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  • Rwanda / La France et le génocide rwandais : une responsabilité institutionnelle

    « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) ». Retour sur le rapport remis au président de la République vendredi 26 mars

    Auteur : Frédéric de Coninck

    La commission Rwanda (commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi) a rendu, vendredi dernier, son rapport au président de la République. Il s’agit d’un document de 900 pages. Je ne vais pas prétendre les avoir lues en un week-end ! Disons que j’en ai lu sérieusement 200. Cela ressemble à un roman fleuve : il y a de grands moments, des pages que l’on tourne avec passion, puis des longueurs.

    En fait, et globalement, c’est l’angle d’attaque retenu par cette commission qui m’a intéressé. Elle n’a nullement cherché à faire un travail de type judiciaire, à la recherche de criminels ou de complices divers. Elle s’est plutôt demandé si l’action menée par la France au Rwanda, dans les années qui ont précédé le génocide, l’avait favorisé ou lui avait ouvert la porte.

    En d’autres termes, les choix politiques et militaires de la France ont-ils constitué un terrain favorable à ce génocide ? Pour ce faire, elle a travaillé sur archives, en relisant les notes, les échanges entre cabinets ministériels et présidentiels, les relevés de décision, les argumentaires, les remontées d’informations diverses, profitant de la déclassification de milliers de documents, à l’occasion de la commande passée par Emmanuel Macron.

    Disons-le d’emblée : la réponse est oui. La force de ce document fleuve est de prendre le temps d’examiner les positions diverses, les échanges multiples, les décisions au plus haut niveau, avec suffisamment de détail pour que l’argumentaire soit très largement convaincant. Je ne vais pas en faire 900 pages moi-même ! Le mieux est de vous reporter vous-même au document qui est accessible en ligne.

    Comment les acteurs politiques organisent-ils leur aveuglement ?

    Je vais me focaliser sur une question, que le rapport aborde, spécialement dans le chapitre conclusif (qui fait 300 pages à lui tout seul !), en se refusant à une montée en généralité, mais en donnant tous les éléments pour nourrir la réflexion de chacun : comment les décideurs français ont-ils refusé d’entendre les nombreuses mises en garde qui leur ont été adressées ?

    Car mises en garde il y a eu. Le génocide n’a pas été un pur déchaînement de folie meurtrière, suite à l’attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana. Il s’est agi d’une opération méthodique, plutôt bien organisée et donc, sinon préparée, du moins envisagée en amont. Et des massacres de grande ampleur de Tutsis avaient déjà eu lieu dans les mois et les années qui précédaient. Malgré les remontées de terrain, c’est une première réalité que le pouvoir politique a choisi de minimiser.

    Mais qu’allait faire la France au Rwanda, au départ ? Aux yeux de François Mitterrand, ce pays semblait être un bon laboratoire de ce que pourrait être une transition vers la démocratie en Afrique. Et, le rapport le souligne, des relations personnelles fortes se sont nouées entre les deux présidents. En fait de démocratie, le président Habyarimana devait faire face à une opposition modérée y compris dans la population Hutu et à un mouvement armé le FPR, soupçonné d’être soutenu en sous-main par l’Ouganda. Et c’est au nom du risque représenté par le FPR que le président Rwandais a obtenu un soutien militaire sans cesse croissant de la France.

    Mais à tous les niveaux (commissions indépendantes travaillant sur les droits de l’homme, chercheurs, militaires de terrain et jusqu’à Pierre Joxe quand il était ministre de la Défense) des voix se sont élevées pour signaler que le pouvoir rwandais, loin de se démocratiser, était en train de tomber sous la coupe d’extrémistes dangereux. Par ailleurs, le président rwandais essayait de réactiver l’opposition Hutu / Tutsi pour justifier sa politique répressive (qui s’étendait jusqu’aux Hutus modérés). Pire encore : les conseillers militaires français formaient des hommes qui, ensuite, s’engageaient dans des milices parallèles. L’image de la France, sur le terrain, était désastreuse : elle était perçue comme le soutien d’un pouvoir de plus en plus isolé et de moins en moins légitime. Bref : il était temps de faire machine arrière et de cesser d’encourager la dérive autoritaire du régime.

    C’est là que la précision du rapport est importante, car elle montre que François Mitterrand, entouré de son état-major particulier, a non seulement refusé d’entendre ces voix discordantes, mais a aussi usé de son pouvoir pour les faire taire ou les mettre de côté. Cet état-major particulier, véritable Etat dans l’Etat, a largement contourné les circuits de commandement habituels et a marginalisé les acteurs du ministère de la défense, des affaires étrangères ou de la coopération.

    Résultat : la situation a empiré à bas bruit, des acteurs déterminés fourbissant leurs armes, jusqu’à ce qu’un événement leur ouvre la voie.

    La démocratie est toujours un espace fragile soumis aux rapports de force les plus brutaux

    La responsabilité politique et militaire de François Mitterrand paraît écrasante, à la lecture du rapport, mais il vaut la peine d’aller au-delà d’une attitude personnelle. Ou disons qu’il faut voir les conséquences de la centralisation du pouvoir provoquée par la montée en puissance d’un état major particulier qui a évolué, ensuite, à l’écart des circuits de contrôle administratifs ou politiques. Au passage, on se souviendra que, dans l’affaire des écoutes de l’Elysée, c’est là aussi une officine directement rattachée au président qui a pratiqué des écoutes sans aucun contrôle judiciaire. En clair, la dérive régalienne progressive de François Mitterrand a provoqué l’émergence de structures incontrôlables, qui ont engendré de lourdes conséquences.

    La dynamique de centralisation, de resserrement autour d’un leader et la clôture à l’égard de tout avis hétérodoxe est, en fait, un tropisme récurrent de la pratique politique : tout argumentaire est fléché. Ou bien quelqu’un « nous » soutient et il développe donc la « bonne » vision des choses ; ou bien il a une vision divergente et il est « donc » notre ennemi. Au bout du compte, une remise en question est perçue non pas comme un éclairage potentiel, mais comme une tentative d’affaiblissement.

    Le débat démocratique est donc sans cesse traversé par des arguments de mauvaise foi, par des manœuvres, de la propagande, des faits instrumentalisés, etc. L’ironie horrible de l’histoire du Rwanda c’est qu’au moment où la France faisait des leçons de démocratie à un pays africain, elle se laissait manipuler par les instances dirigeantes de ce pays qui profitaient, précisément, des failles non démocratiques de notre système politique. Car, le rapport le dit, c’est aussi une question de système et pas simplement les dérives d’un homme. Ce qui a manqué aux opposants divers, en France, c’est de pouvoir se réunir, croiser leurs points de vue et se constituer en mouvement structuré. La médiatisation du sujet du Rwanda était faible, avant le génocide, et l’opinion publique française savait à peine que le pays existait. A partir de là, les experts, aussi lucides fussent-ils, allaient un par un au casse-pipe, sans parvenir à structurer une opposition déterminée.

    Et, on le voit, si le champ de bataille ne peut pas se dérouler dans le domaine du langage, il finit par se répandre sur le terrain et provoque des hécatombes. Je suis, à ce propos, parfois surpris par la violence des paroles de Siméon, dans l’évangile de Luc, quand il vient saluer le toute jeune enfant dans lequel il voit le messie à venir. Il ne lui prédit pas à un ministère glorieux, mais des tensions continuelles. Voilà ses mots : « il est là pour la chute et le relèvement de beaucoup, en Israël et il sera un signe de contradiction, de sorte que seront révélés les débats de bien des cœurs » et toi-même, dit-il à Marie, « un glaive te transpercera l’âme » (Lc 2.34-35). L’ambiance est sombre. Pourtant, on le voit, si les signes de contradictions s’éteignent, c’est la guerre civile, les massacres racistes, et l’horreur qui se donnent libre cours.

    Regards Protestants, 29 mars 2021

    Etiquettes : France, Rwanda, Génocide, tutsis, hutus,

  • La France et le génocide au Rwanda: un grand pas, mais le chemin n’est pas fini

    Commentaire par Marie-France Cros.

    Après seize ans de déni de Paris, le président Nicolas Sarkozy avait reconnu, en 2010, “des erreurs” de la France lors du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 (un million de morts, des Tutsis tués pour leur ethnie, des Hutus pour refus de participer aux massacres). La commission Duclert, formée de quinze historiens et chargée par le président Emmanuel Macron d’établir le rôle de la France dans ce crime universel, vient de conclure à des “responsabilités lourdes et accablantes” de la France et en particulier de l’ancien président François Mitterrand. C’est un grand pas.

    Ce ne devrait cependant pas être le dernier.

    La commission ajoute en effet qu’il n’y a “pas eu de complicité de génocide”. Poussée par la publication de travaux historiques et récits autobiographiques de Français choqués par le rôle que François Mitterrand a fait jouer à leur pays – qu’ils voient comme “la patrie des droits de l’Homme” – la commission Duclert admet que Paris, en 1994, n’a pas donné suite aux tentatives de Washington de lui donner mandat d’arrêter les chefs génocidaires réfugiés dans la « Zone Turquoise », contrôlée par la France au Rwanda ; et quand, depuis celle-ci, on lui demande des ordres pour le faire, Paris préfère exfiltrer les génocidaires vers le Zaïre. Mais, pour la commission Duclert, “il n’y a pas eu complicité de génocide”.

    La Commission parlementaire de 1998 a révélé que la France avait donné des armes aux militaires rwandais impliqués dans le génocide – exécuté à la grenade et à la machette – après le début de celui-ci. Mais, pour la commission Duclert, “il n’y a pas eu de complicité de génocide”.

    On sait, par les travaux de Jacques Morel et François Graner, que l’Elysée avait été plusieurs fois prévenu des risques de génocide et que le président Mitterrand avait, chaque fois, passé outre. Mais, pour la commission Duclert, “il n’y a pas eu de complicité de génocide”.

    François Mitterrand avait fait évacuer en priorité non des Tutsis menacés mais la veuve de son homologue rwandais, Agathe Habyarimana, impliquée dans le génocide. Mais, pour la commission Duclert, “il n’y a pas eu de complicité de génocide ». Vraiment?

    La Libre Afrique, 29 mars 2021

    Etiquettes : Rwanda, France, génocide,

  • Génocide rwandais : un rapport d’historiens pointe les « responsabilités accablantes » de la France

    Fruit de deux années de travail, la conclusion du rapport de la commission dirigée par l’historien Vincent Duclert est sans appel : la France « est demeurée aveugle face à la préparation » du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994 et porte des « responsabilités lourdes et accablantes » dans la tragédie. Après la publication de ce rapport, l’Élysée a appelé à un rapprochement « irréversible » avec Kigali.

    Un président de la République et son cercle proche soutenant « aveuglément » un régime raciste et violent : la « faillite » de la France et ses « responsabilités accablantes » dans le génocide des Tutsi du Rwanda de 1994 sont exposées dans un rapport cinglant remis vendredi 26 mars à Emmanuel Macron.

    Ce rapport d’historiens, fruit de deux années d’analyse des archives relatives à la politique française au Rwanda entre 1990 et 1994, dresse un bilan sans concession de l’implication militaire et politique de Paris, tout en écartant la « complicité » de génocide longtemps dénoncée par Kigali.

    Il pourrait marquer un tournant dans la relation entre les deux pays, empoisonnée depuis plus de vingt-cinq ans par les violentes controverses sur le rôle de la France au Rwanda. Après la publication de ce rapport, Paris a appelé à un rapprochement « irréversible » avec le Rwanda.

    « Nous espérons que ce rapport pourra mener à d’autres développements dans notre relation avec le Rwanda » et que, « cette fois, la démarche de rapprochement pourra être engagée de manière irréversible », a précisé la présidence.

    De son côté Kigali a salué « un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France », dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

    Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (1997-2002), secrétaire général de l’Élysée au moment du génocide rwandais en 1994, a lui salué « l’honnêteté » du rapport tout en déplorant « les critiques très nombreuses et sévères » visant notamment l’ancien président socialiste François Mitterrand.

    Une commission de quatorze historiens

    Présente au Rwanda depuis que ce pays des Grands Lacs a pris son indépendance de la Belgique, la France « est demeurée aveugle face à la préparation » du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994 et porte des « responsabilités lourdes et accablantes [dans la tragédie] », assène dans ses conclusions la commission de quatorze historiens présidée par Vincent Duclert, mise en place en 2019 par le président Emmanuel Macron.

    Dans ce rapport de plus de 1 000 pages, les historiens reviennent sur l’engagement français durant ces quatre années décisives, au cours desquelles s’est mise en place la dérive génocidaire du régime hutu, pour aboutir à la tragédie de 1994 : quelque 800 000 personnes, majoritairement tutsi, exterminées dans des conditions abominables entre avril et juillet.

    Télégrammes diplomatiques, notes confidentielles et lettres à l’appui, le rapport dessine une politique africaine décidée au sommet par le président socialiste de l’époque, François Mitterrand, et son cercle proche, un entourage motivé par des « constructions idéologiques » ou la volonté de ne pas déplaire au chef de l’État.

    Il raconte des décideurs « enfermés » dans une grille de lecture « ethniciste » post-coloniale et décidés à apporter, contre vents et marées, un soutien quasi « inconditionnel » au régime « raciste, corrompu et violent » du président rwandais Juvénal Habyarimana, face à une rébellion tutsi considérée comme téléguidée depuis l’Ouganda anglophone.

    Dérive extrémiste

    « Cet alignement sur le pouvoir rwandais procède d’une volonté du chef de l’État et de la présidence de la République », écrivent les quatorze historiens de la Commission, en insistant sur « la relation forte, personnelle et directe » qu’entretenait François Mitterrand avec le président hutu Juvénal Habyarimana.

    Cette relation, doublée d’une obsession de faire du Rwanda un territoire de défense de la francophonie face aux rebelles tutsis réfugiés en Ouganda a justifié « la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises [gouvernementales] ».

    Dès octobre 1990, date d’une offensive du FPR (Front patriotique rwandais, ex-rébellion tutsie dirigée par Paul Kagame, devenu président du Rwanda), Paris prend fait et cause pour le régime Habyarimana. Elle s’engage militairement avec l’opération militaire Noroît, censée protéger les expatriés étrangers, mais qui de facto constitue une présence « dissuasive » pour protéger un régime vacillant contre l’offensive rebelle.

    Tout en pressant Habyarimana à démocratiser son régime et négocier avec ses opposants – ce qui aboutira aux accords de paix d’Arusha en août 1993 –, la France ignore les alertes, pourtant nombreuses, venues de Kigali ou Paris, mettant en garde contre la dérive extrémiste du régime et les risques de « génocide » des Tutsi.

    La responsabilité de François Mitterrand

    Qu’elles viennent de l’attaché militaire français à Kigali, des ONG, de certains diplomates, ou des services de renseignement, ces mises en garde sont ignorées ou écartées par le président et son cercle.

    « On peut se demander si, finalement, les décideurs français voulaient vraiment entendre une analyse qui venait contredire la politique mise en œuvre au Rwanda », écrivent les chercheurs.

    Le rapport souligne notamment la lourde responsabilité de l’État-major particulier (EMP) de François Mitterrand, dirigé par le général Christian Quesnot et son adjoint le colonel (devenu général) Jean-Pierre Huchon.

    « L’EMP porte une responsabilité très importante dans l’installation d’une hostilité générale de l’Élysée envers le FPR », écrit le rapport, qui dénonce « les pratiques irrégulières », voire les « pratiques d’officine » de cet organe qui court-circuite tous les canaux réguliers pour mettre en œuvre la politique française sur le terrain.

    Avec l’aval, tacite, du président : « aucun document ne montre une volonté du chef de l’État de sanctionner ces militaires ou de les retenir dans leurs initiatives », pointe le rapport.

    Parallèlement, l’institution diplomatique ne se montre guère plus critique – à de rares exceptions –: « les diplomates épousent sans distance ou réserve la position dominante des autorités », et leur administration est « imperméable » à la critique.

    L’arrivée en 1993 d’un gouvernement de droite – la France entre alors en « cohabitation » – ne modifiera pas fondamentalement la donne, malgré des affrontements parfois « impitoyables » entre l’Élysée et le gouvernement du Premier ministre Édouard Balladur, beaucoup moins enclin à l’engagement français au Rwanda.

    « Massacres interethniques »

    Lorsque le génocide commence, le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana (dont le rapport ne désigne pas les commanditaires, objet d’une controverse depuis près de trente ans), cela n’entraîne pas « une remise en cause fondamentale de la politique de la France, qui demeure obsédée par la menace du FPR ». Et même si le chef de la diplomatie d’alors, Alain Juppé, est le premier à parler de « génocide » à la mi-mai 1994, la grille de lecture reviendra rapidement à des « massacres interethniques » et une « guerre civile ».

    Il y a une « obstination à caractériser le conflit rwandais en termes ethniques, à définir une guerre civile là où il y a une entreprise génocidaire », écrivent les historiens.

    Dans un contexte de retrait ou d’immobilisme international – l’ONU, l’ancienne puissance coloniale belge, les États-Unis –, la France sera pourtant la première à réagir en lançant en juin 1994, sous mandat de l’ONU, une opération militaro-humanitaire visant à « faire cesser les massacres ».

    Cette opération controversée, Turquoise, a certes « permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda exterminés dès les premières semaines du génocide », écrit la commission, qui souligne que les autorités françaises « se refusent à arrêter » les commanditaires du génocide ayant trouvé refuge dans la zone sous contrôle français. Ce point est l’un des plus controversés de l’action française au Rwanda.

    Les responsables politiques et militaires de l’époque ont pour leur part soutenu avoir sauvé l’honneur de la communauté internationale en étant les seuls à intervenir au Rwanda.

    Le génocide prend fin avec la victoire du FPR en juillet 1994. Depuis, la France a entretenu des relations tendues, voire exécrables, avec le Rwanda, marquées par la rupture des relations diplomatiques en 2006.

    Même si les relations entre Paris et Kigali se sont détendues avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017, le rôle de la France au Rwanda reste un sujet explosif depuis plus de vingt-cinq ans. Il est aussi l’objet d’un débat violent et passionné entre chercheurs, universitaires et politiques.

    Avec AFP

    France24, 26 mars 2021

    Tags : France, Rwanda, génocide, historiens, rapport,

  • La France et le Rwanda : Les fantômes du génocide ébranlent les relations


    La France et le Rwanda entretiennent des relations orageuses, parfois empoisonnées, depuis le génocide de 1994.

    Alors qu’une commission d’historiens doit rendre un rapport sur le rôle joué par Paris dans ce pays d’Afrique centrale, voici une chronologie de leurs relations tendues.

    1990 : Les Français entrent en scène

    Le président hutu du Rwanda, Juvénal Habyarimana, demande l’aide de la France et de l’ancienne puissance coloniale belge pour combattre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), basés en Ouganda et dirigés par l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame.

    Paris envoie des troupes dans le cadre de ce que l’on appelle « l’opération Noroit » en octobre, officiellement pour protéger son ambassade et ses citoyens sur place. Mais la France participe aussi secrètement à la formation de l’armée rwandaise.

    1994 : Génocide

    Le 6 avril, Habyarimana est tué lorsque son avion est abattu au-dessus de Kigali.

    Le lendemain, le génocide commence. D’avril au 4 juillet, environ 800 000 personnes sont tuées, la plupart appartenant à la minorité tutsie, ainsi que des Hutus modérés.

    Les Tutsis sont accusés par le régime dominé par les Hutus d’être de connivence avec le FPR, qui était entré dans le nord du Rwanda depuis l’Ouganda en 1990.

    Quelque 500 parachutistes français évacuent plus de 1 000 citoyens français et étrangers.

    Opération Turquoise

    Le 22 juin, les Nations unies donnent le feu vert à la France pour l’opération Turquoise, une opération militaire à but humanitaire au Rwanda.

    Le FPR, majoritairement tutsi, accuse la France de vouloir sauver le régime hutu et les auteurs des massacres.

    Quelque 2 500 soldats français créent une zone humanitaire sûre dans le sud-ouest du pays, entravant efficacement l’avancée du FPR mais permettant également aux suspects de génocide en fuite de se cacher.

    Le 4 juillet, le FPR s’empare de la capitale Kigali, mettant fin au génocide.

    1998 : Enquête française

    En décembre, une mission parlementaire française exonère la France de toute implication dans le génocide, mais affirme qu’elle porte une certaine responsabilité en raison d’erreurs stratégiques et de « dysfonctionnements institutionnels ».

    Le Rwanda insiste sur le fait que la France est coupable de génocide.

    2006 : Rupture des relations

    Le juge français Jean-Louis Bruguière recommande que le président Kagame soit poursuivi par le tribunal soutenu par les Nations unies qui juge les génocidaires rwandais pour leur participation présumée à l’assassinat d’Habyarimana. Il signe neuf mandats d’arrêt contre des collaborateurs de Kagame.

    Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la France. Ces relations ne seront rétablies qu’en novembre 2009.

    2010 : La France reconnaît ses erreurs

    Le président français Nicolas Sarkozy reconnaît que la France a commis des erreurs pendant le génocide.

    Mais il ne présente pas d’excuses lors de la première visite d’un président français au Rwanda depuis le bain de sang.

    En septembre 2011, Kagame effectue sa première visite officielle en France.

    2014 : Procès du génocide en France

    Un tribunal français condamne un ancien capitaine de l’armée rwandaise à 25 ans de prison dans le premier procès lié au génocide dans le pays.

    En juillet 2016, deux anciens maires rwandais sont condamnés à la prison à vie en France.

    Nouvelles accusations rwandaises

    Les commémorations du vingtième anniversaire du génocide se déroulent à Kigali en avril 2014 sans représentant français.

    Kagame accuse à nouveau la France de « participer » au génocide.

    2018 : Détente

    Le président Emmanuel Macron accueille Kagame à Paris en mai, affirmant que la normalisation des relations est en cours mais « prendra sans doute du temps ».

    En décembre, des juges français abandonnent une enquête de longue haleine sur l’assassinat d’Habyarimana.

    Cette enquête avait été une source majeure de tension entre les deux pays après l’inculpation de sept personnes proches de Kagame.

    Kagame dit vouloir un nouveau départ dans les relations et n’a pas exclu le retour d’un ambassadeur français à Kigali, poste vacant depuis octobre 2015.

    Modern Ghana, 26 mars 2021

    Tags : France, Rwanda, génocide,

  • 8 MAI 1945 : L’horreur coloniale et le rituel politicien

    «La paix n’est qu’une forme, un aspect de la guerre: la guerre n’est qu’une forme, un aspect de la paix: et ce qui lutte aujourd’hui est le commencement de la réconciliation de demain.» (Jean Jaurès).


    Rituellement le 8 mai 1945 se rappelle à nous par toujours les «mêmes». Les mêmes laudateurs de la «‘abkaria algérienne»- le génie algérien- et les pourfendeurs des crimes coloniaux.

    Franchement, en dehors de la «famille révolutionnaire» dont il faudra bien qu’un jour on explique à ces millions d’Algériennes et d’Algériens, la clé de cooptation qui leur permet d’être les seuls à revendiquer cette Révolution, que les jeunes non seulement ne connaissent pas l’épopée réelle de la Révolution mais développent une réaction de rejet résumée par une phrase sans appel: «Dzaïr lihoume»- l’Algérie est à eux-. Cruelle sentence s’il en est et qui explique bien des drames, ceux de ces jeunes qui décident de jouer le tout pour le tout et de s’enfuir de leur pays pour des cieux plus cléments avec les désillusions que l’on connaît dans le pays d’accueil.

    45.000 morts

    De quoi il s’agit cette fois? Des évènements du 8 mai 1945. Il faut tout d’abord être convaincu qu’ils n’ont pas jailli du néant. C’est l’aboutissement d’une lente maturation de la détresse du peuple algérien catalysée par des décisions de plus en plus drastiques du pouvoir colonial. D’ailleurs, dès le 1er mai, les manifestations des Algériens avaient donné le ton. Il y eut 4 morts ce jour-là à Alger du fait d’une répression brutale. Le 8 mai, ce fut en Europe la fête de la victoire des Alliés. Les Algériens défilèrent pour d’autres motifs. La répression fut brutale et les statistiques sont contradictoires. Du côté algérien on s’en tient à 45 000 morts, du côté français on dénombre un millier de morts et cent vingt colons tués.

    Entre ces deux bornes, des rapports américains et britanniques donnent des chiffres plus proches des chiffres algériens. Il semble que le chiffre de 15.000 morts serait plus proche de la réalité si l’on croit une déclaration en petit comité du général Tubert chargé de l’enquête selon Yves Courrières dans son ouvrage: «Les fils de la Toussaint». En admettant, c’est une moyenne de 500 morts par jour pendant les mois qui s’en ont suivi. Comment peut-on appeler cela?
    Quelle que soit la vulgate occidentale, des millions de personnes ont été massacrées pendant 132 ans. Des vies brisées, des douleurs, du pillage, de la destruction furent le lot quotidien des 48.231 jours d’une occupation inhumaine.

    C’est bien des génocides continuels qui ont eu lieu au nom du mythe de la race supérieure et ceci un siècle avant le Troisième Reich. Poujalat, décidément en verve, voyait dans l’invasion française un message divin: «Le but de notre guerre d’Algérie est plus haut et plus sacré que nos guerres européennes. Ce qui est le plus en jeu, c’est la sainte cause de la civilisation,la cause immortelle des idées chrétiennes auxquelles Dieu a promis l’empire du Monde et dont le génie français est le soutien providentiel.»

    Le marquis de Clermont Tonnerre qui, dès 1827 dans le «Rapport au Roi» écrivait: «Ce n’est pas peut-être, sans des vues particulières que la Providence [souligné par le rédacteur] appelle le fils de saint Louis à venger à la fois la religion, l’humanité et ses propres injures.. Alger doit périr si l’Europe veut être en paix.» (1)

    Effectivement, sous les coups de boutoir des sinistres Montagnac qui se vantait de rapporter un plein baril d’oreilles récoltées par paires, des prisonniers amis ou ennemis, des Saint Arnaud, des Rovigo et Youssouf, l’Algérie perdit sa sève, sa structure sociale fut anéantie, sa structure religieuse fut démantelée par le rattachement des Habous trois mois après l’invasion. Ce qui fit dire à Tocqueville, auteur d’un rapport d’enquête sur les exactions de l’armée: «Autour de nous, les lumières se sont éteintes…»

    Il est donc incomplet de parler du 8 mai 1945 sans parler de la genèse du combat séculaire du peuple algérien. Le 8 mai 1945, que certains historiens situent comme le début de l’insurrection, fut le summum de la cruauté, de l’injustice et le plus grand contre-exemple de la France patrie autoproclamée des Droits de l’Homme. Il est vrai que Jules Ferry, lumineux dans l’imposition de l’Ecole républicaine que le pouvoir colonial à Alger acceptait difficilement pour la foule de gueux que nous étions, était lui aussi un colonialiste acharné. On lui doit ce fameux cri du coeur: «Les droits de l’Homme ne sont pas valables dans les colonies.» C’est tout dire!!

    Où en sommes-nous dans cette Algérie de 2010 qui peine à se redéployer? Beaucoup d’Algériennes et d’Algériens développent des crises d’urticaire quand ils voient la manipulation de la cause sacrée de la Révolution. Cette allergie est due au fait que pour des calculs bassement politiciens, on galvaude une noble cause. On dit que 120 députés auraient introduit un texte à l’APN, qui serait bloqué s’agissant de la criminalisation de la présence coloniale. Soit!
    Voilà un dossier de fond pris en charge par une centaine de personnes qui auraient dû d’abord, informer les citoyennes et les citoyens du contenu.

    A moins que cela ne soit, selon toute vraisemblance, un rituel avec un jeu de rôles: «Agitez-vous, monopolisez les médias, faites passer en boucle les mêmes images depuis près de cinquante ans, en un mot, amusez la galerie, mais pas trop, le 8 mais passe et on passe à autre chose jusqu’au prochain anniversaire.» Le 8 mai 1945 n’a pas vu la haine du pouvoir colonial s’arrêter ce jour-là. Tout le trop-plein de haine et de lâcheté, par la compromission avec Vichy, s’est déversé sur un peuple sans défense. Il y eut une traque pendant plusieurs années. Krim Belcacem prit le maquis dès cette date. Il y eut des jugements et même des peines de mort qui furent prononcées. Le 8 mai 1945, peu importe comment la doxa occidentale l’appelle pour amoindrir sa responsabilité dans l’horreur. Puisque, apparemment, le mot génocide est une marque déposée, nous l’appellerons à notre entendement, ethnocide.

    On ne peut pas avoir un double langage avec la France, d’un côté près de 50% de nos achats se font en France,qui se fait payer par un gaz naturel bradé et de l’autre on lui demande de reconnaître sa faute coloniale! Imaginons, pour rêver, que le pouvoir en France reconnaisse enfin, à l’instar de ce qu’il a fait pour la traite négrière, sa responsabilité dans l’ethnocide des Algériens pendant 132 ans.

    Que se passera-t-il? Rien au-delà de quelques dédommagements honteux à la El Gueddafi avec Berlusconi- donner une valeur marchande à l’épopée de ‘Omar El Mokhtar est indigne -. Est-ce une victoire pour ceux dont le fonds de commerce réside justement dans le refus de la repentance de la France.. J’en doute! Au contraire, ils n’auraient plus de grain à moudre…

    Est-ce une victoire pour les deux peuples algérien et français? C’est sans hésitation, oui! La France gagnerait énormément à être dans les bonnes grâces d’une Algérie qui, malgré ses pesanteurs conjoncturelles, est la porte du Maghreb et de l’Afrique. Rien de structurel ne se fera sans elle! Il n’est que de voir comment l’UPM bat de l’aile parce que le pouvoir français actuel a tout fait pour marginaliser l’Algérie. La vieille Europe est en train de s’effriter sous nos yeux.

    Le double langage de la France

    L’Algérie gagnerait à ne pas se tromper de combat. Notre douleur coloniale n’est pas monnayable. Elle fait partie intégrante de notre mémoire. L’Algérie peut cependant revendiquer au nom de l’histoire commune, au nom du formidable travail que nous faisons pour la francophonie, sans y être, de ne pas être seulement un marchand mais un demandeur réel de technologie.

    Un premier geste fort serait la construction d’une grande bibliothèque pour remplacer celle qui est partie en fumée par des Français qui voulaient effacer comme ils étaient venus, toute trace de culture. Il s’agira ensuite de développer ensemble, en impliquant les universités, des projets porteurs. C’est à titre d’exemple, toute la problématique des changements climatiques et du développement durable qui constituera un immense chantier.

    C’est enfin tout le contentieux de notre émigration malmenée et à qui on n’offre en France que le bâton. Une redéfinition des Accords de 1968, qui occulte cette dimension, est vouée à l’échec.
    Le moment est venu, de part et d’autre, de faire émerger, de part et d’autre de la Méditerranée des passeurs de culture, des forgerons de la fraternité. Au risque d’être utopique, un traité de l’Algérie avec la France est plus que jamais d’actualité.

    1.Rapport au Roi sur Alger, par le marquis de Clermont Tonnerre le 14-10-1827, Revue Africaine. Vol. 70. p.215, (1929)

    Pr Chems Eddine CHITOUR

    Ecole Polytechnique enp-edu.dz

    Source

    Tags : Algérie, France, colonialisme, 8 mai 1945, crime coloniaux, crimes de guerre, génocide,

  • La République des Tartuffes

    Le vrai défi pour les élus du peuple français serait de voter, aujourd’hui, pour un texte qui criminalise toute atteinte aux génocides algérien, palestinien ou hutu. Puisqu’ils s’arrogent le droit de réécrire l’histoire d’une nation à quelques milliers de kilomètres de leurs frontières, autant le faire pour des pays plus proches et plus légitimes pour un geste aussi fort.



    Pourquoi pas, alors, pour les Peaux-rouge d’Amérique, pour le Aborigènes d’Australie ou, encore, pour la mémoire des victimes des purges staliniennes ? Plus que tout autre nation, la France le pourrait certainement, ne serait-ce qu’au nom de l’universalité de ses valeurs des droits de l’Homme.



    Et tant qu’à faire, si ce n’est que pour des arrière-pensées électoralistes – comme certains esprits malveillants semblent le suggérer – l’électorat français aux origines algériennes n’est-il pas quatre fois plus important que la petite communauté arménienne de France?



    Mieux encore, et si le parlement algérien ou celui du Maroc votaient aussi leurs propres lois sur les génocides des autres ou sur ceux dont ils ont été victimes dans leurs histoires respectives : celui des Rifains durant la guerre du Rif au Maroc (1921 – 1926) en est un exemple, toujours vivant dans la mémoire des Marocains. De même pour les Algériens et notamment les massacres de Setif, Guelma et Kherrat, de mai 1945.



    Au cas où on l’aurait oublié, le Maroc et l’Algérie sont aussi des états souverains, dotés d’institutions souveraines, et donc libres d’accueillir sur leur sol les entreprises qu’ils veulent et ce, dans le strict respect de leurs lois et de leurs valeurs nationales. La SNCF impliquée dans la déportation des juifs durant la seconde guerre mondiale n’a-t-elle pas été contrainte et forcée de reconnaitre officiellement son collaborationnisme passé, pour espérer être admise à un appel d’offre d’une ligne de train à grande vitesse en Californie (États Unis) ?



    Pourquoi pas ces pays maghrébins n’exerceraient-il pas les mêmes pressions sur des entreprises françaises impliquées dans le pillage et la rapine des ressources de leurs pays aux temps de la colonisation ? Et pourquoi ne le feraient-ils pas aussi avec toute entreprise relevant d’un état dont les institutions officielles auraient portées atteinte à leurs lois, à la dignité de leurs peuples et à leurs histoires ? Et si le parlement démocratiquement élu de la Tunisie libre décidait de sévir contre toute entreprise étrangère reconnue coupable de complicité avec la dictature de Ben Ali ?



    Assurément, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et d’autres pays encore seraient dans leur bon- droit, surtout s’ils ont affaire à une république de Tartuffes, où l’on excelle dans l’art du «donnage de leçons» en droit-de-l’hommisme aux autres, comme ces chameaux condamnés à ne voir et à ne critiquer que les bosses d’autres chameaux.



    Karim R’Bati

    Le blog citoyen, 27 janvier 2012


    Tags : Maroc, Algérie, mémoire, crime de guerre, génocide, Rif, France,