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  • L’étrange « WikiLeaks » marocain

    L’étrange « WikiLeaks » marocain

    Maroc, marocleaks, DGED, diplomatie, lobbying, Sahara Occidental, hacker Chris Coleman,

    Charlotte Bozonnet

    Pas de tremblement de terre, mais de petites secousses régulières qui, semaine après semaine, finissent par ébranler l’édifice. Depuis deux mois, un hacker anonyme publie sur Twitter – sous le compte @chris_coleman24 – des révélations sur les dessous de la diplomatie du Maroc. Celles-ci auraient été obtenues par le piratage des messageries de hauts responsables marocains : des agents des services secrets, des diplomates, des journalistes, jusqu’à celles du ministre des affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, et de la ministre déléguée, Mbarka Bouaida. Depuis le 3 octobre 2014, des centaines de documents ont ainsi été mis en ligne (câbles diplomatiques, courriels privés, documents confidentiels) dans une sorte de WikiLeaks marocain qui, s’il n’a ni l’ampleur ni le sérieux de son aîné américain, malmène la politique d’influence menée par le royaume chérifien.

    La grande majorité des documents confirment avant tout l’obsession du Maroc pour le dossier du Sahara occidental, un territoire qu’il revendique et occupe à 80 % contre les visées indépendantistes du Front Polisario, soutenu par l’Algérie voisine. Cette « question nationale » semble être au cœur d’une foisonnante diplomatie parallèle, destinée à s’assurer le maximum de soutiens dans le monde sur le sujet et à contrer les plans de l’adversaire. Pour cela, Rabat déploierait toute une palette de jeux d’influence : auprès de journalistes et de centres de recherche afin qu’ils relaient les points de vue marocains ; de groupes de pression, dont le lobby israélien au Etats-Unis, de gouvernements étrangers ou dans les organisations internationales.

    Précieux relais à l’ONU

    Les documents mis en ligne dévoilent la relation tendue que le Maroc entretient avec le secrétariat général de l’ONU. Dans un fax du 22 août 2014, Omar Hilale, représentant du Maroc auprès des Nations unies à New York, préconise une nouvelle stratégie contre « la tentative de délégitimation de la marocanité du Sahara » menée par le secrétariat général, à l’origine d’un « véritable complot ». Christopher Ross, l’envoyé spécial de Ban Ki-moon pour le Sahara occidental, semble particulièrement détesté. Il faut, écrit M. Hilale, « isoler Ross, l’affaiblir et le pousser dans ses derniers retranchements au sujet de son agenda caché sur le Sahara ». M. Ross est décrit dans un autre document comme un « vieil alcoolique ».

    Le royaume déploie beaucoup d’énergie en direction de ses alliés traditionnels occidentaux, les Etats-Unis en premier lieu. Nombre de documents se réfèrent à l’épisode d’avril 2013, lorsque Washington avait présenté une résolution proposant d’élargir le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (la Minurso) aux droits de l’homme. Le projet avait échoué mais décidé le Maroc à redoubler d’initiatives alors que les pays du Maghreb « semblent être relégués à une position de moindre importance sur l’échiquier des intérêts stratégiques de la diplomatie américaine ». De « petits » pays a priori très éloignés du conflit au Sahara occidental sont eux aussi courtisés. Ainsi l’Argentine, le Chili, appelés à siéger au Conseil de sécurité. En octobre 2013, on espère obtenir du nouveau gouvernement du Paraguay le « retrait de la reconnaissance de la pseudo-RASD » (République arabe sahraouie démocratique). Rien ne semble laissé au hasard.

    Au sein du système onusien, le Maroc disposerait de précieux relais pour défendre les intérêts du royaume et être informé des faits et gestes de l’adversaire. Ainsi, la visite de Mohamed Abdelaziz, le président de la RASD, au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme à Genève en mai 2013 fait l’objet d’une intense activité de lobbying. « Les démarches que j’ai effectuées, particulièrement auprès de mes interlocuteurs au sein des deux Hauts-Commissariats aux droits de l’homme et pour les réfugiés », ont permis de faire de cette visite « un échec à tous les égards », se félicite en juin 2013 Omar Hilale, alors ambassadeur auprès de l’ONU à Genève.

    La sphère médiatique n’est pas épargnée par Chris Coleman. Mis en ligne le 29 décembre, des échanges de courriels fournis visent Samira Sitaïl, la directrice de l’information de la chaîne de télévision 2M, apparemment en cheville avec un interlocuteur qui pourrait être le chef de cabinet de Yassine Mansouri, le directeur de la DGED, les services secrets extérieurs.

    « Opération des services algériens »

    Trois mois après le début de l’affaire, l’authenticité des documents publiés continue à faire débat. Le journaliste Jean-Marc Manach, spécialiste des questions de cybersécurité, a publié deux enquêtes sur le sujet pour le site Arretsurimages. Après avoir dénoncé dans un premier temps une « intox », il a estimé à la mi-décembre, après consultation de 58 courriels dans leur format original, qu’une bonne partie étaient « techniquement impossibles [à] authentifier » mais qu’une vingtaine d’entre eux étaient authentiques. « Vu la masse de documents et leur niveau de précision, il est exclu que ce hacker ait pu tout inventer ex nihilo. En outre, s’ils étaient faux, le gouvernement aurait protesté. Celui qui se cache derrière Chris Coleman a bien piraté un certain nombre de boîtes mail, même s’il n’est pas exclu qu’il ait modifié certains messages », estime le journaliste marocain Ahmed Benchemsi.

    Les autorités marocaines ont longtemps gardé le silence sur l’affaire, sans toutefois nier, avant de pointer du doigt l’ennemi de toujours : l’Algérie. Le ministre marocain des affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, a dénoncé mi-décembre une « opération des services algériens » d’être derrière cette tentative de « déstabilisation ».

    Si l’identité du hacker reste inconnue, sa sympathie pour la cause indépendantiste du Sahara occidental est évidente. La plupart des observateurs jugent sa démarche très éloignée de celle d’un Edward Snowden ou d’un Julian Assange. Ces lanceurs d’alerte avaient agi à visage découvert et fait appel à plusieurs médias pour authentifier et trier les documents détournés, avec un objectif affiché de transparence. Chris Coleman publie lui en vrac courriels, câbles diplomatiques mais aussi photos d’ordre privé et commentaires parfois acerbes, apparemment sans logique véritable, mêlant le vrai et le faux, dans le but de « déstabiliser le Maroc », a-t-il expliqué. « Après ça, la diplomatie marocaine va devoir reconfigurer ses réseaux d’influence. Elle est certes fragilisée mais elle retombera vite sur ses pattes », estime Ahmed Benchemsi.

    Le Monde, 03/01/2015

    #Maroc #DGED #Sahara_Occidental #Diplomatie_marocaine #Lobbying

  • France: Une vidéo du roi ivre à Paris pour punir le Maroc

    France: Une vidéo du roi ivre à Paris pour punir le Maroc

    Maroc, France, Mohammed VI, hacker Chris Coleman,

    C’est une anecdote qui rappelle l’histoire du hacker Chris Coleman. Si, au début, son apparition a été qualifiée de « mystérieuse », aujourd’hui personne n’ignore le promoteur de cette action qui a secoué le palais royal, la France en l’occurrence, qui s’est servi de cette opération pour « rendre vulnérable la diplomatie marocaine » selon les mots du hacker-même. La raison? Le Maroc, fâché par l’incident survécu par le patron des services de sécurité alaouites, Abdellatif El Hammouchi, avait arrêté la coopération judiciaire et sécuritaire avec la France.

    Aujourd’hui, la tension entre Paris et Rabat est monté d’un cran lorsque la presse marocaine s’est fait écho d’un appel « à rembourser les Marocains ayant essuyé un refus » à leur demande de visa. C’était le 18 août. Quatre jours après, une mystérieuse vidéo a fait le tour de la toile. Le roi Mohammed VI y apparaît dans les rues de Paris complètement ivre et tenant debout grâce à ses gardes du corps.

    Si le hacker Chris Coleman a focalisé ses révélations sur la question du Sahara Occidental, la personne ou l’entité se trouvant derrière la vidéo de Mohammed VI a pris le soin de la remettre à un portail sahraoui pour s’assurer de sa diffusion. Un détail révélateur.

    Lire aussi : Article confirmant l’article de Cembrero sur le hacker Coleman

    Lire aussi : Coleman, un WikiLeaks marocain qui a fait mal au Makhzen

    Lire aussi : Maroc: Ahmed Charaï, première victime du hacker Chris Coleman

    #Maroc #France #Mohammed_VI #Vidéo

  • Maroc : Mbarka Bouaida et la malédiction des sahraouis

    Maroc : Mbarka Bouaida et la malédiction des sahraouis

    Maroc, Sahara Occidental, hacker Chris Coleman, Mbarka Bouaida,

    Les sahraouis croient profondément en la malédiction, notamment celle qu’ils appellent « tazobba ». Selon eux, tout méfait se retourne contre celui qui l’a commis par un acte de providence. C’est le cas de Mbarka Bouaida qui a nié ses origines sahraouies en acceptant le poste de ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères et en participant aux complots concoctés par le Maroc contre la RASD au sein de l’Union Africaine. C’est la raison pour laquelle, elle a été la première victime du hacker Chris Coleman.

    En effet, lors de son apparition, en octobre 2014, Mbarka a été la première à être contactée par Coleman pour l’inviter à découvrir sa page Facebook: « Visiter ma page facebook « les nouvelles du Makhzen » dont voici le texte :

    Vous y trouverez des informations confidentielles concernant les coulisses du pouvoir marocain.

    Récemment nous venons de mettre sur ligne les thèmes ci-après, enrichis par des documents authentiques:

    – La vie privée de la Ministre Mme Mbarka Bouaida (la naissance de sa fille Sarah, les difficultés du couple, l’alcoolisme du mari etc…)

    – Les avoirs à l’étranger de Mme Assia Bensalah Alaoui

    – La fille du Ministre Salah Eddine Mezouar

    D’autres révélations sont prévues dans un proche avenir.


    Dans cette page, Coleman a pendu les photos du mariage de Mme Bouaida, le certificat de naissance de sa fille Sarah ainsi qu’une lettre qu’elle avait rédigée à l’attention de son mari dans laquelle elle parlait des difficultés que le couple traverse à cause de ses absences continues dans ses missions à l’étranger. Pire encore, elle dévoile l’alcoolisme de son époux. Voici le texte intégral de cette lettre:

    Le 25 mai 2014

    Cher MEHDI

    Que me reproches-tu au juste? Depuis notre mariage, depuis ma nomination, depuis le début de la grossesse…ça fait bcp de changement tout ça, sans parler du déménagement de casa a Rabat, ville « fantôme ».

    Et maintenant la naissance de notre princesse Sarah.

    Tu me reproches mes priorités: je suis dans un poste de responsabilité que tu méprises. C ton droit, je le considère comme une responsabilité que je dois honorer. Je n’y gagne peut etre rien, je perds bcp bien au contraire, mais c’est une responsabilite que je dois assumer. Tu penses que je le fais au détriment de notrte couple. Oui, surement c t le cas au début, mais avec le temps, j’ai pu corriger bcp de choses (ne pas travailler les we, ne plus répondre au téléphone ni aux mails le soir, ne plus lire le courrier le soir ni les we, prendre plusieurs vendredi ou je n ai pas travaille même si on n’en a même pas profite).

    Tu me reproches qu’on s’installe a Rabat. Je te l’accorde, et on a décidé de rentrer a Casa en Septembre.

    Tu me reproches de ne plus avoir de vie: je t’ai suivi toutes les fois ou j’ai pu…a casa. On a fait quelques diners, soirées a Rabat.

    Tu me reproches de médiatiser notre fille, ce n’est pas de ma faute si la presse en a parle. Heureusement, ça a toujours été en bien. Personne ne te dira que ton epouse a une mauvaise presse.

    Tu me reproches d’etre une mauvaise mere…tu n’en sais rien encore, moi non plus…mais je sais que je veux reussir ce pari. Sarah est ma priorite plus que tout au monde.

    Tu me reproches d’avoir eu plus que ce que j’attendais a tous les niveaux, au point ou je pense que tout est acquis….oui, je suis reconnaissante au bon dieu de tout ce qu’il m’a toujours donne, en bien et en mal. Cela dit, tu sais très bien combien je suis détachée des choses matérielles…pour moi, l’acquis, ce sont nos valeurs, nos sentiments profonds. Ce ne sont pas les titres qui font la personne, c’est bien la personne qui fait son environnement.

    Tu me reproches d’être dans le paraitre. Pour rien au monde, je ne suis ni serai dans le paraitre. Et pas la peine de te donner des preuves.

    Si j’ai ecrit ces lignes, ce n’est pas pour me justifier, mais bien Pour essayer de comprendre.

    Je comprends hélas une chose: ton amour pour moi s’est éteint, ou peut être il n’a jamais existe.

    Maintenant, a moi de te dire ce que je pense de toi.

    Je me suis mariée avec toi par amour, grand Amour. J’ai rêvé pour nous deux, même dans les moments les plus difficiles. Je tiens a notre couple, a notre vie de famille. Je crois en toi, en tes valeurs, en ta force.

    Je ne te critique jamais, je n’interfère jamais dans tes choix professionnels, je te laisse tranquille. Oui, tu me diras que je te demande d’arrêter le cafe, ou de ne plus mettre le doigt dans ton nez…ce ne sont pas la des choses de fond. Je ne remets jamais en cause tes priorités, même quand je peux le faire, et a raison. Je ne te fais jamais de remarques malveillantes.

    Même pour l’alcool, que j’avoue me préoccuper. Je ne te dis jamais rien.

    Tout ca parce que je te fais confiance. J’ai confiance en ton intégrité, honnêteté intellectuelle, et en ton intelligence.

    Agâcée et la rage au ventre, Mbarka demander à un de ses collègues, Mohamed Methqal en l’occurrence, de voler à son secours. Voici ses conseils envoyés par email:

    Pour les sahraouis, le calvaire vécu à cause du hacker Chris Coleman est une punition de la divinité pour les méfaits commis contre les siens.

    Suite à l’échec de sa mission à Addis Abeba en 2014, son mandat de ministre déléguée n’a pas été renouvelé, mais le Makhzen est intervenu pour qu’elle remporte le poste de Wali de la Région de Goulimim.

    #Maroc #Sahara_Occidental



  • Dénonciation de la stratégie diplomatique du Maroc

    Dénonciation de la stratégie diplomatique du Maroc

    Maroc, Marocleaks, diplomatie, lobbying, Etats-Unis, hacker Chris Coleman, Sahara Occidental,

    Par Abderrahman Chalfaouat

    Abderrahim Chalfaouat, candidat au doctorat en publicité et communication à l’Université Hassan II, discute des incitations pour les dénonciateurs qui observent la stratégie diplomatique marocaine, en pesant les risques et les avantages à surveiller le traitement des données souveraines.

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    Avec la numérisation croissante des documents et des communications, en particulier dans le domaine des politiques étrangères et des relations internationales, la concentration massive des données a facilité l’accès aux informations publiques lorsqu’un initié parvient à tirer la sonnette d’alarme. Il est vrai que le stockage et la concentration des données font l’objet de mesures de protection strictes dans le cadre de la souveraineté virtuelle et de la territorialité d’un État donné. La protection devient encore plus stricte lorsqu’il s’agit de données souveraines, dont la révélation peut ternir la réputation d’un pays ou exposer des big data secrètes à des adversaires étrangers. Pourtant, le potentiel de dénonciation inclut la révélation aux yeux du public de la mauvaise gestion officielle ou des paradoxes de l’élaboration des politiques, malgré le risque que cela peut comporter pour le dénonciateur lorsque les lois de protection font défaut.

    La souveraineté que les États accordent aux données devient une arme à double tranchant lorsque des documents classifiés sont divulgués. Le secret et la sensibilité des documents deviennent une exposition d’agendas illégaux, de réunions malhonnêtes, de relations corrompues et de méfaits officiels ou d’abus de pouvoir, lorsqu’ils sont perçus du point de vue de la défense des droits. Pour l’opinion publique, la dénonciation sert « à protéger l’intérêt public et à défendre les droits de l’homme », comme le dit John Devitt, directeur général de la section irlandaise de Transparency International.

    Dans la politique marocaine, différentes fuites de données internationales classifiées ont mis à jour des stratégies de diplomatie dynamiques et hyperactives, mais pas nécessairement efficaces. Dans les fuites de câbles diplomatiques américains de 2010, connues sous le nom de « Cablegate », les affaires politiques marocaines ont été mises en évidence, principalement les relations du Maroc avec les États-Unis en ce qui concerne les changements économiques, y compris l’oscillation de la démocratisation, l’affaire du Sahara, la guerre contre le terrorisme et l’implication du Maroc dans les questions du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA).

    Ces révélations de 2010 n’ont pas créé beaucoup de débats politiques ou d’agitation sociale pour de nombreuses raisons, notamment le contexte international des fuites. Les informations divulguées étaient généralement internationales, vastes et diverses. Il est possible que des complexités diplomatiques plus graves dans d’autres pays aient empêché l’effet attendu au Maroc. Deuxièmement, le débat politique au Maroc à l’époque était axé sur le « projet de monopole » en vue des élections parlementaires de 2012. Dans les quelques années qui ont précédé le printemps arabe, les politiciens marocains étaient occupés à discuter et à essayer de comprendre les objectifs du Parti pour l’authenticité et la modernité (PAM) nouvellement fondé par la monarchie. Le PAM a été créé pour freiner la montée des islamistes au pouvoir, en essayant de reproduire le modèle tunisien qui a asséché le terrain de la diversité politique lors des élections de 2012. Ainsi, la fuite de données sur les aspects cachés des relations maroco-américaines ne pouvait éclipser la densité d’une telle préoccupation locale. Enfin, les médias sociaux dans le Maroc d’avant le Printemps arabe étaient principalement axés sur le divertissement. La diffusion de documents classifiés sur ces plateformes n’a pas attiré beaucoup d’attention.

    Les fuites de Coleman

    Dans sa communication stratégique, le Maroc a promu une image d’exception dans la région. Chaque fois qu’une vague politique submergeait la région, le Maroc s’adaptait plutôt que de l’adopter sans modification. Dans l’ère post-Snowden, un Maroc qui se numérise rapidement a été confronté à une fuite de documents classifiés en septembre 2014 lorsque l’email de Mme MbarkaBouaida, ministre déléguée aux affaires étrangères et à la coopération, aurait été piraté. Le Maroc a cessé d’être une exception lorsqu’un pirate, utilisant un faux compte Twitter sous le nom du manager de football gallois Chris Coleman, a commencé à partager des documents classifiés sur la politique étrangère du Maroc.

    Compte tenu des problèmes soulignés dans les documents partagés, l’État algérien ou un partisan du Polisario[2] était le coupable potentiel des fuites. Avec ces fuites, le Maroc a perdu un certain contrôle sur la souveraineté des données et les informations exposées ont mis en évidence des informations personnelles telles qu’un courriel du ministre marocain des affaires étrangères demandant au ministre français des affaires étrangères de trouver un emploi pour sa fille. Plus important encore, les 6 Go de données souveraines ont mis en évidence des activités de renseignement militaire et diplomatique avec des lobbies américains et des fonctionnaires de l’ONU.

    Un compte Facebook a commencé à divulguer ces informations, mais le gouvernement marocain a apparemment bloqué ce compte peu après le début des fuites. Depuis octobre 2014, le compte Twitter « Chris Coleman » a relancé les dénonciations. Le compte, qui est maintenant suspendu, a partagé des données et des nouvelles principalement sur l’affaire du Sahara et le différend géopolitique maroco-algérien pour gagner la confiance internationale afin de diriger la région. Sans surprise, les fuites se sont produites après que l’AFP a mis en lumière un rapport d’enquête de 2007 rédigé par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) sur l’aide humanitaire de l’UE aux camps de réfugiés contrôlés par le Polisario dans le sud de l’Algérie. Dans un sens, la politique étrangère de l’internet croise la politique étrangère du monde réel par le biais de dénonciations échangées contre des attaques.

    Les fuites se concentrent sur les relations maroco-américaines, le Maroc essayant de protéger ses intérêts par le biais des lobbies américains, des politiciens et des fonctionnaires de l’ONU. Les zones de contact, par lesquelles le Maroc doit approcher le cartel des parties prenantes internationales, concernent principalement les affaires maroco-sahariennes, les relations tendues entre le Maroc et l’Algérie, le processus de démocratisation interne, la guerre contre le terrorisme et l’implication du Maroc dans les questions arabes.

    Une question clé révélée dans les fuites est le désaccord entre le Maroc et les États-Unis sur l’inclusion des violations des droits de l’homme dans l’extension du mandat de la MINURSO. En 2014, les États-Unis ont mené les efforts internationaux pour l’extension du mandat. Les fuites révèlent que le désaccord a atteint son point culminant lors de la visite du roi du Maroc à la Maison Blanche. Un accord a été conclu lors de la réunion de Washington. Les informations divulguées illustrent le rôle des acteurs internationaux dans la dynamique de la politique marocaine et le soutien que les responsables marocains reçoivent dans les affaires internes.

    Une autre question révélée était le financement par le Maroc des politiciens américains. Le groupe de membres du Congrès qui soutient le Maroc est le plus important. En outre, il a été révélé que le Maroc a offert au moins un million (USD) à la candidate présidentielle Hillary R. Clinton comme parrainage pour sa réunion de Marrakech Clinton Global Initiative. L’aide financière accordée à la Fondation Clinton a suscité un tollé social et a conduit la Fondation à modifier sa politique en matière de dons étrangers[3]. La campagne de Clinton a également omis de répertorier le Maroc comme un lobbyiste enregistré contribuant à sa campagne.

    Malgré ce coup de projecteur sur la politique marocaine, le scandale Coleman n’a pas attiré beaucoup d’attention publique au Maroc, peut-être parce que le dénonciateur a choisi un compte Twitter plutôt qu’un compte Facebook. La communauté Facebook marocaine est l’une des plus actives du monde arabe. Selon les statistiques de 2014, plus de sept millions de Marocains sont sur Facebook, ce qui les place au quatrième rang en Afrique pour le nombre d’abonnés à Facebook[4]. Un autre obstacle potentiel est que les fuites n’ont pas porté sur des questions liées à la sécurité ou à l’immoralité – des questions clés pour la population marocaine qui suscitent généralement une attention considérable sur les médias sociaux.

    Aller de l’avant : Protéger les lanceurs d’alerte

    L’effet démocratisant de la révélation des méfaits officiels ou de la dénonciation de la corruption ou du despotisme documentés nécessite deux amendements à la loi. Le premier consiste à garantir aux lanceurs d’alerte une protection juridique et une sécurité pour leur contribution à la transparence, à l’accès à des informations sérieuses et à la démocratisation de l’information.

    Bien que « Chris Coleman » n’ait été ni retrouvé ni poursuivi, les cas précédents envoient des signes alarmants. En 2007, MounirAgueznay, ou Targuist Sniper, originaire de la ville de Targuist, dans le nord du Maroc, a mis en ligne quatre vidéos montrant des policiers recevant des pots-de-vin d’automobilistes. Cette révélation a également encouragé d’autres révélations liées à des affaires de corruption et de pots-de-vin. Agueznay est resté anonyme jusqu’en février 2013, mais a été la cible d’un harcèlement policier en raison de l’absence de protection des dénonciateurs. Le frère d’Agueznay a également été condamné à deux ans de prison – prétendument pour avoir vendu de la drogue – et Agueznay a été contraint de quitter le Maroc en mai 2013 pour éviter de nouvelles représailles. Aujourd’hui, de manière assez surprenante, il a rejoint le PAM qui est connu pour défendre les trafiquants de drogue dans le Nord du Maroc, peut-être à la recherche d’une protection politique.

    Ali Anouzla, directeur du site d’information Lakome.com, a été le premier à révéler l’amnistie royale dont avait bénéficié le pédophile espagnol. Lorsque le scandale s’est calmé, Ali Anouzla a été poursuivi en justice au titre du code du terrorisme pour encouragement au terrorisme, lorsque son site d’information a cité un lien hypertexte vers une vidéo d’AQMI. La condamnation nationale et internationale de son arrestation a conduit à sa libération après quelques semaines de détention.

    Le deuxième amendement rendu nécessaire par les méfaits officiels de ce type consiste à considérer la dénonciation comme un droit public, similaire au droit d’accès à l’information ou à la liberté d’expression. Lorsque le public est privé du droit à la dénonciation, les décideurs peuvent être plus enclins à poursuivre la corruption ou la nonchalance envers l’intérêt public.

    La dénonciation et la collecte de données sont confrontées à des défis éthiques considérables, notamment la sensibilité des données et la frontière floue entre sécurité et transparence des documents classifiés. Quelle est la limite entre l’encouragement à la transparence et la mise en péril de la sécurité publique ? Dans les pays tristement célèbres pour leur négligence des droits individuels ou leur exploitation des informations privées, la quantité de données stockées sur les militants, par exemple, peut être préjudiciable aux individus. En ce sens, la dénonciation pourrait entraîner la fuite d’informations personnelles telles que des photos privées, même si le dénonciateur n’a pas cherché à révéler ces données de manière malveillante. Un autre défi est le dilemme potentiel entre l’encouragement de l’accès à l’information et les atteintes illégales à la sécurité. Dans le cas des fuites de Coleman, les informations révélées ont fourni aux journalistes et aux militants des droits de l’homme des informations sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour plaider en faveur d’un moindre gaspillage des fonds publics.

    En outre, les fuites qui révèlent des réunions secrètes provoquent généralement un tollé public lorsqu’elles sont couvertes par les médias. La révélation conduira très probablement les fonctionnaires à éviter ces réunions à l’avenir, mais la dénonciation sélective et l’utilisation des informations piratées pour nuire aux intérêts de l’État font douter qu’il s’agisse du travail de dénonciateurs bien intentionnés ou d’agences d’espionnage d’États opposés dans une région géopolitique tendue.

    Pour le Maroc, les dénonciateurs continueront à faire surface, étant donné la corruption et le despotisme dont le pays souffre depuis des décennies. Si l’on n’inclut pas la protection des dénonciateurs dans la future loi sur le droit à l’information et si l’on n’intègre pas la dénonciation dans les efforts de plaidoyer visant à atténuer la corruption et le despotisme, ce n’est pas seulement la liberté d’expression qui sera restreinte. Plus important encore, c’est le Maroc qui manquera le potentiel d’apporter plus de démocratisation dans la sphère publique.

    À propos de l’auteur

    Abderrahim Chalfaouat est doctorant au département de publicité et de communication de l’université Hassan II de Casablanca. Il travaille sur les intersections entre la fiction télévisée, la politique culturelle et la démocratisation au Maroc. Il a obtenu une maîtrise en études américano-marocaines en 2011 et une licence en linguistique anglaise en 2000 à l’Université Hassan II. Les intérêts de recherche d’Abderrahim comprennent les médias et la société, la politique culturelle, la politique de la région MENA, la démocratisation et les droits de l’homme.

    Références
    1. http://www.alaraby.co.uk/english/features/2014/12/23/moroccan-wikileaks-rattles-rabat
    2. Chalfaouat, A. A paraître. L’Internet sous le printemps marocain : du divertissement à l’activisme. Dans Coban, Baris (ed.) Forthcoming. Social Media R/evolution. Istanbul.
    [1] Doctorant à l’Université Hassan II de Casablanca, Maroc. Chercheur dans le domaine des médias, de la politique culturelle et des affaires de la région MENA, il écrit et commente fréquemment les questions marocaines et arabes et est un ancien élève d’AnOx 2015.
    [2] Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro, soutenu par l’Algérie. Pour le Maroc, le Polisario est un groupe séparatiste qui résulte de la guerre froide des années 1970. Le Polisario cherche à obtenir l’indépendance du Sahara occidental vis-à-vis du Maroc, tandis que ce dernier propose un plan d’autonomie pour la région.
    [3] En conséquence, le nombre de pays acceptant de faire des dons à la Fondation Clinton a été limité à six, sans compter le Maroc.
    [4] On s’attend à ce que ce nombre atteigne dix millions avec l’introduction des installations 4G dans le pays.

    Source: Academia.edu

    #Maroc #Hacker_chris_coleman #Marocleaks #Diplomatie_marocaine #Mbarka_Bouaïda

  • Maroc: Un Snowden jette un pavé dans la mare du Makhzen

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    Derrière un pseudo pas du tout Nord-africain et un compte Twitter, Chris Coleman24 alias « Le Makhzen », distille depuis le 3 octobre, des informations plus que sensibles sur le réseau social à l’oiseau bleu. D’entrée, il marque son appartenance au mouvement de libération du Sahara Occidental en s’abonnant à quelques profils Sahraoui puis se met immédiatement à la tâche.

    Son but, donner le maximum d’informations sur le Makhzen marocain, le plus rapidement possible, car, selon son aveu même, Twitter risque de se plier aux pressions de Rabat et fermer son compte, comme ce fut le cas sur Facebook et Gmail.

    Une semaine après, c’est un flot continu de documents secrets, de correspondances bancaires et de fac-similés de pièces d’identités qui défilent. Avec une thématique centrale : quelles méthodes adoptent les services marocains (DGED) pour acheter des journalistes internationaux et même monter de faux sites internet d’information algériens.

    Ce n’est donc pas de la « diplomatie de la Mamounia » qu’il s’agit, mais de véritables opérations de guerre psychologiques et de déstabilisation à l’encontre du voisin de l’Est. Des exemples ? Coleman en fournit plusieurs : les virements de plusieurs dizaines de milliers de dollars à un certain Ahmed Charai, patron de presse, et au Think Tank Républicain Center for the National Interest. Puis 10 000 dollars pour une supposée insertion publicitaire au profit d’une ONG spécialisée dans la résolution pacifique des conflits, 25 000 pour le think tank FPRI et des sommes aussi importantes au profit de titres de presse américains et britanniques. Mieux, un journaliste du New York Post est accusé, avis de virement à l’appui, d’avoir touché 60 000 dollars pour des articles anti-algériens et faisant le lien entre le Polisario et Al Qaida.

    Certaines correspondances mises en ligne sur ce compte indiquent un lien entre les services secrets marocains et le site d’opposition ************, dont la totalité de l’effectif proviendrait des rangs du Makhzen.

    Sur un plan plus interne, Chris Coleman montre la collusion entre Salaheddine Mezouar, le ministre des Affaires Etrangères et secrétaire général du Rassemblement National des Indépendants et le bureau de consulting McKinsey. Ce dernier a été chargé par Mezouar de réaliser une étude sur la relance de l’économie marocaine. Coleman utilisera le terme de « trafic d’influence » car la fille du chef de la diplomatie marocaine est employée de ladite entreprise.

    Pour le moment, les personnes incriminées par ce corbeau numérique bottent en touche, crient au faux ou pointent du doigt pour ainsi dire « la main de l’étranger ». Ahmed Charai, à travers les colonnes de son journal L’Observateur, en appelle même aux Hackers marocains pour détruire le compte Twitter en question et effacer toutes traces du forfait.

    #Maroc #Marocleaks #Sahara_Occidental #Lobbying #Hacker_chris_coleman #Algérie

  • Mbarka Bouaïda, première victime des Marocleaks

    Mbarka Bouaïda, première victime des Marocleaks

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    Début octobre 2014, un hacker prénommé « Chris Coleman » sur les réseaux sociaux publient des milliers de documents embarrassants pour le Makhzen marocain. Correspondances entre diplomates, mail personnels, dossiers confidentiels : ces documents concernent principalement le ministère marocain des Affaires étrangères, la mission marocaine à l’ONU, la DGED, les boîtes mail de la DGED, les services de renseignement extérieur, de la ministre délégué Mbarka Bouaïda et celle du chef de la diplomatie Saadeddine El Othmani.

    Les premières publications ont visé la vie privée de Mbarka Bouaïda en raison de ses origines sahraouies et de ses activités de lobbying auprès de l’OUA en 2014. Le dénommé Coleman a publié des photos de son mariage ainsi qu’une lettre que la ministre marocaines a rédigée à l’attention de son mari dans laquelle elle fait part des problèmes de ce dernier avec l’alcool.

    Voici quelques-unes de ces photos ainsi que le texte intégral de la lettre :

    Le 25 mai 2014
    Cher MEHDI
    Que me reproches-tu au juste? Depuis notre mariage, depuis ma nomination, depuis le début de la grossesse…ça fait bcp de changement tout ça, sans parler du déménagement de casa a Rabat, ville « fantôme ».
    Et maintenant la naissance de notre princesse Sarah.
    Tu me reproches mes priorités: je suis dans un poste de responsabilité que tu méprises. C ton droit, je le considère comme une responsabilité que je dois honorer. Je n’y gagne peut etre rien, je perds bcp bien au contraire, mais c’est une responsabilite que je dois assumer. Tu penses que je le fais au détriment de notrte couple. Oui, surement c t le cas au début, mais avec le temps, j’ai pu corriger bcp de choses (ne pas travailler les we, ne plus répondre au téléphone ni aux mails le soir, ne plus lire le courrier le soir ni les we, prendre plusieurs vendredi ou je n ai pas travaille même si on n’en a même pas profite).
    Tu me reproches qu’on s’installe a Rabat. Je te l’accorde, et on a décidé de rentrer a Casa en Septembre.
    Tu me reproches de ne plus avoir de vie: je t’ai suivi toutes les fois ou j’ai pu…a casa. On a fait quelques diners, soirées a Rabat.
    Tu me reproches de médiatiser notre fille, ce n’est pas de ma faute si la presse en a parle. Heureusement, ça a toujours été en bien. Personne ne te dira que ton epouse a une mauvaise presse.
    Tu me reproches d’etre une mauvaise mere…tu n’en sais rien encore, moi non plus…mais je sais que je veux reussir ce pari. Sarah est ma priorite plus que tout au monde.
    Tu me reproches d’avoir eu plus que ce que j’attendais a tous les niveaux, au point ou je pense que tout est acquis….oui, je suis reconnaissante au bon dieu de tout ce qu’il m’a toujours donne, en bien et en mal. Cela dit, tu sais très bien combien je suis détachée des choses matérielles…pour moi, l’acquis, ce sont nos valeurs, nos sentiments profonds. Ce ne sont pas les titres qui font la personne, c’est bien la personne qui fait son environnement.
    Tu me reproches d’être dans le paraitre. Pour rien au monde, je ne suis ni serai dans le paraitre. Et pas la peine de te donner des preuves.
    Si j’ai ecrit ces lignes, ce n’est pas pour me justifier, mais bien Pour essayer de comprendre.
    Je comprends hélas une chose: ton amour pour moi s’est éteint, ou peut être il n’a jamais existe.
    Maintenant, a moi de te dire ce que je pense de toi.
    Je me suis mariée avec toi par amour, grand Amour. J’ai rêvé pour nous deux, même dans les moments les plus difficiles. Je tiens a notre couple, a notre vie de famille. Je crois en toi, en tes valeurs, en ta force.
    Je ne te critique jamais, je n’interfère jamais dans tes choix professionnels, je te laisse tranquille. Oui, tu me diras que je te demande d’arrêter le cafe, ou de ne plus mettre le doigt dans ton nez…ce ne sont pas la des choses de fond. Je ne remets jamais en cause tes priorités, même quand je peux le faire, et a raison. Je ne te fais jamais de remarques malveillantes.
    Même pour l’alcool, que j’avoue me préoccuper. Je ne te dis jamais rien.
    Tout ca parce que je te fais confiance. J’ai confiance en ton intégrité, honnêteté intellectuelle, et en ton intelligence.


    #Maroc #Marocleaks #Hacker_chris_coleman #Mbarka_bouaida

  • Marocleaks. Joie et frustration d’un journaliste espagnol

    Marocleaks. Joie et frustration d’un journaliste espagnol

    Ignacio Cembrero, Marruecos, Wikileaks marocain, hacker Chris Coleman, Sahara Occidental, Front Polisario, Algérie, diplomatie, lobbying,

    J’ai parfois l’impression d’avoir rajeuni de quatre lorsque, dans ce sous-sol de l’immeuble d’El País, je cherchais des informations en parcourant ces 400000 câbles du département d’État que Wikileaks a divulgués à une demi-douzaine de grands journaux du monde, sur papier et sur ordinateur, sans connexion internet pour des raisons de sécurité.

    De nombreux soupçons journalistiques ont été confirmés par leur lecture, et étayés par une avalanche de données, mais aussi de nombreuses nouvelles ont été dévoilées ! Les histoires que nous avons glanées dans l’énorme masse de télégrammes diplomatiques que nous avions imprimés et qui étaient empilés sur les tables de la pièce sans fenêtre dans laquelle nous travaillions au coup par coup et en surnombre.

    Bien qu’il s’agisse d’une expérience journalistique de laboratoire, avec peu d’ingrédients extérieurs, c’est l’un de mes meilleurs souvenirs professionnels.

    Le 2 octobre, un petit Wikileaks a émergé à l’échelle du Maghreb. Sous le profil de Chris Coleman, un tweeter anonyme a divulgué des centaines de documents et d’e-mails provenant de la diplomatie marocaine, des services de renseignement et même de l’administration de la défense marocaine. Les autorités marocaines n’ont pas démenti l’authenticité de ces fuites.

    Jusqu’à présent, seule la vice-ministre marocaine des affaires étrangères, Mbarka Bouaida, a dénoncé publiquement « une opération menée par des éléments pro-Polisario avec le soutien de l’Algérie et dans l’intention d’entraver la diplomatie marocaine ». Bien que Rabat enquête, il n’a pas été en mesure de prouver cette accusation.

    Tous les matins ou tous les soirs, le twittos ne respectant pas d’horaire, je me rejouis de rendre compte professionnellement de l’accord verbal secret de novembre 2013 entre Barack Obama et le roi Mohammed VI sur le Sahara; des chamailleries entre Rabat et le secrétaire général de l’ONU ; des cadeaux de valeur distribués par l’ambassade du Maroc à New York aux diplomates et correspondants de presse amis ; de la description de Christopher Ross, l’envoyé de Ban Ki-moon pour le Sahara, qualifié d’alcoolique, maladroit dans ses mouvements au point d’avoir du mal à enfiler sa veste.

    Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a pris les fuites tellement au sérieux que, samedi, son porte-parole a annoncé qu’une enquête avait été ouverte sur la collaboration présumée quelque peu excessive d’un de ses hauts fonctionnaires avec les autorités marocaines.

    J’ai également lu avec avidité les courriels faisant état de paiements effectués par les services de renseignement, apparemment par le biais d’un intermédiaire, à des groupes de réflexion et à des journalistes aux États-Unis, en France et ailleurs, afin qu’ils écrivent au nom du Maroc. Je connais certains d’entre eux depuis des décennies. Je me demande si des noms de compatriotes espagnols engagés n’apparaîtront pas bientôt dans un autre courriel.

    L’Espagnol qui apparaît est, en 2012, l’ambassadeur à Rabat. Il a promis à ses interlocuteurs marocains le plein soutien de l’Espagne au sein du Groupe des Amis du Sahara, qui se préparait pour la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU en avril de la même année.

    Parmi les joyaux postés par ce qui est devenu mon twitter préféré figure un câble daté du 7 juillet du chargé d’affaires de l’ambassade du Maroc à Madrid, Baddredine Abd el Moumni – l’ambassadeur était absent – dans lequel il informe Rabat avec un certain regret que j’ai entamé une collaboration avec El Mundo.

    « Cembrero rejoint ainsi l’équipe d’un des mastodontes de la sphère journalistique en Espagne », écrit le Chargé d’Affaires. « Fondé en 1989, El Mundo est le deuxième journal le plus lu (…) », ajoute-t-il. « Il a acquis sa réputation grâce à une ligne inspirée du modèle d’investigation américain ». Au passage, le diplomate m’accuse d’être « hostile au Maroc et de soutenir les thèses des séparatistes » [Front Polisario].

    Pourtant, à plus d’une occasion, lors de séminaires ou de débats, j’ai affirmé qu’un large accord d’autonomie est aujourd’hui la moins mauvaise des solutions pour le Sahara. Parmi les câbles découverts par Chris Coleman, certains sont également préjudiciables aux indépendantistes sahraouis du Polisario, qui sont au plus bas. C’est l’un des cinq articles, la plupart dans ce blog, que j’ai consacré jusqu’à présent aux câbles mis en lumière par le tweeter.

    Mais la manne des télégrammes diplomatiques a aussi son côté journalistique amer. Il y a quatre ans, Wikileaks était une œuvre partagée avec d’autres grands quotidiens ou hebdomadaires, comme le New York Times, The Guardian, Le Monde ou Der Spiegel. Parfois, en lisant ces articles à l’époque, je faisais l’éloge de l’approche anglo-saxonne ou allemande de tel ou tel sujet, que mes collègues d’El País et moi-même n’avions pas remarquée ; à l’occasion, je m’irritais aussi en voyant à quel point ils avaient peu exploité tel ou tel autre sujet.

    Puis je me suis sentie accompagnée à distance. Maintenant, j’écris sur les Wikileaks marocains sans aucun miroir européen dans lequel comparer mes chroniques. Un mois et demi après le début des câbles, la presse espagnole l’ignore et, à l’exception d’Arrêt sur Images, la presse française fait de même. Maintenant, je n’ai personne avec qui rivaliser, personne de qui apprendre, à l’exception du site américain Inner City Press, spécialisé dans les reportages sur les Nations unies.

    Le Maroc s’est révélé faible parce que son système de communication gouvernemental, les e-mails de ses agents secrets ont été massivement piratés pendant des mois, voire des années. Le Maroc est fort parce qu’il a réussi que personne n’en fasse l’écho, même si les ambassades et les ministères des affaires étrangères qui traitent avec Rabat gardent un œil sur ce que Chris Coleman publie.

    Orilla Sur, 17 nov 2014

    #IgnacioCembrero #WikileaksMarocain #HackerChrisColeman #SaharaOccidental #Marruecos #FrontPolisario #Algérie #Diplomatie #Lobbying

  • Coleman, un WikiLeaks marocain qui a fait mal au Makhzen

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    Depuis octobre dernier, un compte Twitter nommé Chris Coleman (chris_coleman24, un pseudo, bien sûr) publie quantité de documents confidentiels émanant du ministère des Affaires étrangères et des services marocains. On voit apparaître dans ces échanges nombre de think tanks, de personnalités et de journalistes (notamment français), visiblement dévoués à Sa Majesté et à la cause marocaine, et rétribués en espèces bien sonnantes ou en vacances ensoleillées…

    Les télex, courriels et autres comptes rendus émanant de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, service lié au Palais) rendus publics par Coleman sont à cet égard accablants… Et les pouvoirs marocains n’ont pas démenti l’authenticité des documents. Tout juste ont-ils avancé qu’il s’agissait d’un coup de « certains éléments du front Polisario » avec l’aide des services algériens.

    Malgré leur importance, ces fuites, sur les rives de la Seine, ne font pas grand bruit. Pourquoi ? « Parce que les chiens ne mangent pas les chiens », répond le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, qui fait toujours l’objet de poursuites devant les tribunaux de la part de l’État marocain. Entendez par là que tellement de Français sont impliqués que personne ne tient à lever l’omerta. Comme l’a écrit le magazine marocain TelQuel « Coleman, un WikiLeaks dont personne ne parle ». Et puis cette affaire pose un autre problème : celui de l’identité du lanceur d’alertes et de ses mobiles. Dans le cas d’un Bradley Manning ou d’un Edward Snowden, les intentions sont assez claires et politiquement correctes ; l’un et l’autre ont voulu dénoncer des abus, des écoutes et d’autres crimes. Dans le cas de Coleman, on ne sait rien de celui ou de ceux qui se cachent derrière ce pseudo. À une question posée par Jean-Marc Manach, auteur d’un autre article ici-même, Coleman a répondu qu’il voulait « fragiliser le Maroc, et notamment son appareil diplomatique ».

    De plus, ce Coleman se montre parfois antiaméricain et antisioniste. Tout cela a suffi pour jeter le doute. Ainsi, Jean-Marc Manach, dans sa chronique sur Arrêt sur image, tout en jugeant peu probable que ces documents aient été trafiqués, met en doute la qualité du lanceur d’alertes, et va jusqu’à qualifier Coleman de « barbouze » du fait que son mobile est politique : « C’est aussi à cela que l’on distingue un lanceur d’alertes d’un barbouze. Le premier veut faire éclater la vérité. Le second est, sinon en service commandé, tout au moins disposé à manipuler la vérité, à instiller le doute, voire à créer de fausses preuves. »

    Pourtant, nombre de spécialistes du Maroc, comme Cembrero, pensent que les documents sont tout à fait authentiques. Il y a d’ailleurs un détail qui ne trompe pas : les autorités marocaines, au lieu de démentir, cherchent à étouffer l’affaire. D’abord en évitant toute publicité dans les médias parisiens. Mais aussi en enlevant à Coleman ses moyens de s’exprimer. « C’est vrai que depuis quelques jours [début décembre 2014], le Makhzen [le Palais] a multiplié ses menaces pour me décourager », note Coleman lui-même sur son compte Twitter. « Il a mobilisé d’importantes ressources, notamment financières, pour empêcher la diffusion des informations ; d’ailleurs il a réussi à acheter la suspension de mes comptes sur Dropvox, Mediafire et 4shared. Le déballage va se poursuivre, même au risque de ma vie. » De fait, les moyens utilisés par les pouvoirs américains contre Snowden ou Assange ne sont pas éloignés.

    « En tout cas, deux ou trois choses sont sûres, maintenant, écrit le magazine Demain online (animé par le journaliste franco-marocain Ali Lmrabet depuis Barcelone). Cet empêcheur de tourner en rond ne se trouve pas au Maroc. Il n’est sûrement pas seul. Il a préparé son coup depuis longtemps, et enfin, les documents ne sont pas des faux. Ils n’ont pas été manipulés, comme veulent le faire croire certains collaborateurs des services secrets. Car, s’ils l’avaient été réellement, le Maroc aurait eu beau jeu de dénoncer cette grossière falsification. »

    Plusieurs lanceurs d’alerte ont proposé leur aide à Coleman et, en cas de trop grande difficulté, ce dernier pourrait être tenté, comme le conclut Demain online, de tout balancer à WikiLeaks.

    #Maroc #SaharaOccidental #Lobbying

  • Maroc: Chris Coleman, le fantôme du makhzen

    Maroc: Chris Coleman, le fantôme du makhzen

    Maroc, hacker Chris Coleman, ONU, Sahara Occidental, Christopher Ross, Etats-Unis,

    Dire que le royaume du Maroc est très inquiet de perdre la main dans la gestion du dossier Sahraoui est aujourd’hui un euphémisme – Le briefing de Christopher Ross, aujourd’hui, risque d’être crucial

    Le palais royal est véritablement ébranlé par la perspective, très sérieuse cette fois, de perdre le contrôle de sa «qadhiya watania» (question nationale) qu’est le Sahara occidental, qu’il occupe depuis 1975. Et cela pourrait commencer dès aujourd’hui puisque l’envoyé personnel de Ban Ki-moon au Sahara occidental, Christopher Ross, va faire un briefing devant le Conseil de sécurité sur le blocage du processus de négociation. Le royaume craint de faire face à une «stratégie insidieuse de délégitimation de la récupération du Sahara par le Maroc», comme souligné dans un câble adressé le 22 août dernier par la mission permanente à New York à sa tutelle.

    Ross attend depuis l’été dernier le feu vert du royaume pour pouvoir effectuer une tournée dans la région. Le makhzen, qui n’a pas apprécié son dernier rapport, qualifié de «dérapage dangereux», accuse aussi Ross de pratiquer un «double langage» et ne veut donc point l’inviter. Le Maroc a aussi une (lourde) femme sur les bras en la personne de la nouvelle représentante spéciale du Secrétaire général et chef de la Minurso, Mme Kim Bolduc (Canada), devant prendre ses fonctions début septembre à El Ayoun, en remplacement de l’Allemand Wolfgang Weisbrod-Weber dont le mandat s’est achevé le 31 juillet dernier. Ne connaissant pas son pedigree diplomatique, il l’a décrétée persona non grata au prétexte qu’il n’a pas été associé (?) à sa nomination…

    Un double veto qui irrite au plus haut point le secrétaire général de l’ONU et les Etats-Unis, de plus en plus édifiés que c’est le royaume qui empêche un début de solution à ce conflit. Dommage collatéral pour Rabat : le concept de «territoire non autonome» du Sahara occidental, conformément au droit international et aux résolutions pertinentes des Nations unies, est désormais assumé publiquement à New York. Et c’est le sacro-saint principe de la «marocanité du Sahara» qui vole en éclats.

    La fin du laisser-aller américain ?

    Un coup de semonce pour le makhzen, qui voit ses anciens protecteurs l’abandonner l’un après l’autre. Mieux (ou pire), le sous-secrétaire adjoint pour les affaires du Proche-Orient au département d’Etat, John Desrocher, a déclaré, lors de sa visite la semaine dernière à Rabat, que «la dynamique doit se poursuivre» et qu’il fallait «éviter de geler le processus». En clair, Washington somme Rabat d’accueillir les deux diplomates indésirables, Christopher Ross et sa nouvelle collègue, Mme Bolduc. Et quand l’oncle Sam hausse le ton, le makhzen attrape inévitablement le rhume. Cette grosse peur transparaît assez bien dans une pile de correspondances portant mention «confidentiel» qu’ontadressé le représentant permanent du royaume à l’ONU, l’irascible Omar Hilal, et son adjoint Abderrazzak Laassel à leur tutelle, le ministère des Affaires étrangères. Tout au long de ces dizaines de documents — dont El Watan détient des copies — le représentant de Sa Majesté attire l’attention du makhzen sur le fait que le Maroc subit les vents contraires dans les couloirs des Nations unies.

    Des câbles catastrophés

    Ni Ban Ki-moon ni Christopher Ross et, fait nouveau, ni les Etats-Unis ne sont désormais sensibles aux arguments annexionnistes du royaume. Du coup, le représentant permanent du Maroc à l’ONU joue les vierges effarouchées et invite le makhzen à imaginer le pire.

    Le pire, c’est évidemment de voir les Conseil de sécurité adopter, en avril prochain, une résolution élargissant le mandat de la Minurso à la protection des droits de l’homme. Ce scénario est plus que jamais probable, selon les câbles de Omar Hilal au MAE marocain, saisis au vol… Ce diplomate marocain recommande à sa tutelle de désavouer l’envoyé personnel du secrétaire général, Christopher Ross, pour bloquer le processus devant mener à l’adoption d’une résolution contraignante en avril.

    Dans sa note d’information datée du 2 octobre 2014, la direction des affaires américaines du MAE marocain brosse un tableau noir de l’évolution du dossier sahraoui dans les couloirs de l’ONU : «La situation dans son ensemble interpelle, suscite plusieurs interrogations et laisse présager des périodes difficiles aussi bien au sein des Nations unies qu’avec nos partenaires américains…»

    Rabat-Washington, tension maximum

    Il y est écrit aussi : «Notre pays est présenté par M. Ross comme responsable du blocage en cours dans le processus politique, une idées véhiculée dans les couloirs des Nations unies et auprès des membres du Conseil de sécurité.» La note secrète de Rabat s’inquiète surtout de la tension avec les Etats-Unis. On y apprend en effet que «Washington a d’ores et déjà commencé à introduire des changements dans sa position» au sein de l’ONU. Comment ? Lors de l’examen du rapport annuel du Conseil de sécurité à l’Assemblée générale pour la période 1er aout 2013-31 juillet 2014, la délégation américaine a introduit, d’après la note, des amendements dans la partie sur le Sahara dudit rapport en supprimant toute référence «aux Etats voisins».

    Pour le makhzen, il s’agit d’un crime de lèse-majesté en ce sens que les Américains déclarent que l’Algérie n’est pas partie prenante au conflit. Rabat craint une grave crise avec l’Administration américaine, qui a changé de ton et de cap dans la perception du conflit au Sahara occidental. Et pour cause, l’ambassadeur des USA à Rabat a exprimé, le 31 juillet dernier, au MAE marocain ses doutes quant à la capacité de Christopher Ross à faire son travail avec la persistance des blocages de Rabat. La sous-secrétaire d’Etat aux affaires politiques, Wendy Sherman, a réitéré cette exigence en marge de la 69e session de l’Assemblée générale de l’ONU, au même titre que sa collègue la sous-secrétaire d’Etat Anne Patterson, lors de son entretien téléphonique avec la ministre marocaine déléguée aux Affaires étrangères.

    Après la crise d’avril 2013 quand les USA ont retiré à la dernière minute un projet de résolution élargissant le mandat de la Minurso, le désamour s’installe à nouveau entre le Maroc et son ancien parrain, les Etats-Unis. Et le divorce risque même d’être prononcé aux torts évidents du royaume.

    Chris Coleman, le fantôme du makhzen

    Il est Marocain et se fait appeler Chris Coleman. Ce hacker est en train d’ébranler le palais en dévoilant des documents sensibles et confidentiels (mails, ordres de virement, notes secrètes et autres courriers officiels). Il s’est aussi attaqué aux activités ultrasensibles de la Direction générale des études et de la documentation (DGED) rattachée au palais royal. Surnommé le «Snowden marocain», cet homme inonde depuis quelques jours les réseaux sociaux de la littérature sulfureuse dont le makhzen se serait volontiers passé. C’est la première fois que des documents secrets sont ainsi portés sur la place publique, qui plus est concernant la question hautement stratégique du Sahara occidental.

    Sans doute que ce petit génie de l’informatique empêche beaucoup de hauts responsables marocains de dormir.

    El Watan, 27 oct 2014

    #Maroc #ONU #SaharaOccidental #HackerChrisColeman #ChristopherRoss

  • Marocleaks: Bagarre permanente entre le Maroc, l’ONU et l’USA

    Marocleaks: Bagarre permanente entre le Maroc, l’ONU et l’USA

    Maroc, hacker Chris Coleman, Sahara Occidental, ONU, Etats-Unis, Front Polisario, diplomatie, lobbying,

    -Les documents révélés par « le Snowden du Maghreb » mettent en lumière les relations tendues entre le Maroc et les Nations unies.
    -Obama fait de nombreux gestes de soutien à l’équipe de Ban Ki-moon à Rabat
    -Le Maroc empêche le chef des « casques bleus » du Sahara de prendre ses fonctions.

    Le Secrétaire général de l’ONU « devra assumer sa responsabilité en cas d’effondrement du processus politique et de départ de la MINURSO [contingent de casques bleus] du Sahara », a prévenu Omar Hilale, ambassadeur du Maroc aux Nations unies, à son interlocuteur, Hervé Ladsous, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix.

    Cela pourrait conduire à une « explosion de guerre », a répondu Ladsous, consterné. L’ambassadeur a acquiescé et a ajouté : « Ce sera la seule responsabilité du secrétariat qui (…) fait tout pour attiser les tensions et déstabiliser la région, ce qui sera sans aucun doute exploité par la nébuleuse terroriste d’Al-Qaïda », si bien implantée au Sahel.

    Ces remontrances ont été faites par l’ambassadeur à New York le 26 avril, et sont contenues dans l’un des nombreux télégrammes diffusés depuis le début du mois par un tweeter anonyme qui se fait appeler Chris Coleman. Les câbles révèlent que le Maroc et les Nations unies, soutenues par les États-Unis, sont dans une sorte de querelle permanente au sujet de l’ancienne colonie espagnole.

    Les documents diplomatiques ne sont qu’une partie d’une série de révélations explosives provenant du tweeter. Parmi les documents divulgués, qui couvrent la période de 2012 à 2014, on trouve également des courriels sur des paiements, via un intermédiaire, des services secrets étrangers (DGED) à des journalistes et des groupes de réflexion, et sur des pourparlers pour l’achat d’armes et de munitions par l’équivalent marocain du ministère de la Défense.

    Bien que la presse casablancaise ait à peine parlé de ces fuites, les hautes sphères du pays sont en état de crise face à ce qu’elles considèrent comme une opération majeure visant à torpiller leur stratégie d’ancrage de la « marocanité » au Sahara occidental, dont l’Espagne s’est retirée il y a 39 ans. Les services secrets marocains ont ouvert une enquête sur cette fuite, qu’ils soupçonnent d’avoir pour origine l’Algérie.

    Les voisins africains

    Aux relations tendues de Rabat avec les Nations unies et, dans une moindre mesure, avec Washington, s’ajoute le conflit qu’elle a déclenché avec Paris fin février et qui perdure. Avec ses deux voisins africains, Alger et Nouakchott, les autorités marocaines entretiennent également des relations chroniquement mauvaises. Enfin, ils en veulent simplement au Caire parce qu’il a fait un geste envers le Front Polisario le week-end dernier. Dans son environnement politique, le Maroc entretient des relations cordiales avec un seul pays : l’Espagne.

    « Le Maroc exprime sa profonde déception, sa véritable colère et sa totale incompréhension face au contenu biaisé et tendancieux du rapport » du Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-moon sur le Sahara. Une délégation marocaine de haut niveau, présente à New York le 18 juin, s’est par exemple exprimée avec autant de force. Le rapport a été modifié avant d’être soumis au Conseil de sécurité.

    Cette prise de bec a des conséquences pratiques. La Canadienne Kim Bolduc, la nouvelle chef de la MINURSO (le contingent de l’ONU au Sahara) nommée par Ban Ki-moon en mai, n’a pas pu prendre son poste. Rabat lui oppose son veto parce qu’il la soupçonne de vouloir « s’immiscer dans des questions de droits de l’homme qui ne la concernent pas ».

    « Les États-Unis dirigent le processus politique pour trouver une solution » au conflit du Sahara, a rappelé David Dunn, l’ambassadeur américain à l’ONU, à son homologue marocain le 28 août. Il a ensuite exprimé sa « préoccupation » concernant le veto marocain au voyage de M. Bolduc au Sahara. Washington a fait au moins deux autres démarches similaires, mais Rabat n’a pas bougé.

    Au début du mois, l’ambassadrice adjointe Rosemary Dicarlo avait déjà rappelé aux Marocains non seulement le cas de Bolduc, mais aussi la nécessité de légaliser « davantage d’ONG basées au Sahara », c’est-à-dire celles qui sont favorables à l’indépendance, et de « mettre fin aux procès de civils [sahraouis] devant des tribunaux militaires ». « Les progrès sont très lents », a-t-il déploré. Tout cela avait pourtant été convenu lors de la visite du roi Mohammed VI à Washington en novembre 2013.

    Si Bolduc doit être empêché d’exercer ses fonctions, le diplomate américain Christopher Ross doit être démis de son poste d’envoyé personnel de Ban Ki-moon pour le Sahara. Depuis la fin du printemps, il demande à faire une tournée au Maghreb, mais Rabat n’est pas pressé de le recevoir.

    Contre Ross

    « Ross a démontré son hostilité prononcée envers le Maroc », note le rapport marocain, qui fixe la ligne à suivre sur le Sahara jusqu’en avril 2015. « Sans le confronter ouvertement, l’objectif est de le discréditer », conseille-t-il. « Sans en faire une victime, il faut l’obliger à renoncer à sa mission (…) » en mettant en œuvre une série de mesures.

    Elles consistent, par exemple, à « réduire autant que possible ses voyages au Maroc » et, s’ils ont lieu, « il doit être reçu à un niveau intermédiaire ». Un message de scepticisme devrait également être diffusé dans les « cercles informels (journalistes, universitaires, parlementaires, etc.) au sujet de Ross » : « Est-il l’homme de la situation ? L’ambassadeur Hilale le décrit comme un alcoolique maladroit qui a du mal à enfiler sa veste.

    Pour le remplacer, Rabat a déjà un candidat, Athar Khan, actuellement chef de cabinet d’Antonio Guterres, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés. « Il est intéressé et motivé », a écrit l’ambassadeur Hilali à son ministre le 31 août. De plus, Athar Khan a rendu d’innombrables services au Maroc, en s’arrangeant par exemple pour que Ross soit reçu par des fonctionnaires de bas niveau au bureau du Haut-Commissaire lors de sa visite à Genève en 2013.

    Dans cette tâche de discréditer Ross, la diplomatie marocaine a été aidée par le ministre espagnol des affaires étrangères, José Manuel García-Margallo. « Il serait bon qu’il avance plus rapidement sur le dossier et qu’il se concentre sur les questions centrales du dossier au lieu de se perdre dans des questions annexes », a déclaré le ministre espagnol à propos de Ross à Rabat en juin 2012, juste après que les autorités marocaines aient lancé leur première campagne contre lui.

    El Mundo, 29 déc 2014

    #Maroc #SaharaOccidental #ONU #ChristopherRoss #hackerChrisColeman #Diplomatie #Lobbying