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  • L’affaire Ben Barka dans le dictionnaire du Mossad

    L’affaire Ben Barka dans le dictionnaire du Mossad

    Tags : Maroc, Israël, Mehdi Ben Barka, Mossad,

    Source : Historical Dictionary of Middle Eastern Intelligence, d’Ephraim Kahana, Muhammad Suwaed.

    Extraits évoquant l’assassinat de Mehdi Ben Barka :

    18 janvier 1965 : Les Syriens découvrent la véritable identité de Cohen et il est capturé. Ses interrogateurs tentent de le contraindre à maintenir le contact avec Israël ; il profite de cette occasion pour informer Israël de son exposition par un code spécial. 18 mai : Cohen est pendu à Damas après avoir été condamné à mort pour espionnage au profit d’Israël. Automne : le directeur du Mossad Amit et le général Muhammad Oufkir, chef de la sécurité intérieure marocaine, se réunit en France pour parvenir à un accord par lequel des agents du Mossad tendront un piège à Mehdi Ben-Barka. Ben Barka, ancien précepteur du roi Hassan et ex-président de l’Assemblée nationale consultative marocaine, est désormais un opposant au gouvernement marocain. Dans l’intérêt des Juifs marocains, Israël accepte de retrouver Ben-Barka et de permettre ainsi aux autorités marocaines d’en faire ce qu’elles veulent.

    29 octobre 1965 : Un agent du Mossad persuade Ben-Barka de quitter Genève, soi-disant pour une rencontre avec un producteur de film à Paris.

    Trois agents de sécurité français, coopérant avec les Marocains, arrêtent Ben-Barka.

    30 octobre 1965 : Ben-Barka est abattu par Oufkir ou l’un de ses agents marocains.

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    AFFAIRE BEN-BARKA. Mehdi Ben-Barka, ancien précepteur du roi Hassan et ex-président de l’Assemblée nationale consultative marocaine, est devenu un opposant au gouvernement marocain à partir du milieu des années 1950, lorsqu’il a fondé le Parti socialiste marocain (USFP). Il a été impliqué dans des complots visant à renverser la monarchie marocaine et a été condamné à mort par contumace par les tribunaux marocains. Il a vécu en exil à Genève et le roi Hassan a apparemment décidé de faire exécuter la peine de mort partout où Ben-Barka vivait. Le roi a confié la tâche au général Muhammad Oufkir, son ministre de l’intérieur, qui était responsable de la sécurité intérieure. Le général Oufkir, un ami proche de son homologue Meir Amit, directeur du Mossad, a approché Amit pour obtenir de l’aide dans cette affaire. Amit, préoccupé par la sécurité des Juifs dans le monde, y compris au Maroc, craignaient que le refus d’aider le gouvernement marocain n’affecte négativement la communauté juive là-bas.

    Amit et Oufkir se sont rencontrés en France au début de l’automne 1965 et sont parvenus à un accord selon lequel les agents du Mossad ne participeraient pas au meurtre de Ben-Barka mais aideraient à lui tendre le piège. Le 29 octobre 1965, un agent du Mossad persuade Ben-Barka de quitter Genève pour une rencontre avec un « producteur de films » à Paris. Juste à l’extérieur d’une brasserie sur la rive gauche de la Seine, trois agents de sécurité français, coopérant avec les Marocains, ont arrêté Ben-Barka. Le soir du 30 octobre 1965, Ben-Barka est abattu par Oufkir ou l’un de ses agents marocains. Une enquête a révélé que les ravisseurs de Ben-Barka avaient agi avec la complicité, sinon l’encouragement, de hauts responsables du Service français de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE).

    ————————-

    KIMCHE, DAVID (DAVE) (1928– ). Né en Angleterre dans une famille juive d’Europe de l’Est qui a déménagé en Suisse puis en Grande-Bretagne, Kimche, en tant que sioniste, a immigré en Palestine en 1946 mais a conservé ses habitudes britanniques. Il a travaillé pendant un certain temps comme rédacteur de nuit au Jerusalem Post. Après avoir échoué à un examen d’entrée au ministère israélien des Affaires étrangères, il s’est lancé dans des études universitaires sur le Moyen-Orient. En 1953, il est recruté au Mossad. Le comportement calme et cultivé de Kimche, son anglais non israélien raffiné et sa capacité à se fondre dans presque toutes les foules lui convenaient parfaitement en tant qu’homme pour les missions du Mossad à l’étranger.

    En mai 1965, Kimche est impliqué dans l’affaire Ben-Barka. Sa tâche était d’évaluer la demande du roi Hassan du Maroc au Mossad de l’aider à assassiner Mehdi Ben-Barka.

    Bien que personne n’ait publiquement admis que le Mossad était impliqué dans l’affaire Öcalan, le Mossad a en conséquence perdu un réseau d’espionnage kurde en Irak. L’affaire Öcalan révèle comment le Mossad travaille parfois comme sous-traitant pour d’autres gouvernements, comme dans l’affaire Ben-Barka.

    #Maroc #Mossad #Israël #Ben_Barka

  • Maroc : Il y a 62 ans disparassait Ben Barka

    Maroc : Il y a 62 ans disparassait Ben Barka

    Tags : Maroc, Mehdi Ben Barka, UNFP, Tricontinental, Hassan II, Ahmed Dlimi, Oufkir,

    Le 29 octobre 1965, à 12 h 30, Ben Barka est interpellé par deux hommes qui présentent des cartes de police et le font monter dans une 403 banalisée qui disparaît dans la circulation. À partir de cet instant Medhi Ben Barka ne sera plus jamais revu et son corps ne sera jamais retrouvé.

    Les circonstances de l’enlèvement sont liées à un projet de film consacré à la décolonisation que voulait réaliser le journaliste Michel Barnier et pour lequel il a contacté Ben Barka. Les deux hommes sont mis en contact avec Georges Figon. Georges Figon est un fils de bonne famille qui a passé trois ans en hôpital psychiatrique et onze ans derrière les barreaux : en 1950, à l’occasion d’une tentative d’escroquerie il a tiré sur un policier. Il est sorti de prison en 1961 et entretient des amitiés avec l’intelligentsia parisienne. Il convainc le metteur en scène Franju de réaliser le film (qui devait s’intituler Basta !). Après divers contacts un contrat est signé avec Ben Barka, et un rendez-vous de travail est prévu à Paris, le 29 octobre 1965, sur la terrasse de la brasserie Lipp, 151 boulevard Saint-Germain.

    A l’heure dite Bernier, Franju et Ben Barka se retrouvent à la brasserie. Le 29 octobre 1965, à 12 h 30, Ben Barka est interpellé par deux hommes qui présentent des cartes de police et le font monter dans une 403 banalisée qui disparaît dans la circulation. À partir de cet instant Medhi Ben Barka ne sera plus jamais revu et son corps ne sera jamais retrouvé.

    Le début de l’enquête

    Les vérifications ont permis de constater que Ben Barka ne se trouve pas dans une prison française. Les premiers témoignages de Franju et Bernier sont recueillis le 1er novembre ; c’est Franju qui a communiqué les coordonnées de Bernier et de Figon aux enquêteurs. Le nom de Figon a été préalablement cité au commissaire Marchand (responsable de l’enquête) par le commissaire Jean Caille, des Renseignements généraux. Selon lui, l’intéressé se vante d’avoir participé à l’enlèvement de M. Ben Barka et ce renseignement, donné par un informateur, paraît sérieux. Un avis de recherche concernant Figon est lancé le jour même par la police judiciaire.

    Le 2 novembre, une instruction est ouverte par le juge Louis Zollinger. L’enquête est confiée à la brigade criminelle dirigée par le commissaire Bouvier, qui prend connaissance des informations déjà recueillies. Il apprend en particulier le rôle de Figon et d’un certain Antoine Lopez.

    Lopez est inspecteur principal d’Air France à Orly et un informateur du SDECE et de la Brigade mondaine de la Préfecture de police. Il entretient des relations suivies avec de hauts dignitaires marocains, dont le général Oufkir, ministre de la défense marocain. Plusieurs truands parisiens comptent parmi ses amis. Se sachant recherché Lopez se présente à la police le 3 novembre et donne sa version de l’enlèvement de Medhi Ben Barka : Il reconnaît avoir organisé l’enlèvement à la demande d’un certain Larbi Chtouki, qui s’avère être un émissaire des services spéciaux marocains. Il pensait ainsi organiser un entretien privé et pacifique entre Oufkir et Ben Barka. En récompense de ce service, les Marocains lui auraient fait miroiter un poste important à la compagnie Royal Air Maroc. C’est Lopez qui a sollicité l’intervention de deux policiers, avec lesquels il entretenait des contacts professionnels. Il dit avoir informé au préalable son supérieur au sein du SDECE le colonel Marcel Le Roy-Finville.

    Antoine Lopez était à bord de la 403 banalisée où sont montés Ben Barka et les deux policiers.

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    #Maroc #Ben_Barka #France #SDECE #Israël #HassanII

  • Maroc : Il y a 62 ans disparassait Ben Barka

    Maroc : Il y a 62 ans disparassait Ben Barka

    Tags : Maroc, Mehdi Ben Barka, UNFP, Tricontinental, Hassan II, Ahmed Dlimi, Oufkir,

    Le 29 octobre 1965, à 12 h 30, Ben Barka est interpellé par deux hommes qui présentent des cartes de police et le font monter dans une 403 banalisée qui disparaît dans la circulation. À partir de cet instant Medhi Ben Barka ne sera plus jamais revu et son corps ne sera jamais retrouvé.

    Les circonstances de l’enlèvement sont liées à un projet de film consacré à la décolonisation que voulait réaliser le journaliste Michel Barnier et pour lequel il a contacté Ben Barka. Les deux hommes sont mis en contact avec Georges Figon. Georges Figon est un fils de bonne famille qui a passé trois ans en hôpital psychiatrique et onze ans derrière les barreaux : en 1950, à l’occasion d’une tentative d’escroquerie il a tiré sur un policier. Il est sorti de prison en 1961 et entretient des amitiés avec l’intelligentsia parisienne. Il convainc le metteur en scène Franju de réaliser le film (qui devait s’intituler Basta !). Après divers contacts un contrat est signé avec Ben Barka, et un rendez-vous de travail est prévu à Paris, le 29 octobre 1965, sur la terrasse de la brasserie Lipp, 151 boulevard Saint-Germain.

    A l’heure dite Bernier, Franju et Ben Barka se retrouvent à la brasserie. Le 29 octobre 1965, à 12 h 30, Ben Barka est interpellé par deux hommes qui présentent des cartes de police et le font monter dans une 403 banalisée qui disparaît dans la circulation. À partir de cet instant Medhi Ben Barka ne sera plus jamais revu et son corps ne sera jamais retrouvé.

    Le début de l’enquête

    Les vérifications ont permis de constater que Ben Barka ne se trouve pas dans une prison française. Les premiers témoignages de Franju et Bernier sont recueillis le 1er novembre ; c’est Franju qui a communiqué les coordonnées de Bernier et de Figon aux enquêteurs. Le nom de Figon a été préalablement cité au commissaire Marchand (responsable de l’enquête) par le commissaire Jean Caille, des Renseignements généraux. Selon lui, l’intéressé se vante d’avoir participé à l’enlèvement de M. Ben Barka et ce renseignement, donné par un informateur, paraît sérieux. Un avis de recherche concernant Figon est lancé le jour même par la police judiciaire.

    Le 2 novembre, une instruction est ouverte par le juge Louis Zollinger. L’enquête est confiée à la brigade criminelle dirigée par le commissaire Bouvier, qui prend connaissance des informations déjà recueillies. Il apprend en particulier le rôle de Figon et d’un certain Antoine Lopez.

    Lopez est inspecteur principal d’Air France à Orly et un informateur du SDECE et de la Brigade mondaine de la Préfecture de police. Il entretient des relations suivies avec de hauts dignitaires marocains, dont le général Oufkir, ministre de la défense marocain. Plusieurs truands parisiens comptent parmi ses amis. Se sachant recherché Lopez se présente à la police le 3 novembre et donne sa version de l’enlèvement de Medhi Ben Barka : Il reconnaît avoir organisé l’enlèvement à la demande d’un certain Larbi Chtouki, qui s’avère être un émissaire des services spéciaux marocains. Il pensait ainsi organiser un entretien privé et pacifique entre Oufkir et Ben Barka. En récompense de ce service, les Marocains lui auraient fait miroiter un poste important à la compagnie Royal Air Maroc. C’est Lopez qui a sollicité l’intervention de deux policiers, avec lesquels il entretenait des contacts professionnels. Il dit avoir informé au préalable son supérieur au sein du SDECE le colonel Marcel Le Roy-Finville.

    Antoine Lopez était à bord de la 403 banalisée où sont montés Ben Barka et les deux policiers.

    Le déroulement des faits

    Le rôle des protagonistes et le déroulement des faits se précisent. Quatre personnes étaient dans la 403 lors de l’enlèvement de Ben Barka : Lopez, deux policiers français, dont on saura quelques jours plus tard qu’il s’agit de l’inspecteur principal Louis Souchon (chef du groupe des stupéfiants à la Brigade mondaine) et de son adjoint Roger Voitot, et enfin un certain Julien Le Ny, repris de justice.

    Deux autres personnes, également des repris de justice plusieurs fois condamnés, ont supervisé l’enlèvement : Jean Palisse et Pierre Dubail et ont ensuite précédé la 403 jusqu’à sa destination finale.
    Lopez guide la voiture jusqu’à une villa de Fontenay-le-Vicomte appartenant à un certain Georges Boucheseiche, qui fait partie de ses relations et pour qui travaillent Le Ny, Jean Palisse et Pierre Dubail.

    Georges Boucheseiche est un ancien gangster. Il a fait partie de la Gestapo française et a rejoint en 1946 le Gang des Tractions avant, en compagnie notamment de Pierre Loutrel (dit Pierrot-le-fou) et Jo Attia. Il a été condamné pour le recel du cadavre de Loutrel, puis a fait plusieurs années de prison pour avoir racketté un diamantaire pendant l’occupation. Dans les années 1950, il s’est converti dans les hôtels de passe et les maisons closes, à Paris et au Maroc. Il est réputé avoir rendu des services à la DGER puis au SDECE lors de l’indépendance du Maroc et la guerre d’Algérie.

    Lopez informe Oufkir que Ben Barka est sequestré à Fontenay-le-Vicomte. Il va le chercher à Orly le lendemain et l’amène auprès de Ben Barka vers 17h. Lopez indique en outre la présence à Orly d’un étudiant marocain nommé El Mahi. Le commandant Dlimi, directeur de la sûreté marocaine était arrivé peu de temps auparavant en compagnie d’un policier marocain nommé El Houssaini. Le lendemain à 5 heures du matin, Lopez raccompagnera Oufkir, Dlimi et El Houssaini à Orly.

    Les policiers apprennent que Bouchesèche a pris l’avion pour Casablanca le 1er novembre. Boucheseiche et ses complices Le Ny, Jean Palisse et Pierre Dubail ne seront plus jamais revus sur le territoire français.

    Les suites judiciaires

    Les policiers Souchon et Voitot sont inculpés le 14 novembre et écroués à la Santé.

    Boucheseiche et ses acolytes se sont enfuis au Maroc. Un mandat d’arrêt international est lancé contre eux, qui restera sans effet : on ne les reverra plus jamais en France. Selon un témoignage tardif ils auraient été enfermés au bagne de Tazmamart, puis exécutés et enterrés en secret. Des fouilles demandées par le juge Patrick Ramaël ont été refusées par le gouvernement marocain.

    Le 12 novembre le juge Zollinger lance des commissions rogatoires internationales afin d’entendre le général Oufkir et le commandant Dlimi. Le roi Hassan II s’oppose à leur exécution.

    Le 22 janvier, le juge Zollinger délivre trois mandats d’arrêt internationaux contre le général Oufkir, le commandant Dlimi et Larbi Chtouki. Le 24 janvier Robert Gillet, ambassadeur de France à Rabat, remet une note d’explication à M. Benhima, ministre marocain des affaires étrangères : « L’instruction menée par la justice française au sujet de l’affaire Ben Barka a conduit le juge à la conviction que le ministre marocain de l’intérieur a organisé l’enlèvement et que le ministre marocain de l’intérieur et plusieurs de ses collaborateurs directs ont participé personnellement aux dernières phases de l’opération ».

    Le 4 novembre, un mandat d’arrêt avait été lancé contre Georges Figon qui est en fuite. Le 10 janvier 1966 l’hebdomadaire L’Express, dirigé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, publie son témoignage recueilli par Jacques Derogy et Jean-François Kahn. Figon explique que Medhi Ben Barka a été séquestré dans la villa de Georges Boucheseiche et confronté au général Oufkir et au colonel Ahmed Dlimi qui lui ont fait subir des sévices. Son récit est cohérent avec les aveux de Lopez (cf. cet article ici). Le 17 janvier, Figon est localisé par la police dans un studio du XVIIe arrondissement à Paris. Il y est retrouvé mort par les policiers, qui concluent à un suicide. Le Canard enchaîné titrera : « Georges Figon suicidé de trois balles mortelles dans la tête ».

    Le procès s’ouvre le 5 septembre 1966 devant la cour d’assise de la Seine. Antoine Lopez, Philippe Bernier (le journaliste qui projetait de réaliser un film documentaire avec Ben Barka), Louis Souchon, Roger Voitot et El Ghali El Mahi comparaissent détenus. Marcel Leroy-Finville comparait libre (le colonel Le Roy-Finville est un ancien membre du SDECE). Les autres inculpés sont en fuite : Boucheseiche, Palisse, Le Ny, Dubail, « Chtouki », Dlimi et Oufkir. Les parties civiles sont représentées par Abdelkader Ben Barka, frère de la victime, ainsi que par cinq avocats pour l’épouse de Ben Barka et un pour sa mère. Lopez est défendu par Me Jean-Louis Tixier-Vignancour.

    Coup de théatre : le colonel Ahmed Dlimi décide de se présenter au procès ! Il produit un témoin chauffeur de taxi qui affirme l’avoir ramené à Orly le 31 octobre, contrairement à ce qu’a dit Lopez.

    Le verdict tombe : Antoine Lopez est condamné à 8 ans de réclusion criminelle et Souchon à 6 ans pour arrestation illégale. Les autres inculpés sont acquittés. Oufkir, Chtouki, Boucheseiche, Palisse, Le Ny et Dubail sont condamnés par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité.

    Le roi Hassan II refusera toujours d’appliquer les condamnations ou d’extrader les condamnés. Le général Oufkir sera exécuté cependant quelques années plus tard après un coup d’État manqué contre le roi du Maroc.

    D’une famille de petits fonctionnaires, Mehdi Ben Barka a fait des études de mathématique à Rabat et devient professeur de lycée. Proche du Palais, il enseigne aussi au Collège royal. Il a le futur roi Hassan II parmi ses élèves. Parallèlement, il s’engage en politique contre le « protectorat » français sur le Maroc. Dès 1943, il participe à la création du Parti de l’Istiqlal, un parti qui joue un grand rôle dans l’indépendance du Maroc. En 1955, il participe aux négociations qui aboutiront au retour du roi Mohammed V que les autorités françaises avaient exilé à Madagascar. De 1956 à 1959, Mehdi Ben Barka est président de l’assemblée consultative du Maroc.

    Représentant de l’aile gauche d’un parti qu’il juge trop conservateur, il fonde, en septembre 1959, l’Union nationale des forces populaires (UNFP), principal parti de gauche opposé au régime royal. À la mort de Mohammed V en 1961, Hassan II monte sur le trône et annonce vouloir faire la paix avec son principal opposant. Il rentre au Maroc en mai 1962. Le 16 novembre 1962, il échappe à un attentat fomenté par les services du général Oufkir et du colonel Ahmed Dlimi. En juin 1963, il s’exile à nouveau, après être accusé de complot contre la monarchie, Hassan II souhaitant dissoudre l’UNFP. Le 14 mars 1964, il est condamné à mort par contumace pour complot et tentative d’assassinat contre le roi.

    Mehdi Ben Barka s’exile alors. Il part d’abord pour Alger, où il rencontre Che Guevara, Amílcar Cabral et Malcolm X. Il s’en va ensuite pour Le Caire, Rome, Genève (où il échappe à plusieurs tentatives d’assassinat) et pour La Havane, tentant de fédérer les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue de la Conférence tricontinentale devant se tenir en janvier 1966 à Cuba.

    En avril 1965, Ben Barka bénéficie de l’amnistie générale accordée par le roi à tous les prisonniers politiques.

    #Maroc #Ben_Barka

  • Comment le Mossad a aidé Hassan II à éliminer Mehdi Ben Barka

    Comment le Mossad a aidé Hassan II à éliminer Mehdi Ben Barka – Maroc, Israël, services secrets marocains,

    Au micro de Patrick Cohen sur Europe 1, Ronen Bergman, qui publie « Lève-toi et tue le premier : l’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël », revient sur l’assassinat de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, auquel les services secrets israéliens auraient participé.

    Près de 1.000 pages et de multiples révélations

    Ronen Bergman, journaliste au New York Times et investigateur israélien, publie aux éditions Grasset Lève-toi et tue le premier : l’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël, un livre événement qui revient sur les nombreuses exécutions réalisées par le Mossad, l’agence de renseignements de l’État hébreu. Dans « C’est arrivé demain », le journaliste raconte sur Europe 1 comment les services secrets israéliens ont aidé le gouvernement marocain à éliminer Mehdi Ben Barka, l’un des principaux opposants au Roi Hassan II dans les années 1950.

    « Dans le monde du renseignement, il n’y a rien de gratuit »

    « Ce n’est pas simplement que le Mossad a œuvré, c’est beaucoup plus que cela », explique Ronen Bergman. « Le service de renseignements du Maroc a rendu service énorme aux Israéliens en donnant au Mossad la capacité d’écouter les conversations les plus secrètes des dirigeants arabes », affirme le journaliste du New-York Times. « Mais ils voulaient quelque chose en échange, car dans le monde du renseignement, il n’y a rien de gratuit. »

    Si des Français étaient déjà impliqués dans l’élimination de l’anticolonialiste Mehdi Ben Barka, le Maroc demande aussi au Mossad de l’aider, raconte Ronen Bergman. Le 29 octobre 1965, le leader panafricain se rend à un rendez-vous à la brasserie Lipp à Paris, mais les services secrets israéliens l’ont traqué afin que les Marocains l’enlèvent. L’opposant socialiste au roi Hassan II est alors torturé et tué par les services secrets marocains. « Le Mossad aide les assassins à se débarrasser du corps et à l’enterrer sous ce qui est aujourd’hui le musée Louis Vuitton, dans le bois de Boulogne », poursuit Ronen Bergman.

    « L’utilisation quasi systématique des éliminations a changé de nombreuses fois l’histoire en bien »
    Interrogé par Patrick Cohen sur les conséquences des éliminations commanditées par le Mossad, Ronen Bergman se veut nuancé. « Ça change l’histoire, parfois du bon, parfois du mauvais côté », affirme-il. « Mais après huit ans de recherches, je peux affirmer que l’utilisation quasi systématique des éliminations a changé de nombreuses fois l’histoire en bien », explique Ronen Bergman, prenant en exemple les éliminations qui ont suivi les attentats de Munich.

    Europe1, 09/02/2020

    #Maroc #Israël #Mossad #MehdiBenBarka

  • Maroc: Il y a 56 ans, l’enlèvement et assassinat de Ben Barka

    Il y a 56 ans, l’enlèvement et assassinat de Ben Barka – Malgré d’innombrables théories tentant d’expliquer ce qui lui est réellement arrivé, les circonstances exactes de sa disparition n’ont jamais été établies.

    Mehdi Ben Barka était un homme politique marocain, chef de l’Union nationale des forces populaires (UNPF), parti de gauche, et secrétaire de la Conférence tricontinentale. Opposant à Hassan II, il a « disparu » à Paris en 1965. Malgré d’innombrables théories tentant d’expliquer ce qui lui est réellement arrivé, les circonstances exactes de sa disparition n’ont jamais été établies et, depuis 2009, les enquêtes se poursuivent.

    Historique
    Né à Rabat, au Maroc, d’une famille de fonctionnaires, Ben Barka est devenu le premier musulman marocain à obtenir un diplôme de mathématiques dans une école française officielle en 1950. Il devient un membre éminent de l’opposition marocaine au sein du parti nationaliste de l’Istiqlal, mais se sépare après des affrontements avec des opposants conservateurs en 1959 pour fonder l’Union nationale des forces populaires (UNFP), un parti de gauche.
    En 1962, Ben Barka est accusé de comploter contre le roi Hassan II. Il est exilé du Maroc en 1963, après avoir appelé les soldats marocains à refuser de combattre l’Algérie lors de la guerre des sables de 1963.

    Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka a été enlevé (« disparu ») à Paris par des policiers français et n’a jamais été revu. Le 29 décembre 1975, le magazine Time a publié un article intitulé « The Murder of Mehdi Ben Barka », affirmant que trois agents marocains étaient responsables de la mort de Ben Barka, dont l’ancien ministre de l’Intérieur Mohammed Oufkir. Les spéculations persistent quant à l’implication de la CIA. Des agents des services de renseignement français et le Mossad israélien étaient également impliqués, selon l’article.

    L’exil et la signification politique globale
    Ben Barka s’est exilé en 1963, devenant un « vendeur ambulant de la révolution », selon l’historien Jean Lacouture. Il part d’abord à Alger, où il rencontre Che Guevara, Amílcar Cabral et Malcolm X. De là, il se rend au Caire, à Rome, à Genève et à La Havane pour tenter d’unir les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue de la Conférence tricontinentale qui se tient en janvier 1966 à La Havane, où il affirme dans une conférence de presse que « les deux courants de la révolution mondiale y seront représentés : le courant issu de la Révolution d’Octobre et celui de la révolution de libération nationale ».

    En tant que dirigeant de la Conférence tricontinentale, Ben Barka était une figure majeure du mouvement tiers-mondiste et soutenait l’action révolutionnaire anticoloniale dans divers États, provoquant la colère des États-Unis et de la France. Juste avant sa mort, il préparait la première réunion de la Tricontinentale, prévue à La Havane, à Cuba – l’OSPPAAAL (Organisation de solidarité avec les peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine) a été fondée à cette occasion.
    Présidant la commission préparatoire, il en définit les objectifs : aide aux mouvements de libération, soutien à Cuba soumis à l’embargo des Etats-Unis, liquidation des bases militaires étrangères et de l’apartheid en Afrique du Sud. Pour l’historien René Galissot, « la raison profonde de l’éloignement et de l’assassinat de Ben Barka est à chercher dans cet élan révolutionnaire de la Tricontinentale. »

    Victoria Brittain, écrivain pour The Guardian, a qualifié Ben Barka de « théoricien révolutionnaire aussi important que Frantz Fanon et Che Guevara », dont « l’influence s’est répercutée bien au-delà de leur propre continent ». Ses écrits ont été rassemblés et traduits en français par son fils Bachir Ben Barka et publiés en 1999 sous le titre Écrits politiques (1957-1965).

    Théories sur la disparition de Ben Barka

    Le procès français
    Dans les années 1960, la disparition de Ben Barka est un scandale public suffisant pour que le président De Gaulle déclare officiellement que son gouvernement n’est pas responsable. Après un procès en 1967, deux officiers français ont été envoyés en prison pour leur rôle dans l’enlèvement. Cependant, le juge a estimé que le principal coupable était le ministre marocain de l’Intérieur, Mohamed Oufkir. Georges Figon, un témoin aux antécédents criminels qui avait déclaré plus tôt qu’Oufkir avait poignardé Ben Barka à mort, a été retrouvé mort plus tard, officiellement un suicide. Le préfet de police Maurice Papon (1910-2007), condamné plus tard pour crimes contre l’humanité pour son rôle sous Vichy, est contraint de démissionner après l’enlèvement de Ben Barka.

    Ahmed Boukhari
    Ancien membre des services secrets marocains, Ahmed Boukhari a affirmé en 2001 que Ben Barka était mort pendant un interrogatoire dans une villa au sud de Paris. Il a déclaré que le corps de Ben Barka avait ensuite été ramené au Maroc et détruit dans une cuve d’acide. En outre, il a déclaré que cette cuve d’acide, dont les plans ont été reproduits par les journaux, avait été construite sur les instructions de l’agent de la CIA « Colonel Martin », qui avait appris cette technique pour faire disparaître les cadavres lors de son affectation dans l’Iran du Shah dans les années 1950.

    Ali Bourequat
    Le dissident franco-marocain et ancien prisonnier d’opinion de Tazmamart, Ali Bourequat, affirme dans son livre « Dans le jardin secret du roi du Maroc » avoir rencontré un ancien agent secret marocain dans une prison près de Rabat en 1973-74. L’homme, Dubail, a raconté comment lui et quelques collègues, menés par le colonel Oufkir et Ahmed Dlimi, avaient assassiné Ben Barka à Paris.
    Le corps a ensuite été encapsulé dans du ciment et enterré en dehors de Paris, mais sa tête a été apportée par Oufkir au Maroc dans une valise. Elle a ensuite été enterrée sur le terrain de la prison où Dubail et Bourequat étaient détenus.

    Documents de la CIA
    En 1976, le gouvernement des États-Unis, suite à des demandes formulées dans le cadre de la loi sur la liberté d’information, a reconnu que la Central Intelligence Agency (CIA) était en possession de quelque 1 800 documents concernant Ben Barka, mais ces documents n’ont pas été rendus publics.

    Documents français
    Certains documents secrets français sur l’affaire ont été rendus publics en 2001, provoquant un tollé politique. La ministre de la défense Michèle Alliot-Marie a accepté en 2004 de suivre les recommandations d’une commission de la défense nationale et a rendu publics les 73 documents classifiés supplémentaires sur l’affaire. Cependant, le fils de Mehdi Ben Barka s’est indigné de ce qu’il a appelé une « pseudo-divulgation de dossiers », insistant sur le fait que des informations avaient été retenues qui auraient pu impliquer les services secrets français (SDECE), et peut-être la CIA et le Mossad, ainsi que la responsabilité ultime du roi Hassan II, qui a commodément pu rejeter la faute sur Oufkir après son coup d’État manqué en 1972.

    Driss Basri
    Driss Basri, ministre de l’Intérieur d’Hassan II et son bras droit du début des années 1980 à la fin des années 1990, a été entendu par le juge Patrick Ramaël en mai 2006, en tant que témoin, au sujet de l’enlèvement de Ben Barka. Basri a déclaré au magistrat qu’il n’avait pas été lié à l’affaire Ben Barka. Il a ajouté qu’ »il est possible que le Roi ait été au courant. Il est légitime de penser que de Gaulle possédait des informations… »

    Source : Scam Leaks

  • Maroc : L’affaire Ben Barka, un scandale d’Etats

    Maroc, Mehdi Ben Barka, France, Hassan II, Mossad, israël,

    A qui profite le silence ? 44 ans après l’assassinat politique de Mehdi Ben Barka, l’obstruction franco-marocaine de l’enquête judiciaire continue. Décryptage du scandale, depuis la raison d’Etat qui a conduit au kidnapping, en plein Paris, du leader internationaliste au maintien d’un véritable secret d’Etat sur les commanditaires du crime.
    Un partie de poker menteur. L’objectif ? Gagner du temps. Vendredi 2 octobre, le Parquet de Paris a finalement demandé la suspension des mandats d’arrêts internationaux lancés la veille par Interpol et signés deux ans auparavant par le juge d’instruction Patrick Ramaël. Les personnes recherchées : quatre Marocains, dont deux officiers haut gradés, suspectés d’avoir participé à l‘enlèvement, le 29 octobre 1965, au cœur de Paris, de l’opposant Mehdi Ben Barka. Prétexte invoqué par le Ministère public : Interpol aurait requis des « précisions » supplémentaires pour appliquer les mandats d‘arrêts. Une nouvelle péripétie, qualifiée de « mascarade » par Bechir Ben Barka. Le fils en quête de vérité est indigné par le revirement, en à peine 24 heures, de la place Vendôme. Il est vrai que le ministère de la Justice, sous tutelle du pouvoir politique, sait comment verrouiller et temporiser. Dans la pratique, pour être exécutable, un mandat d’arrêt international impliquant la France a besoin de son feu vert. Disposant depuis deux ans des mandats, la Chancellerie les avait transmis au ministère de l’Intérieur qui les a remis par la suite à Interpol pour les besoins d’une diffusion internationale. Heureuse coïncidence : mardi dernier, Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, revenait précisément de Rabat où il s’est entretenu avec son homologue marocain.
    A l’annonce de cette énième chicanerie administrative, Maurice Buttin, l’avocat historique de la famille Ben Barka, a soupçonné, à voix haute sur France Info, l’Elysée d’être responsable de l‘obstruction judiciaire par la probable instruction de consignes adressées, via Michèle Alliot-Marie, au Parquet de Paris. L’avocat a tiré les leçons de la parodie de procès de 1967, qui s’acheva sur l’incrimination insuffisante de seconds couteaux, au profit de l’appareil d’Etat français, qui fut préservé, et la condamnation, par contumace, du général Oufkir, protégé au Maroc. En 1975, le dépôt d’une nouvelle plainte pour assassinat a inauguré une procédure judiciaire, longue, sinueuse et bien embarrassante pour l’amitié franco-marocaine. La levée du secret-défense s’est faite progressivement en France ces dernières années (2000, 2004 et 2008) sans pour autant apporter au dossier les pièces nécessaires à la résolution du crime. Pour le tandem Paris-Rabat, le tabou majeur se résume depuis près d’un demi-siècle à trois mots, formant un patronyme : Mehdi Ben Barka.
    VRP de la Révolution
    Avant de devenir un thriller judiciaire, l’affaire Ben Barka, non élucidée à ce jour, est d’abord un roman noir, entre tragédie grecque et film d’espionnage. C’est l’histoire d’un brillant mathématicien devenu le chantre du socialisme révolutionnaire. C’est aussi l’ascension d’un nationaliste combattant pour l’indépendance de son pays et bientôt propulsé dans l’arène mondiale pour insuffler aux peuples du Sud l’espérance de l‘émancipation. C’est surtout l’odyssée d’un ancien détenu contraint à l’exil qui sera finalement rattrapé par une conjuration d’Etats. C’est enfin, ironie du sort, le drame d’un professeur qui sera condamné à mort par son ancien élève devenu souverain, le roi Hassan II.
    Figure intellectuelle de la gauche panafricaniste, Ben Barka a été abattu en plein vol, à l’âge de 45 ans, alors que son charisme s’étoffait sur la scène internationale. 1965 : la Guerre froide se déploie sur les cinq continents. Alors que la décolonisation se généralise, les Etats refusant la mainmise des empires américain et soviétique se sont regroupés sous la bannière des non-alignés. Dans la frénésie idéologique de l’époque, certains rêvent du Grand Soir pour les populations victimes des « séquelles du colonialisme traditionnel », selon les termes de Ben Barka, engagé dès l’âge de 14 ans dans la lutte pour l’indépendance nationale. Cette première bataille aboutit en 1956 quand la France renonça au « protectorat » du Maroc. Mais déjà, ailleurs, sur tout le continent africain comme au-delà des rives, d’autres combats restent à mener, sur une plus grande échelle. Durant le début des « années de plomb », qui verront les autorités marocaines pratiquer une répression impitoyable à l’encontre des dissidents du royaume, le leader socialiste va devoir rapidement, pour sa propre sûreté, quitter le pays et devenir, selon l’expression employée par Jean Lacouture, historien et journaliste engagé dans l’anti-colonialisme, « le commis-voyageur de la révolution ». Il lui restera alors neuf années à vivre, pour se plonger corps et âme dans le tumulte révolutionnaire et devenir un leader du tiers-monde, à la manière de Patrice Lumumba et Che Guevara, tous deux également assassinés durant cette palpitante décennie.
    La mort comme une équation à x inconnues
    Il est environ midi, ce 29 octobre 1965. Des hommes ont rendez-vous à Saint-Germain-des-Prés pour discuter cinéma. Le producteur Georges Figon, escroc mythomane, proche à la fois des milieux littéraires et des truands parisiens, a proposé à Mehdi Ben Barka, avec la complicité du journaliste Philippe Bernier et sous la direction de mystérieux intermédiaires, de financer la réalisation d’un film documentaire, intitulé Basta ! et consacré aux mouvements de libération nationale. Croyant au rôle de l’image comme instrument d’éducation populaire, le Marocain est séduit par l’aventure, d’autant plus que des artistes prestigieux ont confirmé leur participation au projet, parmi lesquels Marguerite Duras et le réalisateur Georges Franju. Ces derniers seront par la suite effarés d’apprendre que cette production était un leurre uniquement destiné à piéger physiquement Mehdi Ben Barka. La venue du leader politique sur les lieux du rendez-vous sera rapidement suivie de son embarquement par deux policiers accompagnés d’un informateur de la SDECE, le contre-espionnage français. Direction : Fontenay-le-vicomte, dans la villa de Georges Boucheseiche, militant du Service d’Action Civique et barbouze notoire. La suite du kidnapping demeure nimbée de mystère. Des témoignages disparates relateront la détention, la torture et le meurtre de Ben Barka, dont le corps disparaîtra tout aussi mystérieusement.
    La France, embarrassée par l’assassinat d’une figure politique internationale sur le sol de son territoire, laissera entendre que les autorités marocaines seules sont responsables, qu’il s’agisse d’une décision souveraine prononcée par le roi Hassan II ou d’un acte réalisé indépendamment par le général Oufkir, surnommé le « Boucher » pour ses féroces répressions des insurrections populaires. Commentant l’incident diplomatique, de Gaulle aura ces mots : « Rien, absolument rien, n’indique que le contre-espionnage et la police, en tant que tels et dans leur ensemble, aient connu l’opération, a fortiori qu’ils l’aient couverte » Le président de la République ment, par impuissance : au cœur de l’appareil sécuritaire français, une frange anti-gaulliste, autonome, issue en partie de l’OAS et en contact direct avec des services secrets étrangers, perdure et s’active à chaque opportunité, quitte à mettre dans l’embarras le chef de l’Etat. Ce sont des policiers français qui feront monter dans leur voiture Mehdi Ben Barka et c’est un « honorable correspondant » du SDECE, Antoine Lopez, qui chapeautera le début de l’opération en supervisant le rapt.
    Même si la piste la plus probable dans la genèse du crime aboutit au Maroc, sa réalisation matérielle a nécessairement bénéficié d’un assistance étrangère. Eliminer Ben Barka était devenu un objectif commun à certaines puissances occidentales, et leurs alliés, dans la répression des mouvements de libération du tiers-monde.
    Rallier le dissident ou l’éliminer
    De nombreux Etats avaient un intérêt particulier à voir disparaître l’agitateur. En premier lieu, le Maroc : après avoir tenté de rallier l’intraitable opposant en lui promettant son intégration à un futur gouvernement d’union nationale, le nouveau roi Hassan II passera rapidement d’une cordiale amitié envers son ancien professeur de mathématiques à une farouche détermination à le supprimer, politiquement puis physiquement. Le 22 novembre 1963, alors que le monde a les yeux braqués sur Dallas où l’on vient d’annoncer l’assassinat de Kennedy, le souverain alaouite condamnera à mort le leader de la gauche marocaine, coupable de conspiration à l’encontre de la monarchie. Moins de deux ans plus tard, la sentence sera appliquée, par des voies détournées. Certains, comme le chroniqueur de Jeune Afrique, Béchir Ben Yahmed, verront dans les causes de l’acharnement du roi un fait méconnu du grand public : la prise de position inattendue de Ben Barka durant la « Guerre des sables » qui vit en octobre 1963 s’opposer militairement le Maroc et l’Algérie. L’internationaliste préféra soutenir alors l’Algérie, plaque tournante à l’époque des groupes révolutionnaires, plutôt que son propre pays d’origine. Une insolence de trop pour le monarque chérifien.
    « Notre mouvement constitue une partie d’une lutte mondiale qui va de la Chine à Cuba » : quand il prononce ces mots au Congrès du parti socialiste marocain en 1962, Mehdi Ben Barka affiche clairement la couleur. Rouge vif. Sans s’aligner expressément sur le bloc communiste, restant fidèle en cela à l’esprit des non-alignés, le Marocain prend position, quitte à s’attirer l’irritation du gendarme mondial, les Etats-Unis, à l’affût permanent des contestataires.
    Président du comité préparatoire de la Conférence Tricontinetale, qui s’ouvrira à La Havane le 3 janvier 1966, Mehdi Ben Barka participait, de facto, à la convergence des mouvements indépendantistes. Son programme de lutte contre l’analphabétisme et le sous-développement avait fait des émules. Etendre à l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine le projet commun de résister à l’emprise du Nord : cela procure indéniablement quelques inimitiés tenaces, surtout quand l‘intéressé se consacre en particulier à démasquer ce que l‘on commence alors à nommer le « néo-colonialisme ». A cela s’ajouta un cocktail détonant, composé d’une dénonciation des bases militaires étrangères, d’une condamnation sans équivoque du nucléaire et de la solidarité revendiquée avec les luttes armées. Evoquant la rencontre historique qui aura lieu à Cuba, Ben Barka devient lyrique, dans un esprit prônant la symbiose idéologique : « Les deux courants de la révolution mondiale y seront représentés : le courant surgi avec la révolution d’Octobre et celui de la révolution nationale libératrice ». Si certains voudront voir en lui un précurseur visionnaire de l’altermondialisme, d’autres décèleront, au contraire, dans son discours une radicalité plus proche de celle des futurs groupuscules armés d’extrême-gauche qualifiés, par la suite, de terroristes. Le but ultime, déclaré par l’impétueux utopiste : la « libération totale ».
    Traqué par la CIA et le Mossad
    Les officiels américains, séduits par son aura particulière, auraient d’abord tenté de récupérer le leader. Mais sa radicalisation rapide dans les années 60/63, aussi bien à l’encontre des intérêts de Washington à travers le monde qu’envers le régime marocain, aura tôt fait de le transformer en ennemi public à surveiller. De près. Ainsi, la CIA avait collecté environ 1800 documents, de trois ou quatre pages chacun, sur l’opposant marocain. En 1976, la famille Ben Barka a demandé la déclassification de ces archives mais le principe de la sécurité nationale des Etats-Unis a été invoqué, bloquant toute procédure dans ce sens. Des organisations de défense des droits de l’homme ont adressé aux autorités américaines une requête similaire en 2002, en vain.
    Si l’implication des Etats-Unis ne provoque plus la controverse, tant la collaboration entre Rabat et Washington était déjà réputée pour sa qualité unique dans le monde arabe, il en va différemment de la piste israélienne. A l’instar de l’Egypte et de la Jordanie, le Maroc a développé des liens étroits avec Tel Aviv, mais beaucoup plus tôt, dès les années 60. Le roi Hassan II était fasciné en privé par la domination militaire d’Israël sur la région, en dépit de son affichage public pro-palestinien. La communauté juive marocaine, dont une grande partie a émigré en Israël, entretiendra longtemps une relation d’admiration et de vénération pour le souverain alaouite. Elle n’a pas oublié que le père de celui-ci avait explicitement protégé les Juifs marocains de toute persécution lors de la période pétainiste. Dans cette bienveillance de Tel Aviv envers Rabat, un organisme jouera un rôle fondamental : le Mossad. Le service d’espionnage apportera ses compétences au profit de la monarchie marocaine, en toute loyauté, en échange d‘informations confidentielles sur les autres chefs d‘Etat de la Ligue arabe. Cette contribution sera d’autant plus aisée qu’elle favorisera à la fois les intérêts marocains et américains. Ainsi en va-t-il de l’épineux cas Ben Barka.
    En 1966, deux journalistes israéliens, Maxim Ghilan et Samuel Mhor, ont révélé dans le magazine Bul la participation active du Mossad à l’enlèvement de Ben Barka, par l’entremise d’un homme d’affaires, juif marocain, basé en Europe. L’article donne les détails de l’opération, qui devait inclure faux passeports, planques et administration de poison. La fuite de cette information explosive découla d’un conflit entre deux chefs rivaux du service secret. Scandale à Tel Aviv et mesures immédiates de rétorsion : le magazine fut saisi des kiosques et les deux journalistes ont été jugés et condamnés à deux mois de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ». La reprise du scoop par les confrères étrangers, dont Time magazine et le Monde, provoqua une crise politique en Israël, divisant le Parti travailliste et embarrassant considérablement le Premier ministre Levi Eshkol.
    L’assistance logistique israélienne au kidnapping de Ben Barka ne devrait pourtant pas surprendre les connaisseurs des relations diplomatiques occultes entre Rabat et Tel Aviv. Même l’historien Alexandre Adler, qu’il serait délicat d’accuser d’anti-sionisme primaire, a reconnu à maintes reprises, notamment sur France Culture et Arte, la réalité de la troublante connexion attestée, à nouveau, par Time en 1975. Comme l’ont précisé les chercheurs Ian Black et Benny Morris, dans leur ouvrage, paru en 1991 et consacré à l’histoire secrète d‘Israël, cette implication est le résultat direct de la requête formulée en 1965 par le général Oufkir à David Kimche, du Mossad, de venir en aide au Maroc afin de capturer le premier opposant à Sa Majesté. Le Maroc, les Etats-Unis, Israël, et la France comme théâtre des opérations : une conjuration inédite mais efficace, dont le déroulement exact de la trame demeure inconnu. Une disparition brutale pour Mehdi Ben Barka qui explique la ténacité de ceux qui ont décidé, par la suite, de comprendre et de relater ce qui s’est réellement passé.
    Révélations, faux scoops et désinformation
    Alors que c’est le goût pour le 7ème Art qui avait causé la perte de Ben Barka, le cinéma reprendra l’histoire de sa fin tragique, digne du grand écran, avec l’Attentat, polar sec et nerveux réalisé par Yves Boisset en 1972, durant l’âge d’or des films politiques. Plus récemment, un téléfilm de Jean-Pierre Sinapi, diffusé sur France 2, sera accusé de déformer la réalité des faits au profit du Maroc.
    A côté des œuvres de fiction, la traque judiciaire comme journalistique de la vérité suppose de dissocier les pistes essentielles des hypothèses superflues, mais aussi, et surtout, de démêler le vrai du faux. Comme le remarque la journaliste Zakya Daoud, certaines parties prenantes à l’affaire ont tout intérêt à orchestrer une « surabondance de détails » pour rendre plus complexe la résolution de l’équation. L’affaire Ben Barka sera inaugurée par l’Express ,en janvier 1966, à la veille du suicide, bien accommodant,de Georges Figon, organisateur du traquenard et à partir duquel le scandale va éclater.
    La presse à sensation rebondira à plusieurs reprises sur le sujet, allant de pseudo-révélations fournies par de mystérieux initiés à des tentatives évidentes de désinformation opérées en amont. Quand l’ancien membre des services secrets marocains, Ahmed Boukhari, publie en 2002 son livre Le Secret , dont les extraits les plus croustillants seront dévoilés dans la revue Maroc Hebdo et dans Le Monde, beaucoup y verront une accumulation suspecte de faits relatés, comme le récit pittoresque de la dissolution du corps de Ben Barka dans une cuve d’acide. Quelques années plus tard, c’est l’Express qui tentera de refaire le joli coup médiatique de 1966 en dévoilant, grâce à l’historien tchèque Petr Zidek, le rôle imputé au leader marocain en tant qu’agent du KGB.
    Enfin, dans une énième « découverte » qui n’a pas manqué de faire sourire ou s’indigner ceux qui ont connu intimement Ben Barka, aussi bien ses proches que ses ennemis, un journaliste israélien, Shmouel Seguev, reprenant en cela la thèse audacieuse de l’historien Yigal Bin-Nun, a publié en 2008 « Le lien marocain », ouvrage consacré aux liens secrets entre le Maroc et Israël. Le livre, préfacé par l’ancien chef du Mossad Ephraïm Lévy, contient une stupéfiante assertion : l’opposant marocain, piégé, en autres, par des espions israéliens, avait requis en 1960 l’aide financière du Mossad pour renverser la monarchie alaouite. David Ben Gourion, le fondateur d‘Israël, en aurait alors immédiatement averti le roi Hassan II. De même que les Etats-Unis auraient tenté d’amadouer Ben Barka, avant de le considérer comme une menace pour leurs intérêts et ceux de leurs alliés, Israël aurait donc, dans un premier temps, été sollicité par le socialiste révolutionnaire avant de prendre définitivement parti pour son ennemi juré, le monarque absolu Hassan II, « despote éclairé » et conciliant. Quoiqu’il en soit de la véracité de ces affirmations, une leçon ultime ressort de la tragédie. Les deux « démocraties-phares » ont donc jugé plus utile, in fine, de soutenir le tyran diplomate et de faciliter, au passage, l’élimination du combattant pour les libertés fondamentales. Message à l’attention de l’Axe du Mal et autres Etats voyous : « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ».
    Le temps presse. Comme le souligne Bechir Ben Barka, « des témoins potentiels ont disparu ces dernières années, d’autres sont au soir de leur vie. Nous n’aimerions pas que la vérité parte au fond d’une tombe ». Dévoiler le canevas de l’affaire consistera à chercher toutes les responsabilités, en dedans comme au-delà de l’axe franco-marocain.
    Interpol, organisation dirigée par l‘Américain Ronald K. Noble, serait-elle la mieux placée pour demander, également, des comptes à l’appareil d’Etat français et aux services secrets des Etats-Unis et d’Israël pour les graves présomptions qui pèsent sur eux ? En droit pénal international comme en Realpolitik , la réponse est, évidemment, négative.
    Cependant, malgré la chape de plomb, certains continuent d’honorer sa mémoire et de se battre pour connaître un jour la vérité. Depuis Belfort, où il enseigne, à son tour, les mathématiques, Bechir Ben Barka s’efforce de déchiffrer l’énigme. En mémoire de son père comme envers tous ceux qui, jadis, Marocains et étrangers de par le monde, ont cru en l’espérance révolutionnaire globale, incarnée et défendue avec ardeur par Mehdi Ben Barka. Le communiste libertaire Daniel Guérin, enquêteur inlassable et spécialiste de l’affaire, avait prédit, au sujet de leader internationaliste, la conclusion inéluctable d’un destin héroïque : « Ce mort aura la vie dure, ce mort aura le dernier mot ».