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  • Algérie/Front social : Alger à l’heure H

    La marche des étudiants n’a pas eu lieu ce mardi. La capitale semblait léthargique mais son mouvement intérieur vibrait toujours d’une colère sourde due à la dégradation des conditions de vie de ses habitants.

    Sous un ciel mi-couvert, Alger affichait une léthargie pathétique. Le mardi n’est apparemment plus le jour de la marche des étudiants. Hier, le niveau intellectuel des rues était comparable aux autres jours. Les concernés se trouvaient à la station de Tafourah pour attendre les bus du Cous et rejoindre ainsi leur faculté, leur cité universitaire ou leur domicile. Aucun signe de contestation. Même le dispositif de sécurité était presque inexistant. La journée a été calme.

    Le Hirak des étudiants a d’ailleurs perdu de son intensité bien avant son interruption à cause de la pandémie. Vers la fin 2019, il fédérait des manifestants de tous âges et de différents niveaux d’instruction. Faut-il conclure que ses animateurs ont perdu leur verve révolutionnaire ? Non, si on entend parler certains d’entre eux sur les réseaux sociaux. D’autres, comme à Tizi Ouzou et à Béjaia, ont même bravé les interdits et défilé bruyamment en ville. Quelques uns ont observé un sit-in au sein de leur université à l’instar de Bab Ezzouar et se sont photographiés des affiches à la main devant des dazibaos placardés sur un babillard.

    Toutefois, le mouvement général était lent et banal. Sauf peut-être à la rue Abane Ramdane, à deux pas du tribunal, où une bagarre à rebondissements a été déclenchée par des jeunes. La rixe qui a duré environ une demi-heure n’avait rien de politique, mais pouvait expliquer la situation du pays. Le coin grouille de trafiquants de devises tolérés qui agitent à longueur de journée, sous le nez des passants et des automobilistes, des liasses de billets de banques. Un peu plus loin, au Square Port Saïd, des délinquants sont également en embuscade pour détrousser les insouciants qui y passent. D’habitude, les mardis, plusieurs véhicules de police prennent place dans ce carrefour en prévision du Hirak. Mais, hier, ils n’y étaient pas. Le combat pouvait donc se poursuivre.

    Cynique, un témoin de la scène a alors osé remarquer : « il suffit de prononcer un slogan du Hirak pour que les renforts viennent en masse ». La bataille rangée s’est finalement achevée aussi absurdement qu’elle n’avait commencé.

    Violence ordinaire

    Depuis quelques années, la violence ordinaire est en constante augmentation. Les conflits se règlent souvent à coups de poings et parfois à coups de couteaux ou même de sabres. Cette fois-ci, le jeune qui a été bastonné par un homme plus âgé est revenu plusieurs fois à la charge, avec un canif à la main, avant d’être à chaque fois repoussé par des badauds en l’absence des forces des agents de la paix.

    Alger a repris ses esprits pour un instant. Le trouble ne viendra pas d’un quelconque « attroupement non armé », pour paraphraser le jargon officiel. Il peut cependant éclater ailleurs pour un motif saugrenu. La société bout comme une cocotte. La malvie, la dégradation du cadre de vie, la chute du pouvoir d’achat, la désorganisation de l’espace public, ont fini par créer un sentiment de haine de soi et de haine des autres.

    Le Hirak, à ses débuts, avait dissipé cette mauvaise énergie. L’émigration clandestine, on s’en souvient, avait immédiatement cessé, les habitants souriaient les uns aux autres. Ils reprenaient confiance et espoir en eux-mêmes et dans leur pays. Quelque chose avait subitement grandi en leur sein jusqu’à renverser les vapeurs de la violence qui les habitaient pour les transformer en un zéphyr pacifiste.

    Pendant une année, ils ont marché, manifesté, crié, chanté, dansé dans les rues du pays sans casser intentionnellement ne serait-ce qu’une vitre. Ils se sont même mis à nettoyer l’environnement et peindre des fresques à certains endroits, sur les murs. Et quand la pandémie mondiale s’était installée, ils avaient décidé d’interrompre souverainement leur mouvement.

    Tout cela a été mis sous un éteignoir par les récentes décisions des autorités. Le Hirak est ainsi décrété d’insalubrité publique. Au même moment, la campagne électorale d’un scrutin législatif controversé a démarré avec des figures et des organisations politiques qui ne produisent aucunement la joie de vivre. Au contraire, leurs discours, leurs attitudes et surtout leur passé ne peuvent provoquer que le rictus, chez ceux, nombreux, qui les honnissent.

    En fermant la soupape d’échappement que constituait le Hirak, les pouvoir publics ont augmenté la pression sur la population qui a subi une année de restrictions et de privation à cause de la pandémie mais aussi un manque à gagner économique. Si la détérioration du niveau de vie continue, elle peut s’accompagner d’un gonflement de la colère sans qu’un point de fuite puisse l’évacuer ou la contenir.

    Mohaamed Badaoui

    La Nation, 26 mai 2021

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  • Face à un front social en ébullition : Fortes pressions sur un gouvernement désarmé

    La situation n’est guère rassurante sur le front social. La colère est bien montée au cours de ces dernières semaines dans plusieurs secteurs. Une période marquée par la multiplication des mouvements de protestation qui viennent rappeler le malaise profond dans lequel se débattent les travailleurs avec la dégradation des conditions sociales et des réactions disproportionnées du côté des pouvoirs publics qui ont préféré parler de manipulation face l’ampleur prise par le mouvement.

    En l’absence d’un plan d’attaque gouvernemental efficace et d’une prise en charge effective des revendications déjà exprimées et pour lesquelles des engagements ont été pourtant pris du côté du gouvernement, notamment dans le cadre du plan d’action du gouvernement adopté après l’élection du chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, les promesses sont de retour quant à l’instauration du dialogue avec les partenaires sociaux.

    Mais la méfiance est bien là du côté des syndicalistes puisque, jusque-là, les décisions annoncées n’ont pas été totalement mises en œuvre. Celles qui l’ont été sont en deçà des attentes des travailleurs. C’est le cas, à titre illustratif, pour ce qui est de la revalorisation du Salaire national minimum garanti (SNMG), dont la hausse de 2000 DA (avec effet rétroactif à partir du 1er juin 2020) est jugée insuffisante.

    Cette hausse, la première depuis celle de 2012, contrairement à celle des prix qui se sont accrus dans certains cas de 200%, est pour bon nombre de syndicalistes insignifiante comparativement à la dévalorisation du dinar et à la chute du pouvoir d’achat. Cette mesure relève pour d’autres du bricolage tant que les questions de fond ne sont pas réglées, à l’image des statuts particuliers, de la politique salariale pour laquelle les syndicalistes se battent depuis des années sans que les solutions ne suivent. D’où d’ailleurs cet enchaînement des mouvements de grève et cette ébullition sur le front social.

    Le mécontentement des postiers, des fonctionnaires de la santé publique, des pompiers et des enseignants reflète cette tension difficile à apaiser en ces temps de crise sanitaire, de difficultés économiques et de baisse du pouvoir d’achat. Même les retraités sont mécontents étant toujours en attente de la revalorisation, certes dérisoire de leurs pensions, appliquée habituellement le 1er avril de chaque année.

    Cette fois, le gouvernement n’a pas encore tranché pour une catégorie dont la vulnérabilité s’accentue, car même les augmentations opérées dans le passé n’ont pas amélioré leurs pensions étant vite récupérées dans l’Impôt sur le revenu global (IRG). «Je touche une pension de 43 700 DA.

    Ce montant était de 42 300 DA en 2018. La hausse est minime, alors que l’IRG est passé de 4400 DA en 2018 à 5700 DA en 2020», nous confie un retraité, avant de regretter : «Ce qu’on nous donne d’une main, on nous le reprend de l’autre, et maintenant on nous fait attendre pour d’autres miettes en rappelant à chaque fois le déficit de la caisse dont nous ne sommes pas responsables.»

    Urgences

    C’est dire que le bricolage est non seulement dans la prise en charge des revendications socioprofessionnelles des travailleurs, mais aussi dans la protection des couches en situation de précarité. Pour les syndicalistes, la question urge et il y a réellement risque d’explosion avec une éventuelle propagation des protestations à la veille de l’élection législative. «Si le gouvernement ne prend pas des mesures pour renforcement du pouvoir d’achat, la situation pourrait devenir très grave», avertit Boualem Amoura, président du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef), rappelant dans le même sillage qu’avec l’érosion du pouvoir d’achat, les fonctionnaires algériens sont dans la précarité, qu’ils soient pompiers, enseignants ou policiers. Nabil Ferguenis du Syndicat des travailleurs de l’éducation (STE) va plus loin et parle plutôt de pouvoir de survie au lieu de pouvoir d’achat. «Actuellement, il est plus logique de parler de pouvoir de survie au lieu de pouvoir d’achat !», nous dit-il. Pour lui, les promesses tenues jusque-là sont vaines.

    Et pour cause, soutiendra-t-il : «L’exécutif n’a pas le courage de prendre des décisions à la hauteur des événements. La preuve est là, car en 2014, un décret exécutif est promulgué sous le n° 14/266 et n’est pas exécuté à ce jour plus grave encore lorsqu’un ministre promet par écrit son application avant le 31 Mars 2020 et rien n’est fait !» «La grogne ne sera que normale et grandissante tant que les problèmes sociaux professionnels des travailleurs de différents secteurs ne sont pas réglés de manière définitive et effective, surtout de la fonction publique.»

    Pouvoir de «survie»

    Nabil Ferguenis nous donnera comme exemple les revendications des travailleurs de la Protection civile qui sont anciennes. «On peut faire aussi du copier-coller pour le les revendications du secteur de l’éducation et autres. Les doléances sont les mêmes», nous rappellera-t-il. «Nos gouvernants sont déconnectés de la réalité sociale du terrain, c’est pour cela que la grogne sociale s’élargira encore de plus en plus avec le cumul des problèmes sans prise en charge réelle», insiste notre syndicaliste. Comment est-on arrivé à ce stade ? En réponse à cette question, Mourad Ouchichi économiste nous dira : «Il est tout à fait clair que la mauvaise gestion du choc pétrolier de 2014, les conséquences de la pandémie et la chute des prix des hydrocarbures de 2019/2020 ont trempé l’économie algérienne dans une récession forte et durable.

    Tous les indicateurs montrent la gravité de la situation économique. Ceci se répercute inéluctablement sur la situation sociale de la population : celle-ci se manifeste à travers l’érosion du pouvoir d’achat, la baisse de l’emploi et le basculement généralisé vers l’économie informelle. Une situation qui touche particulièrement des détenteurs aux revenus fixes», nous expliquera M. Ouchichi. Pour ce dernier : «Conséquemment à cette situation, le front social va connaître une ébullition qui se manifestera par la montée des revendications socioprofessionnelles.»

    A terme, notre interlocuteur prévoit même une certaine jonction entre ces revendications et les aspirations du mouvement politique contestataire (hirak). «Cette jonction est fort probable, car le pays ne dispose plus de moyens financiers qui permettrons aux dirigeants de ‘calmer’ le front social par des augmentations aussi minimes soient- elles de salaires ou autres prestations sociales», avertit Mourad Ouchichi. Comment opérer face à une telle situation ? «Des révisons déchirantes s’imposent, mais encore faut-il rappeler qu’elles ne peuvent avoir lieu avec efficacité sans la soustraction du champ économique des manipulations politiques», nous explique notre économiste.

    Comme mode opératoire, il propose de couper avec les anciennes pratiques, c’est-à-dire l’interférence du politique dans l’économique. Ouchichi parle en effet de la remise en cause «radicale et structurelle de la nature de l’articulation entre le politique et l’économique en œuvre jusque-là». Dans ce cadre, il propose la mise en place de mécanismes permettant la libération des dynamiques d’accumulation productive dans le cadre d’un marché libre, concurrentiel et rigoureusement régulé par des institutions représentatives et neutres. Mais, faudrait-i assurer certaines conditions.

    Il y a lieu toujours, selon cet enseignant universitaire, de redonner à la Banque centrale son indépendance, aux variables de régulation (prix, taux de change, salaires…) leur autorité et aux institutions politiques leur légitimité électorale. «En d’autres termes, se constituer politiquement en Etat de droit, économiquement en marché et sociologiquement en société civile autonome», résumera-t-il en conclusion.

    Samira Imadalou

    El Watan, 17 mai 2021

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  • Algérie/ Le dialogue pour avancer (Edito de Ouest Tribune)

    Il n’est un secret pour personne que le front social est sous une grande pression, qui s’est accentuée ces dernières semaines avec plusieurs secteurs touchés par des grèves et des protestations qui reviennent de manière cyclique et menacent sérieusement l’avenir immédiat, non seulement, de l’éducation, du commerce, de la poste ou autres, mais menacent aussi et surtout la stabilité même du pays.

    Mais au fond des choses, et clairement il y a un malaise social qui s’est accentué ces derniers temps avec une cherté de la vie et l’érosion certaine du pouvoir d’achat d’une grande partie de la classe ouvrière. Mais cette réalité incontestable a été mise à profit par certaines parties, tapies dans l’ombre, dont l’objectif n’a rien à voir avec la défense des travailleurs, mais de frapper la cohésion et la stabilité du pays. Sinon comment expliquer que l’on assiste de plus en plus à des mouvements de protestation sauvages où les syndicats sont débordés de tous les côtés par des énergumènes qui ne cherchent que l’affrontement. Pourtant on sait que les syndicats de l’éducation ou des autres secteurs n’ont rien d’enfants de chœur et ils ont prouvé leur obstination et leur volonté à mener et porter leurs revendications jusqu’au bout.

    D’ailleurs, le gouvernement conscient de la particularité du moment, mais aussi de la légitimité des aspirations des travailleurs a renouvelé son entière disposition au dialogue et à l’écoute des représentants légaux des travailleurs. Un fait confirmé encore une fois par le Premier ministère qui a annoncé dans un long communiqué rendu public ce jeudi que :»les travailleurs, qui ont de tout temps été la force vive de la Nation, doivent faire la distinction entre l’exercice des droits syndicaux consacrés et l’expression de leurs revendications professionnelles qui doivent être examinées à travers un dialogue ouvert comme l’a exprimé le président de la République à maintes reprises notamment dans sa déclaration lors du Conseil des ministre tenu dimanche 2 mai 2021, et entre les appels de certains mouvements subversifs qui ne cherchent qu’à compliquer la situation et exploiter leurs situations socioprofessionnelles pour des fins douteuses».

    Il est ainsi clair que l’urgence du moment est l’engagement d’un dialogue apaisé et sincère pour répondre, autant que faire se peut, aux revendications des travailleurs et de leurs représentants légitimes, et surtout de fermer la porte aux ennemis de l’Algérie qui n’ont pas fini de vouloir jeter le pays dans la spirale de la violence et de la déstabilisation. Et le gouvernement est clair sur ce sujet comme l’indique le même communiqué du Premier ministère : «Le Gouvernement reste déterminé à poursuivre le dialogue avec les partenaires sociaux afin de consolider la paix sociale et à faire face avec fermeté à toute velléité de porter atteinte à l’ordre public».

    Par Abdelmadjid Blidi

    Ouest Tribune, 08 mai 2021

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