Étiquette : ISIS

  • Les moyens d’actions d’Al-Qaida au Maghreb Islamique

    Les moyens d’actions d’Al-Qaida au Maghreb Islamique

    Tags : Al Qaïda au Maghreb Islamique, AQMI, EIGS, MUJAO, Etat Islamique, Daech, ISIS, Sahel,

    Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), branche du réseau Al-Qaida, a fait allégeance à Oussama Ben Laden le 13 septembre 2006 et est implanté dans la région du Sahel où il opère principalement. AQMI est organisée en deux commandements pour l’exécution de ses opérations : à l’Ouest sahélien, Mokhtar Belmokhtar dirige une unité qui concentre ses actions principalement sur la Mauritanie. A l’Est, Abou Zeid dirige et exécute des opérations armées au Nord du Mali jusqu’au Sud de la Tunisie.

    AQMI a pour objectif de créer un « Emirat Islamique » à l’échelle du Maghreb, le but étant de fondre l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie dans un unique Etat qui serait placé sous l’autorité d’un chef religieux, d’où la déstabilisation volontaire des régimes politiques de la sous-région. AQMI distingue généralement deux types d’ennemis : l’ennemi proche ou voisin qui fait référence aux pays maghrébins (qui se positionnent comme étant l’ennemi prioritaire à combattre) et l’ennemi lointain, qui renvoie à l’occident (et aux alliés des ennemies proches).

    A l’image des autres groupes terroristes existants, Al Qaida dispose de divers modes d’actions. En effet, une première fatwa, remonte au début des années 90, autorisait le financement du djihad par des activités illicites. Mais c’est 2001 qu’une autre fatwa de l’égyptien Abou Bassir al-Tartousi, légitime le recours au vol, au trafic en tout genre, à la contrebande et au racket, si cela pouvait servir le djihad. Depuis, ces pratiques ont largement été mis en œuvre et restent les principaux modes d’actions de l’AQMI.

    I. La prise d’otage ou les enlèvements

    La prise d’otage pour les groupes terroristes et plus particulièrement pour AQMI, reste le moyen le plus sure pour s’attirer tout le réseau média et l’attention de toute la communauté internationale. Le rapt, souvent accompagné de menaces de mort si les revendications de ses auteurs ne sont pas respectées, reste la source financièrement la plus rentable.

    Ainsi, les terroristes d’Al Qaida n’hésitent pas à recourir à ce moyen dès que l’occasion se présente pour d’une part, obtenir des rançons pour financer leur structure et acquérir des armements de plus en plus sophistiqué et puissants, et d’autre part, pour exiger la libération de membres terroristes emprisonnés dans les pays du Sahel. De ce fait, 90% des ressources d’AQMI proviennent des rançons versées et on évoque aussi 90 millions d’euros réclamés par AQMI, pour la libération des 4 otages (français enlevés au Niger en septembre 2010) encore retenus. Ce montant représente plus de deux fois l’aide annuelle de la France au Mali ou au Niger.

    1. Aperçu sur le nombre d’otages enlevés et tués dans le Sahel et au Nigeria depuis 2009

    3 juin 2009 : AQMI revendique la mort du Britannique Edwin Dyer, enlevé le 22 janvier dans la zone frontalière entre le Mali et le Niger. Trois autres touristes européens, deux Suisses et un Allemand enlevés avec lui sont libérés en avril et juillet.

    25 juillet 2010 : AQMI revendique l’exécution du Français, Michel Germaneau, un ancien ingénieur de 78 ans, enlevé dans le nord du Niger le 19 avril puis transféré au Mali.

    8 janvier 2011 : Antoine De Léocour et Vincent Delory (deux français) sont tués au cours d’une opération de sauvetage franco-nigérienne en territoire malien, au lendemain de leur enlèvement par des membres d’Aqmi dans un restaurant de Niamey.

    24 novembre 2011 : Philippe Verdon et Serge Lazarevic (deux Français) sont enlevés par des hommes armés dans le Nord-Mali. Un rapt qui porte aussi la griffe d’AQMI.

    25 novembre 2011 : Un Allemand est tué en tentant de résister à son enlèvement à Tombouctou (nord du Mali) par des hommes armés qui kidnappent trois autres touristes se trouvant avec lui. AQMI, qui a revendiqué l’enlèvement, a menacé en janvier dernier de tuer les trois otages, un Suédois, un Néerlandais et un Britannique ayant aussi la nationalité sud-africaine.

    8 mars 2012 : Deux ingénieurs britannique et italien, otages au Nigeria depuis le 12 mai 2011 sont tués. Les otages ont été « assassinés » par leurs ravisseurs appartenant au groupe islamiste Boko Haram.

    Les prises d’otages les plus marquantes restent celles des deux humanitaires espagnols Albert Vilalta et Roque Pascual enlevé en novembre 2009 puis libéré en mars 2010 en contrepartie d’une rançon estimée entre 5 et 10 millions de dollars versés à AQMI. Un français Pierre Camatte enlevée au Mali en 2009 a quant à lui été libéré en échange de la libération de quatre islamistes de l’organisation détenu par Bamako. Aujourd’hui, au total, 12 Européens dont 6 Français, sont encore retenus au Sahel par AQMI et le MUJAO.

    Si AQMI qui dispose de réseaux dans plusieurs pays sahéliens (Mauritanie, Mali, Niger, nord du Nigeria…) est bien derrière l’enlèvement des nombreux occidentaux, elle a aussi démontré qu’elle pouvait frapper les intérêts occidentaux dans toute la région sahélienne. Pour rappel, après la fin de la rébellion touareg au Niger en 2009, certains membres de la communauté touareg ont tissé des liens avec des islamistes armés et il leur arrive de vendre leurs services pour des enlèvements ou des trafics, sans pour autant partager leur idéologie, le but étant purement financier.

    Aussi, pour repérer ses cibles, AQMI s’appuie également sur le soutien des populations locales qui informe le groupe de la présence de touristes ou d’humanitaires dans la région et ce, par intérêt ou pour des raisons de solidarité ou par complicité. C’est dans ce sens que des groupes autonomes sans appartenance terroriste kidnappent et revendent des otages.

    Aujourd’hui il est difficile de chiffrer le nombre de prises d’otages dans le Sahel en raison de la nature même de ce type de crime. Les informations restent peu fiables et peu vérifiables car ce genre d’événements n’est pas toujours publiquement rapporté et les autorités des pays « victimes » ne sont pas toujours coopératifs. Cependant des consultants spécialisés dans la prise d’otage estiment qu’il y aurait annuellement entre 20.000 et 30.000 enlèvements dans le monde.

    2. Evolution de l’industrie de l’enlèvement dans le Sahel

    Au cours de cette décennie, ce sont près de 120 millions de dollars qui ont été collectés par les organisations terroristes en matière de paiements de rançons, avec en tête l’AQMI qui a encaissé le plus d’argent depuis 2008.

    A titre d’exemple, l’Espagne aurait payé 8 à 9 millions d’euros pour obtenir la libération de ses otages, le Canada quelques millions d’euros, l’Autriche entre 2 et 3,5 millions d’euros pour la libération de deux Autrichiens. L’Italie 3 millions d’euros en 2002/2003, l’Allemagne aurait payé 5 millions d’euros pour la libération d’otages européens, idem pour la Suisse. Des pays comme la Grande-Bretagne ne paient jamais de rançons.

    L’autre constat inquiétant, est l’augmentation continue des montants des rançons exigées, passant de 4,5 millions de dollars en 2010 à 5,4 millions de dollars en 2011. A titre d’exemple, une filiale d’Al-Qaïda aurait tenté d’extorquer des paiements annuels importants, estimés à des millions d’euros, auprès d’une société (probablement Areva) basée en Europe, en échange de la promesse de ne pas porter atteinte à ses intérêts en Afrique. Mais cela n’est que le début d’un cercle vicieux : en réalité payer une sorte de redevance annuelle à des groupes terroristes reviendrait à financer d’autres opérations d’enlèvements qui, à leur tour, conduisent à la demande d’autres rançons.

    Les américains appelleraient donc les gouvernements européens à ne plus payer de rançons, alors que les européens acceptent mal cette position car au final, tous les pays concernés finissent sous la pression et sous la menace d’exécuter les otages par payer des rançons pour voir libérer leurs ressortissants otages d’AQMI au Sahel. Lorsque ce ne sont pas les gouvernements qui paient, ce sont des entreprises privées qui sont sollicitées pour régler la rançon.

    II. Trafics, contrebande et racket

    Si le Sahel est considéré comme étant un véritable « hub » énergétique, il en est de même en matière de trafics en tout genre et de contrebande. La zone sahélienne est devenue le lieu de passage privilégié pour de nombreuses filières criminelles qui font aujourd’hui du Sahel une plaque tournante de plusieurs trafics. Aux portes de l’Europe (premier consommateur mondial), cette zone reste incontrôlée et l’Amérique du Sud n’est pas la seule région d’où provient la drogue qui transite par le Sahel : cocaïne et héroïne en provenance d’Afghanistan transit aussi par cette zone. Les marchandises remontent, ensuite vers l’Europe, empruntant des itinéraires clandestins à travers le Tchad, le Mali et le Niger. On estime ainsi aujourd’hui que le Sahel sert de transit à 50 voire 70 tonnes sur les 200 à 250 tonnes de cocaïne produite en Amérique du Sud.

    AQMI n’intervient donc pas directement dans le trafic, mais prélève une taxe imposée et illégale sur les transits de drogue, en contrepartie du contrôle et de la sécurité qu’elle assure aux trafiquants chargés d’approvisionner les pays du Sahel et lors des passages de convois.

    La contrebande de cigarettes à travers le Sahel est également une pratique très courante et génératrice de revenus difficilement chiffrable, mais qui se compterait annuellement en plusieurs centaines de millions d’euros. Les marchés visés par ces trafics sont d’abord ceux du Maghreb, de l’Egypte et du Moyen-Orient. Cette contrebande très lucrative attire fortement les groupes terroristes locaux qui, s’ils ne s’impliquent pas directement, imposent un « service de protection » aux contrebandiers contre une dîme sur la marchandise, d’où l’implication particulière de Mokhtar Belmokthar, un des responsables d’AQMI alias « Mister Marlboro», dans le trafic de cigarettes au Sahel.

    III. Appuis et investissements extérieurs

    Ces appuis sont constitués de dons plus ou moins volontaires en provenance des communautés maghrébines installées en Europe et plus généralement à l’étranger. Ces fonds sont transférés via des organismes financiers de transferts de fonds (Western Union…). Le rapatriement de ces fonds est peu contrôlé et les traces difficiles à remonter, compte tenu du fait que de faux documents et renseignements justifiant l’origine et la destination des fonds sont présentés.

    Aussi, AQMI serait soutenu voire assister financièrement et militairement par des pays comme : l’Arabie Saoudite, la Libye, l’Iran ou encore le Pakistan. L’objectif étant de bénéficier de la protection d’AQMI pour ce qui est de leurs intérêts économiques et financiers dans la région du Sahel.

    Depuis la prise en otage de 16 personnes travaillant pour la multinationale Areva, au Niger, en septembre 2010, AQMI tirerait aussi ses soutiens financiers de firmes multinationales qui utilisent AQMI comme un moyen criminel pour atteindre des fins stratégiques.

    IV. Recrutements, Kamikazes et le réseau Internet

    AQMI ne compterait aujourd’hui que 500 combattants actifs, autour de Abdelmalek Droukdal, le chef du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, au nord-est de l’Algérie. On compte 400 autres combattants logés dans le nord du Mali, soit un faible nombre de terroristes, au sein d’une organisation marquée par des tensions internes entre chefs rivaux et dont certains sont idéologiquement intransigeants et d’autres tout simplement des trafiquants.  Au total, d’après les données qui circulent dans le milieu du renseignement, il y aurait entre 500 et un millier de terroristes membres d’AQMI, essentiellement répartis entre les katibas du Sahel et celles du nord de l’Algérie. Pour information, au moins 150 terroristes auraient été arrêtés, tués ou se sont rendus entre janvier et octobre 2012.

    Les moyens d’action d’AQMI ne sont pas que financiers, ils sont aussi humains, notamment à travers le recrutement des jeunes maghrébins généralement en détresse pour en produire des postulants au martyre. Le recrutement se fait principalement en Algérie, dont 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le recrutement se fait également au niveau des prisons (notamment françaises) où cohabitent délinquants mineurs et terroristes. Ces derniers enrôleraient des jeunes en leur inculquant une idéologie meurtrière durant des séances d’endoctrinement.

    Si ce n’est pas au sein des prisons, c’est sur le réseau Internet que le groupe AQMI attire des volontaires à travers des vidéos (diffusées en plusieurs langues pour toucher le maximum de zones géographiques) et des messages de vengeance à l’encontre des apostats, des juifs et des « mécréants ». Le but étant une propagande très bien étudiée pour promouvoir le djihad et inciter les jeunes au service de la cause d’AQMI.

    Enfin pour reprendre Jean Luc Marret, spécialiste des questions de violence, du terrorisme et des Etats fragiles, AQMI est « une entreprise politique, composée de professionnels, exigeant une formation, poursuivant une carrière et pratiquant un métier, ayant des partenaires (…) disposant d’un capital, à la recherche de publicité et dont le nom équivaudrait à une marque ».

  • La guerre contre le terrorisme a renforcé le pouvoir de l’État

    La guerre contre le terrorisme a renforcé le pouvoir de l’État

    Terrorisme, Etat Islamique, Daech, Al Qaïda, salafisme, ISIS,

    La résistance est futile

    Par Thomas Hegghammer

    « Quel était, » je demande parfois aux étudiants d’un cours que je donne sur l’histoire du terrorisme, « le nom de la branche de l’État islamique en Europe ? ». C’est une question piège : l’État islamique (également connu sous le nom d’ISIS) n’a jamais créé de branche européenne à part entière. Le calife autoproclamé du groupe, Abu Bakr al-Baghdadi, savait mieux que quiconque qu’il ne fallait pas essayer. En 2014, lorsque l’ISIS a officialisé sa séparation d’Al-Qaïda et s’est imposé comme l’acteur dominant du mouvement salafiste-jihadiste mondial, les services de sécurité occidentaux avaient compris comment rendre impossible l’établissement d’une base d’opérations en Europe ou en Amérique du Nord. Comme Al-Qaïda avant lui, ISIS n’a jamais été présent en Occident que sous la forme de cellules et de sympathisants disparates. Une organisation terroriste traditionnelle – avec une bureaucratie fonctionnelle, des lieux de rencontre réguliers et une production de propagande interne – aurait, comme Baghdadi et ses sbires l’ont compris, eu aussi peu de chance de survivre dans un pays occidental contemporain que la proverbiale boule de neige en enfer.

    En fait, cela fait des décennies qu’il n’est plus possible de diriger une organisation terroriste majeure, capable de monter une campagne soutenue d’attentats de grande envergure, en Europe ou en Amérique du Nord. Même les plus notoires des mouvements séparatistes et des milices d’extrême droite qui ont vu le jour dans les pays occidentaux, et dont la rhétorique peut sembler menaçante, sont des opérations relativement modestes ; elles survivent parce qu’elles tuent relativement peu de personnes et ne parviennent jamais à attirer toute l’attention des autorités. Les dernières organisations terroristes à fort impact basées en Occident – les séparatistes basques de l’ETA en France et en Espagne et les paramilitaires loyalistes et républicains en Irlande du Nord – se sont effondrées dans les années 1990 sous le poids des contre-mesures étatiques.

    Dans le sillage des attentats du 11 septembre, il semblait que tout cela allait changer. Et bien sûr, les deux dernières décennies ont été marquées par des attaques horribles contre des cibles molles occidentales : l’attentat à la bombe contre une gare à Madrid en 2004, l’attaque d’une salle de concert à Paris en 2015, l’assaut contre une boîte de nuit à Orlando, en Floride, en 2016, entre autres. Mais ces crimes n’étaient pas le fait d’organisations implantées localement, et aucun des auteurs n’a pu frapper plus d’une fois. Bien que, pendant un certain temps, ces essaims d’attaquants faiblement connectés aient périodiquement déjoué les services de sécurité et de renseignement occidentaux, ces derniers se sont adaptés et, de manière définitive, ont prévalu.

    Aussi spectaculaires qu’elles aient été, les attaques du 11 septembre n’ont pas indiqué, comme beaucoup le craignaient, que de grandes et puissantes organisations terroristes avaient pris racine en Occident et menaçaient les fondements de son ordre social. Entre-temps, la crainte persistante d’une telle issue – qui n’a jamais été probable – a rendu beaucoup de gens aveugles à une tendance opposée : le pouvoir coercitif sans cesse croissant de l’État technocratique. L’intelligence artificielle ayant déjà renforcé cet avantage, la menace d’une rébellion armée majeure, du moins dans les pays développés, devient pratiquement inexistante.

    NIVEAU DE MENACE : SEVERE

    À l’aube de ce siècle, les perspectives étaient bien différentes. Les attentats du 11 septembre 2001 étaient largement considérés comme le signe avant-coureur de la montée en puissance d’acteurs non étatiques ultra-létaux qui, beaucoup en étaient convaincus, disposaient de cellules dormantes bien équipées dans de nombreuses villes occidentales, avec des militants qui se fondaient dans les communautés sans se faire remarquer en attendant l’ordre de frapper. Au cours des semaines et des mois qui ont suivi immédiatement le 11 septembre, les preuves de l’existence de ces cellules semblaient être partout : fin septembre et début octobre 2001, une série de lettres contenant de l’anthrax ont été envoyées aux bureaux du Sénat américain et à des organes de presse, et le 22 décembre 2001, un Britannique converti à l’islam sur un vol à destination de Miami a été maîtrisé par ses compagnons de voyage après avoir essayé de mettre le feu à ses chaussures, qui contenaient des explosifs en plastique. Un flux constant de rapports médiatiques a suggéré que les djihadistes avaient accès à des armes de destruction massive. À la fin de l’année 2002, les décideurs ont été surpris par des rapports des services de renseignement indiquant qu’Al-Qaïda prévoyait d’utiliser un dispositif à deux chambres appelé « mubtakkar » (mot arabe signifiant « invention ») pour libérer du cyanure dans le métro de New York. Plus personne n’est à l’abri, insinuaient les présentateurs de journaux télévisés en montrant le baromètre officiel des menaces aux États-Unis, qui clignotait périodiquement en rouge pour signifier « grave ».

    L’anxiété ambiante s’est reflétée, sous une forme quelque peu atténuée, dans la réflexion universitaire et stratégique. Après les attaques mortelles au gaz sarin dans le métro de Tokyo perpétrées par la secte extrémiste Aum Shinrikyo en 1995, des universitaires comme Walter Laqueur ont commencé à parler du « nouveau terrorisme », une forme de violence politique caractérisée par le zèle religieux, l’organisation décentralisée et la volonté de faire un maximum de victimes. Les attentats du 11 septembre ont contribué à populariser ces idées, ainsi que l’idée que les sociétés occidentales étaient particulièrement vulnérables à cette nouvelle menace.

    L’islamisme militant a effectivement progressé dans les années 1990, et Al-Qaïda a considérablement relevé la barre en démontrant l’ampleur des dégâts que des acteurs non étatiques pouvaient infliger à un pays puissant. À l’époque, les services de sécurité nationale de la plupart des pays occidentaux étaient plus petits qu’aujourd’hui, et comme ces services comprenaient moins bien les acteurs auxquels ils étaient confrontés, les scénarios les plus pessimistes étaient moins facilement démystifiés. Pourtant, il est clair rétrospectivement que les horreurs du 11 septembre ont effrayé beaucoup de gens et les ont poussés à un pessimisme excessif.

    La plus grande erreur d’analyse, cependant, n’a pas été de surestimer l’ennemi, mais de sous-estimer la capacité des pays riches et développés à s’adapter et à rassembler des ressources contre les nouvelles menaces. Au lendemain des attentats du 11 septembre, les commentateurs ont souvent dépeint les gouvernements de ces États comme des bureaucraties léthargiques dépassées par des rebelles au pied léger. Au fil des années, cependant, on a vu apparaître des technocraties dynamiques, dotées de moyens financiers importants et d’enquêteurs et d’agents hautement qualifiés. Pour chaque dollar dans les coffres d’ISIS, il y a au moins 10 000 dollars dans la banque centrale américaine. Pour chaque fabricant de bombes d’Al-Qaïda, il y a un millier d’ingénieurs formés au MIT.

    Lorsqu’ils ont été confrontés à des menaces pour la sécurité sur leur propre sol, la plupart des États occidentaux ont plié leurs propres règles.
    Les gouvernements occidentaux se sont également révélés moins scrupuleux à l’égard de la préservation des droits civils que ce à quoi beaucoup s’attendaient dans les premières années de la guerre contre le terrorisme. Confrontés à des menaces de sécurité sur leur propre sol, la plupart des États occidentaux ont contourné ou enfreint leurs propres règles et ont négligé de se montrer à la hauteur de leurs idéaux libéraux autoproclamés.

    L’un des biais cognitifs les plus répandus dans l’analyse stratégique consiste à considérer le comportement de l’adversaire comme régi par des facteurs exogènes, tels qu’une stratégie rusée ou des ressources matérielles. Mais le terrorisme est un jeu stratégique entre des États et des acteurs non étatiques, et ce que les rebelles sont capables de faire dépend fortement des contre-mesures prises par un État. En bref, il importe peu que les nouveaux terroristes soient bons, car ceux qui les pourchassent sont encore meilleurs.

    Pour comprendre pourquoi, il faut examiner les fondements de la compétition. Les groupes terroristes dans les États occidentaux – ou dans tout autre pays pacifique et relativement stable, d’ailleurs – sont généralement de minuscules factions qui ne contrôlent aucun territoire. Négligés par les forces combinées de l’État, ils bénéficient d’un avantage clé : l’anonymat. Ils peuvent opérer tant que les forces de l’ordre ignorent qui ils sont et où ils sont basés. Le contre-terrorisme est donc fondamentalement une affaire d’information : les services de sécurité s’efforcent d’identifier et de localiser les suspects, tandis que ces derniers tentent de rester cachés. Une campagne de terrorisme est une course contre la montre, dans laquelle les terroristes parient qu’ils peuvent attirer de nouvelles recrues ou vaincre l’État plus vite que la police ne peut les traquer.

    Grâce aux enquêtes, à l’analyse des renseignements et aux recherches, les connaissances de l’État sur les terroristes augmentent progressivement. S’ils ne parviennent pas à attirer de nouvelles recrues assez rapidement pour rendre ces connaissances constamment obsolètes, les terroristes perdront la course. La plupart des campagnes terroristes suivent donc une courbe d’activité qui commence par un niveau élevé, puis diminue progressivement, avec parfois un sursaut à la fin lorsque les militants font une dernière tentative désespérée pour renverser la vapeur.

    Les campagnes terroristes sont également façonnées par les technologies de communication. Les nouvelles techniques de cryptage, par exemple, peuvent aider les terroristes à échapper à la détection, et les nouvelles plateformes de médias sociaux peuvent les aider à diffuser leur propagande et à recruter de nouveaux membres. Mais les groupes terroristes ne disposent généralement que d’une brève fenêtre pour profiter des fruits de chaque nouvelle technologie avant que les États ne développent des contre-mesures telles que le décryptage ou la surveillance. Par exemple, en 2003, les agents d’Al-Qaïda en Arabie saoudite ont utilisé les téléphones portables avec beaucoup d’efficacité, mais en l’espace d’un an, la surveillance gouvernementale a fait de ces mêmes appareils un handicap.

    LA PREMIÈRE GUERRE CONTRE LE TERRORISME

    De manière générale, les États occidentaux ont mené deux guerres dites « contre le terrorisme » : l’une contre Al-Qaïda au cours de la première décennie de ce siècle et l’autre contre ISIS dans les années 2010. Dans chaque cas, une nouvelle organisation s’est développée, en grande partie inaperçue, dans une zone de conflit, avant de surprendre la communauté internationale par une offensive transnationale, pour être ensuite repoussée par un effort de contre-terrorisme désordonné. Dans chaque cas, les militants ont d’abord bénéficié d’agents et de sympathisants inconnus des gouvernements occidentaux, mais ont perdu cet avantage lorsque ces derniers ont cartographié leurs réseaux. De même, les innovations technologiques ont profité aux terroristes au départ, mais sont devenues une vulnérabilité au fil du temps.

    Al-Qaïda est né d’un petit groupe d’anciens combattants arabes du djihad afghan des années 1980 qui, au milieu des années 1990, ont décidé de mener une guerre asymétrique contre les États-Unis pour mettre fin à ce qu’ils considéraient comme l’impérialisme occidental dans le monde musulman. Le groupe s’est renforcé à la fin des années 1990, en partie grâce à l’accès à des territoires en Afghanistan, où il a entraîné des combattants et planifié des attaques dans une paix relative. Des centaines de volontaires du monde musulman, d’Europe et d’Amérique du Nord ont participé à ces camps entre 1996 et 2001. Les gouvernements occidentaux n’y ont guère prêté attention, car ils ne les considéraient pas comme une menace majeure pour le territoire des États-Unis ou de l’Europe. Le 11 septembre, le groupe a bénéficié de l’élément de surprise et de l’anonymat relatif de ses agents.

    L’élan d’al-Qaïda a duré une demi-décennie de plus, les États occidentaux s’efforçant de cartographier les réseaux du groupe. Le centre de Guantánamo Bay, qui a été mis en place au début de l’année 2002 pour emprisonner des personnalités importantes d’Al-Qaïda mais qui a fini par détenir principalement des personnes de bas niveau (et certaines personnes qui n’avaient aucun lien avec le groupe), est un monument à ce problème d’information précoce. En 2002, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, a qualifié les détenus de Guantánamo de « pires des pires ». En réalité, les États-Unis n’avaient guère d’idée du rôle, le cas échéant, que ces détenus avaient joué dans Al-Qaïda, car les autorités de Washington savaient relativement peu de choses sur les opérations ou le personnel du groupe.

    Pendant ce temps, Al-Qaïda lui-même grandissait et se transformait d’une organisation en un mouvement idéologique. Il a attiré des milliers de nouveaux sympathisants dans le monde entier, en partie grâce à la publicité générée par les attentats du 11 septembre, en partie grâce à la croissance de la propagande jihadiste en ligne et en partie grâce à l’indignation des musulmans suscitée par l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003. Entre 2001 et 2006, des cellules formées ou inspirées par Al-Qaïda ont perpétré de multiples attentats en Europe, dont les plus célèbres sont les attentats de Madrid en 2004 et les attentats à la bombe dans le métro de Londres en 2005. Des dizaines de complots ont également été déjoués, comme celui de 2006 dans lequel une cellule basée au Royaume-Uni prévoyait de faire exploser plusieurs avions commerciaux en apportant les ingrédients de la bombe à bord dans de petits conteneurs et en assemblant les bombes après le décollage. (Ce complot est la raison pour laquelle, aujourd’hui encore, les passagers ne sont pas autorisés à faire passer des bouteilles d’eau aux contrôles de sécurité des aéroports).

    Mais les capacités des services de renseignement occidentaux s’accroissent également. Dans toute l’Europe occidentale et en Amérique du Nord, le nombre d’analystes travaillant sur le djihadisme est monté en flèche à la suite du 11 septembre. Les services de sécurité des États ont conçu de nouveaux systèmes de collecte de renseignements d’origine électromagnétique et ont échangé davantage d’informations entre eux. De nombreux pays ont adopté des lois qui ont effectivement abaissé la barre des enquêtes et des poursuites contre les suspects, souvent en élargissant la définition de l’activité terroriste pour y inclure la fourniture d’un soutien logistique aux groupes terroristes. Les disques durs ont commencé à se remplir de données, les imprimantes à produire des graphiques de réseaux et les enquêteurs à étudier les points les plus fins de l’idéologie islamiste.

    Le vent a finalement tourné vers 2007. À cette époque, les réseaux qu’Al-Qaïda avait développés en Europe avant le 11 septembre avaient tous été démantelés et les autorités avaient trouvé le moyen d’arrêter un certain nombre de religieux extrémistes basés dans des pays occidentaux. Le nombre de complots djihadistes en Europe a diminué, tout comme la quantité de propagande d’al-Qaïda en ligne. Sur les forums de discussion jihadistes en ligne, où les utilisateurs se sentaient auparavant suffisamment en sécurité pour partager leurs numéros de téléphone, la crainte de l’infiltration et de la surveillance est devenue palpable. Les branches d’al-Qaïda au Moyen-Orient étaient également en perte de vitesse, notamment en Irak et en Arabie saoudite. Les États-Unis ont connu une brève recrudescence des attentats en 2009 et 2010 – liée en partie à l’influence du prédicateur salafi-jihadiste yéménite américain Anwar al-Awlaki – mais cela n’a pas suffi à changer le tableau général. En 2011, l’humeur des cercles occidentaux de lutte contre le terrorisme était devenue prudemment optimiste. La vague de soulèvements populaires dans le monde arabe qui a commencé à la fin de 2010, et qui a été connue sous le nom de Printemps arabe, promettait de mettre fin à l’autoritarisme que beaucoup considéraient comme la cause première du jihadisme. Lorsque les phoques de la marine américaine ont tué Oussama ben Laden à Abbottabad, au Pakistan, le 2 mai 2011, il était possible d’envisager que la guerre contre le terrorisme touchait à sa fin.

    Foreign affairs, septembre/octobre 2021

  • Turquie : La police annonce la capture d’une personnalité du groupe État islamique

    ISTANBUL (AP) – Un proche collaborateur du chef du groupe État islamique Abou Bakr al-Baghdadi a été arrêté à Istanbul, a annoncé la police dimanche.

    Le ressortissant afghan, identifié uniquement par son nom de code Basim, a été arrêté mercredi dans le quartier d’Atasehir, sur la rive asiatique de la ville, selon un communiqué de la police d’Istanbul.

    Les rapports de presse sur l’opération conjointe avec l’agence de renseignement turque ont déclaré que le suspect avait été impliqué dans l’aide à la dissimulation d’al-Baghdadi dans la province syrienne d’Idlib après la chute du groupe en 2019.

    Al-Baghdadi a été tué lors d’un raid sur sa cachette syrienne par les forces spéciales américaines en octobre 2019.

    Les médias turcs ont publié la photo d’un homme chauve et barbu vêtu d’un manteau léger à la suite de l’arrestation, ainsi qu’une image antérieure, prétendument de la même personne, montrant un homme aux cheveux longs, fortement barbu, en treillis militaire, brandissant une épée incurvée.

    L’agence de presse Demiroren a déclaré que Basim était soupçonné d’avoir organisé des entraînements pour IS en Syrie et en Irak, et d’avoir fait partie de son conseil décisionnel.

    Il est arrivé en Turquie avec un faux passeport et une fausse carte d’identité, a précisé l’agence.

    La Turquie détient régulièrement des suspects de l’EI, dont beaucoup sont soupçonnés de planifier des attaques dans le pays.

    Associated Press, 2 mai 2021

    Etiquettes : Turquie, Daech, Etat Islamique, ISIS, terrorisme, Abou Bakr al-Baghdadi,

  • Terrorisme : La raison du silence de Salah Abdeslam doit être recherché au Maroc

    A l’occasion du 5ème macabre anniversaire des attentats terroristes qui ont secoué le Belgique en 2016, la RTBF, télévision a diffusé un documentaire d’investigation sur la question.

    L’émission a dévoilé que le procès des accusés démarrera probablement en septembre 2022. « Un procès hors norme à plus d’un titre : Neuf mois d’audience sont prévus, 700 parties civiles sont déjà constitutés, 10 accusés sont sur le bond, parmi eux Salah Abdeslam et Mohamed Abrini, seul terroriste de l’aéroport encore en vie ». Les mêmes hommes seront d’abord jugés une première fois à Paris: Ce sera déjà en septembre prochain dans le cadre des attentats du 13 novembre puisque c’est le même groupe de terroristes qui a commis les deux attentats à Paris.
    Le documentaire s’est replongé sur le parcours de Salah Abdeslam qui est la figure la plus tristement connue de ces attentats. « Comment un petit délinquant est devenue terroriste? »; s’interroge l’émission. Elle est revenu aussi sur son silence depuis 5 ans, lui qui, au départ, collaborait avec les enquêteurs, répodant à leurs questions lors du premier interrogatoire. « Salah Abdeslam sortira-t-il de son silence pour livrer enfin les explications que les victimes attendent? » est la question que les enquêteurs n’ont pas pu répondre.
    Malgré que certains intervenant dans l’émission avancent l’hypothèse selon laquelle, Abdeslam aurait pu être influencé par son compagnon de cellule dans la prison de Bruges, l’assassin des juifs d’Anderlecht.
    Il est très probable que les services de sécurité soient infiltrés par les terroristes puisque la diffusion par la presse des noms des frères Bakraoui ont poussé ces derniers à commettre le massacre de l’aéroport de Zaventem. La deuxième erreur de la police belge était celle de transférer Salah Abdeslam vers la prison de Bruges.
    Il est très probable que le silence soit expliqué par la crainte par sa famille. C’est une pratique très courante au Maroc visant à neutraliser les opposants en s’en prenant à leurs familles au Maroc. Salah, a-t-il été menacé de représailles contre sa famille? En tout cas, l’implication des services secrets marocains dans les attentats terroristes commis en Europe n’est plus un secret pour personne. Du moins, au Maroc.
    Tags : Belgique, terrorisme, Daech, Etat Islamique, ISIS, Salah Abdeslam, Maroc, Frères Bakraoui, 
  • Le Maroc face à la question du rapatriement de 1 137 djihadistes et leur famille présents en Syrie

    Le chef de l’antiterrorisme marocain Habboub Cherkaoui a déclaré qu’il y avait encore 1 137 citoyens de son pays détenus en Syrie et que leur rapatriement constituait «un défi sécuritaire majeur». En mars 2019, le Maroc avait rapatrié 8 djihadistes.

    Dans un entretien accordé à l’agence espagnole EFE le 19 mars 2021, Habboub Cherkaoui, qui dirige le Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ), estime qu’il y a encore 1 137 citoyens marocains en Syrie. Pour la plupart, ces djihadistes sont détenus dans des camps, accompagnés de leurs femmes et enfants.

    Interrogé au sujet d’un éventuel rapatriement de ces ressortissants engagés en faveur du «califat», le chef du BCIJ a souligné que cette question était une décision politique qui devait être prise «dans le cadre de la coalition internationale existante», faisant référence à l’alliance militaire menée par les Etats-Unis, dont la France, la Grande-Bretagne, l’Arabie saoudite ou le Maroc sont membres.

    Pour le chef de l’antiterrorisme marocain, le retour de ces citoyens constitue «un défi sécuritaire majeur» pour le Maroc comme pour les autres pays. «Pour nous, ces personnes représentent un danger, car elles ont accumulé une formation et une expérience dans la guerre des gangs, le maniement des armes, la fabrication d’explosifs et de voitures piégées, ainsi que la propagande et l’endoctrinement», a-t-il expliqué.

    L’ONG marocaine Observatoire du Nord des droits de l’Homme a exhorté en février dernier le gouvernement marocain à intervenir pour rapatrier les femmes et les enfants détenus dans ces camps, tout en dénonçant les conditions «dures et inhumaines» dans lesquelles ils vivent, compte tenu du manque de nourriture et d’eau potable, ainsi que de l’insécurité qui règne dans la région. Le Parlement marocain a aussi formé une commission chargée d’étudier le cas des parents et orphelins des djihadistes de Syrie et d’Irak, ainsi que les possibilités de leur rapatriement.

    Huit citoyens marocains rapatriés en mars 2019

    Selon les chiffres du BCIJ – créé en 2015 –, un total de 1 654 combattants ont quitté le Maroc pour la zone syro-irakienne afin de combattre dans les rangs de divers groupes djihadistes, dont 1 060 au sein de Daesh. Sur tous ces combattants, 745 sont morts et 270 sont retournés dans leur pays d’origine. La plupart d’entre eux sont jugés grâce à une réforme du Code pénal approuvée en 2015 pour punir l’action de «rejoindre des zones de conflit pour pratiquer le djihad» par des peines allant de cinq à dix ans de prison. Avec ces djihadistes ont voyagé 288 femmes marocaines, dont la plupart ont eu des enfants une fois arrivées sur place. Les autorités estiment que 189 femmes et 309 enfants se trouvent toujours dans des camps de détention en Syrie.

    Le dernier rapatriement de citoyens marocains engagés en Syrie a eu lieu en mars 2019 en coordination avec les Etats-Unis, alliés des Forces démocratiques syriennes (FDS) qui avaient alors vaincu Daesh et anéanti le dernier bastion du groupe dans la ville syrienne d’Al Baguz. A l’époque, huit d’entre eux avaient été rapatriés au pays. Habboub Cherkaoui a précisé que les personnes qui ont choisi de revenir ont d’abord fait l’objet d’une enquête de sécurité et bénéficient désormais de programmes socio-économiques visant à faciliter leur réintégration sociale et celle de leurs enfants.

    En Syrie, toutes nationalités confondues, on estime que 22 000 mineurs étrangers et 45 000 femmes sont internés dans le seul camp d’Al Hol (nord-est de la Syrie). Jusqu’à présent, les pays occidentaux n’ont accepté de libérer qu’un nombre très limité de ces détenus, tous faisant face à la délicate question de leur rapatriement eu égard à la nécessité de préserver la sécurité du public.

    RT, 21 mars 2021

    Tags : Maroc, ISIS, Etat Islamique, Daech, terrorisme,


  • Sahel, l’autre menace djihadiste

    L’Espagne a jeté son dévolu sur les héritiers de l’État islamique en Afrique subsaharienne, des groupes armés et très violents.

    Après leur expulsion de Syrie et d’Irak, les groupes djihadistes ont pris pied dans la région du Sahel. Une étroite bande de no man’s land en Afrique subsaharienne comprenant 11 pays : le Sénégal, le sud de la Mauritanie, le Mali, le nord du Burkina Faso, l’extrême sud de l’Algérie, le Niger, le nord du Nigeria, la bande centrale du Tchad et du Soudan, l’Érythrée et le nord de l’Éthiopie.

    C’est là que l’ancien État islamique est à l’aise, menaçant non seulement les États voisins, mais aussi l’ensemble de l’Europe.

    En fait, le gouvernement espagnol a jeté son dévolu sur ces groupes semi-nomades, islamistes et armés qui se consacrent à l’enlèvement d’étudiants, à l’attaque de soldats et à la pose de voitures piégées.

    C’est ce que dit la secrétaire d’État aux affaires étrangères, Cristina Gallach, lorsqu’elle explique que le terrorisme djihadiste, en particulier en provenance du Sahel, continue d’être l’une des graves menaces pour la sécurité mondiale et pour l’Espagne en particulier.

    Ce n’est pas en vain que, selon les données dont dispose le ministère de l’Intérieur, sur les 10 pays qui ont subi l’année dernière un plus grand nombre d’attaques terroristes, sept se trouvent dans la zone du Sahel, « très proche de l’Espagne ».

    Le haut responsable politique explique que c’est le résultat du déplacement des groupes terroristes du Moyen-Orient et du Proche-Orient vers cette région, car « bien que Daesh se soit calmé, il y a de plus en plus de réseaux djihadistes situés en Afrique », notamment dans des endroits relativement proches de l’Afrique du Nord et de l’Europe, comme la Mauritanie, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et le Tchad.

    Mais il n’y a pas que le terrorisme djihadiste au Sahel, les services de renseignement se montrent également très préoccupés par d’autres zones comme le Golfe de Guinée, où l’on craint que des groupes liés à la piraterie ne soient liés à des islamistes.

    M. Gallach souligne qu’afin de coopérer avec les pays touchés par cette  » dynamique d’expansion dans la zone sahélienne  » des groupes terroristes, l’Espagne collabore à la formation de leurs forces de sécurité, en plus de participer avec leurs gouvernements à des travaux de développement dans des domaines tels que l’agriculture, le soutien aux femmes et aux jeunes filles et l’éducation, et ainsi  » renforcer  » la société et empêcher le recrutement de djihadistes.

    Montée exponentielle

    Les experts de la police espagnole mettent en garde contre la « croissance extraordinaire » du recrutement de djihadistes sur les réseaux sociaux pendant la période de la pandémie de coronavirus.

    Selon les données de l’annuaire du terrorisme djihadiste en 2020, 2 350 attaques ont été commises dans le monde, soit une augmentation de plus de 50 % par rapport à 2019, qui a fait 9 748 morts, soit 5 % de plus que l’année précédente.

    Le directeur de l’Observatoire international pour l’étude du terrorisme (OIET), Carlos Igualada, explique que le fait que le nombre de morts ait augmenté dans une moindre mesure que le nombre d’attentats est dû au fait qu’après la défaite militaire de Dáesh, il n’y a plus autant d’actions indiscriminées contre la population civile, mais que la cible principale de celles-ci sont les forces de sécurité.

    La majorité des décès, 3 959, ont été enregistrés en Afghanistan, suivi du Nigeria (1 463), du Burkina Faso (799), du Mali (624) et du Niger (380).

    Igualada souligne également que près de la moitié des attentats perpétrés sur le sol européen entre 2018 et le premier semestre 2020 ont été commis par des détenus radicalisés ou déjà condamnés précédemment pour leurs liens avec le djihadisme.

    De l’avis des auteurs de l’annuaire, cela montre qu’une révision des programmes de déradicalisation et de prévention du radicalisme mis en œuvre dans les prisons est nécessaire.

    Le rapport montre que 37 personnes ont été arrêtées en Espagne en 2020 pour leur implication dans des activités djihadistes, soit 21 de moins qu’en 2019. Ils ont été arrêtés lors de 23 opérations, la majorité, sept, à Madrid, suivie de cinq à Barcelone, deux à Alicante et Las Palmas de Gran Canaria et une à Saragosse, Almería, Ciudad Real, Melilla, Tarragone, Valence, Gérone, Guipúzcoa, Tolède et Castellón.

    Diario de Avila, 21 mars 2021

    Tags : Sahel, Mali, Etats Islamique, ISIS, Daech, JNIM, Al Qaida, Barkhane, terrorisme,

  • La Tunisie rapatrie depuis la Libye des femmes et des enfants qui seraient liés à des djihadistes

    La Tunisie a rapatrié au moins 16 femmes et enfants accusés de liens avec des combattants djihadistes extrémistes emprisonnés dans la Libye voisine ravagée par la guerre, ont annoncé mercredi des groupes de défense des droits. Deux groupes distincts de détenus, totalisant six femmes et 10 enfants, ont été remis par les autorités libyennes à la frontière tunisienne plus tôt en mars, a déclaré Mustapha Abdelkebir, de l’Observatoire tunisien des droits de l’homme.

    La nouvelle de leur libération est venue alors que le président tunisien Kais Saied s’est rendu en Libye mercredi, premier dirigeant de son pays à le faire depuis neuf ans, pour rencontrer le gouvernement d’unité nouvellement investi de la Libye.

    La Libye a sombré dans le chaos après que le dictateur Mouammar Kadhafi a été renversé et tué lors d’un soulèvement soutenu par l’OTAN en 2011, avec un ensemble de forces luttant pour combler le vide, créant un terrain fertile pour que des groupes djihadistes comme le groupe État islamique prennent racine.

    Les djihadistes ont utilisé la Libye sans loi comme zone de transit pour une série d’attaques sanglantes en Tunisie, mais un nouveau gouvernement d’unité soutenu par l’ONU en Libye cherche à restaurer la stabilité. Les militants ont exhorté Saied à plaider pour la libération d’autres personnes toujours
    détenues en Libye . «Nous espérons que… le président Saied fera tout son possible pour accélérer le retour de ceux qui sont toujours détenus», a déclaré Mohamed Iqbel Ben Rejeb, du groupe de campagne de l’Association de sauvetage des tunisiens piégés à l’étranger.

    Abdelkebir a estimé qu’environ 20 enfants tunisiens sont toujours détenus en Libye et environ 15 femmes. Les enfants actuellement en Tunisie, âgés de 3 à 17 ans, ont été remis aux services sociaux avant leur possible retour dans leur famille. Les six femmes sont détenues dans une prison tunisienne avant leur procès, a déclaré Abdelkebir. La question du rapatriement des citoyens partis combattre à l’étranger est vivement débattue en Tunisie, après plusieurs attentats sanglants menés sur le territoire national par des Tunisiens formés en Libye.

    The North Africa Journal, 18 mars 2021

    Tags : Tunisie, Libye, familles des djihadistes, ISIS, Daech, Etat Islamique,

  • Les forces de l’est de la Libye disent que des militants locaux de l’EI sont capturés

    BENGHAZI, Libye (AP) – Un homme fort de l’armée de l’est de la Libye a déclaré avoir arrêté dimanche un haut combattant présumé de l’État islamique local dans une ville du sud-ouest connue pour être une cachette militante.

    Mohammed Miloud était autrefois un dirigeant de l’EI dans la ville côtière de Syrte, détenu par le groupe avant d’être chassé lors d’une campagne soutenue par les États-Unis en 2016, a déclaré le porte-parole Ahmed al-Mosmari.

    Le chef militant aurait été impliqué dans plusieurs attaques dans le soi-disant croissant pétrolier du pays – dont les ports et les champs pétroliers représentent la part du lion de la production et des exportations de pétrole de la Libye, a-t-il déclaré.

    Il a ajouté que Miloud aurait été impliqué dans l’enlèvement de quatre ingénieurs italiens en 2016. Les Italiens ont ensuite été libérés après le versement d’une rançon de quatre millions d’euros aux militants, a-t-il déclaré.

    Les commentaires d’Al-Mosmari, porte-parole des forces dirigées par le général Khalifa Hifter, n’ont pas pu être vérifiés de manière indépendante.

    La Libye est dans la tourmente depuis qu’une guerre civile en 2011 a renversé l’autocrate de longue date Moammar Kadhafi, qui a ensuite été tué.

    The Philadelphia Inquirer, 14 mars 2021

    Tags : Libye, Daech, ISIS, Etat Islamique, terrorisme,

  • Le contre-terrorisme : L’État islamique en Afrique

    Au cours des quatre dernières années, la plupart des violences terroristes islamiques se sont déplacées vers l’Afrique. À l’heure actuelle, les dix pays les plus touchés par les décès liés au terrorisme sont l’Afghanistan, l’Irak, le Nigeria, la Syrie, le Pakistan, la Somalie, l’Inde, le Yémen, les Philippines et le Congo. Certaines nations souffrent davantage de la violence non-islamique. C’est le cas de l’Inde, des Philippines, du Yémen et du Congo, qui connaissent tous le terrorisme islamique, mais qui ne représente qu’une minorité des décès liés au terrorisme. Le Nigéria le ferait aussi, sauf qu’une grande partie de ses décès terroristes non islamiques sont le fait de musulmans qui attaquent d’autres musulmans pour des raisons purement économiques. Malgré cela, en 2018, les décès liés au terrorisme dans le monde ont diminué de 15 % pour atteindre 15 952. En 2019, il y a eu 13 826 décès et la baisse s’est poursuivie en 2020. Cette baisse est, jusqu’à présent, une tendance sur cinq ans. Même la Syrie a connu moins de décès au cours des dernières années. L’Égypte a connu une baisse encore plus spectaculaire de 90 % en 2018 et cette baisse s’est poursuivie, mais les gros titres ne couvrent pas de telles tendances. Le vieil adage de l’actualité, « si ça saigne, ça mène » est plus vrai que jamais et au Nigéria, il y a des titres sanglants tous les jours à cause du terrorisme islamique ou de la violence tribale.

    Depuis 2014, cinq nations (l’Irak, l’Afghanistan, le Nigeria, la Syrie et le Pakistan) ont représenté la plupart des décès liés au terrorisme. Cette liste a récemment changé, la Syrie et le Pakistan étant remplacés par la Somalie et le Mali (y compris les États sahéliens voisins). La principale source de décès liés au terrorisme islamique au cours de cette période est l’ISIL (État islamique en Irak et au Levant), une faction plus radicale d’Al-Qaïda qui est actuellement le praticien le plus radical du terrorisme islamique. Le terrorisme islamique reste, comme depuis les années 1990, la principale source de décès liés au terrorisme, représentant environ 90 % des décès. Le reste des décès liés au terrorisme sont dus à des conflits ethniques (souvent tribaux) en Afrique et en Asie. Le terrorisme purement politique ne représente qu’une fraction d’un pour cent de tous les décès liés au terrorisme et est dépassé par les décès liés au terrorisme infligés par des criminels de droit commun (souvent organisés).

    C’est au Nigeria que l’on enregistre le plus de décès dus au terrorisme islamique. La principale raison en est qu’environ la moitié des Nigérians sont chrétiens, mais que la plupart d’entre eux vivent dans le sud, où se trouvent le pétrole et la plupart des économies développées. Les chrétiens sont mieux éduqués et réussissent mieux sur le plan économique, ce qui paraît injuste à de nombreux Nigérians musulmans. Après tout, les chrétiens sont des infidèles et des ennemis de l’islam. Boko Haram est plus direct et croit que tous les chrétiens doivent se convertir à l’islam. Ceux qui résistent doivent être tués ou réduits en esclavage. La plupart des musulmans nigérians ne sont pas d’accord avec l’attitude de Boko Haram à l’égard des chrétiens. Boko Haram considère que les musulmans qui ne sont pas d’accord avec eux sur les méfaits des chrétiens sont des ennemis de l’islam et sont passibles de mort s’ils ne changent pas d’attitude.

    Si le terrorisme islamique reste un problème majeur au Nigeria, ce n’est pas le cas dans le reste du monde. Le terrorisme islamique ne domine plus l’actualité mondiale depuis que l’ISIL a été largement supprimé. Les décès liés au terrorisme islamique dans le monde ont chuté de plus de 50 % depuis 2014, année où l’on en comptait 35 000. Cette activité est surtout visible dans le GTI (Global Terrorism Index), qui recense toutes les formes de terrorisme. Cela place le Nigeria dans le top 10, car ses victimes de la violence de Boko Haram n’y suffiraient pas. Depuis un an environ, la plupart des décès liés au terrorisme au Nigeria sont dus à des guerres tribales, un problème qui existait bien avant l’arrivée de l’islam en Afrique subsaharienne, il y a environ mille ans. C’est à peu près à cette époque que l’Islam a connu une évolution religieuse au cours de laquelle la science et la technologie sont passées d’un domaine d’étude utile à un sujet interdit pour les musulmans dévots. C’était un effet secondaire d’une guerre civile qui a détruit le califat (empire islamique) à cause du nationalisme et des conflits sur l’identité des nouveaux califes (chefs du califat). Cette attitude a donné naissance à Boko Haram, qui se traduit par « L’éducation des infidèles est interdite ». La plupart des musulmans préféreraient une attitude plus positive à l’égard de la technologie, mais de telles attitudes vous feront tuer lors des flambées périodiques de terrorisme islamique qui ont eu lieu au cours du dernier millénaire. Au sein du monde islamique, des efforts sont déployés pour changer cette situation. C’est difficile car il y a eu une autorité centrale pour décider de ce qui est le « vrai Islam » et ce qui ne l’est pas. C’est une question importante pour les musulmans, car l’islam a été fondé en tant que religion servant également de forme de gouvernement. Aucune autre grande religion n’a intégré cela dans ses croyances fondamentales, telles que décrites dans le Coran (la bible musulmane). Cette guerre civile permanente est actuellement représentée par le conflit entre l’Iran, qui suit l’école chiite de l’islam et est actuellement dirigé par une dictature religieuse. Les chiites représentent environ dix pour cent de tous les musulmans, tandis que les sunnites de la ligne principale en représentent environ 80 %.

    Les sunnites n’ont pas de chef reconnu et sont divisés en de nombreuses sous-sections. L’Arabie saoudite est considérée comme l’État sunnite le plus influent du fait qu’elle est arabe et dirigée par le clan des Saoud, qui a pris le contrôle des deux plus importants sanctuaires islamiques (La Mecque et Médine) en 1920, lorsque l’Empire turc ottoman a été démantelé par les alliés victorieux de la Première Guerre mondiale, principalement la Grande-Bretagne et la France. La majeure partie du monde arabe n’avait pas été indépendante pendant des siècles après que les Turcs eurent pris le contrôle de l’Empire romain d’Orient, un processus qui s’est achevé au 15e siècle et a réussi à survivre jusqu’au 20e siècle (1918). Les Turcs ont résolu le problème du calife/califat en reconnaissant le souverain ottoman (le sultan) comme calife et en éliminant tous les musulmans qui contestaient cette prétention. Le XXe siècle a également entraîné une dépendance mondiale à l’égard du pétrole, dont la majeure partie se trouve dans les régions à majorité musulmane. Soudain, les radicaux islamiques ont eu accès à plus d’argent que jamais auparavant. Les radicaux islamiques n’avaient aucune objection à accepter l’argent des infidèles pour leur pétrole, et ils ont fini par utiliser toute cette richesse pour attaquer les États infidèles, tout en cherchant à prendre le contrôle des zones à majorité musulmane. C’est pourquoi le terrorisme islamique a connu une flambée sans précédent à la fin du XXe siècle. Des groupes comme Boko Haram méprisaient toujours l’éducation infidèle, mais étaient désireux d’acheter tous les gadgets et les armes que la révolution scientifique et industrielle occidentale avait rendus possibles. La contribution musulmane à toutes ces nouvelles technologies était minuscule et l’est toujours, bien que de nombreux États à majorité musulmane fassent des efforts pour devenir plus compétitifs dans le domaine de la technologie.

    Les États à majorité musulmane du Moyen-Orient et d’Asie ont été plus efficaces dans la mise en place de gouvernements capables de contrôler leurs terroristes islamiques. L’Afrique est à la traîne dans ce domaine, en partie parce que l’Afrique subsaharienne est la dernière région à avoir été exposée à la révolution scientifique et industrielle ainsi qu’au nationalisme. En outre, il existe de nombreux pays africains où les musulmans sont minoritaires et largement dirigés par des gouvernements corrompus et incompétents. Cela offre davantage de possibilités aux groupes terroristes islamiques de s’établir. Au début du 21e siècle, l’Afrique, malgré tous ses problèmes économiques, gouvernementaux et d’infrastructure, était l’endroit le plus facile pour les groupes terroristes islamiques de survivre et même de prospérer. Néanmoins, chaque pays africain victime du terrorisme islamique a constaté que le problème avait une saveur locale.

    En Afrique du Nord-Est, en Somalie, la principale source de décès dus au terrorisme islamique est Al Shabaab, un groupe local affilié à Al Qaeda. La présence d’ISIL est minuscule et survit à peine dans le nord de la Somalie. Al Shabaab tente de s’étendre aux pays voisins comme le Kenya, l’Éthiopie et l’Ouganda, mais n’a guère de succès.

    En Afrique centrale, le Mali, pays enclavé, est le centre d’une activité terroriste islamique croissante qui s’est étendue aux pays voisins, le Niger et le Burkina Faso qui, comme le Mali, est enclavé et compte 17 millions d’habitants (environ 20 % de plus que le Mali). Le Burkina Faso n’a pas non plus de minorité touareg/arabe gênante dans le nord. Le Burkina Faso étant situé au sud du Mali, il n’a pas non plus le nord semi-désertique du Mali. C’est là que vit la minorité touareg/arabe. Le Burkina Faso présente également une plus grande diversité religieuse, un quart de la population étant chrétienne et 60 % musulmane. De plus, la population musulmane se compose de plusieurs « écoles » différentes de l’Islam, dont certaines sont assez hostiles au terrorisme islamique sunnite tel que pratiqué par Al-Qaïda et ISIL. En revanche, le Niger et la Mauritanie sont presque entièrement musulmans et ont toujours été le foyer de certains conservateurs islamiques qui n’étaient satisfaits que si leurs voisins adoptaient également le conservatisme islamique.

    L’ISIL ne dispose pas d’une autorité centrale efficace pour le moment, les hauts dirigeants étant toujours dispersés et en fuite après les récentes défaites dans l’est de la Syrie et l’ouest de l’Irak. Au Nigeria, Boko Haram est divisé en factions et l’une d’entre elles, l’ISWAP (Islamic State West Africa Province) est l’une des deux filiales d’ISIL en Afrique centrale. Il est souvent difficile, au début, de déterminer quelle faction de Boko Haram a commis une attaque. En fin de compte, l’une des factions s’en attribue le mérite. ISWAP est généralement plus rapide à le faire et dispose d’une opération médiatique beaucoup plus efficace que la plupart des groupes terroristes islamiques basés en Afrique. L’ISWAP constate également que l’utilisation des techniques d’ISIL présente un inconvénient. Davantage de nations occidentales sont disposées à aider le Nigeria ou du moins à coordonner le contre-terrorisme existant dans la région (de la Somalie au Mali et sur la côte atlantique). Il existe de petites factions d’ISIL dans le nord de la Somalie, le sud de la Libye et l’est de l’Algérie. Ces groupes étaient autrefois plus importants mais ont subi de lourdes pertes du fait des efforts de lutte contre le terrorisme au niveau local et/ou international.

    Au Mali, la violence s’est déplacée depuis 2012 du nord au centre du pays, où 74 % des 1 500 morts de 2019 ont eu lieu. Les autres se trouvaient dans le nord-est, où ISIL est le plus actif. La situation au Mali central est pire qu’il n’y paraît car dans la province sahélienne adjacente du Burkina Faso, il y a eu 918 décès en 2019. Les deux provinces peuvent en accuser les groupes terroristes islamiques qui les utilisent pour leur opération de trafic de drogue/de personnes (au nord vers la côte méditerranéenne) qui est si lucrative qu’elle s’est étendue, au moins dans le centre et le nord du Mali, pour inclure l’extorsion et toutes sortes d’activités criminelles. Au centre de toute cette violence et de ces activités lucratives se trouvent les tribus Fulani, qui sont nombreuses (20 millions en tout) sur une bande de territoire qui s’étend du centre du Mali, au nord du Mali, puis au sud du Niger et au nord du Nigeria.

    Les troupes françaises au Mali ont tué le chef d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) au cours d’une opération menée par le Miod-2020. Il s’agissait d’un événement important car le Maghreb est le terme arabe désignant l’Afrique du Nord et c’est de là que venait AQMI. La plupart des violences terroristes islamiques en Afrique du Nord ont eu lieu dans les années 1990 et, en 2000, les groupes terroristes islamiques étaient en déclin. Ce déclin se poursuit aujourd’hui et a conduit de nombreux survivants d’Al-Qaïda à se diriger vers le sud où ils ont tenté de reconstituer leurs forces en recrutant des locaux. Cette démarche s’est heurtée à des problèmes, car la population majoritairement arabe d’Afrique du Nord ne s’est jamais bien entendue avec les populations non arabes vivant au sud du désert du Sahara. L’AQMI a introduit le concept de terrorisme islamique dans cette région, ce qui a conduit à la formation de groupes terroristes islamiques locaux qui ont opéré indépendamment de l’AQMI. En conséquence, le plus grand groupe terroriste islamique au Mali est le JNIM (Jamâ’ah Nusrah al Islâm wal Muslimîn, ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). Il s’agit d’une coalition d’Al-Qaïda formée début 2017 pour consolider les nombreux groupes terroristes islamiques distincts au Mali. Il s’agissait en partie d’une réaction à la menace croissante d’ISIL, qui est hostile à tous ceux qui ne sont pas ISIL et qui attaquent ou recrutent parmi les membres du JNIM comme AQMI, Ansar Dine, FLM et plusieurs autres groupes plus petits. Une autre raison de la fusion était de faciliter la mise en commun des ressources, notamment des informations et des conseils pratiques, et la coordination avec les autres groupes terroristes islamiques de la région. Cela réduit les frictions et les querelles destructrices. Il est toujours difficile de faire fonctionner une coalition de ce type, surtout si l’on considère l’importance des différences ethniques.

    Le FLM est Fulani (la plus grande contribution tribale locale) tandis que les autres groupes sont en grande partie touaregs et arabes, et certains comptent beaucoup d’étrangers. Notez que le JNIM n’a pas absorbé tous les groupes d’AQMI dans la région, mais seulement les groupes locaux qui étaient depuis longtemps identifiés à Al-Qaïda. Les revenus du trafic de drogue permettent à un grand nombre de ces factions de rester en activité et les terroristes islamiques savent que le commerce et le fanatisme religieux ne font pas bon ménage. Les groupes qui ne le font pas font faillite et se désintègrent.

    Les membres des groupes terroristes islamiques ont évolué et les membres les plus radicaux du JNIM ont rejoint des groupes plus radicaux comme ISIL, qui est universellement détesté par les autres terroristes islamiques et les musulmans en général. Début 2020, des membres maliens d’ISIL ont publié une vidéo sur Internet dans laquelle le groupe prêtait allégeance à Abu Hamza al Qurayshi, le nouveau chef d’ISIL. En 2018, il y avait deux « provinces » d’ISIL en Afrique centrale. La plus petite était l’ISGS (État islamique dans le Grand Sahara), qui a fait son apparition en 2018. L’ISGS est actuellement actif au Mali, au Burkina Faso et au Niger. L’autre province ISIL, légèrement plus ancienne et plus grande, était l’ISWAP, qui est en fait une faction des terroristes islamiques nigérians de Boko Haram qui existait depuis 2004. Le personnel de l’ISWAP se trouve principalement dans le nord-est du Nigeria, ainsi qu’en plus petit nombre au Tchad, au Niger et dans le nord du Cameroun.

    Il y a eu des frictions croissantes entre l’ISGS et le JNIM (et d’autres affiliés d’Al-Qaïda). Ce n’est pas inhabituel car, dans le monde entier, ISIL exige que tous les autres groupes terroristes islamiques reconnaissent la suprématie d’ISIL. Cela ne se produit plus que rarement. Dans les zones où ISIL et al-Qaïda opèrent tous deux, il y a généralement une trêve informelle ou, comme c’est le cas actuellement au Mali, une guerre ouverte. Les groupes ISIL sont généralement inférieurs en nombre mais survivent souvent parce qu’ils sont plus impitoyables et vicieux. Dans le nord du Mali, l’ISGS accuse également le JNIM de collaborer avec les forces de sécurité contre le groupe ISIL. Ce n’est pas inhabituel dans le monde entier, mais on ne sait pas si cela se produit réellement au Mali. Ce qui se passe, c’est que l’ISGS continue de recruter de nouveaux membres dans les factions d’Al-Qaïda. C’est ainsi qu’ISIL a été créé en 2013 et cette pratique se poursuit.

    Alors que les terroristes islamiques sont la source de beaucoup de violence et de mort au Mali et dans les pays voisins, la principale source de mort violente reste les querelles tribales. Au Mali, la principale est celle qui oppose les Peuls et les Dogons et, jusqu’à présent, en 2020, cette querelle a tué plus de personnes que toute la violence terroriste islamique au Mali.

    Strategy Page, 12 mars 2021

    Tags : Terrorism, ISIS, Africa, Daesh, JNIM, Al Qaeda,

  • Le conflit entre Al-Qaida et l’État islamique au Sahel, un an après


    Héni Nsaibia

    Une année s’est écoulée depuis que les relations entre la Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affiliée à Al-Qaida, et l’État islamique du Grand Sahara (ISGS) se sont détériorées en une véritable guerre de territoire au Sahel, rejoignant la ligue de conflit entre Al-Qaida (AQ) et l’État islamique (IS). Le conflit entre le JNIM et l’ISGS est l’un des plus meurtriers au monde. Ce que les batailles inter-jihadistes dans l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique ont en commun, c’est qu’elles sont soit cycliques, soit en déclin progressif. Il est probable que les combats entre le JNIM et l’ISGS suivront une voie similaire, surtout étant donné la pression extérieure à laquelle les deux groupes sont confrontés du fait de l’opération Barkhane menée par les Français.

    Le JNIM et l’ISGS – respectivement les filiales régionales des organisations terroristes mondiales Al-Qaeda et l’État islamique – ont des origines communes dans le réseau d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI). L’ISGS s’est formé en 2015 après s’être séparé d’Al-Mourabitoun, affilié à Al-Qaida, bien que ses relations avec ses homologues d’Al-Qaida soient restées caractérisées par la collusion, la coexistence et des accords territoriaux tacites. Créé en 2017, le JNIM a rassemblé plusieurs groupes jihadistes disparates – dont la branche saharienne d’AQMI, Al-Mourabitoun, Ansar Dine et Katiba Macina dans un conglomérat sahélien – et a également lié le groupe jihadiste burkinabé local Ansaroul Islam à l’alliance.

    La relation unique entre les deux groupes a été façonnée par des liens personnels de longue date, des actions coordonnées pour faire face aux ennemis communs et l’absence de luttes intestines entre jihadistes. Elle est souvent décrite comme « l’exception sahélienne ». La configuration du JNIM et de l’ISGS d’avant l’entre-deux-guerres a permis de mettre en commun les ressources, d’échanger des techniques commerciales et d’apporter un soutien dans un écosystème insurrectionnel complexe et ambigu pour confondre les ennemis sur la nature des affaires du jihad et le paysage de contrôle. L’ISGS est apparu comme un petit groupe d’ombre dépendant d’une infrastructure médiatique rudimentaire, ce qui lui a donné un net désavantage dans la promotion de sa lutte par rapport au JNIM, qui a en revanche hérité de la force numérique, des capacités militaires et médiatiques combinées de ses groupes constitutifs déjà bien connus.

    Cependant, l’appropriation des griefs de l’ISGS, en particulier les demandes de protection et la négligence de l’État, et l’exploitation des rivalités entre les populations pastorales dans la région marginalisée et hostile de la « frontière des trois États » (ou le Liptako-Gourma), ont permis sa croissance. En tirant parti d’une série de conflits et de problèmes locaux, l’ISGS a également réussi à intégrer des unités JNIM affaiblies ou marginalisées. Dans la région rurale de Gao, il a instauré la confiance en s’engageant dans la lutte entre les communautés Imghad, principalement arabes et touareg, et en attirant Katiba Salaheddine dans ses rangs. Des désaccords sur l’accès aux pâturages dans le delta intérieur du Niger (les zones humides inondables et riches en végétation des régions de Mopti et de Ségou, au centre du Mali) ont provoqué des dissensions au sein de Katiba Macina et ont incité les combattants à changer d’allégeance à l’État islamique. La violence le long des lignes de fractures ethniques dans le nord du Burkina Faso a également permis à l’ISGS d’attirer des unités islamiques Ansaroul en marge.

    La concurrence croissante entre le JNIM et l’ISGS a mis en parallèle la collusion des deux groupes. La réticence du JNIM à partager le territoire de certains de ses bastions traditionnels et le braconnage incessant de l’ISGS à l’encontre des membres du premier ont probablement engendré des perceptions mutuelles de trahison. L’ouverture du JNIM à engager le dialogue avec le gouvernement malien et à signer des accords avec les miliciens de Donso a suscité la méfiance à l’égard de l’engagement et de la crédibilité de la coalition tacite. L’intégration de l’ISGS dans la structure globale de l’État islamique en tant que faction distincte de la Province de l’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (ISWAP) a mis le dernier clou dans le cercueil de la coalition tendue entre le JNIM et l’ISGS.

    L’insurrection a atteint son point culminant en 2019 lorsque le JNIM et l’ISGS, dans une offensive simultanée, ont envahi les avant-postes militaires dans la région frontalière des trois États, forçant les armées locales à se retirer. Cette année-là, les activités de l’ISGS avaient atteint un niveau presque équivalent à celui du JNIM. Au début de l’année 2020, la France a déclaré l’ISGS « ennemi numéro un » après que le groupe ait tué plus de 400 soldats maliens, burkinabés et nigériens en un an au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

    Pour contrer l’assaut de l’ISGS, la France a renforcé ses troupes et intensifié les opérations militaires aux côtés des forces locales. Plus de 430 combattants de l’ISGS ont été tués dans 70 opérations françaises en 2020, contre environ 230 combattants du JNIM tués dans 20 opérations pendant la même période. Après avoir affaibli les capacités de l’ISGS, les forces françaises en octobre 2020 se sont concentrées sur le JNIM, qui était considéré par les hauts responsables militaires français comme « l’ennemi le plus dangereux » pour les forces internationales et maliennes. Cela a été démontré par une série d’attaques meurtrières menées récemment par le JNIM contre les forces françaises, la Mission intégrée multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et les forces maliennes.

    Cependant, la désunion et les combats entre l’ISGS et le JNIM ont finalement affaibli l’insurrection, les groupes se disputant par intermittence l’influence et le territoire entre eux plutôt qu’avec leurs adversaires communs. Cela a entraîné un gaspillage de ressources humaines et a exposé les groupes à la surveillance et aux frappes aériennes. Depuis les premières escarmouches en 2019 jusqu’à aujourd’hui (au 2 janvier 2021), les deux groupes se sont affrontés au moins 125 fois, ce qui a entraîné la mort de 731 combattants des deux côtés.

    Lors de la première escalade entre janvier et avril 2020 dans le delta intérieur du Niger, le JNIM a largement poussé l’ISGS hors de la zone, bien que l’ISGS maintienne des poches discrètes comme à Dialloube et Kounari, dans la région de Mopti. Les combats se sont rapidement étendus à d’autres zones. L’est du Burkina Faso, le long des frontières avec le Niger et le Bénin, a connu des combats sporadiques, mais c’est dans la région frontalière des trois États que les combats les plus acharnés ont eu lieu (voir figure ci-dessous). La région frontalière des trois États constitue un terrain d’action essentiel que le JNIM et l’ISGS continuent de contester – dans la propagande de l’État islamique décrit comme le « triangle de la mort ».

    Plus important encore, les combats reflètent un changement dans le rapport de force entre les deux groupes et la capacité de l’ISGS à défier sérieusement le JNIM. Ni le JNIM ni l’ISGS n’ont réussi à pénétrer loin dans les bastions traditionnels de l’adversaire ou à y maintenir une présence plus que négligeable, ce qui souligne l’importance du niveau d’enracinement de chaque groupe et le rôle des affinités géographiques et ethniques. L’État islamique se vante souvent des prétendues victoires de l’ISGS contre le JNIM dans sa propagande. Cela reflète la demande de l’État islamique central à sa filiale régionale d’adopter une position plus hostile envers son concurrent d’Al-Qaida, après avoir intégré l’ISGS dans l’infrastructure organisationnelle en mars 2019. Le JNIM, en revanche, s’est donné beaucoup de mal pour étouffer les hostilités, et a plutôt utilisé de manière plus subtile des récits de victimes pour discréditer le fait que l’ISGS cible souvent de manière excessive les civils. Cela fait partie de l’approche plus globale du JNIM visant à obtenir un large soutien populaire en relocalisant et en intégrant sa lutte. Ainsi, l’ISGS et le JNIM présentent des trajectoires opposées et des approches différentes. Néanmoins, les deux plateformes ont prouvé leur efficacité pour la mobilisation armée dans une région en proie à un conflit. Pour l’instant, elles représentent deux visions incompatibles de l’ordre social insurgé.

    Malgré les fréquents combats entre le JNIM et l’ISGS, le premier continue de mener une guerre sur plusieurs fronts et maintient un rythme opérationnel important. Cependant, la guerre entre le JNIM et l’ISGS devient de plus en plus coûteuse car les deux sont confrontés à la pression soutenue des forces contre-insurrectionnelles menées par la mission française de l’opération Barkhane. Des déconflits ont peut-être déjà eu lieu dans certains endroits, comme dans l’est du Burkina Faso, où les combats étaient sporadiques. Par conséquent, l’ISGS et le JNIM pourraient convenir d’un modus vivendi, même s’il est peu probable que la relation revienne au statu quo ante bellum.



    ISPI (Istituto per gli Studi di Politica Internazionale), 7 mars 2021

    Tags : Sahel, France, Barkhane, Mali, Nusrat al-Islam wal-Muslimin, JNIM, Al-Qaida, État islamique du Grand Sahara, ISGS, ISIS, Al Qaida,