Étiquette : Luna Reyes

  • Maroc – Espagne : Muchas gracias Luna !

    par Kamal Guerroua

    Immortalisée pour l’éternité par des photographes, la scène qui n’a pourtant rien de spécial, fait le tour du monde : Luna Reyes, bénévole espagnole de 20 ans pour la Croix-Rouge, prend dans ses bras un migrant sénégalais sur la plage El Tarajal, à Ceuta. Ce dernier effondré et en plein déprime pensait alors avoir perdu son frère dans la traversée. Immédiatement, la jeune Espagnole se retrouve dans le collimateur des centaines d’internautes sur les réseaux sociaux qui la harcèlent. Mais pourquoi ? Un seul tort à leurs yeux: pas question de réconforter le jeune migrant de 27 ans, accusé de tous les maux de la terre pour avoir tenté de retrouver son bonheur dans l’autre rive de la Méditerranée.

    Le geste humaniste de Luna a même fait réagir les ténors de l’extrême droite européenne et espagnole, dont Vox. Sur la chaîne de télévision espagnole RTVE, la bénévole décrit avec amertume le lynchage médiatique qu’elle a gratuitement subi : «Ils ont vu, se plaint-elle, que la personne que je réconfortais était de couleur noire, ils n’ont cessé de m’insulter et de me dire des choses horribles et racistes.» Et pour contrecarrer cette vague de haine, une campagne médiatique d’ampleur #GraciasLuna («Merci Luna») a été lancée sur les réseaux sociaux. Et en quelques jours seulement, un média local a retrouvé la trace de Abdou, le migrant sénégalais qui a été expulsé vers le Maroc, où il vit avec son frère depuis cinq ans!

    Pour rappel, environ 8.000 réfugiés, profitant d’un différend diplomatique entre Rabat et Madrid, ont gagné récemment Ceuta, comptant rejoindre dans leur ultime escale l’eldorado européen. Mais le rouleau compresseur des gardes-côtes qui les attend au bout semble promettre à l’écrasante majorité d’entre eux»le retour à la case départ» pour destin. En France, dans le pays voisin, le climat n’en est pas moins doux pour les migrants. Jean-Luc Jalmain, dit «Juan La solidarité», est en appel devant la cour de Grenoble. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Juan est un militant humaniste, solidaire avec les migrants, qui avait écopé en décembre 2018 de la peine lourde de douze mois de prison, dont quatre ferme, lors du fameux procès des «sept de Briançon». Son tort, c’est d’avoir participé, en avril 2018, au col de l’Échelle (les Hautes Alpes), à une manifestation pour protester contre l’action coup de poing du groupuscule d’extrême droite «Génération identitaire».

    En effet, Juan avait simplement marché, avec d’autres manifestants, en passant la frontière franco-italienne pour dénoncer la militarisation de leur territoire et les discours de haine à l’égard des exilés qui transitent par ces montagnes en quête de refuge. Lors de cette marche, une personne supposée étrangère aurait franchi la frontière aux côtés des manifestants. Une aubaine pour le parquet, qui a dès lors choisi de les poursuivre pour avoir «facilité l’entrée irrégulière» de ressortissants étrangers en France! Depuis trois ans, dans le Briançonnais, une quinzaine de militants ont été jugés pour de pareils motifs. Une soixantaine de maraudeurs solidaires ont même reçu des amendes, notamment lors des couvre-feux liés à la crise sanitaire de la Covid-19. Et au moins six nouvelles personnes ont été poursuivies pour « aide à l’entrée» des migrants.

    Bref, entre la sympathie de Luna et le combat de Juan en faveur des migrants dans cette Europe des Droits de l’Homme, il n’y a, semble-t-il, que le mot humanité qui puisse l’emporter sur la bêtise des hommes, des lois et des frontières…

    Le Quotidien d’Oran, 01 juin 2021

    Etiquettes : Espagne, Ceuta, Maroc, Migration, racisme, xénophobie, Luna Reyes,

  • Ceuta : Le calin qui a secoué la toile

    Est-ce un moment de sympathie ou une menace pour votre existence ?
    La catégorie Imagerie examine comment une image détermine notre perception de la réalité. Cette semaine : L’étreinte d’une bénévole qui est venue la soutenir lors d’attaques racistes.

    À la suite d’un conflit diplomatique entre l’Espagne et le Maroc, au début de la semaine dernière, neuf mille personnes sont arrivées en l’espace de 36 heures à Ceuta, une enclave espagnole qui borde le Maroc. Ils sont venus à la nage, à pied àa travers un gué dans l’eau ou dans des bateaux en caoutchouc, ils se sont échoués épuisés sur la plage de Tarajal. Cela a dû être accablant, une sorte de pièce de théâtre chaotique avec différents groupes de personnes : les migrants, venant du Maroc et d’Afrique subsaharienne, les policiers, les gardes-frontières, les soldats dans leurs véhicules blindés, les photographes, les journalistes, les travailleurs humanitaires. Rétrospectivement, Luna Reyes dira aux journalistes : « Nous n’avons pas été formés pour voir une telle chose ».

    Elle n’était pas préparée à ce qu’elle a vu. Néanmoins, la volontaire de 20 ans de la Croix-Rouge espagnole – queue de cheval haute, élastiques au poignet, petit tatouage sur le bras – a fait ce qu’on attendait d’elle. Elle a aidé les adolescents qui pleuraient sur les derniers mètres à travers la haute marée, elle s’est assurée que les mères avec leurs enfants étaient en sécurité, elle a distribué de l’eau. Elle a posé sa main sur le cou d’un jeune homme blasé, en maillot de bain rouge, originaire du Sénégal. Il a entouré sa taille de ses bras, a posé sa tête contre son épaule et s’est accroché à elle comme si elle était une bouée de sauvetage.

    Le scène n’est pas passé inaperçue. Elle a été filmée par le photographe espagnol de l’AP, Bernat Armangué (42 ans) qui, provenant de Barcelone, était arrivé sur la plage vers midi. Il s’y promène un moment avant de se concentrer sur le groupe de migrants auquel appartient Abdou du Sénégal. Ce dernier s’est effondré, écrit Armangué, lorsqu’il a cru qu’un de ses amis (qui se révélera plus tard être son frère) était en train de mourir, ce à quoi Luna Reyes a tenté de le réconforter. J’ai réalisé que c’était un moment important : la connexion était authentique, un bref moment d’empathie entre deux personnes qui ne se connaissaient pas ».

    Déchets racistes

    Beaucoup de gens pensaient le contraire. Alors que la photo s’est répandue comme une traînée de poudre sur Internet, Luna Reyes (20 ans, volontaire – je le répète) a été bombardée d’insultes racistes, provenant du coté nationaliste de la droite espagnole et de personnes qui étaient « simplement » contrariées par l’arrivée de tant de migrants. Sous le hashtag #GraciasLuna, un contre-mouvement encore plus important a rapidement émergé, présentant Reyes comme la personnification de tout ce qui est bon en Espagne, mais entre-temps, l’étudiante elle-même avait déjà dû mettre ses comptes de médias sociaux en mode privé. Lorsque la télévision espagnole a rendu visite à Abdou, qui avait entre-temps été renvoyé au Maroc, et l’a réuni avec Reyes par vidéoconférence, celle-ci n’a pas voulu être reconnue à l’écran.

    Le photographe Armangué ne s’attendait pas à ce que sa photo déclenche tout cela. Il se trouvait à Ceuta pour faire un reportage sur une crise humanitaire en cours, dit-il par courriel. Les journalistes doivent informer et les citoyens peuvent ensuite décider s’ils veulent être informés. Les photographies, dit Armangué, peuvent déclencher des sentiments intenses. La façon dont vous réagissez dépend de qui vous êtes, de ce que vous croyez et de l’endroit où vous vous trouvez dans votre vie à ce moment-là.

    Vous n’avez pas votre mot à dire sur ce que les gens voient dans les images – même si, en tant que photographe, vous fournissez des légendes aussi précises et journalistiques. Là où l’un voit dans cette étreinte un moment symbolique de l’humanité, un autre y voit une menace personnelle pour son existence. On ne peut rien y faire. Cette petite phrase de Luna Reyes me hante toujours.

    Nous n’avons pas été formés pour voir quelque chose comme ça. Les photos sont tellement omniprésentes que nous oublions parfois que les regarder n’est pas aussi facile que nous le pensons. Regarder, lire, regarder à nouveau et seulement ensuite ouvrir éventuellement en parler – c’est un métier. Il faut s’entraîner à cela.

    De Volkskrant, 28 mai 2021

    Etiquettes : Maroc, Espagne, Ceuta, migration, pression migratoire, détresse, empathie, sympathie, migrants, subsahariens, solidarité, bénévolat, Luna Reyes, racisme, extrême droite, xénophobie,