Étiquette : Djihadisme

  • Niger. La lutte pour la terre au Sahel agit comme un moteur du djihadisme

    Paolo M. Alfieri

    Dans un monde distrait par le Covid-19, la crise environnementale s’est transformée en crise alimentaire, puis en crise sociale, économique, ethno-religieuse et humanitaire. Et dans le vide du pouvoir, les massacres se multiplient.

    Le 31 mars, après 43 ans d’exploitation, le groupe français Orano, anciennement Areva, abandonnera les activités minières dans une importante mine d’uranium (fondamental pour la production d’énergie nucléaire) dans la ville d’Arlit, au nord du Niger. Après le quasi-épuisement du site d’Akouta – par le biais de la filiale nigérienne Cominak – et la chute du prix de l’uranium sur les marchés mondiaux après des années de profits et de vaches grasses, les Français vont donc cesser leurs activités, laissant plus de 600 jeunes employés, plus 800 autres entrepreneurs et des centaines d’autres induits, sans travail et sans espoir dans l’une des régions les plus pauvres de la planète. Combien de ces jeunes, parmi ceux qui ne tenteront pas d’émigrer directement en Europe, iront grossir les rangs d’un djihadisme qui, jour après jour, étend ses tentacules dans tout le Sahel, à l’heure où la pandémie de coronavirus soustrait l’attention et les ressources au développement et à la coopération coordonnés ? La perte d’un emploi ne transforme pas nécessairement un être humain en un extrémiste violent, mais l’absence d’avenir peut être dévastatrice pour la stabilité personnelle et, en même temps, sociale et régionale.

    La dernière attaque contre des villages, au Niger, remonte à dimanche dernier : 137 civils – dont 22 enfants âgés de cinq à 17 ans – ont été tués et d’autres blessés ou séparés de leurs familles dans la région de Tahoua. Ils étaient en route pour aller chercher de l’eau lorsque les attaques ont eu lieu : les hommes armés ont tiré sur tout ce qui bougeait. « Nous prions pour les victimes, pour leurs familles, pour toute la population, afin que la violence ne fasse pas perdre la foi pour la justice et la paix », a été la pensée adressée aux victimes par le pape François hier à la fin de l’audience générale. Des groupes liés à Daesh, à Al-Qaïda, des milices qui se déplacent sur une base ethnique ou pour prendre le contrôle de la région en vue de faire de sales affaires dans un territoire dévasté par le changement climatique et la lutte pour l’accaparement des ressources. Le Niger, mais aussi le Mali et le Burkina Faso, dans un monde désormais également « distrait » par Covid-19, sont au centre d’une catastrophe humanitaire.

    Rien qu’en 2020, 5 000 personnes sont mortes, 1,4 million ont été déplacées à l’intérieur du pays et 3,7 millions ont été plongées dans l’insécurité alimentaire dans ce triangle tourmenté. Une grande partie de la dynamique des conflits en cours part d’un bien de plus en plus précieux et rare : la terre. La crise environnementale, soulignait également un récent rapport de Caritas, est devenue une crise alimentaire, puis sociale et économique, ethno-religieuse, et enfin humanitaire, devenant ainsi une forme grave de dégradation humaine. Victimes d’attaques terroristes, des centaines de milliers de familles abandonnent leurs foyers et leurs activités dans des régions que les États ne contrôlent plus depuis longtemps. La galaxie djihadiste n’a aucun mal à combler le vide du pouvoir dans ces territoires.

    À partir du 2 avril, le Niger aura un nouveau président, Mohamed Bazoum, 61 ans. Dans le pays qui, avec 7,6 enfants par femme, détient le record planétaire de fécondité, Bazoum devra montrer que les promesses d’avenir lancées lors de la campagne électorale – les enjeux de la famille, l’éducation des jeunes, la croissance de l’économie et la lutte contre l’insécurité imposée par les djihadistes – ne sont pas de vains mots, avec le soutien de la communauté internationale. Le développement et la défense des populations vulnérables, ainsi que la promotion de la cohésion sociale et de la paix, sont des objectifs incontournables et communs également pour les pays voisins, un goulot d’étranglement nécessaire à franchir pour changer le destin d’une région qui doit repenser son avenir.

    Avvenire.it, 25 mars 2021

    Tags : Afrique, Sahel, Niger, Mali, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie, France, Barkhane, djihadisme, terrorisme, Al Qaida, JNIM, EIGS,

  • L’Occident peut-il vaincre le «terrorisme islamique»?

    L’Occident ne semble remarquer l’incendie qu’il a provoqué aux quatre coins de la planète que lorsque les flammes la lèchent et ressentent sa chaleur.

    Peu importe que les souffrances causées par certains événements dont il est coresponsable aient été infligées beaucoup plus largement par la «périphérie», avant même qu’il n’y ait de rétroaction au «centre». En résumé: ce qui se passe ici n’est qu’une fraction de ce qui se passe là-bas.

    En ce qui concerne le «terrorisme islamique», cette dynamique atteint le paroxysme: n’est-ce pas peut-être l’Occident – de concert avec les monarchies pétrolières du Golfe – qui l’a utilisé et diffusé pour atteindre ses objectifs géopolitiques?

    De l’Afghanistan, au moment de la guerre menée par l’URSS, en passant par les Balkans lors du processus (induit) de désintégration de la Yougoslavie et de l’agression contre la Serbie puis, pour atteindre l’Afrique et le «Moyen-Orient» avec la guerre contre la Libye d’abord et à la Syrie – qui a échoué – et avant cela à l’Irak.

    Opérations visant le « Chaos Créatif », avec des effets secondaires incontrôlés, comme cela est typique des effets dévastateurs causés par chaque apprenti sorcier …

    Mais ce ne sont pas les seuls territoires où ce «cancer» – comment le définir, sinon? – reproduit. Pensez simplement au Caucase, par exemple, à la Chine au Xinjiang ou ailleurs en Asie, que les populations ont payé dans l’indifférence internationale. Souvenons-nous simplement des effets du terrorisme islamiste tchétchène en Russie …

    Certes, cependant, la perception du phénomène – complice des appareils informationnels-culturels «au casque», embauchés par les classes dirigeantes – ne commence à se manifester que lorsque cette longue traînée de mort et de destruction nous revient.

    Peut-être sous la forme d’un meurtre odieux d’un citoyen ordinaire, perpétré par un « extrémiste islamique », comme ce fut le cas avec le professeur de français décapité en banlieue parisienne par un Français d’origine tchétchène il y a quelques jours. Dont la famille, liée à la guérilla islamique tchétchène, avait «fui» la Russie pour obtenir l’asile politique en France.

    Il est difficile de trouver une analyse qui corrèle les effets du néocolonialisme et la propagation du djihadisme dans le cadre des États postcoloniaux, où les politiques d’indépendance vis-à-vis des anciens et des nouveaux parrains ont échoué en partie ou totalement, ainsi que dans la construction d’entités étatiques solides capables de satisfaire les besoins de leurs citoyens avec un développement autocentré, comme dans le cas de certains pays africains.

    Nous avons traduit ici une enquête multi-mains, publiée dans «Le Monde», qui fait le point sur l’évolution du djihadisme sur le continent africain, à partir de là où s’articulent les intérêts néo-coloniaux français et pas seulement, désormais menacés par l’insurrection Islamique, comme cela se produit par exemple autour des gisements de gaz au Mozambique.

    Exploitation des ressources sans contrepartie (à part les descendants qui vont engraisser les élites locales complaisantes), déracinement de la population, insertion des jihadistes dans cette contradiction et donc militarisation des territoires; à la fois par des armées «régulières» et par des milices privées hautement rémunérées.

    C’est le scénario qui se répète de plus en plus souvent, dans un cercle vicieux où la dynamique: extractivisme / déracinement / militarisation est rejoint par le «facteur islamique», qui agit selon toute vraisemblance «pour le compte de tiers» pour contrer les tentatives de pénétration d’autres acteurs mondiaux.

    On ne voudrait pas faire de mal aux auteurs, mais il semble que le principal moteur de leurs préoccupations, au-delà de la validité de l’étude, soit la menace pesant sur le plus grand projet d’extraction de gaz africain impliquant le français Total, au Mozambique (le neuvième plus grande ressource estimée de la planète), plus que la souffrance des 1 300 morts et des plus de 210 000 personnes déplacées, dans une vraie guerre qui ne s’appelle même pas ainsi et qui évidemment ne fait pas d’histoires.

    Une approche «euro-centrique», fondamentalement plus intéressée par les intérêts matériels de son propre impérialisme, pratiquement indifférente aux souffrances causées aux populations locales.

    Soit dit en passant, ENI est également impliquée dans l’extraction de gaz offshore au Mozambique …

    Si vous listez les différentes agences de sécurité privées impliquées dans les étapes ultérieures, vous trouverez les principales sociétés mercenaires mondiales: Blackwater, Wagner, Dyck Advisory Group, etc.

    Dans un autre article du Monde sur cette guerre peu oubliée, Total avoue avoir fait appel à 5 ​​de ces agences et qu’un appel d’offres était en cours pour confier le contrat à 7 autres!

    Ce n’est pas le seul nouveau projet de la multinationale française aux effets dévastateurs. Pensez à l’oléoduc de pétrole brut de l’Afrique de l’Est, un oléoduc de 1445 km qui part du lac Alberta en Ouganda et atteint la côte nord-est de la Tanzanie, dans l’océan Indien.

    Malgré le « capitalisme vert », sur les 400 puits d’extraction prévus à Tilenga, en Ouganda, 132 se trouvent dans un parc national protégé, avec un projet qui a un impact négatif sur environ 100 000 personnes, leur refusant les activités les plus élémentaires de subsistance par l’agriculture.

    Pour les oligarchies européennes, la «transition écologique» s’arrête à leurs propres frontières.

    Revenant à l’article traduit, nous avons une image assez réaliste de la façon dont les principales « sociétés holding » du terrorisme islamique « investissent également en Afrique », qui ces dernières années est devenue l’un des principaux théâtres du Jihad mondial, avec tout le respect dû à ceux qui pensaient que L’Etat islamique avait été vaincu parce qu’il avait été battu militairement au «Moyen-Orient». Nous voyons aussi les «coupures islamiques» à la solde de la Turquie, pour agir en Libye ou dans le conflit arméno-azerbaïdjanais.

    Comme le dit un chercheur cité dans l’enquête: tant que l’État islamique continuera d’avancer en Afrique, le rêve du «califat» mondial n’est pas mort. Nous ajoutons: tant que les conditions d’existence dans lesquelles des millions de personnes en Afrique sont contraintes sont celles dictées par la logique coloniale, ce «rêve» ou cauchemar aura un véritable espace social.

    Les stratégies d’enracinement changent – parfois la guérilla islamique prend la place d’une administration étatique absente – et les modes de fonctionnement, qui profitent des défaites subies. Mais la principale condition pour laquelle ils peuvent prospérer est la destruction que l’Occident a apportée et continue d’apporter dans ces territoires également par le biais de ses propres troupes d’occupation – comme c’est le cas au Sahel – ou par l’utilisation de soldats de fortune du XXIe siècle. .

    L’Occident capitaliste peut remporter des victoires limitées et limitées contre le djihadisme mais certainement pas gagner la guerre ou à l’intérieur de ses propres frontières – dans la mesure où il impose des politiques répressives – ou en dehors de cela – dans la mesure où les coalitions internationales sont préparées – car c’est l’une des premières causes de mal qu’il voudrait guérir.

    Bonne lecture!

    Source : Contropiano, 21 oct 2020

    Tags : Islam, Occident, terrorisme, djihadisme, Daech, ISIS, Etats Islamique, capitalisme, Afrique,

  • Sahel : l’exception mauritanienne

    par Isselkou Ahmed Izidbih

    Le vocable « Sahel » signifie « rivage » en langue arabe, en référence à la bordure méridionale de la « mer de sable » qu’est le Sahara. Il s’agit d’une bande géographique qui s’étend des côtes atlantiques mauritaniennes à l’Ouest aux côtes érythréennes sur la mer rouge à l’Est, soit environ 7000 km, et dont la profondeur variable sépare les dunes vives du Sahara et la savane subsaharienne.

    C’est une région de transition par excellence, jadis majoritairement peuplée de nomades. La religion musulmane y est omniprésente, aux côtés du christianisme et de divers autres rites religieux locaux.

    1. Des racines de la crise au Sahel

    Les spécialistes évoquent différentes causes à l’origine de la profonde crise que traverse le Sahel, dont les effets désastreux du réchauffement climatique sur le mode de vie traditionnelle des populations sahéliennes. En effet, l’élevage extensif du bétail, la culture de subsistance et le commerce sont simultanément et négativement impactés par le déclin du cumul pluviométrique annuel, le caractère erratique des précipitations et leur conséquence et une accélération de la désertification. Cette réduction drastique des ressources économiques est accompagnée d’une explosion démographique qui fera passer la population des seuls pays du G5-Sahel d’environ 83 millions (2019) à 196 millions en 2050. Le stress environnemental est perceptible dans la tension accrue entre des éleveurs tentés de descendre toujours davantage en direction du Sud à la recherche de nouveaux pâturages pour leurs troupeaux, et des cultivateurs confrontés à une telle pression doublée d’un déclin des quantités d’eau disponibles et de l’érosion des sols. Ainsi, une sorte de « sahélisation » dynamique engloutit, chaque année, des zones de la savane subsaharienne autrefois impropres à la pratique de l’élevage extensif, exacerbant à l’extrême une rivalité entre éleveurs et cultivateurs, prégnante dans la région, comme c’est le cas en ce moment au niveau la zone du Luptako-Gourma dite “zone des trois frontières”, un territoire de 370 000 km2, aux confins du Burkina Faso, du Mali et du Niger, véritable ventre mou sécuritaire du Sahel.

    Parmi les causes de la crise au Sahel, l’on peut également citer les tensions politico-ethniques latentes, notamment au Nord du Mali remontant au début des années soixante, les répercussions des événements politiques survenus en Algérie au cours des années quatre-vingt-dix, et plus récemment la crise en Libye. L’effondrement de l’Etat central libyen, en 2011, a non seulement créé un vide géopolitique propice à toutes sortes d’exploitations préjudiciables à la sécurité régionale et mondiale, mais il a aussi été à l’origine de la dissémination des arsenaux libyens à travers le Sahel, des arsenaux réputés les plus colossaux d’Afrique. Des groupes, précédemment enrôlés dans l’armée régulière libyenne, ont pu rejoindre, avec armes et bagages, leur pays d’origine, notamment le Nord du Mali, bouleversant les rapports de force sur le terrain en faveur d’une rébellion historique ou d’un groupe terroriste préexistants, et fragilisant ainsi (davantage) la souveraineté territoriale de certains Etats de la région.

    Le trafic de drogue en direction des marchés lucratifs du Nord, constitue, lui aussi, un élément causal de la présente crise au Sahel, car les (auto)routes traditionnelles qu’empruntait ce produit étant à présent hermétiquement closes, les réseaux de narcotrafiquants ont décidé d’en établir de nouvelles qui passent par des zones de « moindre résistance » sécuritaire, idéalement le Sahel, puis la Libye, ensuite l’Europe méditerranéenne et le Proche-Orient. Une forme de connivence s’est progressivement instaurée entre, d’une part, les réseaux de trafiquants et de nombreux groupes établis au Sahel. Les enjeux financiers sont désormais irrésistibles pour un chef local ou un simple éleveur nomade sahélien, car les droits perçus en contrepartie de la sécurisation du transit d’une tonne de résine de cannabis, peuvent égaler ou dépasser les fruits cumulés de toute une vie de labeur. D’éleveurs sobres et résilients, certains habitants du Sahel se sont transformés en une armée de redoutables passeurs de cargaisons de stupéfiants, de preneurs d’otages, de contrebandiers de cigarettes prohibées ou de trafiquants d’armes et d’immigrants illégaux.

    Il convient de noter qu’à chaque payement de rançon pour libérer un otage au Sahel, les membres de ce véritable écosystème crapuleux acquièrent des moyens logistiques supplémentaires leur permettant d’accroître leur rayon d’action pour perpétrer de nouveaux kidnappings et autres actes violents, comme le prouvent les tragiques événements du 13 mars 2016, au Grand Bassam, en Côte d’Ivoire ; raison pour laquelle, la Mauritanie a constamment été contre le payement de rançons pour la libération d’otages au Sahel, et ce en dépit de la grande sensibilité de cette question d’un point de vue strictement humanitaire et sur le plan politique, particulièrement au sein des opinions publiques occidentales.

    Contrairement à une thèse assez répandue, la dimension religieuse dans la crise au Sahel, n’a pas toute la prépondérance que d’aucuns veulent lui attribuer, pour une raison somme toute évidente: tous les habitants du foyer historique de la crise au Sahel, le Nord du Mali, sont musulmans sunnites, de rite malékite ; on peut ainsi considérer qu’un prosélytisme offensif pouvait se choisir meilleure location à travers la planète, autre qu’une région islamisée depuis une dizaine de siècles, car, selon le dicton local, nul besoin “d’apporter des pierres à la montagne”.

    En Mauritanie, l’expression « activité mafieuse à but lucratif, menée sous un habillage islamique » servait de définition aux agissements d’AQMI au Sahel. Il est cependant vrai que des acteurs étrangers ont eu le temps et les moyens de prêcher des thèses religieuses radicales, sans rencontrer de résistance doctrinale à laquelle on pouvait s’attendre, sans doute en raison de la misère économique ambiante et du niveau de ressentiment de populations livrées à elles-mêmes ( pas d’école, ni de dispensaire ou poste de sécurité), à l’endroit de certains pouvoirs publics locaux.

    Face aux redoutables tactiques de guérilla dans un espace géographique et social qui s’y prête idéalement, grâce notamment à l’usage de motocyclettes et de pickups armés, certains pouvoirs politiques et militaires désemparés, recourent à la mobilisation de « milices d’autodéfense » suivant les lignes de fracture tribales et ethniques ; une stratégie d’apprenti sorcier qui jette de l’huile sur le feu et donne parfois à la crise sécuritaire au Sahel, des allures de guerre civile larvée.

    La Mauritanie, le premier pays du G5-Sahel, à subir les attaques meurtrières du terrorisme.

    Une série d’attaques terroristes contre la Mauritanie fut perpétrée entre 2005 et 2011, citons-en:

    * le 4 juin 2005, l’attaque de Lemgheyty, par le GSPC( Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) près des frontières avec l’Algérie et le Mali, eut pour bilan la mort de 15 soldats mauritaniens et de neuf terroristes

    * le 24 décembre 2007, quatre touristes français sont sauvagement assassinés par des terroristes d’AQMI ( Al-Qaeda au Maghreb Islamique, nouvelle dénomination du GSPC), près de la ville d’Aleg

    * le 27 décembre 2007, l’attaque contre un objectif militaire à Elghallaouya fut à l’origine de la mort de quatre soldats mauritaniens

    * le 14 septembre 2008, 12 soldats mauritaniens sont tués lors d’une embuscade tendue par AQMI à Tourine, près de la ville minière de Zouérate

    * le 25 août 2010, un véhicule bourré d’explosif refusa d’obéir aux tirs de sommation de la caserne de Néma, à l’extrême sud-est mauritanien, et explosa à l’entrée de la caserne, sans faire de victimes, autre que ces occupants

    * du 17 au 19 septembre 2010 et pour contrer une attaque imminente contre cette même garnison de Néma, l’armée mauritanienne engagea une opération terrestre à Hassi Sidi puis à Ras-el-maa, au Mali

    * le 29 novembre 2010, trois travailleurs humanitaires espagnols furent victimes d’un rapt, « pour le compte » d’AQMI, sur la route Nouakchott-Nouadhibou

    * les 29 janvier et 2 février 2011, un double attentat visant le Ministère de la défense nationale et l’ambassade de France à Nouakchott, fut déjoué in extremis, aux portes de Nouakchott, après que deux véhicules bourrés d’explosifs (1,5 tonne chacun) ont été neutralisés par les forces armées mauritaniennes

    * en juin-juillet 2011, l’armée mauritanienne lança, avec succès, une opération militaire d’envergure ayant duré une quinzaine de jours, contre une importante base d’AQMI dans la forêt malienne de Wagadou, près de la frontière entre les deux pays

    * Le 20 décembre 2011, le gendarme Ely Ould Mokhtar est enlevé par un commando d’AQMI à Adel Bagrou, environ 1400 km de Nouakchott, à quelques encablures de la frontière malienne

    * Durant cette même période, une autre demi-dizaine d’incidents sécuritaires divers, impliquant AQMI ou ses « proxies », fut également enregistrée au niveau des axes routiers et dans certaines localités excentrées du pays (Cheggatt, Tamchekett …).

    Au vu de ce qui précède, l’on peut relever que la Mauritanie fut le premier pays du G5-Sahel, à avoir subi de plein fouet les attaques meurtrières du terrorisme venu du Nord, et ce dès 2005, prenant au dépourvu des forces armées nationales sous-entraînées et sous-équipées pour affronter ce nouveau type de défi sécuritaire, spécialement entre 2005 et 2010. À titre d’illustration, des témoignages crédibles font état, à l’époque, de difficultés logistiques quasi insurmontables pour les forces armées mauritaniennes pour apprendre en temps réel les graves exactions dont étaient victimes de petites garnisons isolées dans l’extrême Nord-Est du pays, sous les coups de boutoir d’un GSPC et de ses complices, maîtres du terrain. Pour acheminer les premiers secours ou renforts, lors de certaines de ces agressions, l’armée mauritanienne a, parfois, recouru à de vulnérables moyens de transport de marchandises, empruntés à des hommes d’affaires du pays. Mais comme le prouvent les échecs des opérations de février 2011, contre le ministère de la Défense nationale et l’ambassade de France à Nouakchott, contre la garnison militaire de Néma en août 2011, et la réussite exemplaire de l’audacieuse frappe préventive contre la base de Wagadou au Mali, l’armée mauritanienne a non seulement réussi, à partir de 2010, à contrecarrer les menées terroristes sur son territoire, mais aussi à porter des coups décisifs à l’ennemi, y compris au niveau de ses bases réputées inexpugnables, en profondeur du territoire malien.

    De la sécurité nationale à la sécurité régionale

    Lorsque la Mauritanie a réussi le tour de force de sécuriser, dans la durée, son territoire, en boutant dehors les bandes terroristes et en dissuadant les auteurs d’incursions contrebandières hostiles venues du Nord et de l’Est de s’aventurer dans ses « zones militaires interdites », elle a acquis l’autorité et la légitimité de parler au sujet de la sécurité sous-régionale, sur les scènes africaine et internationale, en adoption de la sagesse ivoirienne : « quand la case de ton voisin brûle, hâtes-toi à l’aider à éteindre le feu de peur que celui-ci ne s’attaque à la tienne ».

    Une dimension diplomatique venait ainsi étoffer l’approche mauritanienne en matière de paix et de sécurité. Ce fut donc tout logiquement que la première conférence de la « Mission de l’UA pour le Mali et le Sahel » fut lancée à Nouakchott , le 17 mars 2013, avec la participation de onze pays sahélo-sahariens et de partenaires internationaux, marquant la naissance du Processus de Nouakchott, en déclinaison de l’« Architecture africaine de paix et de sécurité », au niveau du Sahel.

    Cette conférence s’est tenue, deux mois après le lancement, le 11 janvier 2013, de l’opération militaire française Serval, sans laquelle les groupes armés au Mali, renforcés par les soutiens fraîchement arrivés de Libye, auraient « somalisé » non seulement ce pays frère, mais bien au-delà, en profondeur de l’Afrique occidentale…

    En vertu de la Résolution 2100 du Conseil de sécurité de l’ONU, en date du 25 avril 2013, la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation au Mali, plus connue sous l’acronyme MINUSMA, fut mise sur pied. Les règles d’engagement de cette mission de paix, fruits de tractations intenses, principalement entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, n’ont pas paru répondre aux attentes des dirigeants de la région ; d’ailleurs un rapport ultérieur sur l’évaluation de l’efficacité de cette mission, la qualifierait de « la plus meurtrière » de toutes les missions similaires. C’est dans ce contexte, foisonnant d’initiatives et d’appréhensions, spécialement côté sahélien, qu’il convient d’inscrire la création, le 16 février 2014, du G5 Sahel, à la faveur d’un sommet des dirigeants du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, à Nouakchott. En plus des réserves déjà évoquées au sujet de la mission de la MINUSMA, ces dirigeants mettaient en avant le nécessaire couplage de la dimension sécurité avec celle de développement, pour accroître les chances d’une résolution, à moyen terme, de la crise économico-environnementale, en grande partie à l’origine, à leurs yeux, de la crise que traverse le Sahel.

    Doté d’un secrétariat permanent basé à Nouakchott, le G5 Sahel a désormais plusieurs initiatives politiques, militaires et économiques à son actif, la plus importante étant, sans doute, la création, le 2 juillet 2017, à Bamako, d’une Force conjointe (FC-G5 Sahel) des cinq États membres, à raison de 1000 soldats par pays, pour combattre, ensemble, le terrorisme, le crime organisé transnational et la traite des êtres humains, avec un droit de poursuite de 50 km à l’intérieur des frontières du pays voisin.

    L’opérationnalisation de cette force régionale, en trois « fuseaux » (Est [Tchad-Niger], Centre [Burkina Faso-Niger-Mali] et Ouest [Mali-Mauritanie]), a connu bien des retards, pour des raisons politiques et logistiques, car certains membres permanents du Conseil de sécurité ne voyaient pas d’un bon œil l’inscription d’une telle force sous le Chapitre VII de la charte de l’ONU, une exigence fermement et unanimement défendue par les dirigeants des cinq pays membres du G5 Sahel. Le 20 juin 2017, à l’initiative de la France, le Conseil de sécurité « accueillit favorablement » la nouvelle force, sans apporter de solution définitive à son mode de financement.

    En résumé, le Conseil a, en l’espèce, donné son « autorisation », sans donner de « mandat ». En dépit d’actions concluantes sur le terrain, cette force régionale tarde à monter en puissance en raison justement des deux considérations tantôt évoquées: l’ambiguïté de son statut du point de vue onusien et l’absence de visibilité quant à la question de son financement. Pourtant, une fois prise en compte dans le cadre de la nécessaire synergie opérationnelle entre les différentes forces présentes au Sahel, cette force régionale pourrait surprendre bien des détracteurs sur la scène internationale. Dans cette dynamique sous-régionale en faveur de la paix et de la sécurité, la Mauritanie, comme nous l’avons vu, a joué et joue encore pleinement son rôle de pays « pourvoyeur » de bonnes pratiques.

    La région du Sahel souvent présentée par les médias internationaux sous l’angle quasi exclusif de la menace sécuritaire ou marginalement du pourcentage élevé ( environ 80%) de ses ressortissants dans la composition des migrants clandestins en direction de l’Europe méridionale, représente en réalité l’un des horizons énergétiques les plus prometteurs de la planète, renferme des ressources minières colossales, dispose d’un marché intégré conséquent et d’un dividende démographique enviable.

    Dans sa nouvelle diplomatie globale post-Brexit, le Royaume Uni, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et puissance scientifique, industrielle et financière incontestée, dispose, en la Mauritanie, d’un allié stratégique sûr aux portes du Sahel, et bien au-delà au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Le Président de la République, SEM Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani, a récemment rappelé cet extraordinaire potentiel de coopération mauritano-britannique, lors d’une intervention dans le cadre du « Sommet de l’Investissement R.U.-Afrique », tenu à Londres, le 20 janvier 2020.

    Mauritania Malouma

    Tags : Mauritanie, Sahel, G-5, terrorisme, djihadisme, Mali, Burkina Faso, Niger,