2026) annoncé précipitamment par Chakib Benmoussa, patron de cette commission et ministre de l’Éducation !

    C’est dire tout le cynisme d’un régime qui continue de prôner un développement imaginaire, dont les Marocains n’en sentent pas les conséquences, et de vanter des épopées diplomatiques chimériques, alors que le conflit au Sahara occidental est toujours à l’ordre du jour dans l’enceinte de l’ONU et que l’administration Biden s’est contentée, pour le moment, d’ouvrir un consulat américain, à Dakhla, à vocation essentiellement économique.

    Pendant ce temps, la réalité est que la crise sociale semble s’installer durablement dans un pays où un Marocain sur deux est concerné par la pauvreté, selon le très officiel Observatoire national du développement humain (ONDH) dans son rapport de 2021, et que de nombreux sujets de Sa Majesté continuent de manger dans les poubelles publiques sans que cela inquiète outre mesure ceux qui nous gouvernent !

    Les mêmes éléments de rhétorique, selon lesquels une pseudo résilience mettrait le régime à l’abri de l’implosion sociale, retentit dans les rangs d’une majorité gouvernementale à la traîne, qui prêche une libéralisation économique, reléguant au second plan la transparence de la vie publique et la lutte contre l’enrichissement illégal des politiques.

    Sinon, comment expliquer la décision rapide de l’exécutif de retirer le projet de loi relatif à la déclaration du patrimoine des parlementaires, en prétextant notamment vouloir « assurer l’amélioration » de la mouture de ce projet, qui tend à l’origine vers une moralisation de la vie publique, à travers la lutte contre la corruption qui prive l’économie marocaine d’une manne financière importante ?

    En avril, le ministre de la Justice et patron du Parti authenticité et modernité (PAM, centre gauche, parti inféodé au palais), Abdellatif Ouahbi, a même menacé de priver les associations de protection des deniers publics du droit de porter plainte contre les élus, une « prérogative » qui devrait revenir, selon lui, au ministre de l’Intérieur.

    Dans un pays gangréné par une corruption endémique, selon le rapport de Transparency International de 2022, l’exécutif semble vouloir offrir une couverture aux élus véreux et aux pilleurs des deniers publics.

    Rappelons le dossier autour d’Afriquia : Aziz Akhannouch a démenti publiquement avoir détourné 17 milliards de dirhams (environ 1,6 milliard d’euros), en tant que marge de bénéfice de sa compagnie pétrolière, à la suite d’une enquête parlementaire sur la libéralisation du marché des hydrocarbures en 2017.

    Le rapport présenté par Abdellah Bouanou, président du groupe parlementaire PJD au Parlement, avait conclu à l’implication directe de la société Afriquia dans des opérations occultes ayant généré de scandaleux profits. Ce rapport avait ensuite abouti à des sanctions consensuelles qui n’ont pas été appliquées à l’encontre des distributeurs des hydrocarbures.

    Il est à souligner à cet égard que le royaume est classé à la deuxième place en Afrique du Nord en matière de fraude fiscale.

    En 2016, pour rappel, le scandale des Panama Papers avait révélé au grand jour l’implication du roi Mohammed VI dans des affaires d’évasion fiscale. Selon le rapport de Transparency International, publié en 2020, la perte subie par le Maroc à cause de la fraude fiscale est estimée à 20 % du budget annuel alloué à la santé publique dans le pays.

    Pendant ce temps-là, alors que les plus nantis ont déjà commencé à choisir entre les offres de vacances de luxe à l’étranger, les populations démunies se trouvent livrées à elles-mêmes, asphyxiées par la cherté des prix à quelques jours de la célébration de l’Aïd al-adha, déjà marquée par la flambée du prix du mouton.

    Le gouvernement des entrepreneurs politiques s’en lave les mains et décline toute responsabilité dans la crise actuelle, pendant que le roi, lui, semble être aux abonnés absents face à une crise sociale et politique à terme.

    Depuis que le Palais a annoncé, le 16 juin, que Mohammed VI était malade du covid, le débat sur la santé du roi, récurrent depuis plusieurs années, a resurgi et rappelé combien la communication officielle opaque sur le sujet alimentaient les rumeurs sur les ramifications souterraines du pouvoir au Maroc, lequel dépend de l’hégémonie providentielle d’un seul homme.

    Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

    Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L’Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).

    Middle East Eye, 29 juin 2022

    Lire aussi : Maroc : Alerte sur la santé de Mohammed VI



  • Maroc: la chute de la monarchie du Makhzen en marche

    Maroc: la chute de la monarchie du Makhzen en marche

    Maroc, Mohammed VI, monarchie, crise économique, crise sociale,

    De nombreuses organisations marocaines et forces dites républicaines s’apprêtent à organiser d’importantes manifestations populaires dans la quasi totalité des villes marocaines, le dimanche 17 juillet, dans la perspective de la concrétisation du projet de la chute de la monarchie féodale du Makhzen, pour l’instauration d’une démocratie républicaine garantissant en toute équité les droits des marocains sans discrimination.

    Les organisations républicaines marocaines, soutenues par la diaspora marocaine, comptent également organiser des manifestations devant les ambassades du Makhzen dans plusieurs capitales du monde en vue de resserrer l’étau sur le régime féodal du commandeur des croyants, et faire connaître au monde la réalité socioéconomique des marocains, ignorés par les médias occidentaux, bien soudoyés par le roitelet. Des médias occidentaux qui « ignorent » les revendications légitimes du Peuple marocain, qui aspire à une vie digne.

    Il convient de rappeler, que la contestation du peuple marocain s’est accentuée ces derniers mois avec la détérioration du pouvoir d’achat des marocains, très affecté par les retombées économiques du Covid-19, l’effort de guerre au Sahara Occidental, la politique d’hostilité à l’égard des voisins, engendrant la rupture d’approvisionnement en produits énergétiques par l’Algérie, la sécheresse, la hausse des produits alimentaires et la normalisation avec l’entité sioniste vécue comme une humiliation et trahison par les marocains pour la cause sacrée de la Palestine.

    La guerre pour la prise du pouvoir, par les différents clans du Makhzen devenu une succursale du Mossad sioniste, dans le cadre de la guerre de succession au roitelet Mohamed VI, annoncé mourant et la boucherie de Melilla, sont autant d’indicateurs favorisant une éventuelle entreprise de chute du régime du Makhzen. Les manifestations du 17 juillet prochain annoncent la couleur d’une chute rapide.

    Algérie54, 2 jui 2022

    #Maroc #MohammedVI #Monarchie #Criseéconomique #Crisesociale

  • Maroc. Le Makhzen et le Rif, misère et colère…

    Maroc. Le Makhzen et le Rif, misère et colère…

    Maroc. Le Makhzen et le Rif, misère et colère… – Hirak, répression, crise économique,

    La crise économique qui s’annonce au Maroc tel que l’a déjà prévu le dernier rapport du FMI évoquant un recul de l’agriculture et du tourisme pour cette année, se propage, sans grands bruits, sur un terrain de revendications d’une toute autre nature: le réveil des populations du Rif.

    Cette région défavorisée , voire abandonnée par les politiques de développement du makhzen, entend reprendre la voie de la contestation dans ce climat général déjà tendu sur tout le territoire du royaume.

    Des voix commencent à s’élever pour occuper le terrain et reprendre la revendication essentielle , héritée en réalité des années 20.

    En effet en 1921 déjà, la fédération des tribus du Rif prenait officiellement naissance pour se démarquer du reste du pays. Elle survivra jusqu’en 1926.

    Les multiples luttes et autres manifestations qui ne se sont jamais essoufflées depuis , ont provoqué des années durant une attitude de violence de la part du Makhzen pour étouffer dans le sang et les violations de toutes les lois , ces contestations .

    Arrestations abusives, peines de prisons allant jusqu’à plus de 20 ans comme celle infligée à Nasser Zefzafi, ce meneur pacifiste qui tenta de libérer ses frères du Rif du diktat légalisé du makhzen. La répression qui s’est abattue entre 2016 et 2018 sur les militants de la liberté avait choqué l’opinion internationale au regard de l’intense brutalité et les cas flagrants de violations des droits de l’homme d’ailleurs rapportés par certains titre de médias étrangers.

    Selon un article paru dans le site de Arab center Washington/dc, la poudrière sur laquelle est assis le régime marocain ne tardera pas à exploser devant la persistante marginalisation du Rif.

    Et c’est une écrivaine tunisienne, Madame Chograni qui faisait ce constat en s’appuyant sur des données du terrain . Le makhzen qui fait sienne cette politique de haine et d’exclusion du Rif , écarté de tous les petits plans de développement, persiste à nier cette réalité menaçante.

    Les troubles à connotation socio-économique prendront inéluctablement une dimension politique , où les indépendantistes du Rif comptent faire valoir leur cause .

    Contrôlant la presse et la justice, le makhzen qui perd par contre le contrôle du social et de l’économie , n’ayant rien à offrir ou plus personne à corrompre , se sait rattrapé par son passé douloureux, celui où l’impunité lui permettait d’user de violence et de répression. Son présent est désormais plus qu’incertain.

    Mohamed A.

    AB News, 12 mai 2022

    #Maroc #Rif #Hirak

  • Tunisie: Saïed annonce un « dialogue national » sans Ennahda

    Tunisie: Saïed annonce un « dialogue national » sans Ennahda

    Tunisie: Saïed annonce un « dialogue national » sans Ennahda – ISIE, CSM, élections, magistrature, UGTT, UTICA, avocats, crise politique, crise économique, chômage, Rached El Ghannouchi,

    La Tunisie a vécu un mois d’avril pour le moins compliqué politiquement et ce n’est pas la traditionnelle indolence politique du Ramadhan qui a empêché le Président Kaïs Saïed de faire des annonces concernant le « bouclage » du processus politique enclenché au lendemain des inédites décisions prises le 25 juillet 2021.

    Après avoir pris en compte les résultats de la consultation populaire qu’il avait lancé la mi-janvier dernier et qui consistait en un formulaire à remplir par les citoyens tunisiens sur leur avis sur la façon dont devrait être menée la transition politique, le président Saïed a annoncé, lors de ses vœux au peuple tunisien à l’occasion de l’Aïd el Fitr, célébré lundi et mardi, la tenue d’un “dialogue politique national” dont seront exclues plusieurs formations politiques, principalement le mouvement d’obédience islamiste Ennahda, la principale force politique en Tunisie depuis la chute du régime de Zine El Abidine ben Ali en janvier 2011.

    Ce discours a été l’occasion pour Kaïs Saïed d’annoncer la mise en place d’une commission chargée de “gérer le dialogue national”, une mesure visant à répondre aux attentes de la communauté internationale qui avait mis la pression sur le pouvoir tunisien après le gel du parlement le 25 juillet 2021, puis sa dissolution le 30 mars 2022. Il vient aussi contrebalancer la décision de Kaïs Saïed , prise le 22 avril, de nommer le Président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).

    Selon un décret publié par le Journal officiel de la République tunisienne, le chef de l’État pourra nommer trois des sept membres de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (Isie), dont son président. Ce dernier devait, selon la loi organique de 2012 sur l’organisation des élections, être désigné par le Parlement.

    Ce n’est pas la première institution qui passe de facto sous le giron de la présidence. En février dernier, il y a eu la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), remplacé par un organe de supervision judiciaire “temporaire” dont les membres ont été nommés par le Président tunisien.

    S’agissant du dialogue national annoncé par Kaïs Saïed, quatre organisations devront y prendre part. Il s’agit de la centrale syndicale UGTT, l’organisation patronale UTICA, la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et l’Ordre national des avocats. Le choix de ce quartette, serait lié à sa crédibilité internationale, car il avait reçu en 2015 le prix Nobel de la paix pour sa contribution à la transition démocratique en Tunisie. Un gage offert donc aux partenaires étrangers, soucieux d’une sortie de crise politique rapide en Tunisie.

    Pour rappel, il a été décidé l’organisation d’un référendum pour la réforme de la constitution tunisienne le 25 juillet prochain, qui sera suivi des élections législatives le 17 décembre, sous un climat d’incertitudes dans un pays de quelque 10 millions d’habitants secoué une crise économique aigüe et un fort taux de chômage.

    En décembre 2021, l’Algérie avait accordé un prêt de 300 millions de dollars à la Tunisie, à la veille d’une visite officielle de deux jours du président algérien Abdelmadjid Tebboune à Tunis.

    De Tunis, Akram Kharief

    #Tunisie #KaisSaied #Ennahdha #ElGhannouchi #Dialogue

  • Quand la précarité touche les Algériens

    Quand la précarité touche les Algériens

    Algérie, pauvreté, crise sociale, crise économique – Quand la précarité touche les Algériens

    Une étude menée, au mois de mai dernier, par le cabinet algérien ECOtechnics, spécialisé dans le domaine des études de marché et du marketing, des sondages d’opinion ainsi que de la statistique a dévoilé que l’endettement des ménages, chez nous, est devenu un véritable phénomène de société. Au moins 40% d’entre ces derniers sont contraints de s’endetter auprès des amis, de la famille ou des commerçants, afin de faire face à l’inflation galopante qui provoque une cherté excessive de la vie.

    D’après cette étude-là, l’endettement est devenu, ces dernières années, la source de financement la plus importante pour de nombreux foyers algériens. « Quand on rassemble ceux qui s’endettent seulement et ceux qui ont recours concomitamment à l’utilisation de l’épargne et à l’endettement, la proportion dépasse 50% », nous apprend encore la même étude réalisée et dirigée par une poignée d’experts algériens dont Saïd Ighilahriz et Ahcene Yezli. Le recours à la seule épargne, indique-t-on dans le même document, est relativement réduit : soit un peu moins de 20% de ceux qui ne couvrent pas leurs dépenses avec leurs revenus.

    Chose compréhensible dans la mesure où, quand un ménage dispose d’une épargne pour financer ses « trous » passagers, il ne se considère pas vraiment en difficulté. C’est précisément le rôle de «l’option épargne», soulignent enfin les experts dudit cabinet, qui mettent en exergue les grosses difficultés financières et économiques auxquelles sont confrontés les foyers, compte tenu de l’augmentation vertigineuse du coût de la vie en Algérie.

    Il faut rappeler que, bien que réalisée en pleine période du Ramadhan, mois de grande consommation, ce constat peut malheureusement être généralisé aux autres périodes de l’année vu l’inflation galopante et la chute libre de la valeur du dinar, conjuguées à une très faible croissance économique.

    Cela complique, il est vrai et de façon alarmante, le quotidien des ménages dans leur lutte contre la précarité. Une précarité qui s’aggrave de jour en jour en raison d’une crise financière et économique de plus en plus aiguë faute d’un plan de redressement national rééquilibrant le rapport entre la demande et l’offre sur les marchés nationaux.

    ‘endettement des foyers est-il voué donc à durer dans le temps? Sans doute que la réponse à cette question dépend, en grande partie, de l’efficacité du plan d’action du gouvernement actuel afin d’éviter la brutalité des chocs socio-économiques à venir.

    par Kamal Guerroua

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    Le paradis que nous voulons

    On ne peut pas vivre sans l’idée de paradis. Elle nous accompagne toujours, même sous la forme sécularisée de la quête de la satisfaction, du bonheur. Aujourd’hui ce paradis que beaucoup croyaient devant eux appartient-il au passé ? Cela dépend du point de vue. Historiquement, pour les survivants de la guerre d’indépendance, chaque jour a apporté un mieux-être, la vieillesse exceptée, qui leur fera regretter momentanément le passé. Pour les nouvelles générations, on est comme de l’autre côté de la réalité, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles. Elles sont sur la mauvaise pente depuis un certain temps et l’humanité ne les réjouit pas. Pour elle aussi, l’avenir du monde s’obscurcit. Il est certain que le monde de demain sera plus rigoureux que celui d’hier, crise climatique, crise économique et crise démographique[1]. Pour moi qui arrive au terme de ma vie, l’idée qui m’accompagne désormais, c’est de retrouver mon père et ma famille dans une autre vie, pour partager avec eux ce que j’aurai dû partager et que je n’ai pu désirer qu’au terme de ma vie. Car ce n’est qu’au terme d’une vie que l’on peut apprécier si celle-ci a été celle que l’on aurait dû mener pour notre bonheur.

    En vérité, on ne peut que mériter le paradis, on ne choisit ni le lieu de sa naissance ni son milieu social. On est « jeté » dans le monde, un monde dans lequel le paradis ne va pas sans l’enfer, qu’il soit celui des autres ou pas. Ils n’y ont pas de réalité séparée. Le paradis est conquis sur l’enfer. Mais de plus, il semble aujourd’hui que l’on soit tombé dans un temps voué à l’enfer, un temps dans lequel l’illusion d’un paradis terrestre pour tous ne prend plus. Le concept d’une transition énergétique heureuse est une utopie[2]. On ne peut que mériter le paradis, parce qu’il ne peut être qu’une idée qu’on ne peut défaire des circonstances, parce qu’il n’est plus possible de le dissocier de la justice, comme le clame un peu l’Inde dans la COP 26 : pas de lutte contre le changement climatique, contre l’enfer, sans justice climatique. Après avoir rêvé de devenir les maîtres de la Terre (le paradis n’est-il pas là pour satisfaire tous nos désirs ?), voilà que celle-ci se réveille pour nous rappeler nos méfaits et nous menacer. Le « navire » humanité se met à tanguer. Voici venu à nouveau le temps de la révolte des esclaves, les « éléments » que l’on croyait enchaînés se déchaînent. D’avoir désiré le paradis sans la justice, le paradis sans l’enfer, le plaisir sans la douleur, a distribué l’enfer pour l’espèce, le paradis pour quelques-uns.

    Après avoir été à l’école française (je ne peux même pas dire occidentale) pendant quelques siècles, et cela sans succès, il est temps de nous mettre à d’autres écoles, à l’école chinoise en particulier, pour nous soustraire de la pensée occidentale avec laquelle nous avons instruit nos institutions, nos comportements. Se mettre à d’autres écoles, pour disposer de quelque autonomie, pour pouvoir, en pensant entre elles, penser par soi-même, afin de construire nos « évidences », de mettre en plan une façon de penser qui nous accorde mieux au monde et à la justice. Nous devrions accueillir dans nos universités des Chinois, des Indiens, des « latinos » et des Africains, pour penser avec eux le monde d’une autre manière, au lieu de nous enfermer dans un face-à-face avec l’Europe et la France.

    Le combat pour la justice dans ce nouveau millénaire, quoique l’on puisse en rêver dans des situations extrêmes, ne consistera pas en l’instauration révolutionnaire d’une société idéale. Il n’y a plus de têtes à couper, mais plus encore, toute tête coupée en fait jaillir plusieurs. Avec le communisme on a confondu différenciation sociale et société de classes. En voulant éradiquer la société de classes, le marché et la propriété privée, on a maltraité la différenciation sociale. Si l’égalité peut encore progresser sans jeter dans l’indifférencié, suite à une mauvaise différenciation sociale, ce ne sera pas par le vecteur économique. Les richesses ne ruissèleront pas des riches s’enrichissant vers les pauvres. Pour que la société conserve une relative maîtrise de sa différenciation, elle a besoin de soigner ses extrêmes, de corriger ses plus grandes injustices. Le progrès social, progression de l’égalité, ne va plus s’identifier au progrès économique. Il va devoir prendre une autre signification, une autre orientation. Ne pas le reconnaître va prolonger le cycle d’aggravation des injustices et des inégalités. Le statuquo n’est plus tenable. Comment allons-nous supporter, traiter les tiraillements de ces écarts ? Vont-ils provoquer resserrement ou rupture des liens, solidarité ou désunion aggravée ? Le paradis sur terre, le savoir bien-vivre, s’éloigne avec la fin du mythe de la domination humaine (de la culture, de la Science, sur la nature) sur le système Terre, avec la crise de l’objectivation (chosification, réification) du monde, sa mise en esclavage, devenus physiquement insupportables. Il va être plus question de se protéger de l’enfer, se protéger d’un enfer que nous avons déchaîné, que nous attisons, chaque camp accusant l’autre, les plus puissants se murant dans des forteresses imaginant plus tard se réfugier sur Mars. En d’autres termes, il va être question pour chacun de refaire corps avec la nature et l’humanité. Il ne faudra pas nous fier à la révolte, car à quoi pourrait conduire une révolte des esclaves ? Nous ne cesserons certes pas de croire en la magie. Les désespérés ont besoin de croire aux miracles et les miracles existent, car nous ne sommes pas des dieux, car les renversements de situations sont rarement prévisibles, car du possible peut surgir l’impossible, car autrement il n’y aurait pas d’Histoire. Mais le miracle ne surviendra pas par la révolte et la Révolution, mais par transformation silencieuse de nos dispositions[3], la transformation des liens d’esclavage en liens de coopération/compétition entre les vivants. La relation sujet/objet doit pouvoir être réversible et non être une relation de domination asymétrique. Nul ne peut être réduit au seul état d’objet.

    Justice et injustice

    Dans la théorie/idée d’Amartya SEN au contraire de celle de John RAWLS, la justice ne vise pas à construire une cité idéale, avec ses institutions justes, aux règles desquelles se conformeraient les citoyens. Elle s’intéresse à la manière de corriger l’injustice. Au contraire de John RAWLS, la théorie ou l’idée de justice ne s’arrête pas au seuil de la nation. Pour corriger l’injustice/améliorer la justice, il faut arriver à construire un consensus par un raisonnement public tout en supposant que les raisonnements et les examens impartiaux nécessaires à la démarche d’une telle construction peuvent laisser subsister des logiques différentes de construction de la justice. Vouloir venir à bout de ces logiques ne peut qu’aggraver l’injustice au lieu de la réduire. Il n’y a donc pas une justice, mais des justices. De même, l’injustice peut être aussi et d’abord le résultat de comportements transgressifs et non celui d’institutions injustes. Il n’y a pas d’institutions justes indépendantes de comportements et de situations d’injustice. La démarche corrective doit autant s’intéresser aux institutions qu’aux comportements des individus. On ne doit pas supposer que le comportement des gens se conforme, dans tous les cas, aux exigences du bon fonctionnement (rêvé) de ces institutions[4].

    Il y a chez Amartya SEN comme un principe/une conclusion théorique : la justice ne peut pas s’abstraire de l’injustice et ne peut pas se réduire à une seule logique de construction. Il y a des logiques de construction de la justice qui peuvent s’opposer ou collaborer. L’idée d’une justice qui planerait au-dessus de l’humanité est le résultat d’une sécularisation de l’idée de justice divine en même temps que le corollaire d’une domination humaine sur la nature et donc d’une domination occidentale du monde. Une cité idéale en vérité composée d’esclaves à l’image d’une machine parfaite dans les mains d’experts, nouveaux prêtres inspirés par leurs innovations. Tout comme l’idée de SEN ne vise pas à établir le paradis sur terre. L’Homme n’est pas bon ou mauvais, il est bon et mauvais. À la fin des temps, quand tout s’immobilisera, que les comptes seront arrêtés, les contraires cesseront de se disputer et de se compléter, la justice pourra être séparée de l’injustice, le paradis de l’enfer. En attendant, la justice ne pourra faire qu’avec l’injustice et le paradis qu’avec l’enfer sans que l’un puisse venir à bout de l’autre. Pour les temps qui viennent, c’est des enfers dont nous avons eu un avant-goût en Algérie avec les feux de forêts, qu’il faudra se protéger.

    C’est le mythe de l’Histoire comme progrès continu qui est en crise, les nouvelles générations ne vivront pas mieux que les anciennes, nous en sommes de plus en plus convaincus. Croire que l’on peut venir à bout de la mort, c’est croire pouvoir s’extraire de la vie, préparer sans le savoir le triomphe de la mort. C’est assurer le triomphe de la machine sur le vivant, du travail mort sur le travail vivant. D’avoir voulu triompher de la mort, séparer la vie de la mort, c’est la vie que l’on détruit, que l’on empêche de se renouveler. Une chose est sûre, beaucoup de choses devront mourir pour régénérer la vie, lui permettre de se perpétuer. Il nous faut donc songer à protéger ce qui nous est le plus cher.

    L’incohérence du comportement du citoyen de la démocratie représentative

    « Il est de bon ton de critiquer les financiers et leurs marchés pour leur court-termisme. Il est de bon ton aussi de critiquer les politiques pour leur manque de vision et de courage. Mais cette crise nous révèle en fait une autre vérité beaucoup plus crue : c’est nous qui sommes le problème. … Nos gouvernements nous ressemblent. Par construction démocratique, ils représentent les préférences de la majorité. Et les marchés financiers ne sont eux aussi que le reflet des croyances, des préférences et des décisions des gens qui y interagissent. Ni en politique ni en finance, il n’existe de deus ex machina qui leur impose son dictat. Nous sommes collectivement responsables de ce qui nous arrive et surtout de ce qui arrivera aux générations futures. »[5]

    Dans le monde actuel, dominé par l’idée de la démocratie représentative, le principal problème que rencontre la justice est le comportement du citoyen. Je ne le considère pas avec A. Sen comme déterminé par l’institution avec laquelle il interagit. On peut supposer que les individus se donnent des institutions pour s’accorder que cela soit en régime démocratique de manière pacifique ou en régime dictatorial de manière autoritaire. Que des institutions puissent être héritées ou imposées par la violence, cela ne signifie ni que le comportement des individus se soumettra à leurs règles ni qu’en s’y soumettant il s’abstiendra d’en user autrement que l’usage prescrit. On se soumet à une domination quand on y trouve avantage (la classe ouvrière française avec la colonisation de l’Algérie, ou le peuple marocain avec la marocanité du Sahara occidental par exemple) ou quand on doit se couler dans un rapport de forces qu’il faut transformer, un cours des choses qu’il s’agit d’exploiter. Le comportement de l’individu implique toujours un fonctionnement qui suppose une institution. De ce point de vue, « il se donne l’institution », dans le sens de ce qu’il en fait. On ne peut pas séparer l’institution de ce qui en est fait. Nous importons des institutions que nous acclimatons.

    Voici donc la thèse défendue ici en m’appuyant sur la notion de préférences collectives d’Amartya SEN : le principal problème de la justice découle du fait que le consommateur et le producteur n’ont pas de comportement citoyen, et que par conséquent le comportement de l’individu n’est pas cohérent. Le citoyen de la démocratie représentative, modèle de citoyen dominant, a trouvé avantage dans la séparation de son comportement public et de son comportement privé. En privé, le citoyen n’est plus citoyen, car il a séparé son intérêt privé de son intérêt collectif et de l’« intérêt général ». Il n’articule pas, n’équilibre pas, ces différents intérêts. Il est consommateur qui vise à maximiser son utilité ou producteur qui vise à maximiser son profit ou citoyen qui vise à maximiser ses droits politiques. En quelque sorte, une « division du travail » qui est censée accroître sa puissance et son efficacité. Le citoyen par le moyen du politique se décharge de l’« intérêt général » qui sera « incarné » par la puissance publique, pour limiter les effets contradictoires des comportements des consommateurs et des producteurs. Il confie à la puissance publique la construction du marché dans lequel il cherchera son intérêt particulier. Quand la puissance se sépare des États avec la domination des marchés par les « producteurs globaux », l’individu recherche son intérêt dans le marché que ceux-ci construisent avec l’aide de la « puissance » publique. Il y a donc un gap entre intérêt privé et intérêt public, quelques intérêts seulement peuvent prétendre à leur identité et au pouvoir de fixer le marché. Et ce gap est probablement ce qui fait la dynamique de la société dans le système de la démocratie représentative. L’intérêt public est ce qui fait que les groupes se disputent, mais ne se détache pas de la société. Intérêt public qui se fait passer pour l’intérêt général, mais qui n’est autre que celui d’un groupe particulier qui réussit à faire accepter son marché, à faire partager ses croyances. Il y a problème ici, lorsque la société ne s’identifie pas à ce groupe, lorsqu’elle n’épouse pas son intérêt, lorsque le politique sert d’écran à ce groupe, lorsqu’il impose son marché en entretenant les fausses croyances de la société.

    Pour corriger son comportement, le citoyen de la démocratie représentative s’adresse au politique plutôt qu’aux comportements de l’ensemble des citoyens. Il a objectivé l’État et le marché qui ne dépendent plus de son comportement, qui sont devenus comme des « dieux mortels » qui interfèrent dans les interactions sociales et garantissent la séparation des sujets. Au lieu de corriger son comportement de consommateur et de producteur pour leur conférer une cohérence globale, il abandonne ses comportements à des logiques individuelles que la Science a compartimentées et qu’elle se charge d’instruire. Ses vœux alors diffèrent de ses réalisations, car il n’avait pas l’intention au fond de les accorder, car chacun pour soi et « dieux mortels » pour tous. Il cherchait et trouvait sa liberté, son champ de manœuvre, dans le gap entre intérêt privé et « intérêt général ». Le citoyen demande au politique ce qu’il ne peut accomplir, plus exactement il lui demande d’accomplir des objectifs avec des moyens qu’il refuse de lui accorder (plus de services publics, plus d’autonomie individuelle, mais moins de fiscalité par exemple) et que le « dieu mortel » doit chercher ailleurs. Le citoyen se décharge sur l’État qui cherche à se décharger sur d’autres sociétés, ce qu’il réussit avec le colonialisme et l’impérialisme. L’État trouve avantage à être considéré comme un « dieu mortel », ce qui rend possible une construction par le haut de la société pour la société dirigeante. N’oublions pas que l’État-nation, l’État westphalien, trouve son origine dans la compétition des monarchies de droit divin et ne s’émancipe de la tutelle divine que lorsque les puissances européennes s’engagent dans une compétition pour la domination du monde. Il faut alors s’armer de nouveaux dieux : l’État-nation et le marché.

    En vérité avec la globalisation, la décision politique est le fait des « producteurs globaux », par le fait de leur action sur les pouvoirs politiques d’une part, auxquels ils fabriquent les programmes (offres), et sur la société, les consommateurs et les investisseurs, d’autre part, auxquels ils fabriquent les « préférences » (demandes). Mais aussi par le fait qu’ils sont les seuls à prendre en compte le long terme, à faire œuvre de stratégie. La démocratie impose le dictat du présent aux générations futures qui ne peuvent pas voter. Ils ne sont pas producteurs globaux sans les faveurs de la société ou les appuis de la puissance étatique. En resserrant la focale, on peut dire que c’est du comportement stratégique des grands producteurs, de leur capacité d’influence bien inspirée, que dépend l’unité de la production et de la consommation. Et en l’élargissant, que c’est dans leur comportement déterminé par le comportement déterminé des consommateurs et des investisseurs, que se traduit l’unité de la production et de la consommation, l’équilibre de l’offre et de la demande. La question est alors de savoir « qui détermine qui » dans l’interaction entre la puissance publique et les producteurs globaux ou entre les consommateurs et les producteurs globaux ? Tout dépend du rapport des forces. Les producteurs globaux ont beau ne pas distribuer de dividendes, c’est en eux qu’investissent, que croient les épargnants, faisant le cours de leurs actions qui ne cessent d’augmenter. C’est à eux qu’il faut prêter attention et au soutien que leur apporte la société (consommateurs et investisseurs) et secondairement au comportement des États et des citoyens. C’est de l’équilibre établi entre ces trois catégories séparées : les producteurs, les consommateurs et les citoyens, que dépend la dynamique globale. Des types d’interactions entre producteurs, consommateurs et citoyens établiront le type de dynamique et de société.

    C’est donc en se focalisant sur le comportement réglé des grands producteurs que la société pourra établir son pouvoir sur l’économie. C’est en veillant à ce que son comportement de consommateur et d’investisseur détermine le comportement des producteurs que le comportement du citoyen sera cohérent. En n’oubliant donc pas que le comportement du producteur ne peut pas être indépendant du comportement du consommateur et du citoyen et que l’intervention des « dieux mortels » n’a pour but que d’établir une cohérence entre les intérêts particuliers et l’intérêt collectif. C’est par leurs comportements citoyens que le consommateur et l’investisseur déterminent le comportement du producteur, beaucoup moins que par le moyen du politique qui n’en est que la conséquence.

    Les citoyens et les consommateurs de la démocratie représentative n’agissent sur le comportement du producteur que par le biais de l’État. La Science économique a figé leurs préférences et leurs motivations. Les consommateurs et les producteurs coordonnent leurs comportements par le moyen du marché et de l’État. La démocratie représentative sépare d’une certaine façon le citoyen du politique, les citoyens ne font plus corps qu’à travers des représentants et un lourd appareil qui a perdu de sa pertinence avec l’universalisation de l’État-nation et la globalisation marchande. La première cause a fait perdre aux premiers États-nations leur avantage, la seconde a remis en cause le monopole étatique de la puissance dans la majorité des sociétés. Le politique ne peut travailler qu’à la marge de la société et à son sommet : décourager ou encourager ici, servir là. Il ne peut pas lui donner des normes, il ne peut que renforcer ou affaiblir celles sociales. Il faut faire une exception : le politique exemplaire, où le grand producteur est aussi le citoyen exemplaire. Il n’y a pas alors de discontinuités entre les comportements du producteur, du consommateur et du citoyen. Pour le professionnel qui « représente », ce qu’il représente ne va pas sans modification après son élection. Il n’y aura pas identité du représentant et du représenté, il n’y aura pas accord de l’offre et de la demande politiques.

    À l’image du découpage de l’individu et de son cloisonnement en consommateur, producteur et citoyen, fait partie du problème et non de la solution, le découpage de la réalité en domaines économique, social et écologique, ainsi que le découpage de l’économie en macroéconomie et microéconomie. Les effets microéconomiques de la politique macroéconomique ou les effets macroéconomiques des comportements microéconomiques, les effets économiques et écologiques des mesures sociales ou les effets sociaux et économiques des mesures écologiques et les effets sociaux et écologiques des mesures économiques sont mal pris en compte. Incohérence qui se traduit par la non-réalisation des promesses de la politique publique et qui pousse le politique à recourir à des moyens non explicites pour réaliser ses promesses et gagner l’assentiment de la société. Le politique consiste alors, quoi qu’on dise, à obtenir ce que veut la société sans lui dire comment. La société y regardera si elle n’obtient pas ce qu’elle veut. La démocratie représentative (faire représenter la société par une partie de la société qui a les moyens de veiller à sa reproduction en tant que société dirigeante) n’a gagné ses heures de gloire qu’avec la démocratie marchande. Les sociétés n’ont pas toujours raison, comme le croyaient les premiers philosophes qui associaient la démocratie à la démagogie. Les sociétés marchandes n’ont eu raison, n’ont tenu leurs promesses, que parce qu’elles ont été victorieuses dans la compétition internationale. Leur droit n’a triomphé que parce qu’il a profité du non-droit en externe. Le droit n’est que l’instrument d’une automatisation des relations sociales. Il ne peut pas être identifié à la justice, mais au mécanisme de fonctionnement d’une société complexe. Un peu comme le rituel dans l’ancienne société chinoise. On ne peut donc pas identifier société juste et démocratie ou État de droit, mais société juste et comportement exemplaire et pas seulement pour une société qui peut assurer cohésion et triomphe sur l’adversité, mais comportement humain exemplaire pour l’humanité entière. Une société juste ne l’est pas seulement pour elle-même. Et comportement exemplaire n’est pas comportement abstrait des situations, mais comportement concret qui assurent cohésion sociale interne et externe. Comportement que pourraient incarner les grands producteurs du monde qui ne se déterminent pas, je le répète, indépendamment des comportements des consommateurs et des investisseurs, en s’accordant tous ensembles sur les compétitions légitimes. Que produire, comment produire, que consommer, comment consommer, pour la préservation du système Terre      ?

    Que le monde puisse s’accorder sur des productions et des consommations déterminées pour que le réchauffement climatique ne dépasse pas les 1.5° C., voilà qui ressemble à une utopie qui ne figure pas encore comme horizon souhaitable de l’humanité, mais qui est tout à fait concevable et suppose simplement pour se transformer en réalité, une volonté de transformation des comportements politiques et économiques. Ce ne sont pas des droits à polluer qu’il faudrait distribuer par le biais du marché, mais des droits à consommer au plan international, en mettant l’économie mondiale au service de l’humanité et de l’écologie. Il faudrait que s’inscrive dans la Constitution de l’Humanité, que celle-ci ne peut plus être qu’une dans le système Terre. On pourrait alors définir la consommation (dont celle de carbone) qui est acceptable pour l’humanité et pour chaque société étant données les conditions de production et de reproduction d’une vie décente dans le système Terre. Ce qui impliquera une certaine distribution des conditions de production à l’échelle mondiale entre différentes régions et une certaine redistribution de sorte qu’une compétition souhaitable entre nations et individus puisse se développer. Une compétition en matière d’exemplarité.

    Les sociétés auraient une autre représentation du capital : le capital matériel ne serait qu’une forme du capital, une forme nécessaire à sa reproduction, mais non sa vérité ultime. En ces temps de crise, on se rend compte que la production de capital social (la cohésion et la confiance sociales), la répartition du capital humain, la préservation du capital naturel sont tous importantes pour la reproduction du capital dans son ensemble. Et la sortie de crise dépend de la reconnaissance d’une telle vérité : ce n’est pas le capital matériel que l’on s’est disputé pour nous différencier qui est la forme de capital la plus importante, mais le capital social. La différenciation sociale qui détruit le capital social finit par s’essouffler. Dans une bonne conception du capital, le capital financier ou physique devrait croître en harmonie avec les autres formes de capitaux. Il irait à des productions, non pas pour accroître leur propre forme, mais pour accroître aussi les différentes formes de capitaux (capital naturel/social/humain/physique). Car le capital physique qui détruit le capital naturel, social ou humain détruit les conditions de sa reproduction/différenciation. Aujourd’hui le capital naturel non seulement ne suit plus la croissance du capital physique, mais il se dégrade et menace l’existence de la vie humaine. De même, et ce pour la plupart des sociétés, la croissance du capital matériel accroit les inégalités et mine la cohésion sociale, détruit le capital social. La représentation atomistique des formes du capital a désormais des conséquences catastrophiques.

    Au cours des décennies passées, on peut décrire la politique gouvernementale comme étant animée par un objectif, celui de fabriquer des riches à tout prix, le plus rapidement possible, comme pour fabriquer une « société civile », des investisseurs privés. Fabriquer des fortunes sur la liquidation des biens communs sans que cela n’ait pu permettre la formation de capitaux autres que le capital matériel et financier. Au contraire d’une telle politique, il est urgent que nous revenions à nos traditions collectives de consommation et d’investissement, où les individus n’étaient pas autorisés à avoir des compétitions, des consommations et des investissements débridés. L’effort qui va être demandé à la société est tel que le seul effort financier ne suffira pas, que l’État et le marché ne suffiront pas pour venir à bout des différentes crises. Il faut rendre aux collectivités une propriété formelle des ressources naturelles, la copropriété, et la définition de leurs préférences collectives, soit les fonctions de consommation et d’investissement, afin qu’un usage équilibré des différentes formes de capital ne conduise pas à une concentration de la propriété des machines, à une polarisation du marché du travail, à une destruction du capital naturel et par conséquent à des crises économique, sociale et écologique qui résulteraient de la destruction par le capital économique des autres formes de capital. On peut considérer la crise actuelle du capitalisme comme une crise du capital entendu comme destruction de ses différentes formes (naturel, culturel, social et humain) par celle économique.

    Incohérence politique et justice climatique

    L’incohérence politique qui résulte du cloisonnement entre les comportements du consommateur, du producteur et du citoyen, a quelque chose à voir avec les nouveaux dieux, le dieu mortel qu’est l’État de la nation (Hobbes) et le dieu Marché anglo-saxon. En même temps que le paradis a quitté le ciel, les dieux se sont incarnés dans des êtres terrestres. Dans l’économie politique anglaise, Dieu s’est réfugié dans le marché pour assurer la coordination des comportements privés. Il se trouve que dans les pays révolutionnaires, c’est plutôt dans l’État que Dieu est descendu sur terre. Dieu qui ne peut pas être renversé sinon en diable, n’y a pas été renversé, seulement la classe qui prétendait le représenter. Aussi le gap qui existe entre comportement privé et comportement collectif est le lieu où s’installent l’État et le marché de la Science économique. Il n’y a plus de continuité entre action privée et action collective, que par la médiation étatique et/ou marchande.

    La relation sujet/objet doublée d’une certaine relation nature/culture, est relation du maître à l’esclave étendue à toute chose. Les humains sont des sujets, les non-humains des objets, des esclaves. Notre propension à objectiver nos relations, à transformer nos relations en relations entre choses, nous poussera à différencier au sein des humains une classe de sujets et une classe d’objets. Une telle différenciation pourra user de la différence entre les sexes, les races et les classes. Il sera plus facile de transformer un captif, rival étranger vaincu dans une guerre, en esclave qu’un rival d’un même ensemble. Un individu incapable d’honorer ses dettes pourrait cependant les honorer de sa personne physique et perdre sa liberté. Le capital physique constitue une objectivation d’un geste technique, d’une partie d’un travail naturel et humain. C’est une mise en esclavage du travail de la nature et de la société, il exproprie l’artisan de son geste, d’une tâche, et l’associe à une énergie naturelle. Nous multiplions les machines pour ne pas avoir à dépendre d’autres sujets, d’autres humains, pour substituer des esclaves non humains aux êtres humains pris comme objets. Les objets non humains sont mieux déterminés que les « objets » humains.

    Notre paradis terrestre est peuplé d’esclaves dont nous apprécions la discrétion. Notre volonté s’y croit souveraine. Nous en oublions ce que nous coûtent l’entretien et le développement d’une telle armée. Signalons en passant que seule la coopération entre humains peut s’avérer supérieure à la coopération des machines si elle se donne les moyens de s’incorporer les machines artificielles qu’elle a créées. La machine objectivée, mais non matérialisée, la machine idéelle, est le moyen que l’humain a de se projeter devant lui. En se l’incorporant, en donnant corps à cette machine, plutôt qu’en le matérialisant dans un objet, il redonne à l’humain l’unité du geste et de l’énergie que l’objectivation matérialisée avait tendance à séparer. Il s’agit de remettre la machine dans le corps humain, le corps social, au lieu de l’externaliser. Il s’agit d’interrompre le processus d’exosomatisation à sa dernière étape : ne pas avoir besoin de matérialiser la machine et d’externaliser l’intelligence artificielle et donc d’avoir un besoin croissant d’énergie fossile. Il s’agit de savoir opérer comme la machine sans substituer de machine objective à la machine humaine de sorte à obtenir une distribution moins inégalitaire des machines. Il y a là un savoir-faire des sociétés d’Extrême-Orient que n’ont pas appris celles d’Occident.

    Prenons l’exemple des « externalités négatives » des économistes, telles les pollutions et autres dégradations de l’environnement, qui opposent l’économie et l’environnement, la chose privée et la chose publique, les intérêts particuliers et collectifs, le court terme et le long terme. Tout ceci que l’on tenait séparés, commence à se mélanger et à mal faire. Comment corriger les dommages quand les profits passés des premières révolutions industrielles ne peuvent pas être mis en balance des préjudices actuels, quand les profits et les pertes actuels divisent l’humanité ? Pourra-t-on dans une telle situation échapper à la justice corrective objective et naturelle du système Terre qui ne distinguera pas le juste de l’injuste, le mort et le vivant ? Les dégâts ne pourront pas être réservés à la partie la plus vulnérable de l’humanité, une partie de l’humanité ne pourra pas continuer de se réserver les profits en se débarrassant des coûts sur l’autre partie. Beaucoup ne semblent pas prendre conscience que les conséquences négatives de l’industrialisation ont établi la solidarité de destin de l’humanité dans le système Terre et la nécessaire unité d’action. L’humanité est une et elle est solidaire du système Terre. Ce sont les équilibres du système Terre qui sont en jeu, ils affecteront l’ensemble de l’humanité et pas seulement une de ses parties. Le désastre commencera, mais ne s’arrêtera pas aux îles Tuvalu. Les conséquences des externalités négatives sur les milieux les plus fragiles finiront par affecter les milieux les moins exposés. Le CO2 émis en Chine ou aux USA contribuera aux typhons aux Philippines comme aux sècheresses au Sahel, qui pousseront les populations des milieux les plus affectés par le réchauffement climatique vers les milieux les moins touchés.

    Dans les démocraties politiques, la justice climatique en appelle aux mobilisations citoyennes[6]. Ses mobilisations sont parvenues à obtenir certains résultats : les citoyens néerlandais ont contraint leur État par l’action judiciaire à respecter ses engagements climatiques. Les pouvoirs exécutifs des démocraties politiques ne pourront plus autant jouer des effets d’annonces. Ce qui ne sera pas sans retour sur les citoyens, qui devront avoir des comportements plus cohérents avec leurs engagements politiques. Dans le cas contraire, le pouvoir judiciaire devra se rendre à l’évidence qu’il ne peut contraindre le pouvoir politique. Comme ce fut le cas en Allemagne avec l’affaire du paysan péruvien et de l’énergéticien allemand RWE, la justice se rangea du côté du pouvoir politique[7].

    Mais comme il a été soutenu plus haut, le plus gros problème de la justice climatique oppose les producteurs et les consommateurs, les riches et les autres, dans l’incohérence du comportement citoyen et cela l’échelle planétaire : la citoyenneté s’arrête au seuil de l’économie. Il se passe ainsi que ce que souhaite le citoyen ne recoupe pas ce que veulent séparément le consommateur, l’investisseur et le producteur. Les médias parlent alors de « société civile », une catégorie qui se surajoute à celles du citoyen, du producteur et du consommateur, façon de les maintenir séparés, de séparer la société politique de la société. Le politique pourra ensuite les assembler sous l’autorité discrète des producteurs globaux. Le consommateur a le souci de son pouvoir d’achat, l’investisseur des bénéfices de son épargne, le producteur de son profit et de son capital. De façon générale, les citoyens, les consommateurs, les investisseurs et les producteurs, ne regardent pas dans la même direction, ne regardent pas ce qu’ils font ensemble. Que cela soit au niveau des marchés nationaux ou du marché mondial[8]. Bien sûr la « science économique », avec sa logique atomistique et ses assemblages, vous expliquera pourquoi il vaut mieux pour le citoyen de séparer le consommateur de l’investisseur et du producteur, que les institutions supposent un comportement social et que ce sont les institutions qui déterminent le comportement rationnel. Les sciences économique, politique et la psychologie[9] se sont entendues pour compartimenter le comportent de l’individu, lui fabriquer des institutions, rationaliser son comportement, qui conforteront ses comportements séparés pour qu’une logique d’ensemble puisse s’objectiver et lui échapper. Et c’est ce compartimentage des différents comportements de l’individu et leur assemblage qui posent désormais problème. Ce sont certaines de ses dispositions qui conduisent l’humanité à la catastrophe planétaire, c’est cette logique basée sur le principe de non-contradiction qui veut séparer le monde des idées de celui réel de l’expérience, le plaisir de la souffrance, le paradis de l’enfer et la justice de l’injustice.

    Dans les sociétés riches et vieillissantes, ceux qui polluent le plus sont une minorité. D’après les dernières données du World Inequality Lab (WIL), l’économiste Lucas Chancel calcule que les 1 % les plus riches du monde émettaient 17 % des gaz à effet de serre de la planète en 2019. Les 10 % les plus riches du monde émettaient près de 48 % des gaz à effet de serre, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’en émettait que 12 %. Ainsi, les 1 % les plus fortunés émettaient chacun 110 tonnes de CO2 en 2019, les 10 % les plus riches 31 tonnes contre seulement 1,6 tonne pour les 50 % les plus pauvres[10].

    Mais comme les plus riches représentent souvent le modèle de la majorité de la société, les individus n’aspirant qu’à s’enrichir, comment songera-t-on à restreindre leur mode de vie et à accepter les effets qu’une telle sobriété demanderait à la majoritéLa fin du mois passera ainsi avant la fin du monde. On continuera de dire à chacun ses préférences et ne songera pas à établir des préférences collectives qui limitent la consommation des plus riches et suscitent des investissements en faveur du plus grand nombre.

    Tant que les citoyens ne se sentiront pas concernés en tant que consommateurs, investisseurs et producteurs, tant que des citoyens continueront de penser qu’ils pourront tirer à eux les profits et faire porter aux autres les coûts grâce à la séparation de ces personnages, les promesses politiques de maintenir la température à un niveau souhaitable ne seront pas tenues. Et avec la crise climatique, ils doivent se sentir concernés en tant que citoyens du monde. Ce qui affecte les îles Tuvalu, devrait être comme ce qui les affecte eux-mêmes. C’est de consommation mondiale de carbone et de production mondiale de gaz carbonique qu’il s’agit.

    L’humanité a rendez-vous avec son destin, mais eu lieu de faire la guerre contre les dérèglements du climat qui menace son existence, c’est une guerre d’hommes contre d’autres hommes, et de nations contre d’autres nations qu’elle mène[11]. Au lieu de compassion, c’est d’égoïsme qu’il s’agit. La guerre contre les dérèglements du climat est d’abord une guerre contre des habitudes de consommation, contre la transformation des êtres vivants en esclaves et la multiplication des esclaves mécaniques en substitution aux esclaves humains. L’humanité est appelée à un grand djihad (djihâd en’nafs), mais elle préfère s’abandonner à ses petites guerres.

    Comment conduire l’humanité de ses petites guerres à celle contre les dérèglements climatiques ? Telle semble bien être le problème de grande stratégie qui devrait dominer l’esprit des puissants et des sages de ce monde. L’humanité n’ira pas franchement contre ses habitudes, elle s’efforcera de limiter ses souffrances, de transformer de bon cœur ses habitudes erronées. Un problème majeur de cette grande stratégie sera de conjuguer d’une nouvelle manière puissance et exemplarité. Il s’agira de savoir pour quoi les humains accepteraient de se mesurer. La puissance ne suffira plus à apporter l’adhésion. En fait depuis un certain temps puissance et exemplarité, puissance et autorité, ont commencé à dériver vis-à-vis l’un de l’autre. Il serait illusoire de croire que l’humanité puisse renoncer à la compétition pour la puissance, il s’agit de savoir comment la puissance peut à nouveau progresser en étant mieux partagée.

    Les économistes du monde entier proposent pour empêcher une hausse de température de l’ordre de 4 °C d’ici la fin du siècle un prix du carbone suffisamment élevé et pratiqué par une coalition de pays suffisamment large. Un prix du carbone établi autour 50 euros par tonne de CO2 semble suffisant aux yeux des économistes pour réduire la consommation de carbone et les émissions de gaz carbonique. Pour les Français qui émettent 6 tonnes de CO2 en moyenne, cela correspondrait à 300 euros par an, soit à peu près 1 % de leur pouvoir d’achat. Selon GOLLIER une telle politique n’exigerait pas une révolution des comportements, ou un abandon du système économique libéral ou de la démocratie. « Il s’agirait plutôt d’une décroissance très sélective, visant à mettre chacun face à sa responsabilité propre, pour aligner ses intérêts avec le bien commun. »[12]

    Je ne crois pas qu’une telle approche qui élude la place des préférences collectives pour ne compter que sur l’État et le Marché, puisse être la panacée. Il reste qu’on ne peut pas envisager une révolution des comportements, mais que l’on peut amener un changement progressif des préférences collectives. Il faut bien se rendre compte qu’une politique du prix du carbone, autrement dit le marché du carbone, aura tendance à transformer tous les marchés. Une telle politique a donc besoin d’un contrôle du marché mondial et donc d’une adhésion des États et des producteurs globaux. Mais il n’est pas sûr que toutes les nations puissent disposer de la même possibilité de transformation progressive des préférences collectives. Le choc du réchauffement climatique, des crises économiques et sociales, réduisant les marges de manœuvre. L’Afrique a besoin d’une transformation plus rapide dont elle doit avoir les ressources. Ne disposant pas de structures sociales stables, elle doit envisager une stabilisation de ses préférences collectives, en faire son point de départ. Les préférences collectives qu’elle doit retenir doivent mettre en cohérence ses comportements de consommateur, d’investisseur et de producteur. Comme soutenu plus haut, il est urgent que nous revenions à nos traditions collectives, où les individus n’étaient pas autorisés à avoir des compétitions, des consommations et des investissements débridés. Il faut rendre aux collectivités une forme de propriété des ressources naturelles, copropriété avec l’État, et à la délibération collective marchande et non marchande les fonctions de consommation et d’investissement afin qu’un usage équilibré des différentes formes de capital ne conduisent pas à une concentration de la propriété des machines, à une polarisation du marché du travail, à une dégradation du capital naturel et par conséquent à des crises économique, sociale et écologique qui résultent de la destruction par le capital économique des autres formes de capital. L’Afrique a besoin avant tout d’une démocratie économique, où marché et délibération sociale et politique ne soient séparés que par commodité.

    Vouloir le paradis sur terre, obtenir l’enfer.

    « Le concept d’une transition énergétique heureuse est une utopie. L’opinion publique a été bercée d’une illusion aujourd’hui hautement inflammable, celle d’une transition écologique merveilleuse, qui créerait emplois et richesses pour tous, tout en redonnant à la nature son lustre d’antan. Cette caverne d’Ali Baba n’existe pas. »[13]

    Dans le cadre de l’expérience humaine, paradis et enfer ne peuvent pas être dissociés : par l’enfer se renouvèle le paradis, se crée le désir du paradis. Nous naviguons entre paradis et enfer. Peines et plaisirs se succèdent, se remplacent, seules les manières de se succéder, de se remplacer, changent. Ils ne peuvent être que mal partagés, ils ne peuvent pas être dissociés. Le printemps vient après l’hiver, l’automne après l’été. Aussi ne peut-on rechercher que la bonne ou moins mauvaise distribution qui assure une certaine régularité des cycles, ainsi pourra-t-on mériter le paradis pour avoir bien agi, que cela soit pour notre idée convenue et séparée de la cité idéale ou celle du paradis céleste. Dans la vie, dans l’humanité et donc dans le droit, toutes les parties ne sont pas rémunérées selon leur mérite, il y a de l’injustice dans le monde. On pollue ici et on en souffre d’abord ailleurs. Notre enfance est un paradis ou un enfer. Il faut pouvoir transcender toutes les frontières juridiques et non juridiques entre êtres humains et non humains pour pouvoir établir une juste balance au sein des êtres vivants. Ce serait se placer comme d’un point de vue divin. D’un point de vue humain, la justice ne peut être réalisée que selon la base informationnelle disponible. L’omniscience n’est pas attribut humain. Aussi faut-il non pas s’attacher à une justice parfaite, mais à l’amélioration de la justice, à corriger les injustices que l’on peut mesurer et corriger et selon les différentes idées/logiques de construction de la justice[14].

    Les couples de contraires

    Car il n’y a pas de paradis sur terre qui n’aille pas sans enfer, ils sont juste deux horizons qui pointent aux deux bouts de la vie. L’enfer/le paradis, la vie/la mort, ne sont que des couples de contraires qui nous permettent de rendre compte de tout processus, qui ne sont qu’une façon de découper le monde pour le prendre, se l’approprier. Une façon de nous approprier le monde qui nous a réussi dans le passé peut se révéler nocive dans le futur. Un remède peut se révéler un poison, dès lors que les conditions de son usage ont changé. La croyance selon laquelle Dieu se serait retiré du monde en le confiant à des lois dont la connaissance pouvait nous en rendre maitres est à l’origine de ce qui singularisa la civilisation occidentale : la Révolution scientifique. Cette croyance de pouvoir chasser l’inconnaissable de la connaissance, à séparer l’homme de la nature, a fait adopter à l’homme le point de vue divin. Le monde dans son entièreté se donnait à l’humain et pas seulement les interactions avec lui. Le problème est d’avoir substitué le paradis sur terre au paradis céleste, la justice humaine à la justice divine, la Science à l’omniscience divine, d’avoir développé une logique où règne le principe de non-contradiction en maître.

    La civilisation occidentale s’épuise, le tour de la civilisation chinoise revient : les contraires ne s’excluent pas, ils se complètent et se remplacent. Osons ici une assertion risquée : il est de bonne stratégie de reconnaître l’avenir d’un tel futur proche, pour l’Occident, afin d’éviter les guerres inutiles et destructrices, pour le monde musulman, afin de ne pas s’épuiser en allant à contre-courant du monde.

    Les dictatures militaires sont de retour dans la partie du monde musulman qui gravite autour de l’Occident et non de la Chine. Les dictatures militaires reviendront tant qu’elles ne se seront pas « civilisées », tant que des dispositifs civils contraignants n’auront pas pris la place de l’autorité militaire. Tant que les guerriers de la société militaire, ne se seront pas « dupliqués » en « guerriers » de la société civile, tant que ceux-ci n’auront pas complété ceux-là, autrement dit, tant que l’élite (« guerrière ») ne se sera pas diversifiée pour remporter les diverses compétitions qui rendent inutiles les destructions guerrières ; tant que la société n’aura pas trouvé les bonnes dispositions qui lui permettront d’entrer dans les compétitions internationales et de les emporter. Aussi n’est-il pas étonnant que les militaires aient investi le monde de l’économie, ce qu’il faut relever, c’est qu’ils n’aient pas pu se transformer en capitaines d’industrie, qu’ils aient renoncé à entrer dans la compétition internationale et qu’ils n’aient pu insuffler l’esprit compétitif dans le corps social. C’est qu’ils aient perdu l’esprit de combat en passant dans le civil et ne pouvaient plus que servir de police aux puissances internationales pour perdurer. C’est qu’ils aient échoué à démilitariser la société, à l’aider à se soumettre à des dispositifs civils qu’elle soit en mesure de maîtriser, de modifier en fonction des défis auxquels elle peut être soumise. C’est qu’ils n’aient pu conduire une différenciation sociale en mesure d’assurer à la société une bonne insertion internationale.

    Le paradis et l’enfer sur terre

    La vie sans la mort, c’est la mort. La paix sans la guerre, c’est la mort. C’est tomber dans l’indifférencié. La leçon qu’il faut en tirer : il y a la bonne différenciation qui régularise le cycle et permet à l’humanité de naviguer convenablement et une mauvaise différenciation qui conduit aux dérèglements.

    Le paradis ne va pas sans l’enfer, le bonheur sans le malheur. Nous n’éprouvons que des contrastes, des différenciations, des plus et des moins. Le plaisir, ce sont les contrastes sur la courbe négative de la douleur. Et inversement pour la douleur. Il y a continuité. Le plaisir baisse ou croit jusqu’à en perdre le sentiment pour laisser place ou chasser la douleur jusqu’à en perdre le sentiment. Les contraires se dissocient et se confondent, mais ne se séparent pas en entités distinctes. Ils sont dans un continuum, comme sur la même courbe, au moment où le plaisir s’annule, il laisse le champ à la croissance de la douleur. La douleur et le plaisir sont d’autant plus intenses que sur la courbe, la progression de la douleur ou du plaisir est importante, brutale. La douleur est toujours sous-jacente au plaisir, même quand nous n’en avons plus la sensation immédiate, prête à surgir de manière progressive ou violente. Lorsque le plaisir devient maximum, que nous sommes rassasiés et qu’il ne nous fait pas perdre conscience, qu’il ne peut plus y avoir de plaisir au-delà, le mouvement de plaisir s’inverse en déplaisir. Le plaisir dissipe la douleur, la douleur dissipe le plaisir. L’un est comme dans l’autre.

    L’enfer et le paradis sont relatifs et n’ont de vérité que relative. Le bonheur est un horizon qui s’éloigne au fur à mesure que l’on se rapproche. Mais il ne recule pas indéfiniment, il peut au bout se renverser en enfer. La nature infinie de nos désirs est telle qu’aussitôt un désir satisfait, rassasié, un autre apparaît. Cela n’est qu’en partie vrai. Le désir doit faire corps avec la vie. Il se peut que nous arrivions à la fin de nos désirs, car nos désirs sont terrestres. Nos rêves qui nous attachent à des désirs inassouvis, ne sont pas des rêves qui naissent du néant, ils naissent d’un possible que comprend notre condition. Un rêve qui serait hors d’atteinte ne communiquerait pas avec nos désirs. Il serait comme un météorite, ne s’enracinerait pas. Il se peut donc que nos désirs soient saturés, que l’on ait de la peine à en inventer de nouveaux. Ensuite, il se peut que ces rêves ne puissent pas être partagés. Qu’ils puissent aller, au contraire, avec l’apparition de nouveaux cauchemars pour une grande partie de l’humanité.

    Et comme nous ne sommes pas au-dessus des choses et de la vie, mais parmi les choses et dans la vie et que nous ne pouvons pas séparer les contraires, séparer le paradis de l’enfer, le plaisir de la douleur, le problème est de savoir sur quel intervalle nous nous tenons et sur quelle pente un tel intervalle est destiné à se déplacer. Intervalle de la courbe de nos sensations qui oppose à ses deux bouts bien-être et souffrance. Car dans toute situation on retrouvera cet intervalle toujours tendu par ce couple : il y a des souffrances et un bien-être auxquels nous sommes accoutumés : c’est le point zéro, origine du système de coordonnées d’un milieu, de la courbe de nos perceptions. Les situations ne sont donc pas égales pour tous les individus, tous ne prennent pas les mêmes risques vis-à-vis de la mort, ne supportent pas les mêmes souffrances, ne jouissent pas des mêmes plaisirs. Certains défient la mort parce qu’ils refusent de l’attendre venir, parce qu’il est plus difficile de vivre que de mourir. D’autres pour survivre et sauver leurs enfants acceptent de les vendre. Ce qui est particulièrement intolérable pour une bonne part de l’humanité plus aisée, mais qui fait que la vie et la mort, l’enfer des camps de réfugiés et le paradis des îles dorés se côtoient, sans communiquer.

    Sur la courbe des perceptions, l’humanité se répartit sur des intervalles différents. Je mets l’humanité sur une courbe unique de souffrances et de bien-être, mais sur des intervalles différents. Ici on ne souffre pas de cela, là on en meurt (famine). Ici on ne jouit pas de cela, là on en exulte (caviar, voyage spatial). Et c’est bien ce que les patrons de TESLA et de Microsoft veulent faire : donner de nouveaux rêves à la riche humanité. Il reste cependant qu’ils doivent affronter un nouveau problème, sur la courbe humaine des perceptions, les milieux ne fixent plus le système de coordonnées de leurs plaisirs et de leurs peines, la courbe se rompt, tout le monde ne rêve plus d’être riche. Ceux qui sont en enfers de ce monde ne croient plus au paradis terrestre. L’humanité ne tient plus sur une même courbe, les intervalles ne se font plus suite. Celui qui risque sa vie pour survivre et celui qui reste indifférent ne peuvent plus communiquer et coexister.

    Le pauvre ne rêve plus d’être riche, il rêve de survivre, de ne pas mourir de faim et de désespoir, de maladie ou de mort violente, lui que le monde a fait tant espérer. Par quelle idée de paradis peut-il donc bien être possédé ? Quand il ne rêve pas de table rase, d’enfer pour ses ennemis, il rêve d’une humanité réconciliée avec elle-même et le système Terre, que pourrait conforter de nouvelles habitudes, qui tiendrait sur une même courbe que chacun pourrait parcourir et dont les intervalles extrêmes de la courbe du bien-être et du mal-être ne menaceraient pas de rompre, de déclarer dissidence. Une humanité réconciliée autour d’une certaine frugalité ou prospérité moyenne, comme disent les chinois aujourd’hui, une humanité qui ne risque pas d’imploser ou d’exploser et ne serait plus tiraillée entre des super-riches et des super-pauvres.

    Notes

    [1] LES GRANDS DÉFIS ÉCONOMIQUES. Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole. Juin 2021. https://www.strategie.gouv.fr/publications/grands-defis-economiques-commission-internationale-blanchard-tirole.

    [2]Christian Gollier. Le climat après la fin du mois. PUF, 2021.

    [3] François JULLIEN. Les transformations silencieuses. Grasset. 2009. Il y aurait beaucoup à voir dans le temps long des Révolutions le travail de ces transformations silencieuses.

    [4]Amartya SEN, L’idée de Justice, Flammarion, Champs. 2010, pp. 12-15.

    [5] Christian Gollier, op. cit.

    [6] En exemple le livre de Judith Rochfeld. Justice pour le climat ! Les nouvelles formes de mobilisation citoyenne. Odile Jacob, septembre 2019 15, RLE Soufflot, 75005 Paris.

    [7]https://www.geo.fr/environnement/le-gouvernement-allemand-echappe-a-un-proces-pour-sa-politique-climatique-198409

    [8]On ne veut pas égaliser les pertes et les profits aux différentes échelles. Quand l’Homme peut externaliser les pertes, il est rare que la compétition à tout prix ne l’y contraigne pas.

    [9]La science économique a séparé pour la science politique, avec le théorème d’impossibilité d’Arrow, les préférences individuelles des préférences collectives. La psychologie se préoccupe désormais de la rationalisation du comportement du consommateur et vient en appui de la science commerciale.

    [10] https://wid.world/fr/news-article/climate-change-the-global-inequality-of-carbon-emissions-2/

    [11] Christian Gollier, op. cit.

    [12] Ibid. L’auteur est aussi coauteur du chapitre le changement climatique du rapport Les Grands Défis économiques remis au président de la République française par la commission internationale Olivier Blanchard-Jean Tirole en juin 2021.

    [13] Christian Gollier, op. cit.

    [14] Amartya SEN. Ibid. Voir la préface et les trois postulats de sa théorie de la justice.

    par Arezki Derguini

    Le Quotidien d’Oran, 21/11/2021

    #Algérie #crise_économique #Crise_sociale #Paradis

  • Finances publiques : le serrage de ceinture se poursuit

    Finances publiques : le serrage de ceinture se poursuit

    Tags : Algérie, finances, budget – Finances publiques : le serrage de ceinture se poursuit

    Même si les cours du pétrole et du gaz flambent sur les marchés internationaux, le gouvernement reste prudent, pour ne pas dire pessimiste, sur l’amélioration de la santé financière du pays. Il préfère attendre l’arrivée de vents plus favorables avant de mettre la main à la poche.

    Le gouvernement a décidé d’adopter une attitude attentiste et extrêmement prudente en matière de dépenses et s’achemine même à serrer un peu plus les cordons de la bourse sur certaines d’entre elles. L’adoption d’un prix de référence de 45 dollars le baril de pétrole par le Projet de loi de finances 2020 alors que son cours est à 85 dollars sur le marché fait partie de cette démarche. Aïmene Abderrahmane l’a expliqué par la nécessité de faire preuve de prudence vis-à-vis d’un marché pétrolier instable, souvent sujet à la spéculation.

    Ainsi, en plus d’avoir déprécié plusieurs fois sa monnaie en quelques années, l’Algérie s’appauvrit volontairement en estimant qu’elle gagne près de deux fois moins qu’en réalité. L’exécutif espère de cette façon regarnir son bas de laine, fortement sollicité durant la période de vaches maigres qu’elle traverse depuis 2014.

    Il ne faut donc pas s’attendre à une prodigalité outrancière de la part de l’Etat ni de signature de chèques à tour de bras pour relancer l’investissement en multipliant les commandes publiques. Non, c’est apparemment une phase de serrage de ceinture qui s’annonce. Celle-ci peut aller jusqu’à la suppression des subventions à certains besoins de base.

    Première victime, le sucre. Benabderrahmane a déjà annoncé qu’il prévoit annuler l’exonération sur les ventes de cette matière (raffinée ou brute) dont la Taxe sur la valeur ajoutée était réduite de 9%. Il a justifié cette décision par sa volonté de préserver la santé du consommateur et réduire la facture d’importation.

    Le Premier ministre a, en revanche, insisté sur la nécessité d’orienter les dépenses de l’Etat plutôt vers l’importation des céréales et à l’appui de la production locale de cette denrée vitale et à la sécurité alimentaire en général. Il considère, par ailleurs, que le prix actuel d’achat des céréales auprès des agriculteurs est « en-deçà de celui que l’Etat débourse en matière d’importation des céréales de l’étranger ». Concernant l’instauration d’une taxe à laquelle sera soumis le secteur agricole, il a précisé que le Projet de loi de finances 2022 intervient pour « fixer et simplifier » cet impôt et « ne vise pas à alourdir la charge sur les agriculteurs ».

    Sur un autre registre, Benaderrahmane exclut tout recours à l’endettement extérieur pour le financement de l’économie. Le déficit budgétaire, a-t-il déclaré, sera financé par le recours au marché intérieur qui, selon lui, compte « d’énormes moyens financiers en attente de mobilisation ». Ce gisement inclut également, les banques et le Fonds de régulation des recettes. Toutefois, ces prévisions impliquent un redressement des cours de pétrole d’où le prix référentiel de 45 dollars le baril (au lieu de 85) pour « atténuer la pression sur le budget de l’Etat »

    Mohamed Badaoui

    La Nation, 15/11/2021

    #Algérie #Finances #Budget